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Politique de recherche et innovation technologique (1)

Alain Lesage
Directeur du Département économique à l'Union wallonne des Entreprises

 

La recherche et l'innovation constituent la source première de tout progrès. Dans chaque entreprise, la recherche et l'innovation sont indispensables pour créer en permanence des avantages compétitifs, gages d'une survie à long terme.

Recherche et innovation sont nécessaires conjointement.

Il ne fait guère de doute que le potentiel de croissance d'une économie régionale, comme celui de ses entreprises, tient aux efforts déployés dans la recherche, c'est-à-dire dans la production de connaissances nouvelles (recherche fondamentale) ou de savoir-faire nouveau (recherche appliquée). Mais la recherche ne suffit pas. Encore faut-il que des innovations réussies en amènent les résultats jusque dans la sphère économique. C'est en se diversifiant, en se différenciant et donc en innovant, que les entreprises wallonnes pourront faire face dans un environnement turbulent.

Cette distinction entre recherche et innovation mérite qu'on s'y attarde quelque peu. L'innovation n'est pas purement technologique et ne s'identifie pas à la recherche. Elle est d'abord attitude. Elle est une remise en cause permanente de la technique et du produit, mais aussi de l'organisation, du marché, de la logistique, et encore de la formation des hommes comme des relations entre eux, de la culture d'entreprise ou de l'image projetée.

Dans notre région, particulièrement, la capacité à maintenir cette attitude, cette tension sera le déterminant du succès.

Nous avons souffert pendant plusieurs décennies d'un déclin progressif dans les activités de base de notre économie. La crise charbonnière a détruit 100.000 emplois. Les deux chocs pétroliers ont induits des restructurations en profondeur dans les industries lourdes – sidérurgie, verre, ciment, papier ... – qui ont renforcé leur productivité, mais au prix de 100.000 autres emplois. La création d'emplois dans les services – marchands comme publics et non marchands – n'a pu qu'absorber la croissance de la population active, très importante depuis 25 ans. Elle n'a pas pu compenser les destructions d'emplois et résorber le chômage. Aujourd'hui, le premier devoir des wallons est donc de créer des activités nouvelles, de produire des biens ou des services nouveaux et de les exporter.

Aussi, au-delà des indispensables suggestions et propositions qui peuvent être faites pour améliorer le fonctionnement des systèmes technologiques et de recherche dans leurs relations avec les entreprises, il faut s'attacher à renforcer tout ce qui aux plans social, financier ou fiscal incite à entreprendre et à prendre des risques. C'est l'ensemble du système qui doit être examiné.

Les auteurs du " livre blanc pour la croissance, la compétitivité et l'emploi " l'ont bien compris, puisque leur premier plan d'action, axé sur les réseaux d'information, couvre effectivement tout le spectre, proposant d'agir à la fois sur l'offre (renforcer les performances technologiques et industrielles), la demande (diffuser l'exploitation des technologies de l'information, doter l'Europe de services de base transeuropéens) et sur la capacité d'accueil (mise en place d'un cadre réglementaire adapté, formation aux nouvelles technologies).

La Wallonie aura avantage à mettre en oeuvre les propositions du Livre blanc pour au moins deux raisons.

D'une part, les difficultés mises en évidence par les travaux préparatoires, dans une comparaison entre l'Europe et ses deux grands concurrents que sont les États-Unis et le Japon, sont vérifiées également et elles sont plus aiguës encore en Wallonie : parmi celles-ci, on peut citer un nombre comparativement moins élevé de chercheurs et d'ingénieurs que dans les grands pays européens, ainsi qu'une capacité comparativement plus limitée à transformer les percées scientifiques et les réalisations technologiques en réussites industrielles et commerciales.

A l'origine de ces difficultés, le Livre blanc met en évidence plusieurs facteurs qui valent aussi pour notre région : liaisons insuffisantes entre les universités et les entreprises, malgré une évolution positive au cours des dernières années; absence de capital à risque pour aider les entreprises à traverser la phase de développement; réticence des opérateurs financiers privés – comme publics faudrait-il ajouter – à investir dans des activités jugées trop risquées ou à rentabilité douteuse; mauvaise prise en compte de la recherche et du développement technologique dans les stratégies d'entreprises; absence de stratégies concertées entre entreprises, universités et pouvoirs publics; obstacles réglementaires – comme psychologique et culturels, faudrait-il ajouter – à la création d'entreprises par les chercheurs; concentration des objectifs sur des marchés trop étroit, faible capacité à anticiper ... Cette liste n'est pas limitative.

Manifestement, nous pouvons nous inspirer des remèdes proposés pour l'Europe.

D'autre part, il faut être bien conscient que la Wallonie, dont les moyens sont très limités, ne pourrait pas générer à elle seule les effets d'entraînement qu'elle peut normalement attendre si elle s'inscrit dans une perspective de moyen terme tracée au niveau européen.

Encore faut-il que ce projet soit crédible, que les pays voisins s'y engagent également et que nous puissions effectivement y accéder. Les deux premières conditions débordent le cadre de ma réflexion, mais la troisième mérite que l'on s'y attarde un instant. La participation des entreprises wallonnes aux programmes cadre de recherche a été, en effet, jusqu'à présent fort modeste. Les raisons en sont sans doute multiples. Mentionnons-en deux : la culture d'entreprise mais aussi les ressources de nos PME industrielles ne prédispose pas à de la recherche menée en compte propre; en outre, la difficulté d'accès n'est pas mince et les chances de succès sont faibles (4 dossiers sur 5 sont rejetés).

Ce défaut n'est pas spécifique à la Wallonie et la Commission a résolu de changer ses procédures afin de faciliter l'accès des PME, de mettre l'accent sur la diffusion et l'exploitation des connaissances et de renforcer les fonctions de veille technologique. Le " retour " wallon est par ailleurs tout-à-fait honorable, puisque nos universités et nos centres de recherche accèdent quant à eux davantage aux programmes européens. Il faut enfin convenir que les centres collectifs ont leur rôle à jouer dans la recherche précompétitive et leur taux de réussite dans l'obtention de projets CRAFT, par exemple, atteste leur qualité.

Si la participation wallonne est ainsi suffisante, du moins globalement, si, il faut le redire, ces projets débouchent sur des innovations dans les PME, et sauf situations exceptionnelles, mais bien réelles, où la Wallonie dispose de centres d'excellence de réputation internationale, qu'il importe alors de conforter, la Région à donc probablement intérêt à axer ses programmes mobilisateurs sur les priorités européennes.

Les effets d'entraînement les plus importants peuvent être attendus des technologies génériques, c'est-à-dire celles susceptibles d'applications multiples et diverses, par l'ensemble ou par la plupart des métiers et pour la satisfaction d'un grand nombre de besoins. Ces technologies génériques sont en nombre limité et se regroupent sous quatre titres bien connus : génie génétique, télématique, matériaux nouveaux et énergies alternatives. Le Livre blanc a clairement mis l'accent sur la télématique, parce que ses impacts socio-économiques seront manifestement les plus grands. Mais les autres volets ne sont pas absents du 4ème programme cadre. S'inscrire dans la perspective européenne est dès lors une contrainte légère et l'exercice le plus ardu sera sans doute de privilégier les axes qui sont le plus proches de nos aptitudes les plus remarquables et auxquels nous pouvons donc contribuer le plus utilement.

Ce point de vue est n'est pas exprimé de manière dogmatique. Il me paraît de simple bon sens et je n'y vois guère de contre-argument.

Que signifie concrètement la mise en oeuvre du Livre blanc en région wallonne, du moins dans ses aspects de développement technologique, puisque c'est là l'objet de mon exposé ? J'insisterai sur deux points essentiels : la recommandation faite en termes de budget et la priorité donnée au développement technologique plutôt qu'à la recherche sensu stricto.

En termes de budget, l'objectif annoncé est d'élever progressivement les dépenses consacrées à la recherche jusqu'au niveau de 3 % du PIB. Ceci représenterait environ 60 milliards de dépenses annuelles en Wallonie. Il est difficile d'estimer l'effort actuel. Pour le secteur des entreprises, les données régionales ne sont pas encore disponibles, mais selon la méthode d'estimation, elles pourraient s'élever de 15 milliards (soit la part des investissements wallons appliquée aux dépenses totales de recherche par les entreprises belges) à 22 milliards (soit le poids des dépenses totales de recherche par les entreprises belges appliqué au produit intérieur wallon).

Pour le secteur public, il faut ajouter les dépenses de la Région wallonne, un pourcentage (que l'on peut fixer arbitrairement à 75 %) des dépenses de la Communauté française et une part (mal connue) des dépenses de l'Etat fédéral.

Les dernières statistiques disponibles indiquent que l'effort public belge se serait accru considérablement entre 1988 et 1994, passant de 0,48 à 0,60 % du PIB, soit un accroissement de 25 %. Mais ces chiffres sont étonnants à plus d'un titre,

  • d'abord parce que le total ne se modifie guère, la hausse de l'effort public ayant pour contrepartie une diminution corrélative des dépenses privées, ce qui est peu probable,

  • ensuite parce que le changement intervient en une seule année, entre 1988 et 1989,

  • et enfin parce que cette année 1989 est celle de la régionalisation du pays, ce qui laisse supposer un changement majeur dans la méthode de calcul.

Les milieux académiques n'ont pas tardé à contester ce chiffre qui nous laisse de toutes façons dans une situation peu enviable au plan européen. Et quoi qu'il en soit, on devrait à peu près doubler l'effort global pour atteindre l'objectif de 3 % du PIB. Si cette augmentation est répartie entre les acteurs au prorata de leurs dépenses actuelles, cela représente environ 10 milliards pour le secteur public et 20 milliards pour le secteur privé. Pour inciter à cet effort supplémentaire, la Communauté européenne propose d'établir (ou de rétablir) des mesures réglementaires ou fiscales adéquates, ce qui reporterait une partie de la charge sur les budgets publics, même si ce n'est pas en crédits de paiement supplémentaires.

Bref, cet objectif est hautement souhaitable. Reconnaissons qu'il n'est concevable de l'atteindre qu'à long terme. Il a toutefois pour mérite de nous montrer l'ampleur de notre retard en la matière et la longueur du chemin qu'il nous faudra parcourir.

Ajoutons que dans l'esprit de la Commission, les accroissements de budget devraient être orientés non pas dans une direction particulière, mais vers le développement technologique et la conception des produits en fonction des marchés.

Dans notre pays, ceci poserait un problème budgétaire de plus, puisque ce sont les Régions qui sont compétentes pour la recherche à vocation industrielle. On imagine mal en effet d'accroître les moyens de la recherche de moins de 3 milliards à près de 13 milliards, au sein d'un budget étriqué à tous égards. On n'envisagera pas non plus de prélever des moyens du côté de la Communauté française et même une réorientation des moyens disponibles pourrait être dangereuse, tant sont grandes les tensions sur le budget communautaire.

Néanmoins, certaines tendances pourraient être corrigées lorsqu'elles vont clairement en sens opposé.

  • Ainsi, jusqu'en 1993, au sein du budget wallon, la part dévolue à des activités de recherche au sens strict s'est renforcée, au détriment d'actions diverses relevant de la compétence " technologie " au sens large,

  • et la part dévolue à la recherche industrielle – qu'elle soit menée par des entreprises ou des centres de recherche collective – de même que la valeur réelle des montants qui lui sont octroyés se sont réduites au profit de recherches à finalité industrielle mais menées par les universités ou, accessoirement, par les instituts supérieurs industriels.

  • Depuis 1994, et surtout cette année, les cofinancements européens auront permis, en principe, de renforcer la composante " technologie " dans les dépenses, mais à nouveau, l'initiative a été laissée principalement aux universités. En outre, on sait que les moyens de paiement font défaut pour ces nouvelles actions.

Sinon corrigées, ces tendances peuvent à tout le moins être justifiées, en répondant à la question : " comment contribuent-elles à la création de richesses nouvelles en Wallonie ? " Cette question est posée explicitement pour les actions menées dans le cadre des objectifs 1,2 et 5b, mais elle doit en fait être une préoccupation constante.

Cette préoccupation mène naturellement au deuxième objectif à reprendre du Livre blanc : la priorité donnée au développement technologique. Elle peut impliquer que l'on revoie certains de nos critères de sélection.

Cet objectif peut conduire à privilégier l'innovation de produit plutôt que de process. C'est là une priorité wallonne afin de développer des activités nouvelles. Mais il faut toutefois nuancer cette distinction. Le process de l'un est le produit de l'autre. La connaissance d'un process neuf est un patrimoine pour l'entreprise qui la détient : elle peut l'utiliser pour les besoins de sa production – ce qui est généralement le cas – mais elle peut aussi la louer ou la vendre sur un marché. C'est un calcul économique. Sans nier que des problèmes se posent effectivement au point de vue de l'emploi, ceci appelle à la prudence.

D'autre part, comment naît l'innovation ? Selon un modèle linéaire, elle trouve son origine dans la recherche fondamentale, qui donne lieu à une recherche appliquée, elle- même débouchant sur une recherche industrielle avant une mise sur le marché. Ce schéma existe. Il est relativement marginal et ne donnerait lieu qu'à 15 ou 20 % des innovations réussies. Il s'applique surtout à des secteurs jeunes, à haut contenu technologique.

Il faut insister sur la prédominance d'un autre modèle, de type " auto-poiétique " ou " auto-organisateur " où ce sont les multiples rencontres " aléatoires " entre un besoin insatisfait et des connaissances inutilisées qui déterminent à un moment la naissance d'une innovation économiquement acceptable. La véritable innovation naît en effet souvent de l'application d'un savoir particulier à un type de besoin pour lequel il n'a pas été conçu au départ : laser utilisé en médecine, algèbre floue utilisée en optique puis dans les systèmes de régulation ...

Le passage des résultats de la recherche vers l'application industrielle et le marché suppose donc une bonne communication entre le monde de la recherche et le monde de l'entreprise. Cette communication doit être soutenue par des liens organiques entre eux, dans des lieux ou sur des projets où le dialogue peut se nouer. Un tel dialogue commence à s'instaurer entre les interfaces universitaires. Il faut veiller à le renforcer et à l'ouvrir davantage au monde économique.

Les centres collectifs, quant à eux, jouent un rôle permanent dans le transfert du savoir vers son application en entreprise.

La Région wallonne doit envisager les réformes et mesures nécessaires pour garantir le maintien en Wallonie de centres d'excellence, largement reconnus, orientés vers les besoins de notre économie, ouverts aux entreprises, gérés par elles et voués à les accompagner dans les défis technologiques qu'elles affrontent.

Le dialogue instauré dans les Universités, entre elles ou avec le monde de l'entreprise (dans lequel il faut inclure les centres collectifs) doit surtout être multidisciplinaire pour être fécond. C'est vrai en tous temps, mais particulièrement aujourd'hui quand se développent des technologies qui permettent des innovations radicales dans tous les secteurs d'activité.

Enfin, si l'objectif est bien de soutenir la création ou l'extension de PME axées sur la production de biens et de services nouveaux – c'est une priorité du Livre blanc et c'est indépendamment de cela, je le répète, une priorité de la Wallonie – il faut comprendre que toute innovation ne repose pas sur une recherche de haut niveau et accepter que le développement ou la simple amélioration de produit mérite attention.

En conclusion, le Livre blanc propose, en matière de développement technologique, des objectifs acceptables et même souhaitables pour la Wallonie. Le but est manifestement très éloigné. Mais n'est-ce pas le propre d'un projet mobilisateur ?

 Notes

1. Cet article exprime les vues de son auteur.


 

 

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