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Deuxième congrès La Wallonie au Futur
1991 -
Le Défi de l'Education

Congrès permanent La Wallonie au futur - Index des congrès


 

L'immense défi socio-économique de la Wallonie

André Ruol
Inspecteur des lois sociales

 

Le grand marché intérieur européen qui s'ouvrira dans un peu plus d'un an va déclencher une compétition dont certains, beaucoup même, craignent des retombées funestes sur la santé économique de la Région wallonne alors que, paradoxalement, il a été conçu pour profiter à l'ensemble de la communauté.

D'autres, mais parfois les mêmes aussi, redoutent que la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux ne provoque dans notre région un recul des protections et avantages sociaux acquis si chèrement, et n'accélère encore davantage le mouvement de paupérisation affectant les couches démunies de toute la communauté.

La Wallonie, aujourd'hui, doit se préparer à relever demain un immense défi : celui de récolter le bénéfice social devant provenir d'une meilleure compétitivité de ses entreprises et d'une croissance retrouvée, et simultanément d'apporter une contribution positive à l'élaboration d'une politique sociale communautaire.

Ce marché unifié, ce sera d'abord un marché de consommateurs qui se verront offrir aux meilleures conditions un choix plus vaste de biens et de services. Les entreprises verront certes disparaître de nombreux obstacles au commerce, mais aussi, arriver de nombreux concurrents. La compétitivité des entreprises vis-à-vis de ceux-ci sera, à n'en point douter, vive.

Cette compétitivité, mesurée à l'aune des marchés mondiaux, devrait idéalement éviter la contraction de l'emploi et, au contraire, le valoriser.

Face au futur grand défi de compétitivité et de croissance, dont les bénéfices sociaux escomptés doivent être l'amélioration de la santé, de la nourriture, du logement, des communications, de la culture, des loisirs, etc..., ne serait-il pas intéressant de voir à quelle allure économique la Wallonie se meut?

Puis d'imaginer, peut-être, quels aiguillons pourraient accélérer cette allure...

Pour réaliser ce périlleux exercice, je me risquerai à examiner, sous quelque flashes, la santé économique de la Wallonie, puis émettrai quelques idées.

Par ailleurs, face à cet autre défi visant à préserver notre niveau de protection et nos avantages sociaux, ainsi qu'à participer à la construction sociale européenne, je dirai quelques mots des recherches actuellement en cours dans deux centres universitaires, sous l'impulsion de Philippe Busquin, Ministre des Affaires sociales.

 

I. Flashes sur la Wallonie économique, pris sous l'angle structurel

 A. Population

La population de Wallonie est d'environ 3.250.000 habitants, pour 10 millions à la Belgique (315.000.000 millions pour l'Europe des Douze).

Notre région représente donc à un peu moins d'un tiers de la Belgique (32.5 % environ).

Elle comprend 11.4 % d'étrangers (contre 7.65 % pour le reste du pays, la moyenne nationale étant de 8.9 %).

La population en âge de travailler (de 18 à 64 ans) est d'environ 59 % en Wallonie. Elles est de 61 % pour la Flandre et Bruxelles, la moyenne nationale se situant un peu plus de 60 %.

L'écart existant (1.75 %) est relativement faible, il se répartit comme suit : 1.2 % environ chez les moins de 20 ans et de 0.5 à 0.6 % chez les plus de 65 ans. Cela implique, fait notamment remarquer l'UWE à ce sujet, qu'à condition de générer des emplois à due concurrence, la Wallonie verra dans le futur plus d'entrées dans le circuit du travail et moins de sorties qu'en Flandre plus Bruxelles!

 

B. L'emploi - globalement

Entendons-nous : par population active, sera désignée la population effectivement disponible pour l'emploi.

Celle-ci comprendra à la fois toutes les personnes qui travaillent et les demandeurs d'emploi inoccupés (les "DEI"), à savoir (suivant les normes européennes) les chômeurs complets indemnisés, d'autres personnes obligatoirement inscrites au bureau de placement ainsi que des demandeurs d'emploi inoccupés, librement inscrits. Les chômeurs complets indemnisés non demandeurs d'emploi (ceux âgés de 50 ans et plus et dont l'aptitude au travail est réduite, et certains chômeurs de plus de 55 ans) ne font pas partie de la population disponible pour l'emploi.

La population active représente en Wallonie environ 68 % de la population en âge de travailler, contre 72 % pour la moyenne nationale et 73 % pour la Flandre plus Bruxelles.

Tenant compte donc des pourcentages déjà cités des populations en âge de travailler (59 % en Wallonie), on notera que la population potentiellement active en Wallonie représente un peu plus de 30 % de celle du royaume, pour, je le rappelle, 32.5 % de la population. Le sous-emploi potentiel est donc de +/- 7.5 %.

Que nous apprennent les chiffres récents du chômage (les "DEI)?

Qu'en 1989, la Wallonie comptait 45.1 % du nombre total des chômeurs, (pour 32.5 % de la population donc) se trouvant ainsi en excédent relatif de plus de 39 %.

Et que, suivant les statistiques publiées par le Ministère de la Région wallonne, pour mai 1991, le pourcentage du nombre total des chômeurs atteignait un sommet de 45.5 % (177.228 unités).

Si maintenant nous transposons ces chiffres en termes de personnes à charge par travailleur effectivement occupé, nous nous apercevons que, théoriquement,

  • pour la Belgique : 1.5 personne est à charge d'un actif réel;

  • pour la Wallonie : 1.8 personne (plus encore si on prend les chiffres de mai 1991) est à charge d'un actif réel.

  • pour Bruxelles et la Flandre : 1.350 personne seulement à charge d'un actif réel.

De ce qui précède, il ressort clairement que, pour 1.130.000 Wallons actifs, il y a un excédent de 500.000 personnes à charge par rapport à la Flandre plus Bruxelles.

 

C. L'emploi dans le détail

1. Les indépendants wallons représentent 31.5 % de l'emploi national indépendant. Cette situation est presque équilibrée si l'on tient compte du déficit de la population en âge de travailler.

2. Par contre, la Wallonie ne représente guère plus de 26 % (au lieu des 31-32 escomptés pour la population en âge de travailler) de l'emploi salarié du pays. Et ceci est encore aggravé par une distorsion considérable entre l'emploi salarié dans le secteur marchand et le secteur non-marchand : il est de 23 % de l'ensemble de secteur national. Il y a donc un manque d'emplois salariés marchands de près de 29 %.

3. A contrario, l'emploi salarié non-marchand s'élève à 31-32%, ce qui est proportionnel à la population wallonne en âge de travailler.

A la lecture des 3 points qui précèdent, qui nierait que la Wallonie présente une faiblesse au niveau de l'emploi salarié dans le secteur marchand?

Faiblesse qui ressort également de cette comparaison : pour 100 emplois salariés marchands en Wallonie, il y a 80 emplois non-marchands. Alors qu'en Flandre plus Bruxelles, la proportion est de 100/50 (indépendants non repris).

Une analyse plus poussée va nous faire voir comment est proportionnée cette faiblesse du secteur salarié marchand en Wallonie qui, pour mémoire, est globalement de 29 % :

  • pour le primaire : elle est de - 22 %;

  • pour le secondaire : elle est de - 25 %;

  • pour le tertiaire : elle est de - 34 %

Ceci est particulièrement inquiétant.

Il a, en effet, été démontré que la Belgique, avec 70 % de son emploi dans le tertiaire, figurait parmi les économies les plus tiertiarisées du monde (les EU atteignent le taux record de 75 %); de plus, des projections du Bureau du Plan font état d'un taux de tiertiarisation de l'ordre de 72 % à l'horizon 1994.

Quand on sait qu'en Wallonie, l'emploi industriel s'est pratiquement réduit de moitié depuis 1974, et que dans la compétition pour le secteur tertiaire notre région doit subir les effets de certaines déficiences structurelles (télécommunications, services financiers, assurances, centres de direction, recherche et développement), on ne peut s'empêcher de frémir!

 

D. Sur des indications données par la comparaison des produits intérieurs bruts

Profondément marquée par le déclin industriel d'après-guerre, la Wallonie a vu son produit intérieur brut par habitant rattrapé par celui de la Flandre dès 1965. Depuis lors, l'écart n'a cessé de se creuser.

Exprimé au coût des facteurs, le PIB en Wallonie est de 1.336 milliards sur 5.100 milliards pour le royaume (soit 26.2 % au lieu de 32.5 %...). Rapportée par habitant, le PIB devient : 415.000 F en Wallonie, contre 515.000 F. pour le royaume et 565.000 F pour la Flandre plus Bruxelles.

Si l'on examine le ratio PIB national par emploi salarié marchand plus indépendants, on s'aperçoit que celui-ci est de 25 %. Le PIB de la Wallonie étant de 26 % du PIB national, on peut en déduire que le produit intérieur brut par emploi marchand n'est pas inférieur en Wallonie. Donc que le PIB par habitant est beaucoup plus raboté par suite des transferts actifs, inactifs plus non-marchands en Wallonie qu'en Flandre plus Bruxelles.

Ceci ne vient-il pas, non plus, établir qu'il y a urgence à revitaliser le secteur marchand seul capable de soutenir la charge desdits transferts?

Les produits intérieurs bruts restant les meilleurs outils de comparaison des performances économiques régionales, il m'a semblé intéressant de communiquer ceux de 1986 et 1987 (source : Eurostat, comparaison en termes de produits intérieurs exprimés par tête d'habitant, la parité de pouvoir d'achat, c'est-à-dire pondéré par le niveau général des prix : Europe des 12 = 100).

 

année 1986

année 1987

Luxembourg

124,7

125,4

RFA

114,2

112,5

France

110,5

109,2

Pays-Bas

106,2

104,5

Belgique

101,0

100,7

Wallonie

83,6

?

dont Hainaut

77,8 (!)

 


Ces médiocres performances sont malheureusement confirmées par les chiffres d'affaires, de l'investissement et des exportations : respectivement, par rapport au royaume, de 19 %, 16.2 % et 16 %.

 

E. Première conclusion

A l'aube du grand marché européen, la Wallonie souffre d'un affaiblissement du secteur marchand, particulièrement atteint dans son secteur tertiaire. Ceci aura pour conséquence que, si elle veut préserver sa politique sociale généreuse, sans devoir tendre la paume à la Flandre (Monsieur Schiltz est venu dire à Charleroi que les transferts Nord-Sud étaient d'environ 100 milliards dont 85 à charge de la Flandre !), la Wallonie devra fouetter son développement économique.

Toute civilisation doit avoir pour objectif notamment, l'atténuation de la pauvreté et l'humaine justice, mais rien ni personne ne nous exonérera du fait que l'on ne peut partager qu'à partir de la somme algébrique des valeurs ajoutées du secteur marchand, disait le 29 mai 1991 Karl Choquet dans un discours de clôture de mandat à l'UWE.

 

II. Quelques idées pour des amorces de solutions...

 L'achèvement du grand marché intérieur européen en 1992 suscite nombre d'interrogations sur la capacité de tissu productif wallon à répondre à ce nouveau défi. Le risque non négligeable d'une polarisation régionale de la croissance représente un problème crucial pour une région engagée depuis plusieurs décennies dans un processus de déclin cumulatif. Sa position géographique, la qualité de ses infrastructures et son ouverture naturelle vers l'extérieur constituent des atouts indéniables. Mais ces avantages ne doivent pas cacher les faiblesses importantes de la région : la fragilité du tissu industriel, la déficience de la structure tertiaire, la surreprésentativité des industries traditionnelles sont autant de handicaps qui hypothèquent l'avenir de la région.

Malgré une situation dramatique, la Wallonie possède encore des avantages comparatifs dans des secteurs de pointe et à croissance de demande forte. Dans le contexte actuel de rareté des ressources publiques, il s'avère crucial d'établir une stratégie industrielle régionale cohérente et coordonnée dans un souci d'une plus grande efficacité des moyens mis en oeuvre.

Ces considérations ont été extraites du rapport préparatoire (commission de base) au 9ème Congrès des Economistes belges de Langue française. En les joignant à l'estimation exprimée par le Bureau Management AT Kearney dans l'Echo de la Bourse du 1er février 1991 suivant laquelle serait déterminante dans la compétitivité du grand marché la qualité du travail, faite de la conjonction de qualification, de motivation et d'orientation, se trouvera tracé le sommaire de mes quelques réponses et suggestions.

 

1. Stimulation de la volonté d'entreprendre

Dans notre région (l'axe O - E principalement) répertoriée par les économistes comme une "Reti" (une région de vieille tradition industrielle en déclin), il est devenu courant de croire que les rigidités telles que celles des structures, des mentalités et des régulations, ont une telle intensité qu'elles annihilent les mobilisations sur de nouveaux projets.

Un certain "défaitisme" s'est aussi progressivement installé de manière telle que les volontés d'entreprendre paraissent inhibées.

Est-ce que nous avons peur, en Wallonie, d'être gagnants? lançait Monsieur Henry Mestdagh, Administrateur-délégué des Ets Mestdagh au 9ème congrès des Economistes. Et toujours du même Monsieur Mestdagh : Est-ce que ça nous rend malade de se dire que nous sommes performants? Je pense que c'est quand même une question que l'on peut se poser, de temps en temps. Par exemple, dans la région de Charleroi, quand vous demandiez aux entrepreneurs combien il y avait d'entités économiques ayant disons plus de 5 personnes ou 10.000.000 de chiffre d'affaires, la réponse habituelle était 200. En fait, un recensement un peu scrupuleux nous a permis d'en découvrir 1.350. On a, en fait, une mauvaise image du marketing entrepreneurial, qui reste encore trop souvent basé sur l'aspect "pour vivre heureux, vivons cachés" afin d'éviter les ennuis. En conséquence, on ne crée pas un effet d'entraînement en voyant autour de soi des gens qui entreprennent et font preuve de dynamisme.

Donc, première suggestion.

Favoriser psychologiquement et médiatiquement les vocations d'entreprendre et générer ou régénérer l'attrait pour la performance économique auprès de la population et surtout des jeunes.

 

2. Politique d'investissement

Une revitalisation des investissements en Wallonie est d'une évidence criante. On ciblera surtout les investissements prometteurs de valeur ajoutée (donc d'emplois indépendants comme salariés...).

Mais, parallèlement, j'y reviendrai, il faut simplifier les formalités administratives ainsi que la réglementation et administrer de façon efficace les services publics.

 

3. A propos de qualification et de motivation

Suivant l'UWE, il existe actuellement un nombre non négligeable d'offres d'emploi insatisfaites, au point que l'on peut véritablement parler d'une pénurie de main-d'oeuvre qualifiée.

Par ailleurs, un coup d'oeil sur les statistiques fournies par le Ministère de la Région wallonne dans son bulletin mensuel sur la situation et l'évolution du chômage en Wallonie (juin 1991), nous apprend que les chômeurs de niveau d'études primaires (40.8 %) et secondaire inférieur professionnel (18.7 %) représentent 59.6 % du total des chômeurs complets indemnisés en Wallonie (pour la province de Hainaut : 64.9 %, le "record" appartenant à la région de Mouscron : 75 %).

La répartition des chômeurs en fonction de la durée du chômage est étroitement corrélée au niveau d'études (comme repris ci-devant, donc).

Associées, ces deux indications ne nous démontrent-elles pas qu'il y a un réel problème de formation et même de formation de base dans notre région? Les technologies et autres innovations ont certes évolué au grand galop laissant parfois à longue distance la qualification reçue de l'école avec celle requise pour assumer l'emploi.

Bien sûr, la structure de notre population n'est pas toujours très favorable : le pourcentage moyen d'étrangers y est très élevé. Et le niveau social moyen est resté assez bas, de sorte que l'adaptation est parfois pénible. Mais la plus évidente des raisons n'est-elle pas que l'école remplit de moins en moins bien son rôle d'intégrateur des jeunes dans la société?

L'enseignement pèse très lourd dans le budget wallon et son efficacité devient alarmante.

Ainsi, dans un article signé Dennis Guiseley, le supplément Gestion et carrière de l'Echo de la Bourse du 22 mars 1991, faisait le procès de l'enseignement en ces termes : L'éducation continue à produire des universitaires, de "standing", mais très mal formés pour le travail en entreprise. D'un autre côté, on considère l'enseignement technique comme un enseignement de seconde zone, sans réaliser que désormais la technique développe le sens de l'initiative, une culture générale forte, une grande connaissance des langues, un sens de la gestion, de la vente et des responsabilités.

Continuer à n'envoyer dans le technique que ceux qui ne réunissent pas ailleurs est une forme de suicide collectif. Pour la Belgique, il s'agit d'un appauvrissement général par rapport à ceux qui font l'innovation et veulent nous considérer comme un pays de transformation et d'investissement. Faute de bons techniciens, nous nous alignerons sur le tiers monde : population abondante, mais peu qualifiée.

C'est également une erreur pour les jeunes qui se destinent au technique. En leur ayant mis en tête qu'ils n'étaient bons à rien, ils le deviendront. Dans nombre d'écoles techniques, la préoccupation majeure des étudiants est la musique rock. Ils se mettent en place pour le chômage et accuseront ensuite la société de ne pas leur donner leur chance, comme les jeunes des HLM - bidonvilles français.

Les entreprises estiment que tout l'enseignement technique doit être réformé. C'est aller vite en besogne. Mais on ne peut continuer à former des techniciens lumpen-prolétarisés et des universitaires qui font du tourisme dans les entreprises. Il faut repenser la multiplication des grades et des filières d'enseignement, ces divisions tayloriennes anachroniques, à l'origine du fait que la demande est plus forte que l'offre. De plus, les professeurs sont tenus éloignés des entreprises et la grande majorité n'y a jamais mis les pieds. Quant aux pouvoirs organisateurs, ils ignorent jusqu'au tissu industriel entourant l'école.

Les entreprises ne sont pas suffisamment ouvertes aux stages. Si elles veulent avoir des jeunes bien formés et adaptés, il faut ouvrir les portes. Mais qui va s'en occuper? Quelle fédéralisation patronale, quel est le syndicat sui se préoccupent réellement de l'enseignement?

La réponse n'a pas tardé! Messieurs Delaunois et Beaussart, respectivement Président et Directeur général de l'UWE, ont en tout cas, le 18 juin 1991, organisé au Palais des Congrès de Liège (avec Fabrimétal et la Fédération de la construction wallonne), une journée d'étude sur le thème "Réussir la formation professionnelle : l'alternance, une voie d'avenir?"

Une solution aux problèmes soulevés par les organisations patronales est appétissante à n'en point douter.

Ainsi, s'inspirant du fameux "Dualsystem" allemand dont on parle beaucoup en France (Madame Cresson...), le patronat wallon propose que l'enseignement technique et professionnel, singulièrement dévalorisé actuellement, puisse se faire en alternance à l'école et en entreprise.

Parmi les bénéfices à retirer de cette expérience, on peut relever :

  • la succession de périodes de formation à l'école et en entreprise ("formation à la profession par la profession");

  • un enseignement n'étant plus considéré comme un enseignement d'accueil pour les réfractaires de l'enseignement de plein exercice;

  • la réalisation d'un début d'insertion professionnelle et sociale durant la scolarité;

  • l'assurance d'une meilleure adéquation entre les exigences de l'emploi et les finalités plus générales de l'enseignement;

  • pour l'entreprise, par sa participation dans la formation alternée : une politique de gestion des ressources humaines plus efficace (les formés seront les collaborateurs de demain);

  • pour les enseignants : recyclage des cours de pratique professionnelle et la garantie d'une actualisation en continu des programmes de formation.

En ce qui concerne les charges qui résulteraient pour les entreprises de leur adhésion au système, les milieux patronaux suggèrent une utilisation du Fonds pour l'Emploi (1.3 milliard à la fin du 2ème trimestre 1991).

Je pense qu'il peut être intéressant de lire le discours de clôture du colloque, les travaux préparatoires et la synthèse qui a été rédigée à propos du système de formation en alternance. C'est pourquoi j'ai joint ces documents à ma contribution.

 

4. A propos d'orientation et de motivation (encore!)

L'éclosion d'une nouvelle génération d'entrepreneurs et la mise en application de méthodes de formation professionnelle des jeunes plus adéquates, tels m'ont donc semblé pouvoir être les premiers facteurs d'une amélioration économique de notre région.

Comme j'ai déjà essayé de le laisser apparaître dans les pages précédentes, le renouveau devrait prioritairement gagner les zones déficientes de notre secteur tertiaire tels les communications, les services industriels à moyenne et haute intensité technologique (secteurs de pointe et à croissance de forte demande).

La mise en oeuvre de facteurs régénérateurs de l'économie serait, à mon sens, rendue plus efficace si elle pouvait se dérouler dans un environnement psychologique favorable. Or, il me semble que le monde des entreprises, surtout celui du secteur dit "marchand", ne soit guère perçu dans l'esprit des Wallons.

La rancoeur que quantité de travailleurs des générations précédentes ont accumulée à l'égard des anciens "patrons" est restée nichée au tréfonds de beaucoup de leurs enfants et petits-enfants.

Et ce ne sont ni les restructurations (des multinationales, des entreprises familiales évanescentes, etc.), ni les politiques dites d'austérité ni, de-ci de-là, des revendications sociales d'opportunité qui ont atténué leur ressentiment.

Est-ce bien utile de conserver cette animosité?

L'entreprise productrice de biens et de services dits marchands n'est-elle pas une source de revenus pour ses travailleurs (au même titre que celles de l'économie sociale comme la coopératives, les asbl et autres associations)?

Ne faudrait-il pas craindre qu'une distance trop grande entre les mentalités ne devienne inhibitrice au niveau du combat à mener pour revigorer la santé économique de la Wallonie?

Ceci dit, il ne faudrait pas benoîtement laisser les contingences de la compétitivité (entendons par là l'évidente flexibilité qui est réclamée par le monde patronal) venir comprimer les avantages et les protections sociales des travailleurs!

Compte tenu de l'importance qu'il y a aussi de les rassurer quant à une résurgence des pratiques antisociales du passé, je verrais fort bien que l'on accroisse le rôle des services d'inspection sociale.

Certes la loi-programme du 22 décembre 1989, en actualisant la loi du 16 novembre 1972 sur l'inspection du travail, a posé les jalons d'une meilleure efficacité de ces services en matière de recherche des infractions, mais il reste des lacunes criantes au niveau des missions qu'ils ont d'éclairer, concilier et prévenir. Par ailleurs, l'uniformité d'attitude face aux mêmes faits et la coordination d'action entre les nombreux services d'inspection font défaut.

Une valorisation de l'inspection du travail serait, en outre, intéressante dans la mesure où, contrairement aux syndicats, elle a une très grande facilité d'accès aux PME. Et notamment à celles de moins de 20 personnes, lesquelles assurent 27.80 % de l'emploi du secteur privé et dont le dynamisme n'est plus à démontrer puisqu'elles ont pu administrer la preuve de leur meilleure résistance à la crise!

Enfin, il resterait à souhaiter une amélioration significative dans le domaine de la mise en pratique des incitants à l'embauche.

Les masses d'instructions en la matière déversées sur l'administration, le manque de moyens techniques et de personnel qualifié dont elle souffre, l'éparpillement, le morcellement, la multiplicité des services décideurs et notificateurs sont autant d'éléments décourageant les volontés d'embauche.

Un exemple entre mille! Beaucoup de jeunes chômeurs ne peuvent actuellement être embauchés dans les entreprises dans le court délai escompté par celles-ci et sont donc maintenus dans le chômage. En cause : l'impossibilité des services de l'Onem de traiter leur dossier d'autorisation de paiement et de délivrer l'attestation requise dans le mois de la demande!

 

III. Projet pour harmoniser les régimes de sécurité sociale dans l'Europe des douze et instaurer un mécanisme régulateur des niveaux de protection sociale

 Parmi les principes contenus dans le traité de Rome, il en est certains qui offrent une marge d'appréciation extrêmement vaste quant aux développements de l'action communautaire.

Ainsi en va-t-il du principe selon lequel les "activités" au sein de la communauté doivent être développées "harmonieusement".

Comment, en effet, appliquer "harmonieusement" dans la simultanéité, le principe énoncé au récent concept de cohésion économique et sociale introduit par l'Acte unique européen de 1987?

Si, juridiquement, il a été somme toute assez aisé de régler rapidement le premier volet du concept, à savoir celui de la cohésion économique, par contre celui de la cohésion sociale est toujours en chantier. Il n'a, en effet, quasiment pas dépassé la phase des discussions de la Commission sur le programme de travail, les 8 et 9 décembre 1989, par la charte des Droits sociaux fondamentaux des Travailleurs.

Par ailleurs, toujours dans le contexte de la création de l'Europe sociale, il est bon de rappeler que le 18 juillet 1989 déjà, le Conseil des Communautés européennes avait adopté un programme d'action communautaire à moyen terme concernant l'intégration économique et sociale des groupes de personnes économiquement et socialement moins favorisées.

Particulièrement attentif à observer tout ce qui se passe sur la scène sociale européenne, le Ministre belge des Affaires sociales, Philippe Busquin, s'est rendu compte que, pour de multiples raisons liées aux structures sociales, culturelles et historiques l'harmonisation sociale n'était pas encore politiquement acceptée et que les efforts pour réduire la pauvreté piétinaient.

S'efforçant de trouver des solutions permettant le déblocage, il s'est particulièrement intéressé aux travaux entrepris sur ces sujets par les professeurs D. Pieters de la KUL, et P. Van Der Vost et M. Dispersyn de l'ULB.

Le premier cité mène une étude de faisabilité de la construction d'un système d'assurance sociale communautaire en quelque sorte superposable et de substitution.

Ce système serait celui, somme toute, d'un Treizième Etat. Pour le professeur Pieters, l'idée serait de remplacer les règlements de coordination des différents régimes de sécurité sociale des Douze par un seul régime communautaire de sécurité sociale qui serait applicable dès qu'un travailleur salarié ne serait plus assujetti au régime de sécurité sociale de son Etat-Membre et relèverait d'un autre régime de sécurité sociale.

Les professeurs Van Der Vorst et Dispersyn, pour leur part, se sont lancés dans des recherches consistant en une étude de faisabilité de la construction d'un "serpent social européen", selon un mécanisme comparable à celui du serpent monétaire.

Il s'agirait, en l'espèce, d'en arriver à un mécanisme régulateur de niveaux de protection sociale dans la Communauté. Ce mécanisme tendrait, dans la convergence, à sauvegarder, à consolider et à développer les niveaux de protection de la solidarité européenne responsable entre tous les Etats-Membres et également, au sein de ceux-ci, entre les divers acteurs de la sécurité sociale.

Les rapports des professeurs Pieters, Van Der Vorst et Dispersyn devaient être remis au ministre des Affaires Sociales pour la fin de l'année 1990. A ce jour, leurs recherches ne sont cependant pas encore terminées.

Mais il m'a néanmoins semblé utile de faire dès maintenant état de ces travaux extrêmement prometteurs et des discours de présentation des sujets, par un des auteurs (le professeur Pieters), le ministre des Affaires sociales lui-même.

(Octobre 1991)

  Ce texte est extrait de : QUEVIT Michel (sous la direction de), La Wallonie au Futur, Le défi de l'éducation, Actes du Congrès, Institut Jules Destrée, Charleroi, 1992.

 


 

 

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