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Quelle politique pour l'innovation technologique en Wallonie ?

Claire Nauwelaers
Directrice de Recherches au RIDER (1)

 

Introduction

Même si la course à la compétitivité comme fin en soi est un objectif largement contesté aujourd'hui, il reste néanmoins qu'une croissance soutenable et la création d'emplois durables dans nos économies développées passent dans une large mesure par le maintien et le renforcement de la compétitivité de nos entreprises.

Or, il apparaît de plus en plus clairement que cette compétitivité ne peut plus aujourd'hui reposer comme dans le passé sur l'exploitation efficiente des ressources et la rationalisation des processus de production dans une optique de réduction des coûts. Cette vision traditionnelle des enjeux qui s'offrent à l'entreprise est mise en porte-à-faux, dans un monde dominé par l'importance des investissements immatériels dans les logiques de production industrielles. Les investissements centrés sur les ressources humaines et les développements technologiques, sont en effet reconnus largement comme les "noeuds" de cette compétitivité, en particulier dans les économies avancées.

La reconnaissance de cette primauté de l'immatériel dans les processus productifs est une révolution qui porte ses effets dans de nombreux domaines du monde économique dans lequel nous vivons. Qu'il s'agisse des modes d'organisation des entreprises, des logiques de développement des filières industrielles, de la conception des systèmes de formation initiale et continue, ou des politiques économiques en général, et de soutien à l'activité des entreprises en particulier, tous ces champs doivent être repensés dans cette optique.

La théorie économique classique, qui présuppose l'existence de mécanismes naturels d'ajustement graduel des variables vers un équilibre, ne permet plus d'expliquer les phénomènes observés, ni de concevoir des politiques adéquates. Comme l'avait déjà mis en évidence Schumpeter, la croissance se réalise dans des ruptures, des changements de cap. Le vecteur principal de ruptures dans nos économies est constitué par les phénomènes d'innovation, que celle-ci soit technologique, organisationnelle, ou culturelle.

Dans ce contexte, la question qui se pose à la Wallonie et à ses autorités publiques, et qui fait l'objet de cette contribution, est celle de la création d'un environnement favorable à l'éclosion de ces processus d'innovation dans toutes les parties de son tissu productif.

Cette contribution s'attachera, dans une première section, à préciser le cadre conceptuel du rôle de l'innovation dans le développement d'une région de tradition industrielle comme la Wallonie. Dans une seconde section, un essai de bilan de la dynamique d'innovation technologique en Wallonie et des instruments de support mis en place par la Région est proposé. Dans une dernière section, une expérience particulière liée à l'opération STRIDE est présentée à titre de perspective sur les politiques futures que la Région pourrait suivre en la matière.

 

1. Le rôle de l'innovation technologique dans le développement régional

Innovation technologique et recherche et développement

Lorsque l'on parle d'innovation technologique,une première distinction s'impose. Malgré l'accord sur la différence conceptuelle qui existe entre les concepts de R&D et celui d'innovation technologique,une confusion persiste en effet entre ceux-ci, en particulier lorque l'on observe les fondements de la mise en place de politiques de soutien à l'innovation technologique industrielle dans les régions de l'UE.

L'innovation technologique concerne des produits ou procédés nouveaux, ou des modifications importantes à des produits et procédés. Une innovation naît lorsqu'un produit nouveau a été introduit sur le marché ou lorsqu'un procédé de production a été amélioré. De la sorte, l'innovation est considérée comme un processus nécessitant un input d'une série d'activités scientifiques, technologiques, organisationnelles, financières et commerciales.

La R&D, qui inclut la recherche fondamentale, la recherche appliquée et le développement expérimental, quant à elle, ne représente qu'une partie du processus d'innovation. La R&D est non seulement une source d'idées innovantes (mais non la seule), mais elle est aussi un moyen de résoudre des problèmes qui peuvent surgir à n'importe quel stade du processus d'innovation. Dès lors, elle peut intervenir à de multiples occasions dans le processus d'innovation. Elle ne suffit cependant pas en elle-même à déclencher ces processus.

En ce qui concerne le développement régional, c'est donc bien l'innovation qui constitue le problème-clef, bien plus que la R&D en tant que telle; Le problème est que l'innovation est bien plus difficile à définir et à mesurer que les efforts en R&D.

 

Fonctionnement de processus d'innovation

Avant d'examiner dans le concret les forces et les faiblesses en matière d'innovation technologique du tissu industriel wallon, il est dès lors nécessaire de préciser le cadre conceptuel de cette notion.

Depuis une décennie environ, un changement de paradigme s'est fait jour dans la conception qu'ont les analystes de cette question. On est en effet parti d'un modèle linéaire, dans lequel les innovations de produit ou de procédé trouvaient leur origine dans les laboratoires de recherche, pour être ensuite développés et placés sur le marché dans une séquence linéaire. De plus en plus toutefois, les déficiences de cette vision sont apparues, et en particulier à cause du manque d'attention portée au rôle de la demande finale et aux interactions entre les acteurs. Ce constat a donné jour à ce que l'on appelle le modèle interactif de l'innovation. Cette nouvelle vision concerne tout autant le processus d'innovation à l'intérieur d'une firme, qu'entre les acteurs d'un système spatialisé (comme la région).

La conception interactive qui prévaut à l'heure actuelle signifie que le processus en question est infiniment plus complexe que l'on ne se l'imaginait. Les interactions et boucles en retour entre les acteurs du système sont nombreuses; les processus d'apprentissages au coeur de la dynamique, et la technologie est vue comme un élément complètement endogène au système plutôt qu'un choc extérieur comme dans la vision classique.

Dans ce nouveau contexte, le "transfert" de technologie pur n'apparaît plus comme un processus crédible : la part importante de technologie "incorporée" dans les hommes et les équipements, et la composante tacite de celle-ci rendent la transposition de connaissances acquises dans un contexte difficilement réalisable dans un autre contexte. De plus, il s'agit d'un processus long, coûteux et risqué.

Les ressources de l'environnement de l'entreprise prennent dès lors une importance particulière dans un système interactif d'innovation : le "milieu innovateur", à savoir l'ensemble des relations structurées entre les composantes de cet environnement, devient un élément crucial de la performance globale des territoires qui sont hôtes de ces milieux.

En somme, la capacité innovatrice d'une région est vue comme dépendante esentiellement de la capacité de ses acteurs à former des réseaux pour favoriser des processus d'apprentissage, en réalisant des synergies entre eux et avec l'extérieur, plutôt qu'une fonction directe de ses infrastructures et dotations en R&D.

Ainsi, selon que l'on adopte une vue traditionnelle, linéaire ou au contraire interactive des processus d'innovation, le diagnostic à porter sur la capacité innovatrice d'une région se basera sur des critères différents et utilisera des indicateurs de nature différente : dotations en ressources et création de technologie dans la première acception, interfaces et diffusion technologique dans la seconde, aspects plus quantitatifs dans la première, qualitatifs dans la seconde.

Vue classique

Vue interactive

Inventaire et caractérisation des acteurs locaux de l'innovation

Évaluation de la capacité du système à favoriser des processus d'apprentissage et des effets de synergie

description

évaluation

composantes du système

interfaces dans le système

création technologique

diffusion technologique

indicateurs quantitatifs

indicateurs qualitatifs

indicateurs input/output

indicateurs de processus

 

Enjeux pour les politiques technologiques

Une recherche récente du RIDER (2) a mis en évidence que, au-delà d'affirmation de grands principes de credo en une approche interactive de l'innovation, les méthodologies sur lesquelles les régions de l'UE se basent encore pour élaborer le diagnostic de leurs forces et faiblesses en matière technologique, et par conséquent les fondements des politiques qu'elles développent dans cet objectif, restent très largement marquées par la vision linéaire des processus d'innovation.

La difficulté, pour les concepteurs de politiques, de sortir d'un schéma où des ressources sont affectées du côté de l'offre scientifique, dans l'espoir que les progrès acquis dans ce domaine se diffusent naturellement sous forme d'innovations commerciales, est patente.

Même les nombreux efforts, qui ont abouti dans la plupart des régions à la création d'un foisonnement d'organismes d'interface, chargés d'améliorer l'écoulement de ces avancées technologiques auprès des entreprises, restent encore conçus dans ce même schéma linéaire. Ce qui manque de manière la plus fondamentale, c'est la conscience que le premier stimulus à l'innovation dans les entreprises, c'est le marché et non la disponibilité d'une offre technologique adaptée aux problèmes d'ordre technique de l'entreprise.

Le véritable enjeu pour le concepteur (ou l'évaluateur) de politique régionale est de passer d'une logique de l'offre technologique à une logique de demande du marché, tout en reconnaissant la nécessité de disposer d'infrastructures scientifiques et techniques de bon niveau.

 

2. La dynamique et les politiques d'innovation technologique en Wallonie

Nous ne disposons pas d'une étude systématique sur les processus d'innovation technologique dans les firmes wallones, ou dans le tissu industriel wallon en général. Toutefois, les informations partielles disponibles, ainsi que la proximité des problèmes de cette région avec ceux d'autres régions européennes où de telles études ont été menées, permet d'émettre les hypothèses ci-dessous quant à la dynamique d'innovation dans le tissu industriel wallon.

 

La gestion de la technologie au sein des entreprises

Mises à part quelques grandes firmes, souvent sous capitaux étrangers, et des cas bien répertoriés de "spin-offs" universitaires ou de firmes " high-tech ", actives dans des domaines technologiques de pointe et leaders en matière d'innovation technologique, la majorité du tissu industriel wallon est composé de PME, souvent de taille sous- optimale pour entreprendre par elles-mêmes des démarches innovantes à partir de leurs ressources propres. Sans vouloir nier l'importance pour le tissu industriel wallon du premier type de firme, force est toutefois de constater que la croissance et la création d'emploi à l'échelle de la région passe aussi par le dynamisme et la créativité de cet ensemble de PME qui constituent la majorité du tissu productif.

Une raison supplémentaire qui justifie une attention particulière envers ces PME en ce qui concerne la politique d'innovation, réside dans la nécessité plus grande pour celles- ci de bénéficier d'un environnement propice, et d'être stimulées pour l'innovation. La première catégorie de firmes visées ci-dessus possède bien souvent en elles-mêmes les ressources nécessaires pour entreprendre les démarches innovantes ou réaliser les partenariats et liaisons nécessaires à cette fin, ce qui n'est certes pas le cas des PME défensives.

Le problème principal que rencontrent les PME pour déclencher des processus innovants n'est pas tant celui de la disponibilité d'une offre technologique adéquate, mais plutôt celui de leur propre capacité d'apprentissage en liaison avec cette offre.

Selon une étude réalisée à la demande de la Commission européenne, et portant sur la gestion de la technologie dans les entreprises de l'UE (3) , cette compétence est constituée de trois éléments principaux :

  • la compétence technologique : la capacité de maîtriser les technologies particulières pertinentes pour l'entreprise

  • la compétence entrepreneuriale : la capacité de générer et mettre en oeuvre des stratégies de recherche et développement technologique liées de manière cohérente à la stratégie commerciale

  • la capacité d'apprentissage, qui concerne la capacité de l'entreprise d'adapter ses modes d'organisation et sa culture aux impératifs du changement technologique.

L'étude précitée, menée à grande échelle dans l'UE, et qui couvrait entre autres la Wallonie, a montré de manière très nette que l'acquisition des compétences technologiques n'était pas la nécessité première pour la plupart des entreprises : leur développement organisationnel et leur capacité de développer des démarches stratégiques, soit les deux derniers types de compétences citées ci-dessus, représentent le principal goulet d'étranglement pour les pratiques d'innovation dans l'industrie.

Ce constat est encore certainement renforcé en Wallonie, qui compte dans son tissu productif un grand nombre de PME qui sont d'anciennes sous-traitantes de grands groupes industriels, et manquent à ce titre de l'impulsion interne qui stimule l'innovation pour conquérir de marchés nouveaux par des innovations de produits ou de procédés.

De plus, un autre enseignement de cette étude est que, contrairement à la vision linéaire de l'innovation, la source principale d'innovation pour l'entreprise n'est pas à rechercher auprès des offreurs de technologie , mais bien auprès des autres entreprises : "les entreprises apprennent le plus (et le plus rapidement) des autres entreprises", que celles-ci soient des clients, des fournisseurs ou des sous- traitants.

Implications pour la politique technologique

Ces constats ont des implications coperniciennes pour le développement de politiques de soutien à l'innovation technologique dans les régions.

En effet, plutôt que de soutenir une offre qui, dans les régions de tradition industrielle à fort potentiel de recherche fondamentale et appliquée comme la Wallonie, est déjà bien développée, la priorité doit être donnée aux instruments qui permettent de stimuler la capacité de gérer la technologie de la part des firmes qui en ont le plus besoin, à savoir les PME "sommeillantes".

Selon les constats ci-dessus, et tenant compte de la situation particulière de sous- traitantes d'un grand nombre de PME wallonnes, le développement de relations entre entreprises, dans une même chaîne de production, représente également une voie privilégiée pour le développement des compétences nécessaires dans les PME.

 

La politique technologique wallonne

En référence à ce diagnostic, qu'en est-il des politiques wallones de soutien à l'innovation technologique ?

Sans entrer dans une étude détaillée ni dans une évaluation de l'efficacité des politiques mises en oeuvre par la Région en ce domaine, qui dépasserait largement le cadre de cette contribution, on peut néanmoins proposer les réflexions suivantes.

En Wallonie, les aides proposées aux entreprises qui possèdent un projet innovant ne manquent pas : les avances récupérables, la subvention "entreprise", le financement d'études économiques, de faisabilité technique ou sectorielles préalables à des projets innovants de PME, l'arrêté royal 123 qui permet à des PME de mettre au point des projets innovants, l'aide au transfert technologique, l'aide ELAN à la modernisation des entreprises dans leurs structures organiques dans le secteur des fabrications métalliques, ... sont autant d'exemples de mécanismes mis en place par la Région dans cet objectif.

Pour certains de ces instruments, l'aide de la Région est majorée lorsque l'entreprise conclut un contrat d'assistance avec un organisme de recherche, d'aide aux entreprises ou de développment technologique.

Le soutien à la liaison entre le monde de la recherche et l'industrie est par ailleurs couvert par des aides telles que FIRST (formation de jeunes chercheurs universitaires ou d'instituts supérieurs industriels en entreprise, mécanisme ensuite étendu à des stages de chercheurs de l'industrie dans des organismes de formation), le financement des centres de recherche collective, co-financés par l'industrie, et la prise en charge par la Région d'audits courts réalisés dans les entreprises par ces centres.

Epinglons dans cette batterie de mesures, la procédure RIT : Responsable Innovation Technologique, qui permet à une PME d'engager une personne du profil souhaité (financée à 80% par la Région), après un audit payé par la Région, afin d'élaborer dans l'entreprise un projet d'innovation technologique. La procédure RIT 92 permet à l'entreprise de faire réaliser une étude technico-économique pour entrer en coopération technologique avec une ou plusieurs PME situées dans un autre Etat membre.

Cette brève description met en lumière une série d'éléments très positifs dans la conception de la politique technologique en Wallonie

  • l'accent est placé sur l'exploitation industrielle des résultats de la recherche

  • une attention particulière est portée aux PME qui ont des besoins spécifiques en la matière

  • l'approche via le renforcement des ressources humaines est bien visible dans ce programme

  • la liaison entre entreprises et organismes de soutien à l'innovation est valorisée.

Toutefois, on peut remarquer que la conception de cet ensemble d'instruments correspond surtout aux demandes des entreprises qui ont déjà la capacité de développer par elles-mêmes un projet innovant, plus ou moins bien structuré. Il ne répond pas véritablement à la nécessité de sensibiliser un tissu productif, constitué en grande partie d'entreprises qui n'ont pas intégré cette nécessité d'innover dans leurs structures et stratégies, et ne ressentent pas, en conséquence, la nécessité de faire appel à ces mécanismes d'aide.

En somme, les instruments développés par la Région se situent déjà en aval d'une démarche stratégique de l'entreprise dans le domaine de l'innovation : ils accompagnent le chef d'entreprise dans son projet innovant plutôt que de l'aider à susciter celui-ci.

Il faut aussi relever une autre limite de cette politique, qui exclut pour un bon nombre de ses instruments les entreprises qui ne sont pas indépendantes financièrement. Etant donné l'ouverture du tissu productif wallon, et le potentiel que peuvent représenter les entreprises multinationales pour le développement régional (4) , cette limitation semble peu pertinente : quelle que soit la nationalité de ses capitaux, toute entreprise wallonne doit être gérée de la manière la plus efficace pour assurer sa compétitivité. S'il est vrai qu'une filiale a théoriquement un accès privilégié aux ressources de son groupe pour assurer son développement, il ne faut pas oublier que les filiales qui bénéficient du plus large degré d'autonomie en Wallonie, et donc celles qui sont les plus susceptibles de créer des liaisons avec le tissu productif wallon, sont aussi celles qui doivent défendre leur position au sein du groupe à travers la performance de leurs opérations dans la région. Répondre à leurs besoins de support est aussi une manière de lutter contre les menaces de délocalisations !

Enfin, on constate que certaines démarches de planification stratégique des sous- régions qui composent la Wallonie n'ont pas encore intégré les principes positifs relevés ci-dessus, qui animent la conception de la politique d'innovation de la Région.

Ainsi, un travail récent du RIDER (5) à la demande de la Commission Européenne (DG XVI), qui avait pour objectif d'évaluer la pertinence a priori d'un plan de développement régional d'une zone wallone d'objectif 2 des Fonds Structurels, a clairement mis en évidence les lacunes de la planification dans le domaine de l'innovation technologique : tandis que l'axe "innovation technologique" de ce plan semblaient correspondre à un besoin réel de la zone, les mesures proposées n'étaient pas basées sur un diagnostic des forces et faiblesses de la zone en ce domaine. Le dispositif proposé était centré sur l'allocation de ressources dans le secteur de la production de technologie sans un réel souci de faire fonctionner des interfaces entre ce secteur et le monde économique. On est bien ici face à une démarche entièrement linéaire. Le gonflement de l'offre et de l'équipement du secteur scientifique sont proposés au financement sans mécanismes de garantie d'une jonction entre ceux-ci et les besoins du secteur productif. L'investissement matériel et les processus de création technologique y sont notoirement privilégiés au détriment des investissements immatériels et de la diffusion technologique. Et les quelques mesures qui s'adressent aux entreprises traitent le processus d'innovation au sein de la firme comme entièrement interne, délaissant les apports potentiels de sources extérieures dans ces firmes.

En définitive, si dans certaines sous-régions, on dénonce des démarches de politique technologique archaïques et inadaptées à la réalité des processus technologiques, on peut heureusement constater qu'au niveau de la Région, la politique technologique s'oriente globalement vers la réponse aux besoins de l'entreprise plutôt que vers des recettes de nature " technology - push " peu susceptibles de produire les effets annoncés.

Malgré tout, la stimulation de la demande de technologies de la part des PME, ainsi que l'amélioration de la capacité stratégique globale de l'entreprise, partant de ses besoins de marché, sont deux dimensions relativement faibles dans la politique technologique wallonne.

L'expérience récente de la conduite de l'opération STRIDE en Wallonie est toutefois de nature à compenser cette faiblesse : les leçons importantes et positives qui en ont été tirées par les autorités wallonnes laissent présager d'une meilleure insertion de ces aspects de " management stratégique de l'innovation " dans les politiques wallonnes futures.

 

3. Les leçons de l'expérience STRIDE en Wallonie

Le programme d'intiative communautaire STRIDE

Le programme d'initiative communautaire STRIDE, financé par les Fonds Structurels européens, a pour objectif de contribuer à relever le niveau technologique des régions en retard de développement (Objectif 1) ou en déclin industriel (Objectif 2) de l'UE.

Dans les zones en déclin industriel, au titre desquelles la Wallonie s'était lancée dans l'opération, STRIDE ne pouvait pas financer d'équipements (contrairement aux zones d'objectif 1), mais devait avant tout favoriser les liaisons entre l'industrie et le secteur producteur de ressources technologiques.

 

Le programme STRIDE en Wallonie

Alors que la France mettait en oeuvre le programme en s'appuyant sur les organismes de soutien au développement des entreprises (chambres de commerce, centres régionaux de transfert technologiques, ...), les centres de ressources technologiques (centres techniques, lycées techniques,...) et les organismes de développement local, soit essentiellement des structures à dominante de fonds publics, la Wallonie se centrait d'emblée sur les entreprises commes cibles directes de l'opération STRIDE.

Le programme STRIDE en Wallonie s'est situé en amont de toutes les mesures existantes pour le soutien au développement technologique des PME, puisqu'il visait explicitement à améliorer la " culture technologique des PME ".

Forte des leçons tirées d'essais malheureux d'opérations de transfert de technologie " purs " dans des PME, qui se sont révélés inefficaces car les technologies en question étaient imposées à des PME qui n'avaient pas la capacité de les intégrer dans leur mode de gestion, la Région avait en effet compris qu'il fallait soutenir les PME en commençant par le commencement, c'est-à-dire en les aidant à développer cette capacité stratégique qui leur permettrait ensuite d'intégrer la composante d'innovation technologique comme un projet de l'entreprise et non comme une contrainte extérieure.

L'acquisition de la compétence entrepreneuriale et de la capacité d'apprentissage, qui font le plus défaut aux PME des régions de tradition industrielle est donc bien au centre de l'opération STRIDE en Wallonie, alors qu'auparavant la compétence technologique était nettement privilégiée dans les instruments de la Région.

Le programme STRIDE s'est articulé autour de trois axes essentiels :

  • " Se connaître : grâce à des audits permettant à l'entreprise de porter un regard stratégique sur ses activités et de dresser un plan de développement technologique cohérent avec sa stratégie générale.

  • Apprendre à connaître : volet essentiel du programme, la formation, à caractère essentiellement pragmatique, vise à permettre au personnel de la PME (cadres et chef d'entreprise) d'aquérir une méthodologie spécifique pour la mise en oeuvre d'une stratégie d'industrialisation des résultats de recherche.

  • Connaître : en recueillant les fruits des actions de veille technologique soit des centres de recherche soit des actions organisées directement par l'équipe STRIDE " (6) .

Concrètement, après un premier contact téléphonique auprès de 500 entreprises (sur une population de 842 entreprises), et une première visite de sensibilisation, une centaine d'entreprises ont été auditées (3 à 6 jours d'audit) par une équipe de consultants belges et français. La majorité des entreprises auditées a accepté de participer à des modules de formation très exigeants, puisqu'ils s'étalaient sur 9 mois, à raison de deux après-midi par mois et de trois séminaires résidentiels de trois jours. Ces modules de formation visaient essentiellement l'accompagnement stratégique des entreprises et non des formations technologiques. La connaissance des centres techniques et la liaison avec ceux-ci était également à l'ordre du jour de ces formations (les centres techniques participaient aux modules de 3 jours), via l'utilisation des effets de démonstration à partir d'exemples réussis dans d'autres entreprises. Les entreprises bénéficiaient ensuite d'une assistance individualisée pendant six mois.

En parrallèle à ces actions, un important programme de veille technologique était également mis en oeuvre grâce à STRIDE.

Ce programme, qui était géré par Fabrimétal, organisme choisi pour sa proximité au monde de l'entreprise, apparaît comme très pragmatique et centré avant tout sur la formation des ressources humaines au sein de l'entreprise (et, dans une moindre mesure, des centres techniques). Il avait pour objectif de créer des pré- conditions favaorables à l'émergence de processus d'innovation dans des entreprises non encore acquises à la démarche, à travers l'évolution des mentalités des dirigeants de ces entreprises.

En cela, il a complété utilement les actions classiques de la Région, qui sont particulièrement appropriées pour les entreprises déjà innovantes et aptes à développer des projets technologiques (éventuellement à l'aide de ressources externes).

Perspectives à la suite de STRIDE en Wallonie

Compte tenu de l'importance dans le tissu productif des entreprises " défensives ", il nous semble que des opérations telles que STRIDE ont toute leur raison d'être et devraient être développées systématiquement dans une optique de couverture complète du tissu productif (en dehors des zones d'objectif 2 couvertes par STRIDE) et de pérennité.

Ce dernier point, la pérennité des programmes de sensibilisation et de formation au management stratégique de la technologie, est crucial. De telles opérations, si elles sont conçues de manière trop ponctuelle dans le temps, sont en effet vouées à subir un " effet de soufflé ", que l'on déplore trop souvent dans les initiatives communautaires. Lorsque la démarche provient d'autorités supranationales, il arrive plus fréquemment que celles-ci soient déconnectées des pratiques et des objectifs qui soustendent les politiques mises en oeuvre dans les régions. Dans ce cas, une fois le financement communautaire tari, les effets du programme disparaissent et l'acquis s'estompe rapidement.

La pérennité des actions développées en Wallonie à l'occasion de STRIDE semble acquise : non seulement, STRIDE confortait un constat déjà tiré par la Région à la suite des expériences du passé, mais encore, certaines mesures existantes, comme l'arrêté 123, peuvent servir de support à des actions dans la lignée de STRIDE. De plus, l'arrivée des masses financières importantes des Fonds Structurels au titre de l'objectif 1 en province de Hainaut permet d'envisager la réalisation d'une opération de type STRIDE pour cette zone. Des actions sont également prévues au titre de l'objectif 2 dans d'autres zones.

La limite principale de l'opération STRIDE en Wallonie tient probablement à la procédure de sélection des entreprises (basée essentiellemnt sur un indice classique de productivité, le taux de valeur ajoutée, et dépendante de la connaisssance du tissu productif de l'organisation sectorielle Fabrimétal), qui n'a probalement pas permis de toucher l'ensemble des entreprises qui pouvaient bénéficier d'un tel support.

Enfin, une fois l'opération STRIDE, avec son équipe de consultants triés sur le volet, terminée, subsiste la question de savoir qui pourra dans l'avenir assumer ce rôle de conseil " élargi ", c'est-à-dire dépassant les aspects purement techniques, à l'entreprise. Il n'est pas évident que les centres techniques impliqués dans STRIDE aient pu réellement s'ouvrir dans cette direction, eux qui traditionnellement ont le souci d'excellence sur un plan purement technique. C'est peut-être ici que le fameux effet de soufflé est le plus à craindre. En l'absence d'un réel incitant pour ces centres, à se tourner vers une clientèle plus difficile, on peut faire le pari qu'ils se recentrent très rapidement et tout naturellement vers les entreprises déjà innovantes, avec lesquelles un contact s'établit de manière plus aisée, et dans une meilleure perspective de rentabilité pour ces centres. Le renforcement de la fonction d'interface avec les PME de bas niveau technologique mérite certainement une attention particulière en Wallonie, maintenant qu'un travail de fond a été réalisé et sera poursuivi au niveau du management stratégique de ces entreprises.

 

Conclusions

La Wallonie évolue dans sa politique technologique, vers des instruments et une philosophie prenant mieux en compte les besoins de l'entreprise et du marché, dans une vision globale et interactive des processus d'innovation technologique, et englobant l'entièreté du tissu industriel wallon.

Partant d'une vision dans laquelle les entreprises déjà innovantes sont le principal vecteur du développement économique et technologique de la région, les décideurs wallons se sont posés la question essentielle de savoir si :

" un tissu industriel composé majoritairement de PME, de taille plutôt petite que moyenne, se situant encore dans des secteurs relativement traditionnels, peut réellement servir de support au développement d'une stratégie économique basée sur l'innovation " (7).

L'expérience de STRIDE est arrivée à point nommé pour prouver qu'une réponse positive à cette question est possible : cette initiative communautaire intégrée dans la politique wallonne a constitué un premier pas vers une démarche de sensibilisation à grande échelle des PME à l'innovation, suivie de la mise en place de mécanismes concrets de transformation des modes de gestion des responsables de ces PME vers des approches plus stratégiques de leurs modes de gestion.

Il reste toutefois de nombreux efforts à accomplir pour que la dynamique lancée se poursuive et se diffuse auprès des nombreuses entreprises non encore touchées, et pour que la réponse des organismes de soutien à l'innovation technologique soit également adaptée à cette demande particulière.

 

Notes:

1. Recherches Interdisciplinaires en Développement Régional, Université Catholique de Louvain. 1 Place Montesquieu, boîte 14 - 1348 - Louvain-la-Neuve. tel : 010 - 47 40 01; fax 010 - 47 46 03.
2. "Innovative regions", NAUWELAERS and REID, RIDER et Commission Européenne, 1995.
3. Research and Technology Management : issues for Community Policy", MERIT, SAST, 1993.
4. Voir à ce sujet NAUWELERS, REID et DESTERBECQ « Firmes multinationales et développement régional » , RIDER, 1995.
5. Evaluation ex-ante du Plan de Développement Régional Objectif n 2 1994-1996 du bassin industriel Meuse- Vesdre Liège, RIDER, juillet 1994.
6. Extrait du discours de Mme Straus à la 5ième Conférence STRIDE, Wallonie, juin 1995.
7. Extrait du discours de Mme Straus à la 5ième Conférence STRIDE, Wallonie, juin 1995.


 

 

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