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Flexibilité et temps de travail

Danièle Meulders
Professeur au Département d'Economie appliquée de l'ULB

 

1. L'utilisation du terme "flexibilité" présente un caractère conjoncturel marqué : fortement rebattu dans la première moitié des années 80, relégué au second plan lors de la reprise économique de la seconde moitié des années 80, il réapparaît en force avec la remontée du chômage en 1991. La flexibilité est avancée comme la panacée universelle lorsque le marché de l'emploi se dégrade, opposée aux rigidités, synonyme de capacité d'adaptation, d'ajustement, elle met en cause les législations du travail et sociales européennes en les opposant au modèle nord-américain.

La flexibilité recouvre des notions protéiformes, elle vise généralement à reporter sur les travailleurs les risques liés aux fluctuations conjoncturelles et à réduire le coût de la main d'oeuvre; il peut s'agir :

  • d'assouplissement de la législation protégeant le travail;

  • d'assouplissement de la législation relative au temps de travail et à sa durée;

  • d'assouplissement de la législation sociale;

  • de recours à des formes d'emploi moins coûteuses : travail temporaire, sous-traitance, travail indépendant, temps partiel, travail à domicile, stages des jeunes, sous-statuts publics.

La recherche d'une flexibilité accrue est souvent justifiée par la concurrence intra et extra- communautaire, elle entraîne des baisses de rémunérations, des pertes de droits et la généralisation des formes atypiques d'emploi auxquelles sont associés des coûts moindres.

Le Livre blanc de la Commission des Communautés européennes (1), s'inscrit dans cette logique puisque l'on y suggère "l'introduction de plus de flexibilité en matière d'organisation du travail en enlevant les obstacles qui rendent plus difficile ou coûteux l'emploi à temps partiel ou des contrats à durée déterminée, et en facilitant une meilleure adaptabilité des carrières aux situations personnelles ou en facilitant une entrée progressive à la retraite. Pour ce qui concerne la distribution du temps de travail, des suggestions sont faites sur l'annualisation des heures de travail ou en matière de réduction des heures de travail en temps de récession. L'accroissement de la flexibilité devra se refléter dans les réglementations et les systèmes de négociation collectives, en facilitant une plus grande adaptation aux caractéristiques des marchés locaux et des entreprises".

 

2. Les politiques de flexibilité provoquent l'émergence ou la résurgence de différentes formes d'emplois atypiques qui se caractérisent par des éléments aussi divers que la durée du travail, la durée et le type des contrats, les horaires, les lieux de travail, le mode de rémunération. En aménageant les législations du travail et la législation sociale pour permettre un recours accru à ces formes de travail, et en usant de ces formes d'emplois au sein du secteur public les gouvernements des différents pays de l'Union Européenne ont largement contribué à leur diffusion.

Les effets de ces formes d'emploi ont été largement étudiés (2); elles présentent généralement les caractéristiques suivantes qui témoignent de leur faible qualité : rémunération et protection sociale faibles, absence de perspectives de promotion, flexibilité horaire, pression patronale forte, l'emploi "normal" est ressenti comme la promotion à obtenir.

Elles s'accompagnent de rémunérations inférieures et pour certaines d'absence de rémunération. Le fait de travailler à temps partiel a été mis en évidence (3) comme un des facteurs augmentant la probabilité de faire partie des pauvres dans plusieurs pays de la communauté. La sureprésentation des femmes dans les formes particulières d'emploi est un des éléments qui expliquent le différentiel de salaire moyen entre hommes et femmes.

Des lacunes en termes de protection sociale ont également été mises en évidence. Celles-ci sont particulièrement évidentes pour certaines catégories de travailleurs à temps partiel qui se retrouvent en dessous du seuil de définition officiel. D'autres formes d'emploi comme les contrats à durée déterminée, par leur définition même, comportent un élément de précarité. Enfin, les périodes d'interruption de carrière, de travail à temps partiel impliquent pour les travailleurs concernés des difficultés à remplir les conditions nécessaires pour bénéficier de retraites, d'allocations de chômage, etc.

Les femmes sont surreprésentées dans ces formes particulières d'emploi, elles constituent d'ailleurs la cible privilégiée des politiques gouvernementales créant ou encourageant la prolifération de ces formes d'emploi. L'insertion des femmes dans le marché du travail se fait principalement par le biais d'emplois atypiques particulièrement défavorables en termes de statut, de rémunérations, d'horaires et de perspectives d'avancement.

 

3. Ainsi, l'emploi à temps partiel, qui est essentiellement féminin, s'est surtout développé dans les pays du nord de l'Europe où il a été préféré à la réduction généralisée du temps de travail comme forme de partage de l'emploi. Partage particulièrement inégalitaire entre les hommes qui poursuivent une activité à temps plein et les femmes qui sont admises sur le marché du travail à temps partiel avec des rémunérations moindres, de faibles possibilités de promotion et des horaires flexibles. Le travail à temps partiel apparaît à la fois comme un phénomène de l'offre et de la demande de travail. Phénomène de l'offre car il est ressenti par les femmes comme la forme d'emploi qui leur permet de concilier vie familiale et activité professionnelle. Toutefois, en termes de contraintes et de rythme de travail, il convient de ne pas assimiler tout temps partiel à une forme de meilleure articulation temps de travail/temps livre au projet de ce dernier. Phénomène de la demande car le travail à temps partiel permet d'assurer une flexibilité maximale pour assurer les prestations de soirée et de week-end et qu'il permet d'éviter les suppléments de salaires pour prestation d'heures supplémentaires.

Le travail temporaire est un phénomène lié à la demande de travail, permettant à l'entreprise d'adapter son volume de production à la demande tout en réduisant les coûts salariaux. L'emploi temporaire est à présent un mode classique d'entrée dans l'emploi, il concerne surtout les jeunes mais les femmes sont plus nombreuses que les hommes à occuper des emplois temporaires tout au long de leur vie professionnelle.

La plupart des salariés temporaires se recrutent parmi la main-d'oeuvre au chômage ou qui risque de l'être. Symétriquement les fins de contrats de travail temporaire constituent le motif le plus important d'entrée en chômage (4). Le pourcentage de temps partiel parmi les femmes temporaires est élevé, il semble exister une liaison travail temporaire à temps partiel pour les femmes notamment au Royaume-Uni, au Luxembourg, en Italie, aux Pays-Bas et en Irlande où plus de 50 % des femmes temporaires travaillent à temps partiel, pourcentage nettement plus élevés que pour les travailleuses permanentes. Ce type d'emploi est peu compatible avec une vie familiale étant donné l'insécurité qui le caractérise. De plus, ces travailleurs ont tendance à accepter plus facilement des conditions de travail pénibles.

Les systèmes d'interruption de carrière qui ne s'adressent dans les faits qu'aux femmes ont des effets négatifs importants sur leurs carrières ultérieures en termes de promotions, de rémunérations etc., même s'ils sont assortis d'une garantie de retour à l'emploi. Même si la reprise de l'activité dans les mêmes conditions se réalise, les employeurs du secteur privé interpréteront généralement l'interruption comme un signal de désintérêt pour l'entreprise et le travail, l'avancement ultérieur et les promotions seront freinées et les pertes en termes de revenu calculées sur l'ensemble de la vie active seront considérables. En ce qui concerne la protection sociale, même si la continuité est assurée, des problèmes se posent souvent à terme lorsque le calcul des retraites est basé sur des cotisations et des années de travail à temps plein. Les interruptions de carrière, le travail à temps partiel sont des éléments qui expliquent dans les systèmes d'assurance le niveau inférieur des retraites féminines et la difficulté qu'ont les femmes à bénéficier des systèmes de prépensions.

 

4. Il existe fondamentalement deux manières de répartir les heures de travail : soit une réduction uniforme de la durée, soit une répartition duale tendant à creuser l'écart entre les emplois dits normaux et les "formes particulières d'emploi". Dans plusieurs pays européens le partage du travail depuis le début des années 80 s'est fait suivant le modèle suivant : "Pour les titulaires d'emplois à temps plein la durée du travail est restée stable. Les autres sont confrontés au chômage et aux diverses formes de passage à l'inactivité, au travail à temps partiel lorsqu'il n'est pas choisi et volontaire (5).

Le développement du travail à temps partiel, s'est substitué dans une large mesure à la réduction de la durée conventionnelle. C'est un mode de flexibilité de la gestion de la main d'oeuvre caractéristique de la relation salariale du nord de l'Europe et plus particulièrement d'un segment important du marché du travail féminin : l'emploi des services; il apparaît à la fois comme la conséquence de la ségrégation sexuelle de l'emploi et comme un facteur de son maintien voire de son renforcement.

Cette forme de partage du travail qui est encore prônée par la Commission européenne est particulièrement discriminante pour les femmes, la réduction généralisée du temps de travail lui serait de loin préférable. Ni l'OCDE, ni la Commission européenne ne sont cependant prêts à défendre une telle politique, alors que de nombreux travaux (6) montrent que couplée à une croissance équilibrée, la diminution généralisée, mais non nécessairement linéaire, de la durée du travail est une des orientations les plus porteuses en emploi et en réduction du chômage.

 

Notes

1. COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES, Croissance, Compétitivité, Emploi - Les défis et les pistes pour entrer dans le XXIème Siècle - Livre blanc, COM(93) 700 final, Bruxelles, 5 décembre 1993.
2. BOUILLAGUET-BERNARD P., GAUVIN A., PROKOVAS N., L’évolution de l’activité et de l’emploi des femmes dans la Communauté Economique Européenne, Rapport V/1252/86-Fr pour la Commission des Communautés européennes, 1985. - MEULDERS D., PLASMAN O. et PLASMAN R., Atypical employment in the EC, Dartmouth, 1994. - MEULDERS D., PLASMAN R. et VANDER STRICHT V., Position of Women on the Labour Market, in the European Community, Dartmouth, 1993. - RUBERY Jill (Editor), Women and Recession, Routhledge & Kegan Paul, London and New York, 1988. - RUBERY J. et FAGAN C., La ségrégation professionnelle des femmes et des hommes dans la Communauté europénne, Europe sociale n 3/93, 1993.
3. CENTRE D’ETUDE DES REVENUS ET DES COUTS, Les bas salaires dans les pays de la Communauté économique européenne, n 101, 2ème trimestre 1991.
4. MICHON François, RAMAUX Christophe, L’emploi temporaire, bilan d’une décennie. Séminaire d’Economie du Travail, Université de Paris I, 1992, p. 3.
5. COMMISSARIAT GENERAL DU PLAN, Choisir l’Emploi, La documentation, Paris, 1993, p. 99.
6. CETTE G., TADDEI, D., Les effets économiques d’une réduction-réorganisation du travail, Futuribles, n 165-166, mai-juin 1992.


 

 

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