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Le rôle économique de la formation professionnelle

Edouard Wuilquat
Inspecteur général à la Division des Services généraux du Forem

 

Introduction (1)

L'article qui suit a pour objectif d'établir la relation entre l'activité de la formation professionnelle et l'analyse économique de cette activité.

Bien qu'elle ait eu ses heures de gloire en Belgique, grâce à l'oeuvre de V. MARTIN, l'analyse économique de la formation professionnelle a été considérée ces dernières années comme une priorité de second ordre tant la lutte contre le chômage, par le biais de la mise en oeuvre des politiques de résorption, a monopolisé l'attention des décideurs politiques et capté des ressources budgétaires considérables.

C'est là un paradoxe que je m'efforcerai de démontrer, car si le sous-emploi massif s'est développé, c'est aussi, entre autres choses, à cause de l'existence d'un suremploi catégoriel qui a contribué à rendre impossible (à court terme) la satisfaction de centaines d'offres d'emploi et à maintenir au chômage les travailleurs non qualifiés dont les postes de travail étaient complémentaires des postes liés à ces offres.

Pour ce faire, il est apparu opportun de rappeler les hypothèses traditionnelles de l'analyse économique en matière de production et leur utilisation dans le cadre des théories de la croissance économique (point 3).

Après avoir montré le caractère irréaliste de ces hypothèses, il a été possible d'introduire et de développer l'origine, les causes, les conséquences et les remèdes du suremploi catégoriel (point 4).

Ce concept fondamental pour l'analyse économique de la formation professionnelle permet de mettre en évidence l'interdépendance entre les secteurs de la production, de l'éducation et de la formation (point 5); interdépendance qui s'exprime aisément dans la confection de modèles simples ou d'optimisation.

Cette démarche s'inscrit dans un domaine limité par un facteur travail, conçu de manière classique, sur un mode binaire avec son alter ego le capital, dans une perspective de temps court et dans un espace économique "fermé" (point 1).

Les différents agents opérateurs de formation en Région wallonne ont fait l'objet d'un descriptif minimal étant donné que l'analyse économique de leurs performances reste et restera une inconnue jusqu'au moment où leurs activités seront reliées par un compte satellite à la comptabilité régionale (point 2).

En posant le cadre théorique de cet article, ces deux premiers points fixent également les limites de ses conclusions (point 6).

 

1. Cadre de la problématique

En étudiant les défis qui se posent à l'économie européenne et en traçant les pistes pour entrer dans le XXIème siècle, l'analyse de la Commission des Communautés Européennes sur les questions de croissance, compétitivité et emploi a redonné à ces thèmes une actualité nouvelle, actualité que la crise économique avait commencé à reléguer dans le domaine de l'histoire économique récente.

Elle axe ses priorités (C.C.E., 1993 p. 8 à 13) sur la volonté de retrouver :

  • une économie saine : avec comme objectifs une réduction progressive des déficits publics, un faible taux d'inflation et une évolution des coûts de production qui permette une rentabilité du capital suffisante.

  • une économie ouverte :insérant la Communauté Européenne dans la sphère des échanges mondiaux organisée par les accords du GATT et administrée par l'Organisation Multilatérale du Commerce.

  • une économie décentralisée : mettant en place des organisations interactives -tant privées que publiques - s'intégrant aisément à la nouvelle organisation économique de la société et pouvant évoluer plus rapidement vers cette nouvelle organisation.

  • une économie plus compétitive : appliquant des règles qui assurent le bon fonctionnement du marché, recherchant des modalités d'insertion des PME dans la dynamique du grand marché et accélérant la mise en place des réseaux trans-européens d'infrastructures.

  • une économie solidaire : mettant en place de mécanismes collectifs de solidarité destinés à remédier aux défaillances du marché et à rechercher une meilleure efficacité, une meilleure sélectivité et une responsabilité accrue en matière de protection sociale.

Ces priorités sont autant de conditions nécessaires pour assurer une croissance économique plus élevée que précédemment. La Commission a longuement décrit les moyens à mettre en place pour que ces conditions puissent intégralement jouer leur rôle de traction de cette croissance. Parmi ces moyens, la commission mentionne :

- la rencontre de nouveaux besoins;
- la rénovation des politiques de l'emploi;
- la réduction du coût relatif du travail peu qualifié;
- l'accélération de la décentralisation et la participation à la prise d'initiative ;
- l'accroissement de la flexibilité externe et interne;
- le développement de l'éducation et de la formation.

Ce dernier thème retiendra davantage notre attention.

La commission invite (C.C.E., 1993. p. 15) les communautés éducatives nationales à relever le défi d'une éducation permanente de ses membres et d'un perfectionnement professionnel accessible à tous. Il sera insuffisant de détenir un savoir et un savoir-faire acquis une fois pour toutes; il sera nécessaire d'apprendre à communiquer, à travailler en groupe, à faire l'évaluation de sa propre situation.

"Les métiers de demain exigeront l'aptitude à formuler un diagnostic, à faire des propositions d'amélioration à tous niveaux, l'autonomie et l'indépendance d'esprit et la capacité d'analyse que confère le savoir".

Avant d'examiner quelles réponses la Région wallonne pourrait donner, en matière d'éducation et de formation, aux questions posées par la Commission, nous ferons les remarques liminaires suivantes :

 

1.0. De quoi parle-t-on ?

La question de la formation se réfère à un processus de transition qui, par le biais d' accumulation de connaissances - théoriques et/ou pratiques - fait passer le savoir, le savoir-faire et peut-être le savoir-être d'un état donné à un état supérieur. A l'issue de ce processus de formation, on parlera d'amélioration de la qualification.

L'histoire du développement du capitalisme, depuis le début de la révolution industrielle jusqu'à aujourd'hui, a été accompagnée d'un besoin de main-d'oeuvre qualifiée en constante augmentation. Cette thèse dominante est néanmoins contestée par la thèse de la dégradation continue du travail au cours du processus de développement capitaliste qui peut succinctement se résumer comme suit :

  • l'augmentation apparente des qualifications est, d'un point vue sociologique, le reflet de la modification, voire de la manipulation, des nomenclatures de professions :
    "Ce n'est que dans le monde des statistiques de recensement, et pas dans la réalité, que le travailleur à la chaîne est censé avoir une plus grande qualification que le pêcheur de poissons ou d'huîtres, le manutentionnaire que le jardinier ou le cultivateur, celui qui alimente la machine que celui qui pratique la pêche côtière, le gardien de parking que le charpentier ou le constructeur de bateaux (Bravermann, 1976 p. 346).

  • l'augmentation du nombre moyen d'années de scolarisation des travailleurs occupés, pris fréquemment comme indicateur de l'amélioration de la qualification ou comme indice de la qualification elle-même, est le résultat d'une pratique des employeurs d'augmenter leurs exigences pour les demandeurs d'emploi, non par parce que ces emplois exigent une plus longue éducation, mais simplement à cause de la grande quantité de bacheliers disponibles sur le marché du travail (Bravermann, 1976 p. 352).

En pleine révolution informationnelle ne peut-on néanmoins se poser la question de savoir si la thèse de Bravermann ne perd pas à la fin du XXème siècle une partie de sa pertinence et si la majorité des postes de travail, existants ou à créer, ne nécessitent pas plus qu'auparavant - directement ou indirectement - une formation scientifique ou technique aux contenus indispensables à l'exercice du travail considéré ?

1.1. Quel est l'avenir du travail au sein de la société de demain ?

Le travail est un facteur de production qui fait l'objet d'une demande dérivée; a fortiori, il en est de même de la demande de travail qualifié. Dans le processus de croissance qui a caractérisé les "trente glorieuses", le travail a occupé un pôle central. Durant cette période, caractérisée par une stabilité monétaire internationale et une garantie des approvisionnements à bon marché en produits primaires et des débouchés mondiaux, le travail a été au centre du compromis social passé entre le patronat, les salariés et l' Etat. Les salariés (par la voie d'accords ou de conventions collectives) ont accru leur pouvoir d'achat, ont bénéficié d'un haut niveau de protection sociale et du plein emploi, les entreprises ont maintenu un niveau élevé de rentabilité de leur capitaux; tout cela grâce au partage des gains de productivité.

Quant à l'Etat, il fixait les règles et les normes et assurait la fonction d'arbitrage (Di Ruzza et Duharcourt, p. 18); c'est l'effritement de ces procédures sociales de régulation de l'économie (abandon du système de changes fixes, lui-même dû au déficit de la balance commerciale des USA, instabilité du SME due à l'ampleur de la mobilité internationale des capitaux, essoufflement des gains de productivité ...) qui a conduit à la dégradation de la rentabilité du capital, et donc à la modification du taux de partage entre salaires et profits, à la baisse des investissements et au développement du chômage de masse.

De pôle central de la socialisation, le travail comme substance même de l'activité se brouille (Schwart, 1992, cité par Di Ruzza et Duharcourt p. 28) au point de faire l'objet d'une conception nouvelle qui en ferait la résultante de toute activité de l'homme sur une "nature" comprise, non plus comme "ressources naturelles" mais comme "environnement produit par les hommes". Cette conception transformerait la signification des notions d'emploi et de population active qui seraient dès lors basées sur la reconnaissance sociale de l'individualité et de son activité (Di Ruzza et Duharcourt p. 29).

De cette évolution possible du travail dépendront aussi les qualifications et donc les formations nécessaires à leur mise en oeuvre.

 

1.2. Quel est l'impact des mutations de l'économie mondiale et de la compétitivité internationale sur les qualifications de demain ?

Après avoir décrit les performances (modestes) des économies du Sud en matière de production industrielle, une étude récente (Singh, 1994 p.192) indique les records battus par les mêmes économies en matière d'exportation de produits manufacturés durant les années 65 à 85 (doublement) et l'évolution extrêmement rapide (12%/an) du volume des exportations des produits manufacturés de ces économies durant la décennie 80.

L'effet de "désindustralisation" de cette évolution dans les économies du Nord et l' impact de la diminution de la demande de travail qualifié qu'elle induit ainsi que la diversification des moyens d'insertion des économies du Sud dans l'économie mondiale devrait relativiser les conclusions (provisoires) qui termineront cet article. En effet, le degré d'ouverture de l'économie de la Région wallonne, le volume de ses exportations vers les régions périphériques et les économies du Sud, le volume de ses importations et l'impact de ses échanges sur le volume de travail qualifié nécessaire sont pour cette région un aspect essentiel de la problématique, non traité dans le présent article, et qui, de ce fait, en limite la portée.

L'évolution de la demande de travail et donc de travail qualifié en Région wallonne dépendra des réponses qui seront données à ces trois enjeux :

- arrêt du processus de dégradation du travail,
- avenir du processus de travail comme axe principal de la socialisation,
- destruction ou substitution du volume de la production des économies du Nord au profit des économies du Sud.

 

2 Les agents de formation professionnelle en Région wallonne

L'impulsion que la Région wallonne pourra donner en matière de formation dépendra non seulement des réponses aux questions évoquées ci-avant mais aussi de sa capacité d'ajustement rapide aux mesures de politique de formation qui pourraient être prises tant sur le plan régional que communautaire (2) .

Sans vouloir être nécessairement exhaustif, seront mentionnés comme agents (3) économiques de formation :

- pour le secteur marchand :

- les entreprises elles-mêmes qui assurent - surtout quand elles sont de grande taille - la formation de leur personnel
- les écoles privées (par exemple : BERLITZ)
- les fonds de formation (tels que le fonds de formation de la construction ou l'institut de formation professionnelle du secteur métal).

- pour le secteur non-marchand :

- il s'agit essentiellement d'associations sans but lucratif ou de sociétés coopératives ayant comme raison sociale principale la formation.

- pour le secteur public :

A la suite de DELIEGE et TRICOT (1987); les agents de formation suivant seront mentionnés :

- le Ministère de l'Education Nationale :

- enseignement de plein exercice;
- enseignement à horaire réduit;
- enseignement de promotion sociale.

- le FOREM, organisme d'intérêt public (4) dont l'une des missions statutaires est de mettre en oeuvre la formation professionnelle en Région wallonne ainsi qu'en Communauté germanophone (5) telle que fixée par les arrêtés de l'Exécutif de la Communauté Française du 12 mai 1987 (relatif à la Formation professionnelle et relatif à l'octroi de certains avantages aux stagiaires qui reçoivent une formation professionnelle) et par l'arrêté du 12 juin 1985 de la Communauté germanophone, relatif à l'octroi de certains avantages aux personnes recevant une formation professionnelle.

En matière de formation, les missions de l'Office consistent dans l'exécution de la politique de formation négociée entre les pouvoirs de tutelle et les partenaires sociaux qui composent le Comité de gestion (6).

Les formations dispensées concernent les salariés (7) :

- soit comme demandeurs d'emploi
- soit comme travailleurs suivant une formation en dehors de leurs heures de travail
- soit comme travailleurs sous contrat de travail suivant une formation à la demande de leur employeur.

- l' apprentissage des classes moyennes :

Il s'agit de formations organisées par le Ministère des Classes moyennes, ces formations sont destinées soit à préparer les personnes qui s'y inscrivent aux métiers propres aux indépendants, soit à préparer à la gestion générale, technique, commerciale, financière et administrative d'une entreprise et plus particulièrement d'une P.M.E.

L'état des lieux descriptif de ces agents de formation reste à entreprendre.

Etant donné les rapports multiples entre ceux-ci et le développement des partenariats d'une part et des actions de formation à caractère communautaire d'autre part, un pas utile serait d'établir une typologie des formations selon les onze rubriques reprises dans la représentation figurant ci-dessous :

Une analyse économique du secteur de la formation devrait débuter par l'examen des moyens (budgétaires, humains et physiques) mis à disposition de l'ensemble des agents de formation et se poursuivre par ceux de leurs résultats (nombres d'heures de formations dispensées, nombres de personnes formées, nombres de personnes ayant retrouvé un emploi etc). A l'heure actuelle force est de constater qu'une telle synthèse n'existe pas, ni sur le plan régional, ni sur le plan national.

La constitution d'un compte (8) reprenant l'ensemble de ces données figurera donc comme une priorité de premier rang parmi les recommandations qui clôtureront cet article.

L'absence de données chiffrées cohérentes relatives au secteur ne signifie toutefois pas qu'il n'existe pas d'analyse économique de la formation professionnelle.

 

3.1. Production et facteurs de production

Pour analyser la production, la théorie économique classique (9) depuis J.B. SAY retient trois facteurs essentiels (Chevalier J.M. 1984 p. 169) :

- la terre
- le capital
- le travail

La théorie économique contemporaine (néo-classique (10) ) tend à ramener l'ensemble des inputs à deux catégories fondamentales de facteurs de production : le travail (L) et le capital (K).

Entrent dans le capital des ressources de nature hétérogène telles que :

- facteurs consommables (énergie, matières premières), facteurs qui disparaissent dans le processus de production;
- facteurs fixes, tels que la terre et les biens capitaux qui peuvent être utilisés durant plusieurs processus successifs;
- le travail indirect ou passé.

Entre dans le travail, le travail direct (payé sous forme de salaires).

Exprimé de la manière la plus simple, le problème de la production consiste à choisir la meilleure combinaison des facteurs de production, celle qui permet de produire au moindre coût; ce problème se résout, en théorie en moins, en introduisant deux concepts complémentaires :

1) celui de technologie : considéré ici comme l'ensemble des techniques de production différentes parmi lesquelles un entrepreneur devra choisir.
2) celui de prix (des inputs) :nombre d'unités monétaires contre lesquelles un facteur de production est acheté.

En analyse économique, la relation technologique qui existe entre la quantité obtenue d'un produit (output) et les quantités de facteurs de production (inputs) qui ont été combiné pour l'obtenir, s'appelle une FONCTION de PRODUCTION (Flouzat D., 1975, p. 142).

Dans la théorie traditionnelle de la firme (analyse marginale), les décisions de production sont prises d'une part en fonction des contraintes internes d'origine technologique, d'autre part en fonction des contraintes externes dues au marché; nous ne nous intéresserons dans le cadre de cette article qu'aux premières.

Les contraintes d'origine technologique portent sur trois questions :

1) Comme il existe en général plusieurs technologies pour produire un même produit, comment les combinaisons de facteurs s'établissent-elle ?

Trois cas sont possibles.

a) la combinaison des facteurs se fait d'une et d'une seule façon; travail et capital sont ici tout à fait complémentaires; la proportion de chaque facteur utilisé est déterminée par un coefficient fixe. Aucune substitution entre facteurs n'est possible.

b) la combinaison des facteurs se fait de plusieurs façons; travail et capital sont partiellement complémentaires; il existe plusieurs combinaisons différentes de facteurs pour produire un même volume de produit; la substitution entre facteurs est possible mais limitée.

c) toutes les combinaisons des facteurs sont possibles; dans ce cas, on peut toujours remplacer une unité d'un facteur par une autre unité de facteur sans changer le volume du produit; travail et capital sont parfaitement substituables.

2) Si les facteurs de production sont partiellement complémentaires, comment l'augmentation de l'un par rapport à l'autre (restant constant) va-t- elle influencer la quantité de volume produit (rendement) ?

L'accroissement unitaire d'un facteur va d'abord entraîner un accroissement plus que proportionnel du volume de la production (phase des rendements croissants); l'accroissement unitaire de ce facteur se poursuivant, on observera un accroissement proportionnel de la production à la variation du facteur variable (phase des rendements constants); au delà tout accroissement unitaire du facteur variable entraînera un accroissement moins que proportionnel du volume de la production; ce processus d'évolution du volume de la production par rapport à la variation d'un facteur de production s'appelle la loi des rendements marginaux décroissants parce que c'est à cette partie de la fonction de production totale que s'intéresse l'analyse traditionnelle (marginale) de la firme.

3) Si au lieu de varier de manière non proportionnelle les deux facteurs varient proportionnellement, quelle sera la variation globale du volume de la production ?

La combinaison optimale des facteurs étant fixée, quel sera l'impact d'une variation proportionnelle des facteurs de production ?

La réponse à cette question concerne l'échelle de la production et non plus la combinaison des facteurs de production; elle se fait également en trois temps; à une variation proportionnelle des deux facteurs de production :

- le volume de production croît proportionnellement; on dit que les rendements (d'échelle) sont constants
- il croît moins que proportionnellement et les rendements d'échelle sont décroissants
- il croît plus que proportionnellement et les rendements d'échelle sont croissants.

3.2. Fonction de production et modèles de croissance

Les fonctions de production sont utilisées sous de multiples spécifications dans la majorité des modèles de croissance où elles servent de colonne vertébrale à leur édifice; une hypothèse fondamentale supplémentaire concerne l'homogénéité des facteurs de production, c'est-à-dire leur réductibilité à une mesure identique; ce qui pour le facteur travail signifie que tous les travailleurs sont semblables (et donc interchangeables entre eux !) et que le facteur capital est mesurable en unités monétaires, également interchangeables entre elles (stock de capital malléable). Dans le modèle de croissance de base, du type Harrod-Domar, la condition nécessaire de croissance de l'économie sera équilibrée si le revenu croît à un taux égal au rapport entre la propension à épargner et le ratio produit/capital (11) ; ce taux de croissance est dit nécessaire car il est le seul à permettre une expansion équilibrée de la demande globale et de la capacité productive, et à satisfaire les espérances "normales" de profit des entrepreneurs-investisseurs (Abrahm-Frois G. 1973, p. 168).

L'enjeu de ce type de modèle est de connaître à quelles conditions la demande est suffisante pour utiliser la capacité de production disponible; il s'agit donc d'un modèle de croissance orienté par la demande et dans lequel, les hypothèses de fixité des facteurs de production (12) et d'homogénéité du travail et du capital ne permettent pas d'introduire ni le secteur de l'éducation ni le secteur de la formation puisque la condition de croissance équilibrée du modèle postule le plein emploi des facteurs de production (il n'y a ni chômage, ni sous-utilisation des capacités de production).

Si l'hypothèse de substitution remplace celle de fixité des facteurs de production, elle conduira à éliminer les pénuries d'un seul facteur de production. Dans les modèles de croissance qui se fondent sur l' hypothèse de substitution, la croissance ne peut être freinée que par l'insuffisance de tous les facteurs de production à la fois. Cette incapacité des modèles de croissance néo-classiques à intégrer les phénomènes, souvent constatés, de pénuries de travail qualifié conduira à l'abandon de l'hypothèse de substitution des facteurs (Vernières M. 1972 p. 23).

 

3.3. La révision des hypothèses de substitution, de rendements d'échelle et d'homogénéité des factures de production

Si l'hypothèse de substitution des facteurs de production n'interdit pas la prise en considération explicite de la qualification du travail qui est parfois introduite en tant que variable distincte dans les fonctions globales de production (13), elle n'en confère pas moins un rôle secondaire au secteur de la formation dans l'étude de processus de croissance. La possibilité de remplacer le travail qualifié par du capital ou des travailleurs non qualifiés empêche qu'une insuffisante formation de la main-d'oeuvre puisse bloquer ou même simplement freiner la croissance. (Vernières M. 1972 p.122).

Cette hypothèse, qui implique l'agrégation des diverses catégories de travailleurs ou de leurs qualifications, suppose que trois conditions au moins soient remplies :

- la fixité des salaires relatifs : elle suppose l'existence de phénomènes (tels que l'attachement au maintien de la hiérarchie des salaires, la complémentarité entre travail qualifié et capital ...) qui soulignent le caractère hétérogène du travail.

- l'égalité du salaire et de la productivité marginale :

Cette "adéquation des salaires réels à la productivité physique du travail ne s'établit qu'au terme d'un processus complexe dont les effets ne se font sentir qu'à la longue" (Marchal J et Lecaillon J. 1970 p. 232, cité par Vernières M. 1972 p. 127). Il est donc préférable, selon Vernières, d'éviter le recours à cette hypothèse et de renoncer à une agrégation aussi poussée du facteur travail.

- le glissement continu des qualifications

Il implique la possibilité pour un travailleur de passer de sa catégorie de qualification à celle qui lui est immédiatement supérieure et cela de manière continue.

En raison de la nature des besoins des économies modernes, il existe de nombreux emplois auxquels ne sauraient accéder des travailleurs qui ne seraient pas dotés d'un certain niveau d'éducation. Dans l'échelle des qualifications existent des seuils que seule une formation adéquate permet de franchir (Vernières M. 1972 p. 228).

Ces trois conditions n'étant pas individuellement ou globalement vérifiées, l'hypothèse de substitution des facteurs de production pour l'étude du rôle du travail dans la croissance doit être rejetée.

Adopter l'hypothèse de la constance des rendements généralement admise dans les modèles de croissance s'est supposer que les facteurs de production sont initialement combinés de manière optimale et que l'allocation des ressources qui en découle l'est aussi.

Si par contre, l'allocation des ressources peut être améliorée par le développement de l'activité économique, l'hypothèse la plus réaliste serait celle des rendements d'échelle croissants; son adoption implique que les revenus des facteurs de production ne sont plus rétribués à leurs coûts marginaux, c'est pourquoi les économistes pour échapper à cette difficulté préfèrent garder l'hypothèse des rendements constants et renoncer à l'hypothèse d'homogénéité des facteurs.

Ce renoncement est à l'origine de la mise en cause de la notion de stock de capital homogène et de l'existence de plusieurs catégories de travailleurs inégalement qualifiés et non interchangeables.

A l'issue de cette discussion, nous nous retrouvons donc dans une économie plus proche de la réalité dans laquelle les facteurs de production ne sont plus considérés comme homogènes mais partiellement complémentaires.

 

4. Origine, causes et conséquences du suremploi catégoriel

La thèse de la complémentarité des facteurs de production a été largement étayée si non démontrée par de nombreuses études parmi lesquelles nous retiendrons, à la suite de M. Vernières (1972 p. 114 et suivantes) :

- le travail de pionnier de H. Correa : The economics of human resources (1963)
- l'étude sur les structures professionnelles et éducatives et niveaux de développement économique de l'OCDE (1970)
- les travaux de S. BOWLES (Journal of political Economy, 1970) et Z. Griliches (Studies in income and wealth, 1970).

Si ces travaux ne constituent pas une preuve irréfutable de la validité de l'hypothèse de complémentarité, ils semblent lui être favorables. Aussi, l'adoption de l'hypothèse inverse de substitution ne pourrait se justifier que si elle apparaissait d'une efficacité nettement supérieure pour l'analyse du rôle du travail au cours du processus de croissance (Vernières M. 1972 p. 121).

L'adoption de l'hypothèse de complémentarité suppose :

- l'adoption de coefficients techniques (14) fixes
- l'introduction de plusieurs catégories de travailleurs.

La fixité de coefficients techniques doit être appréciée, du point de vue de sa validité, selon le terme de l'analyse; à court terme, ce choix est réaliste, la structure des coûts variant peu d'une année à l'autre et le progrès technique considéré comme constant. En longue période, on pourra considérer que les coefficients techniques restent fixes durant l'année mais varient d'une année à l' autre; l'utilisation de modèles séquentiels permet d'introduire ce type de variation dans l'analyse.

Quant à la définition des catégories différentes de travailleurs pris en considération, elle répondra aux besoins suivants :

- homogénéité, ce qui implique d'en multiplier le nombre
- absence de substitution d'une catégorie à l'autre, ce qui conduit à en restreindre le nombre.

Seront retenus en théorie comme critères distinctif des différentes catégories de travailleurs :

- le temps de formation nécessaire à l'entrée dans une catégorie et éventuellement le coût de cette formation
- l'impossibilité pour un travailleur de passer de sa catégorie à la catégorie supérieure sans formation (15).

Ces critères conduisent à prendre en considération deux catégories au moins de travailleurs, les qualifiés et les non qualifiés (16).

 

4.1. Définition du suremploi catégoriel

La notion de suremploi est définie comme l'excès de besoins d'emploi d'une qualification donnée sur les ressources d'emploi de cette qualification nécessaires à l'obtention du niveau optimum de production globale. Dans une perspective de croissance, il peut être défini à l'aide du taux de progression des effectifs de cette catégorie, taux nécessaire à la réalisation de la croissance optimale de la production (Vernières M. 1972 p. 138): cette notion reflète le phénomène de pénurie d'une catégorie de travailleurs ayant une qualification donnée.

 

4.2. Origine du phénomène de suremploi catégoriel

Elle réside dans l'inadaptation de l'offre de travail qualifié aux modifications de la demande finale et de la structure productive d'une économie; dans une perspective dynamique, l'évolution de l'économie entraîne la croissance dans certaines branches d'activité et la décroissance dans d'autres; la croissance dans certaines régions et la décroissance dans d'autres. Cette dynamique a pour effet de modifier les besoins de main-d'oeuvre. En cas de croissance, ces besoins évoluent vers une demande de travail de plus en plus qualifié; or les capacités de réponses ne sont pas immédiates car les temps de formation peuvent être longs et les structures de formation rigides (voir point 4.3 ci-dessous).

Pendant ce temps d'adaptation, l'économie va connaître une période de suremploi catégoriel pendant laquelle les postes de travail non qualifié disponibles et complémentaires aux postes de travail qualifié, non pourvus du fait de la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée, seront inoccupés entraînant ainsi la création de chômage structurel ou son aggravation.

4.3. Causes de suremploi catégoriel

Elles sont au nombre de deux :

1) La rigidité du processus de formation des travailleurs qualifiés.

Elle se manifeste par trois phénomènes distincts :

- les pénuries d'enseignants / formateurs qualifiés.

Le suremploi catégoriel a une nature changeante qui, elle même, dépend du changement des besoins de main-d'oeuvre. Quand il survient, le suremploi catégoriel nécessite, soit de ponctionner des enseignants en place pour les affecter à la formation de travailleurs à requalifier et donc à prévoir leur remplacement aux postes qu'ils occupent, condition qui n'est pas nécessairement vérifiée; soit de recruter ou de former des travailleurs expérimentés à la pédagogie de la formation, processus qui peut également prendre plusieurs mois voire plusieurs années.

- les difficultés de financement.

Contrairement aux secteurs ouverts où l'innovation, l'accumulation du capital et les économies d'échelle importante permettent une croissance régulière de la productivité, les activités de formation n'enregistrent que de faibles accroissement de productivité en raison de l'importance du facteur humain dans leur processus de production (Vernières M. 1972 p. 145).

L'effort demandé à la collectivité pour remédier aux pénuries de main-d'oeuvre qualifiée est donc particulièrement lourd et tend à augmenter avec le temps (Vernières M. 1972 p.146); en outre, le financement public des systèmes d'éducation et de formation les met en concurrence avec d'autres biens publics (santé, sécurité, recherche, transport, ...) et entraîne des arbitrages complexes sur le plan théorique et long sur le plan décisionnel.

- la longueur de délais de formation.

En raison de la nature des formations à octroyer, la longueur de celles-ci peut varier de plusieurs mois à plusieurs années; à cet horizon, les modifications des besoins de l'économie en travail qualifié auront évolué et le suremploi catégoriel subsistera vraisemblablement.

2) Les difficultés de prévision de l'emploi et des besoins de formation

Quelles soient obtenues par extrapolation des tendances antérieures, par comparaisons internationales, prévisions technologiques (Observatoire de l'emploi de Liège, 1995) ou par modèles économétriques, les prévisions obtenues ne sont pas suffisamment, précises pour garantir l'absence de suremploi catégoriel (Vernières M. 1972, p. 147). En l'état actuel des connaissances, la réalisation, par les institutions d'enseignement des objectifs de formation, ne saurait garantir pour l'avenir l'équilibre entre besoins de travail qualifié et ressources disponibles.

 

4.4. Les remèdes au suremploi catégoriel

S'inscrivant dans la dimension de l'offre de travail qualifié, le suremploi catégoriel ne saurait trouver de solution du côté de la demande globale; en effet, dans les pays où la demande globale est trop faible, son accroissement risque d'entraîner rapidement des pénuries de main-d'oeuvre pour certaines qualifications; dans les pays où la demande globale tend à être trop forte, sa réduction augmente le volume de chômage et réduit le taux de croissance sans remédier aux causes du suremploi catégoriel (Vernières M. 1972 p. 141, 142). Le suremploi catégoriel apparaît donc bien comme étant une conséquence de la variation de la demande globale et non une cause de celui-ci; c'est donc vers cette cause qu'il faut se tourner pour y remédier.

S'il touche des postes de travail non qualifié, le suremploi catégoriel ne peut être que provisoire; en effet, en fonction des disponibilités de main- d'oeuvre non qualifiée, elles seront mobilisées; dans le cas contraire, on pourra avoir recours à de la main-d'oeuvre étrangère.

Par contre, s'il touche des postes de travail qualifié la seule solution (17) sera d'adapter la main-d'oeuvre disponible par une formation professionnelle effectuée par les entreprises et pour les entreprises et financée par des ressources budgétaires publiques.

Du fait d'une part que la croissance se caractérise par une évolution permanente de techniques de production et par des transferts de main- d'oeuvre de secteur à secteur et que d'autre part travail qualifié et capital (intégrant les progrès techniques en question) sont complémentaires, le secteur de la formation sera appelé à jouer un rôle clé de régularisation entre les emplois offerts et les qualifications disponibles.

Sa fonction sera d'éviter le déséquilibre entre ressources et besoins de main-d'oeuvre qualifiée.

La définition des normes optimales de croissance dans une économie suppose donc que des mécanismes d'offre de main-d'oeuvre qualifiée aient été mis en place afin de pourvoir aux besoins de travail qualifié; si ce facteur de production est insuffisant, les normes de croissances ne pourront- être atteintes du fait que les autres facteurs de production (travail non qualifié et capital) lui sont complémentaires (Vernières M. 1972 p. 143).

Tant que les systèmes d'enseignement et de formation ne répondront pas parfaitement aux besoins de l'économie, le suremploi des travailleurs qualifiés restera une des caractéristiques de la croissance économique. De cette conclusion découle la nécessité de privilégier la formation de la main-d'oeuvre et donc le rôle du secteur qui l'assure. Intégrer ce secteur dans les modèles servant de point de départ à l'élaboration de la politique de croissance et plus particulièrement des plans de développement revêt donc un caractère indispensable.

4.5. Les conséquences du suremploi catégoriel pour la croissance

Elles sont de trois ordres. Les deux premières seront développées ci-dessous; la troisième ne sera qu'évoquée.

1. L'apparition du chômage structurel.

Dans une économie caractérisée par des coefficients techniques fixes, le taux de croissance du P.N.B. sera réduite en proportion du suremploi existant (Vernières M. 1972 p. 152). Dans l'exemple repris en annexe 3, la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée entraîne un accroissement du produit de 2,5 % alors qu'en son absence, il aurait crû de 5 %.

2. Le maintien du suremploi structurel

Si l'on suppose qu'un chômage frictionnel peut également exister dans la population active qualifiée, et que les décideurs de la politique de l'emploi veulent le limiter à 3 % des effectifs du personnel qualifié, cette norme entraînera une baisse du produit régional de l'ordre de la norme de chômage frictionnel durant toute la période considérée. A son tour, cette baisse entraînera une augmentation du chômage des travailleurs qualifiés et non qualifiés; l'exemple repris à l'annexe 4 étaie ce processus. Globalement, la valeur du chômage s'établira à 60.000 personnes (42.000 + 18.000) au lieu de 44.000 personnes.

Toute action destinée à rapprocher rapidement l'emploi du travailleurs qualifiés de certaines normes optimales ne pourra être que dommageable pour les objectifs de croissance et de plein emploi global (Vernières M. 1972, p. 153).

3. La création de tensions inflationnistes

Les hausses de salaires des travailleurs qualifiés en situation de suremploi ont tendance à se généraliser à l'ensemble des travailleurs en raison de l'attachement de ces derniers au maintien de la hiérarchie des rémunérations.

Selon le mode d'organisation des marchés du travail, soit de type concurrentiel, soit de type organisé, cette hausse des coûts de production se répercutera sur les prix de production en raison inverse des variations de productivité observées dans le secteur.

Pour éviter cet impact du suremploi catégoriel sur les coûts de production, il y a lieu de s'attaquer directement à sa cause première : le manque de qualification des travailleurs en chômage.

Cette conclusion implique d'intégrer le secteur de la formation dans les mesures d'accompagnement de toute politique de croissance économique.

 

5. L'introduction du secteur formation dans les modèles de croissance et les conséquences de la complémentarité pour l'analyse de la croissance.

L'hypothèse de complémentarité entraîne une conséquence essentielle : celle de l'interdépendance existant entre la production des biens et services économiques et celle des travailleurs qualifiés.

En effet, on peut démontrer que la variation du suremploi catégoriel est fonction de deux paramètres essentiels :

- la variation de la production de biens et services;
-la variation de l'offre de processus formateurs destinés au secteur de la formation.

Les coefficients de travail étant fixes, une politique volontariste de croissance économique aura des effets sur la demande de travail qualifié qui à son tour exigera une action volontariste sur l'offre de formation; pour s'ajuster à la demande, l'offre aura besoin d'un délai au moins égal à une période de temps.

La distinction entre le secteur de l'éducation et celui de la formation nécessite de recourir à des modèles multisectoriels; ceux qui sont le mieux appropriés sont les modèles construits sur base de l'analyse des relations interindustrielles.

Un modèle à deux secteurs, production de biens et services et formation, permet déjà de déterminer comment ils concourent à la satisfaction de la demande finale.

L'action que suscite toute politique de croissance volontaire sur le secteur de la formation suppose que ses objectifs soient déterminés en fonction des besoins de l'économie en travailleurs qualifiés.

Au stade de la préparation des objectifs que doit atteindre le secteur de formation, les décideurs pourront avoir recours à deux types d'outil qui les éclaireront sur les conséquences de leurs décisions.

L'utilisation des modèles simples, supposant l'existence d'une relation directe entre la croissance de la production et celle de l'éducation, peut définir les conditions nécessaires pour que le secteur éducation puisse maintenir ou accroître les effectifs de travailleurs de formation secondaire ou supérieure utilisés par unité de produit. Ils ont pour avantage majeur d'indiquer si les objectifs de croissance retenus peuvent être atteints ou s'ils doivent être révisés à la baisse du fait de l'impossibilité de former les effectifs nécessaires.

Pour éviter la démarche de double optimisation utilisée dans les modèles simples, celle de la production d'une part, celle de la formation d'autre part, il y a lieu de recourir à des modèles d'optimisation qui permettent une allocation simultanée des ressources disponibles pour les trois secteurs de la production, de l'éducation et de la formation. Ces modèles, qui ne seront pas abordés ici, insistent sur l'interdépendance étroite entre ces trois secteurs et donc sur la nécessité de leur analyse conjointe.

 

Conclusion

A ce stade de la réflexion, je concluerai sous forme de quelques recommandations aux décideurs économiques et politiques concernés :

1. L'étude des performances et de l'efficacité du secteur de la formation nécessite, à l'instar de la recherche, de la santé et de l'éducation, l'élaboration d'un compte satellite, tel que suggéré à l'issue du deuxième point, relié aux comptes économiques régionaux.

2. Le concept de suremploi catégoriel doit faire l'objet, comme le sous-emploi, d'une mesure permanente pour l'ensemble des secteurs, l'ensemble des branches d'activité et l'ensemble de qualifications. C'est la base d'un diagnostic permanent des pénuries de main-d'oeuvre qualifiée.

En pratique il s'agit d'une part de mesurer le volume réel des offres de travail insatisfaites et de les répartir par durée d'insatisfaction. Ceci implique la réactualisation de l'arrêté royal relatif à la déclaration des licenciements collectifs et à la notification des emplois vacants (M.b. du 17 décembre 1969) et notamment de sur article 7 (18); l'application stricte de cette notification systématique et généralisée des emplois vacants et donc aussi des qualifications liées aux postes de travail concernés est une condition sine qua non de la réussite d'une politique rigoureuse d'ajustement des qualifications aux besoins immédiats de l'économie. D'autre part, le calcul d'un taux de chômage par qualification indiquerait, comme c'est le cas en Allemagne, un rapport inverse entre le taux calculé et la qualification considérée.

3. Mener une étude économique rétrospective des qualifications sur une période de 5 à 10 ans qui décrive l'évolution des qualifications par branche d'activité à un niveau aussi détaillé que possible.

4. Etablir un modèle simple d'abord, d'optimisation ensuite qui serve de maquette de l'économie régionale wallonne et qui y intègre simultanément les secteurs de la production, de l'éducation et de la formation.

Ce modèle servirait de base à la définition d'une fonction-objectif globale qui permette de déterminer à court et à moyen terme le nombre de travailleurs à qualifier et la nature des formations qualificantes à mettre sur pied.

5. Les objectifs fixés, il s'impose de les assigner aux institutions de formation existantes pour réaliser un maximum de formations dans un délai donné.

6. Cette assignation des objectifs aux instruments de la politique de formation professionnelle nécessite simultanément une analyse coût-bénéfice qui éclaire les décideurs sur les arbitrages à effectuer entre les différents objectifs de la politique économique.

7. Ces conclusions dérivant de considérations établies à partir d'une économie fermée, il y a lieu de vérifier leur validité en ouvrant la perspective aux effets du commerce interrégional et international sur la demande de travail qualifié.

 

Bibliographie

1. ABRAHAM FROIS G.; 1973
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In : Les sciences de l'économie. Centre d'Etude et de Promotion de la lecture - Paris

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Mathematical economics, Mac Millan - London

3. ALLEN R.G.D; 1967
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5. BRAVERMANN H.; 1976
Travail et capitalisme monopoliste (la dégradation du travail au XXème siècle), Français Maspero - Paris

6. CHAPRON J.E.; 1974
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In : La comptabilité C.E.P.L. - RETZ PARIS

7. CHEVALIER J.M.; 1984
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8. Commission des Communautés Européennes; 1993
Croissance, Compétitivité, Emploi (Les défits et les pistes pour entrer dans le 21ème siècle) (livre blanc COM/93 700 final).

9. DELIEGE J.P. et TRICOT A.; 1987
L'offre de formation dans la Communauté française
In :Bulletin de la fondation André Renard n 166/167 LIEGE.

10. DI RUZZA R. et DUHARCOURT P.; 1995
Peut-on parler d'une crise du travail ?
In : La crise du travail, Actuel Marx confrontation - P.U.F. - PARIS.

11. FLOUZAT D; 1975
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12. Journal officiel des Communauté européennes; 1994
Décision du Conseil établissant un programme d'action pour la mise en oeuvre d'une politique de formation professionnelle de la Communauté européenne (20.12.94 n L 340/8).

13. MORISSON C.; 1973
Classiques (Libéraux) ,Néo-classique (Pensée 1870-1914)
In : Les sciences de l'économie, Centre d'Etude et de Promotion de la lecture - PARIS.

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Analyse de l'évolution des qualifications et des besoins de formation dans l'arrondissement de Liège, Université de Liège (Interface Entreprises - Université Place de XX Août, 7 à B-4000 LIEGE. Tél. 041/66.56.97).

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16. SINGH A.; 1994
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17. VERNIÈRES M; 1972
Travail et croissance (Essai sur le rôle du facteur travail au cours du processus de croissance), Cujas - PARIS.

 

Notes

1. Cet article a bénéficié des conseils de MM. A. SEGHIN, de la Cellule d'Observation de la Population Active (COPA) et A. MOREAU de l'ASBL Etudes, Services, Développement ainsi que de ceux de nombreux collègues du FOREM dont : R. ALLAER, M. ARENA, C. BOSSENS, J.J. CHARLIER, Ph. COURTIN, B. CULQUIN, M. DORMAL, A. DOS SANTOS, R. GALLIEN, P. JACQUART, L. JUMELLE, B. NAPOLI, M. SEMER, J.J. VAN DEN BRANDE et M. VOS; que tous en soient ici remerciés.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur qui en assume l'entière responsabilité.
2. Dans ce cadre, on pense particulièrement à la décision du conseil du 06.12.94 de mettre en place un programme d'action pour la mise en oeuvre d'une politique de formation professionnelle de la Communauté européenne (programme Léonardo DA VINCI)
3. Agent économique : tout individu ou collectivité pouvant être considéré comme un centre de décision (ou "décideur") économique. (BÉNARD J., 1972 p.25)
4. Pararégional de type B (au sens de la loi du 16 mars 1954 art. 1 M.b. du 24.03.54), dirigé par un Comité de gestion.
5. Voir Décret du Conseil régional wallon du 16 décembre 1988 portant création de l'Office régional de l'emploi art. 1 (M.b. du 01.02.89) et Décret du C.R.W. du 4.11.93 E.V. 12.02.94.
Jusqu'au 1er janvier 1994, le FOREM exerçait également la compétence de la formation professionnelle en Communauté française.
6. Depuis la création de l'Office, cette négociation fait l'objet d'un contrat de gestion triennal sur le contenu duquel pouvoirs de tutelle et partenaires sociaux se sont accordés.
7. A.E.C.F. 12.05.87 (Art.3)
8. Compte : construire un compte de la formation qui, à l'instar des comptes de la santé, de la recherche, de l'éducation, regroupe toutes les informations qui concernent le domaine. Ce compte est organisé de façon à schématiser les mécanismes de production, de coût, de répartition et de financement, ainsi que les avantages reçus par les bénéficiaires des services fournis (Chapron J.E. 1974 p. 315).
9. Classique : on appelle analyse économique classique : l'analyse des principaux économistes de la fin du XVIIIème siècle à 1914 (C. MORRISSON, 1973 , p. 134)
10. Néo-classique : on appelle analyse néo-classique : le courant dominant de l'histoire de la pensée entre 1870 et 1914 (C. MORRISSON, 1973 p. 384).
11. pour une démonstration voir : ALLEN, R.G.D., 1967 p. 199 et 201.
12.

v = K/Y =

Volume du capital

=

Capital

Volume du produit

Output

 

v = L/Y =

Volume du capital

=

Travail

Volume du produit

Output

13. (...) "Leontief's system and its solution can allow for substitution of inputs, according to some continuous production function of linear homogeneous form (constant returns to scale). (Allen R.G.D. 1973, p.576).
14. Coefficient technique : mesure monétaire du coût unitaire calculé à partir d'un tableau d'échanges interindustriels par le rapport :

Coût des facteurs de production (inputs intermédiaires et primaires) des différentes branches productrices
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Coût total des facteurs de production d'une branche d'activité utilisatrice

(voir O'Connor and E.W. Henry 1975, p.20)

15. Par formation on entendra ici le nombre d'années d'études effectuées et/ou l'expérience acquise qui conduit à considérer deux travailleurs comme étant de qualification équivalente.
16 . Sur base de l'étude de l'OCDE citée, la distinction sera en pratique opérée entre les travailleurs ayant suivi plus de huit années d'études et les autres.
17. Le recours à l'automation permet de réduire en partie les volumes de travail qualifié mais elle accroît dans le même temps le travail hautement qualifié.
18. L'employeur est tenu de notifier à l'Office national de l'Emploi, tout emploi vacant depuis trois jours ouvrables au moins.

(Ce texte est extrait de : QUEVIT Michel (sous la direction de), La Wallonie au Futur, Quelles stratégies pour l'emploi ?, Actes du Congrès, Institut Jules Destrée, Charleroi, 1996.)


 

 

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