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Deuxième congrès La Wallonie au Futur
1991 -
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Pistes pour une ville de moyenne importance

Alain Guéritte
Avocat

 

Imaginons une ville de moyenne importance. J'entends par là une ville ne comptant pas plus de 25.000 habitants. Imaginons, par ailleurs, que cette ville soit située dans une région économiquement défavorisée. Une région au passé riche et à l'avenir incertain.

Imaginons que cette ville soit moyenne en tout : pas d'atouts majeurs reconnus, une population vieillissante, aucune raison particulière d'espérer des lendemains qui chantent...

Dans cette ville, un Centre public d'Aide sociale comme dans chaque commune de Belgique.

Une population d'environ 125 minimexés, un budget en boni, un home public, un service social de 4 personnes et dans l'ensemble, un CPAS qui fonctionne à l'appréciation générale de façon positive.

Quelles sont les pistes qu'un esprit "novateur" pourrait tracer dans pareil environnement?

Vu sur place, dans le chef d'un demandeur de formation qui fait partie de la catégorie des femmes abandonnées ayant entre 30 et 60 ans et n'ayant pas un diplôme d'humanités supérieures, ce contexte plutôt bonhomme et en apparence rassurant devient tout à fait inquiétant.

En effet, hormis la perspective d'émarger pendant toute la durée de sa "vie professionnelle" au CPAS, cette personne "type" n'aura quasi aucune perspective de trouver un emploi.

Bien entendu, il lui sera possible de faire quelques ménages de-ci de-là; il sera possible qu'elle accomplisse au sein du couple qu'elle pourrait former toutes les tâches ménagères qui constituent d'une certaine manière une profession traditionnelle non remise en question pour la plupart des femmes.

En dehors de ces perspectives éminemment motivantes, le néant.

N'est-ce pourtant pas là que se situe le principal problème de cette ville moyenne?

A côté des grandes villes qui sont des lieux idéaux de tous les développements et de toutes les initiatives (dixit les grandes villes), la ville moyenne peut-elle être autre chose que statique, froide, bureaucratique et incompétente pour résoudre le problème essentiel du temps présent : le travail de ses habitants?

La première piste à tracer apparaît clairement. Le lieu de vie qu'est la ville moyenne doit être un chemin qui conduit au travail.

Cette piste se situera donc d'emblée au carrefour des "propositions concrètes d'action pour le pouvoir politique" et des valeurs. Le mot est libéré : le travail doit être conçu comme une valeur. Valeur au premier sens du terme puisque normalement le travail rapporte. Valeur morale également. Traditionnellement, le travail élève l'homme (en ce compris d'ailleurs la femme qui a souvent plus travaillé que l'homme).

Une remarque préliminaire s'impose à ce stade sur la nécessité des valeurs dans une ville. Sans valeurs, la ville moyenne, deviendra rapidement une jungle urbaine, insécurisante et envahissante. Sans valeurs, les gestionnaires de cette ville moyenne se complairont d'ailleurs dans le cumul des mandats, l'amélioration du réseau d'égouttage et les fancy-fairs des écoles communales. On conclut donc logiquement que sans éléments susceptibles de rassembler un nombre croissant d'individus autour d'un moteur commun et de les amener à reculer leur quotidien, rien ne sera possible pour nos habitants.

Il reste alors à déterminer les valeurs communes et communales à adopter, à défendre et surtout à faire triompher.

Emprunter la piste du travail signifiera donc reconnaître que celui-ci constitue une valeur. Cette reconnaissance impliquera que notre citoyen se départisse volontairement de tout ce qu'apprécient les gens qui travaillent trop : le réveil sans horaire, la journée paisible, la soirée relax (sans que cette énumération soit limitative).

Cependant, s'il fait choix d'emprunter cette piste au mépris des mille dangers qui l'y guettent, notre assisté social devenu un chercheur de travail ou plus exactement un "demandeur d'emploi" pourra, grâce aux services offerts par sa ville, se réaliser pleinement grâce à un travail.

Notre première piste nous amène donc à proposer la création dans chaque ville moyenne d'une "Agence locale de l'emploi" aux compétences élargies par rapport à celles qui leur sont actuellement reconnues.

Cette nouvelle ALE sera non plus l'antichambre du bureau de pointage mais un service décentralisé d'information - formation sur tout ce qui touche au travail. Elle pourrait même coordonner des initiatives existantes.

En effet, à l'heure actuelle dans les villes moyennes, quelques initiatives modestes sont généralement mises en place, essentiellement sous le couvert des CPAS : il s'agit de la mise au travail en application de l'article 60 de la loi organique des CPAS où d'une convention passée avec un centre de formation ainsi que le Fonds national de Reclassement des Handicapés.

Ces perspectives sont toutefois limitées.

L'utilisation de l'article 60 reste confidentielle, il semble qu'elle constitue un tabou difficile à enfreindre d'autant plus que le coût de cette mise au travail doit être supporté par le CPAS.

Par ailleurs, même si les conditions d'accès au Fonds national de Reclassement des Handicapés semblent plus larges qu'auparavant, il est clair que cette possibilité d'aide reste réservée aux handicapés et que cette définition ne correspond pas nécessairement à la reconnaissance d'un handicap de société, un handicap social au sens le plus large du terme.

Les ALE nouvelle formule pourraient donc être un moteur décentralisé à la condition d'être accompagnées par un changement de mentalité.

Il semble à cet égard que la majeure partie des Communes et CPAS de Wallonie restent bien en dessous des possibilités d'action qui pourraient être les leurs.

Hormis quelques exceptions propres aux grandes villes qui disposent alors de moyens plus importants et d'une volonté d'action plus nette, le constat semble relativement amer.

La mentalité des gestionnaires du CPAS est d'assurer le fonctionnement de la machine sans plus ni moins, ouvrant les vannes du robinet financier au profit des plus défavorisés et ne prenant que peu ou pas d'initiatives destinées à modifier les fondements mêmes de la situation et la structure de dépendance fondamentale d'une certaine catégorie de personnes, peut-être des marginaux qui dépendent de l'aide publique.

Pour modifier cette situation, un seul recours, une seule réelle efficacité : le changement de mentalité et le passage à l'action.

Les instruments juridiques d'action existent tant en ce qui concerne l'article 60 qu'en ce qui concerne les possibilités de conclure des conventions avec des établissements d'enseignement ou des organismes susceptibles de donner une formation appropriée.

Le problème financier semble, par ailleurs, pouvoir être tourné dès lors qu'il est possible de consacrer des sommes non négligeables à de tels projets susceptibles de diminuer la charge financière des personnes émargeant à l'aide sociale.

Une solidarité apparaîtrait alors entre tous les intéressés, tant mandataires qu'assistés et ne serait pas que la solidarité de l'administration mais également une forme vécue et directe de participation au changement.

On aurait tort en effet de croire que la solidarité est un moyen d'action qu'il suffit de prévoir dans des textes pour qu'il devienne réalité.

La réalité la plus fondamentale vécue sur le terrain est celle de l'immobilisme ou des initiatives longuement mesurées. Une sorte de fatalité contraignante envahit les esprits et les conduit à ne mettre aucun point à l'ordre du jour d'une réunion, à ne pas troubler l'harmonie artificielle qui se dégage de celle-ci et produit le consensus.

Reste finalement que les problèmes essentiels sont peut-être reculés mais que les solutions ne sont certainement pas trouvées. Pour arriver à ouvrir quelques pistes permettant d'atteindre de telles solutions et d'établir une liaison entre l'emploi, la formation et la solidarité, il faut sans aucun doute agir sur le principal blocage actuel : le blocage des mentalités.

La première piste est donc sauvage.

Parmi les autres pistes à emprunter, les plus importantes sont de toute évidence celles de "l'information - participation". Ces pistes conduisent, par ailleurs, à toutes les autres.

Pour vivifier la ville moyenne, seules des initiatives qui touchent à l'information du citoyen et à sa participation peuvent, en effet, engendrer un renouveau.

Comment comprendre que des esprits éclairés ne créent pas de service communaux d'information et de participation? Ces services pourraient agir dans tous les domaines de la vie communale et constituer les liens privilégiés entre l'organisation administrative et les habitants. Ils constituent donc des atouts et pas automatiquement de nouveaux services qui entreront en conflit avec les autres.

Ces pistes du renouveau de la ville moyenne dépendent donc elles aussi en définitive d'un changement de mentalités.

Notre conclusion rejoint nos moyens d'action.

Les pistes défrichées dépendent des explorateurs.

Elles peuvent conduire à de nouveaux mondes et être ainsi des sources de renouveau et d'enthousiasme. Seulement pour les ouvrir, il faut de nouvelles mentalités.

Les principaux obstacles ne sont pas à l'extérieur mais bien à l'intérieur de nous-mêmes.

N'est-ce pas là que doit se situer le renouveau?

(Octobre 1991)

 Ce texte est extrait de : QUEVIT Michel (sous la direction de), La Wallonie au Futur, Le défi de l'éducation, Actes du Congrès, Institut Jules Destrée, Charleroi, 1992.

 


 

 

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