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Temps de travail et redistribution du travail
(Traduction de la communication "Arbeidstijd en arbeidsherverdeling").

Francis Holderbeke
Point d'Appui Emploi-Formation pour la Flandre (KUL / HIVA)

 

Depuis le début de la crise de l'emploi, des systèmes de redistribution du travail ont été développés pour réduire le chômage. Le point de départ a été la mise au point du système de pré-pension en 1976; les plans d'entreprise de redistribution du travail, qui est disponible au sein de l'entreprise, constituent provisoirement les dernières mesures élaborées dans le cadre du Plan Global de novembre 1993.

Une analyse de l'évolution du marché belge de l'emploi durant la période de 1984 à 1990 montre que la redistribution du travail peut effectivement réduire le chômage. Pendant cette période, la demande totale de travail (emploi salarié et non salarié) a augmenté d'un peu plus de 228.000 unités. Le nombre de personnes (presque 183.000) qui sont provisoirement (pause-carrière et "pause-chômage) et définitivement (chômeurs âgés qui ne sont plus demandeurs d'emploi ou pré- pensionnés) du marché de l'emploi a fortement progressé. Grâce à cette hausse importante, l'offre totale de travail (travailleurs et chômeurs) a augmenté de moins de 48.000 unités (Voir tableau n° 1)

 

Tableau n° 1 : Evolution de la population active, travailleurs, chômeurs et personnes sorties du circuit.

  1984 1990 Différence
1. Population active (offre) 4131781 4179236 + 47455
2. travailleurs (demande)
- salariés entre autres
- temps partiel volontaire
- mesures (entre autres ACS)
3586061
2911263
66128
108135
3814540
3088949
204495
128946
+ 228479
+ 177686
+ 138367
+ 30637
3. Chômeurs complets (solde 1-2) 545720 364696 - 181024
4. Personnes sorties du circuit 136845 319671 + 182826

Source : Ministère de l'Emploi et du Travail, La population active en Belgique.

Ce tableau nous montre clairement que, malgré l'augmentation assez forte de l'emploi (salarié) durant la deuxième moitié des années 80, - période qui a connu une croissance économique stable -, le chômage n'aurait pas diminué si on n'avait pas mis au point les mécanismes de sortie anticipée, provisoire et définitive du marché de l'emploi, mécanismes qui ont limité l'offre. Il est donc logique que, lorsque ces mécanismes ont été freinés à partir de 1992, le chômage soit remonté dans la première moitié des années 90. Il s'agit du facteur institutionnel de la dernière hausse du chômage, facteur qui joue un rôle au moins aussi important que les facteurs "classiques" conjoncturels et structurels.

Certains mécanismes de redistribution individuelle du travail ont été réduits (pré-pension) ou découragés (pause-carrière) parce qu'il exercent une pression financière sur les dépenses de la sécurité sociale. Le système du travail à temps partiel involontaire subsidié qui était responsable pour 70 % de l'augmentation de l'emploi salarié a été graduellement supprimé ces dernières années.

Confrontés à la hausse du chômage au début des années 90, les milieux syndicaux et académiques ont à nouveau cherché des solutions via la diminution collective du temps de travail bien que l'opération 5-3-3 (1) pendant la période 1983-1984 n'ait pas été concluante.

Les organisations d'employeurs se sont opposées à toute forme de réduction du temps de travail (généralisation de semaine de 38 ou 36 heures, semaine de 4 jours, etc) si bien qu'aucun progrès n'a été enregistré à ce niveau. Le gouvernement fédéral a alors repris le concept des plans d'entreprise dans le Plan Global. Ces derniers devaient mettre au point des formules concrètes de réduction collective du temps de travail aux niveaux du secteur, de l'entreprise et du département. Bien que de nombreux accords sectoriels et d'entreprise aient été conclus depuis 1994, l'augmentation d'emploi réalisée est presque nulle. En outre, les conventions collectives qui ont été conclues pour la périodes 1995-1996 n'ont pas eu de résultats dans le domaine de la diminution collective du temps de travail. La forte opposition patronale à la diminution linéaire du temps de travail avec recrutements compensatoires obligatoires peut en fait expliquer cet échec. En effet, le patronat estime qu'une telle opération entraînerait des coûts supplémentaires (nouveaux recrutements, perte de productivité, coûts indirects, etc).

Les travailleurs (l'offre) n'apprécient pas ces mesures à cause de la diminution salariale qu'elles impliquent (une compensation salariale complète en cas de diminution du temps de travail est exclue par une disposition du Plan Global), ce qui n'est pas acceptable pour une majorité des salariés alors que nous connaissons une période instable où menace la diminution du pouvoir d'achat (en plus du blocage des salaires, l'indexation automatique des salaires est remise également en question).

Mais, outre cette perte virtuelle de salaire, il y a peut-être une explication plus fondamentale au manque d'intérêt des travailleurs pour les formes de réduction collective du temps de travail. Une analyse (2) réalisée sur la structure des ménages de la population active flamande en 1992 (3) montre qu'il existe en fait une grande diversité de types de ménages, sans que l'on puisse dégager un type fort dominant, quant on classe les ménages de la population active selon un certains nombre de critères révélateurs.

Il s'agit ici de critères qui doivent permettre de dégager des types de ménages plus ou moins homogènes en fonction de leur position sur le marché du travail en général et de leur comportement face au changement dans le temps de travail en particulier.

Un premier critère est la composition des ménages. Des données de l'enquête montrent qu'il y a 16% d'isolés et de familles monoparentales, et de 84% de ménages avec deux partenaires. Dans une deuxième étape, ce dernier groupe se divise en deux : une majorité de 63% avec enfants et 21% sans enfants. Par la suite, on a voulu savoir qui, dans le plus grand groupe, effectue un travail rémunéré. Il en ressort que, dans la majorité de ces ménages (37%), les deux partenaires ont un travail rémunéré et dans les 26% restants, il n'y a qu'un partenaire qui a un travail rémunéré. Sur base du temps de travail hebdomadaire, hommes et femmes confondus, le premier groupe se divise finalement en deux catégories égales : 19% avec un temps de travail hebdomadaire d'au moins 74 heures (la plupart du temps deux emplois temps plein) et 18% avec un temps de travail de moins de 74 heures (la plupart du temps, un emploi à temps plein et un emploi à temps partiel). Nous avons donc 5 types de ménages plus ou moins homogènes entre lesquels il existe, sur base des critères retenus, de grands différences sur le plan de la participation actuelle au travail, de la combinaison travail salarié et travail domestique et le désir de participation au travail. Sans prendre en compte le critère suivant qui divise les ménages en 3 catégories (les isolés et les familles monoparentales, les familles sans enfants, les familles avec enfants où un seul parent a un travail rémunéré), on peut comprendre qu'il est problématique de proposer des formules de réduction collective du temps de travail à cause de cette hétérogénéité.

Dans la plupart des entreprises et des organisations, même au sein des départements d'entreprise, on retrouve sans aucun doute cette hétérogénéité dans la structure du personnel. Bien que les propositions respectives (d'un groupe de travailleurs appartenant à un type de ménages défini) peuvent fort différer de celles de l'enquête, il est clair que dans chaque collectivité de travailleurs (département, entreprise), il existe une diversité telle (seulement sur base des critères pris en compte) qu'il peut difficilement en ressortir une demande homogène pour une même forme de réduction du temps de travail.

Ces données ne soutiennent pas le plaidoyer en faveur de la redistribution du travail qui a pour arguments le chômage et le problème de combinaison entre le travail rémunéré et le travail domestique dans le type de ménages avec enfants où les deux partenaires travaillent à temps plein.

Ce type de familles représente environ 20% dans le nombre total des familles de la population active. Parmi ces 20%, une partie peut-être pour des raisons spécifiques - garde d'enfants, transport domicile-lieu de travail, etc - des difficultés sur le plan de la combinaison travail rémunéré et travail domestique. Dès lors, il serait également erroné de se baser sur ce groupe minoritaire au sein des familles de la population active pour mettre au point un nouveau modèle de distribution du travail. Les propositions du genre un travail et demi par famille ne sont donc pas fondées vu la structure existante des familles de la population active. Non seulement l'effet de redistribution du travail serait faible, et d'autre part, il n'y a qu'une minorité de femmes de la population active qui désirent travailler moins. L'enquête de CBGS "Famille et travail" (à paraître dans le courant de 1995) montre que moins d'un femme sur quatre (22,6%) travaillant aussi bien à temps plein qu'à temps partiel (dans des familles de partenaires mariés entre 20 et 50 ans) désirent travailler moins dans l'avenir. Dans le même groupe, seulement 12% d'hommes ont le même souhait. Mais même s'il existe dans la structure du personnel d'une organisation un équilibre de personnes d'un type de ménage particulier (par exemple, des femmes travaillant à temps partiel avec charge de familles), il n'y a pas nécessairement une demande homogène pour des changements collectifs dans le temps partiel. On rencontre également une grande diversité au sien même d'un type de ménages si on fait un classement sur base d'autres critères comme l'âge des travailleurs, le nombre et l'âge des enfants, le niveau de formation, etc.

Dans chaque type de ménages (des isolés jusqu'aux familles avec enfants dont leur deux partenaires travaillent à temps plein) il y a peut-être une partie qui désire augmenter la participation au travail (en heures de travail par semaine) et une partie qui désire la diminuer. Chez les isolés mais surtout dans les familles monoparentales, on constate un taux de chômage élevé qui est souvent la cause d'une insécurité matérielle temporaire ou non.

Dans les familles monoparentales, une forte participation au travail peut engendrer à nouveau des problèmes de combinaison entre le travail rémunéré et le travail domestique.

Dans les familles sans enfants, la forte participation au travail des deux partenaires peut retarder le désir d'avoir des enfants. D'autre part, il y a peut-être dans ce groupe une partie de femmes inactives qui désirent à nouveau un travail salarié mais qui n'en trouvent pas (ou plus). Ceci est également valable pour les femmes inactives dans les familles avec enfants où seul le partenaire masculin effectue un travail rémunéré.

Dans de nombreux cas, la femme a cessé sa carrière professionnelle à un âge relativement jeune en raison du développement de la famille et elle a encore moins de chance de retrouver une place sur le marché de l'emploi à un âge plus avancé. On remarque à ce propos que dans une période de chômage en hausse, la problématique du retour des femmes inactives à la vie professionnelle entre encore moins en ligne de compte.

Il peut y avoir un problème comparable pour les femmes qui, pour raisons familiales, sont passées d'un travail à temps plein à un travail à temps partiel et qui, après un certain temps, désirent retravailler à temps plein.

Il n'est donc pas simple de plaider pour une nouvelle redistribution du temps de travail, plus précisément une réduction collective du temps de travail en se basant sur la structure existante des familles de la population active.

Face à cette diversité de problème, il n'y a pas un seul et unique modèle de distribution du travail qui s'attaque au problème du chômage et qui rencontre les désirs des familles sur le plan de la combinaison du travail rémunéré et du travail domestique. L'élaboration d'une politique volontariste de redistribution du travail entre les familles semble donc une mission difficilement réalisable en raison de l'hétérogénéité entre et au sein des types de familles.

 

Notes

1. Une diminution linéaire de 5% du temps de travail (allant de 40 à 38 heures /semaine) et une augmentation salariale de 3% (2 fois 1,5%) devraient résulter en une augmentation de l'emploi salarié de 3%. Pendant la période 83-86, on a cependant constaté une diminution improtante du volume de travail parce que des emplois à temps plein (surtout des hommes) ont été supprimés progressivement dans les secteurs industriels et que le nombre d'emplois à temps partiel (surtout des femmes) a augmenté dans le secteur des services.
2. Holderbeke F, De arbeidsverdeling volgens gezinstype, Koning Boudewijnstichting, Brussel, 1995. Holderbeke F, La distribution du travail selon le type familial, Fondation Roi Baudouin, Bruxelles, 1995.
3. Il s'agit ici d'isolé et de familles monoparentales, d'une part et de cohabitants avec ou sans enfants d'autre part. Les limites d'âge d'activité professionnelle potentielle sont de 18 à 64 ans pour les hommes et de 18 à 59 ans pour les femmes. Etre actif professionnellement implique qu'au moins une personne du ménage (à l'exception des enfants habitant chez leurs parents ou des parents plus âgées habitant chez leur enfants) est présente sur le marché de l'emploi (travailleur ou demandeur d'emploi) Source : Etude des ménages belges (données pour la Flandre, 1992).


 

 

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