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Deuxième congrès La Wallonie au Futur
1991 -
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Une Europe sociale, pourquoi ?

Jacques Fontaine
Secrétaire général adjoint CMB - FGTB

 

L'Europe a-t-elle un projet social, ou ne va-t-elle rester qu'un marché unique, satisfaisant les intérêts de ses entreprises, et se réduire à un supermarché sans âme, uniquement préoccupé de compétitivité?

Va-t-elle pouvoir devenir une véritable communauté sociale, une véritable communauté solidaire et humaine?

Tel est l'enjeu du débat actuel !

Nous constatons que la protection sociale est indiscutablement au centre des problèmes de société auxquels nous sommes confrontés.

Ces défis touchent à la fois le chômage, la pauvreté - 3 à 5 % de la population CEE - la marginalisation, la maladie, la vieillesse, les solidarités, les libertés individuelles.

La question qui nous est posée en tant qu'organisation syndicale est de savoir, si nous aurons l'intelligence, la lucidité, le courage, et surtout la volonté, de résoudre ces problèmes majeurs qui mettent en question les fondements mêmes de la démocratie dans notre société et les fondements de notre civilisation.

La protection sociale est au coeur du débat. Elle est d'une certaine façon au centre de notre aventure humaine parce que le social touche à la fois au travail, à la santé, à l'environnement, à la famille et à la vie.

Ce débat est donc porteur de questions fondamentales, indissociables de questions éthiques, compte tenu des progrès de la technique et de la science.

La démocratie qui se fonde sur la responsabilité individuelle et collective, sur les libertés et l'émancipation des hommes et des femmes, ne peut s'enrichir et se développer si elle n'est pas alimentée par les solidarités.

De ce point de vue, les solidarités ne constituent pas une réponse morale aux problèmes posés par la société, mais une réponse politique.

Hommes et femmes prennent conscience du fait qu'il n'y a pas de vie collective possible qui favorise les potentialités individuelles sans développement des solidarités. L'absence de solidarité et le développement des inégalités sont des obstacles à la démocratie. Nous ne contestons pas que le marché soit nécessaire à la démocratie. Encore faut-il que l'on accepte que le marché soit régulé et que sa logique ne s'immisce pas dans toutes les sphères de la société, par exemple, la vie privée, la protection sociale, l'information, l'environnement, l'éducation et la culture. La protection sociale est donc un moyen de corriger le marché, et de se doter de contrepoids nécessaires assurant le respect de la dignité de chaque individu, de chaque citoyen.

Une Europe existe, c'est l'Europe économique des marchands, avec des conséquences que l'on peut considérer sous leurs aspects positifs et négatifs.

On peut penser que le développement de l'Europe engendrera de la croissance, donc plus d'emplois et de capacités d'investissements. Il est certain que pour notre organisation syndicale, l'économie n'est pas une fin en soi. C'est un moyen pour plus de consommation, y compris plus de consommation de protection, de services sociaux, de soins, pour de meilleures conditions de travail, plus de temps libre, plus d'éducation, plus de formation, plus de loisirs, plus de liberté. Cet objectif doit donc être déduit de la croissance économique. Mais il peut y avoir aussi des conséquences négatives assez redoutables si, par un phénomène que l'on qualifie généralement de "dumping social", on procédait à un nivellement par le bas des conditions sociales ou des régimes sociaux dans l'Europe de demain.

L'Europe, même unifiée, sera toujours soumise à la mondialisation de l'économie. Le "dumping social", si l'on peut arriver à le contrôler à l'intérieur de l'Europe communautaire, sera toujours à nos frontières. Au sein de l'Europe même, les différences de niveau de protection sociale pourraient entraîner un certain nombre de délocalisations des entreprises, et le transfert des productions dans des pays où les droits élémentaires du travailleur sont inexistants, où la main-d'oeuvre ne connaît pas de statut social, ni de traditions syndicales. D'autre part, égaliser rapidement la protection sociale peut retirer beaucoup de chances aux pays les moins développés de nous rattraper.

Dès lors, entre le coût social de l'Europe et le coût social de la non Europe, nous avons choisi l'Europe; nous sommes résolument favorables à une Europe économique et à la réalisation du marché unique. C'est sans doute le mouvement de la vie; c'est le mouvement en avant du progrès. Il est, comme toujours, rempli d'embûches et de difficultés, mais nous sommes convaincus que les conséquences bénéfiques à long terme l'emporteront sur les risques. Si l'Europe économique existe, avec ses contraintes et ses développements futurs, l'Europe sociale n'existe pas encore. Certes, par rapport au reste du monde, l'Europe des douze apparaît comme un ensemble relativement homogène du point de vue de la protection sociale à un niveau sensiblement élevé. Les derniers pays rentrés dans la Communauté auront tendance à rattraper la moyenne. Mais dans cette Europe sociale, il n'existe pas d'harmonisation, bien que le Marché Commun existe depuis plus de trente ans. Si une politique de coordination s'est développée au cours des années, il y a encore un certain nombre de lacunes : des secteurs non couverts, des distorsions de prestations, des exceptions aux règles qui deviennent des règles. Tout un ensemble de questions ne sont pas complètement traitées. Les solidarités professionnelles et nationales sont très structurées. On oscille entre la volonté d'une certaine harmonisation et la défense des systèmes existants.

A ce sujet, le débat est ouvert dans les syndicats.

Comment faire en sorte que la diversité des régimes de protection sociale au sein de la CEE ne constitue pas un obstacle à la mobilité des citoyens?

S'il ne fallait pas s'attendre à des mouvements massifs de salariés au lendemain de l'instauration de l'Acte unique, on voit déjà se développer dans un certain nombre de disciplines, de métiers, un début de marché du travail européen. On observe que le caractère européen d'une carrière devient un atout recherché, et le deviendra de plus en plus. Dans le cadre des études supérieures, toutes les écoles essaient d'intégrer dans leurs programmes un ensemble d'éléments européens (échanges, voyages, études croisées, séminaires, visites). Mais pour notre protection sociale, se pose un problème délicat : de quel régime va bénéficier le citoyen-migrant?

La coordination me semble être une condition indispensable à l'exigence de la libre circulation des personnes. La libre mobilité du citoyen ne pourra être assurée que dans la mesure où il y a une volonté de coordination des différents régimes de protection sociale. On remarque aujourd'hui un certain nombre de régions où nous sommes confrontés à l'existence d'un potentiel important de frontaliers.

La première étape à franchir est celle de la coordination entre les différents systèmes.

La convergence des politiques sociales me paraît être le second axe important. La construction de l'Europe doit amener les gouvernements, les entreprises et les syndicats à réfléchir aux problèmes posés par le chômage, la maladie, les personnes âgées, les exclus, pour envisager des réponses à ces situations qui se développent de plus en plus.

Sur le plan de l'Europe sociale, les structures de relations industrielles sont très timides. Il existe une représentation patronale regroupant 33 associations. la Confédération Européenne des Syndicats réunit 40 syndicats européens, issus de 21 pays, et regroupe plus de 40 millions de travailleurs.

Ces deux interlocuteurs instaurent un dialogue social, mais, pour l'essentiel, ils n'auront pas pouvoir d'engagement au niveau européen. Patrons et syndicats ont ratifié le 22 février 1989, une Charte Sociale Européenne. Tant de fois évoquée, maintenant coulée en un texte peu ambitieux, cette Charte ne répond pas aux aspirations des Syndicats et permet de mesurer le manque de crédibilité des ambitions de la CEE. Il n'existe pratiquement pas de notion de convention collective européenne qui pourrait assurer un salaire minimum garanti, une durée du temps de travail, le droit à la formation professionnelle, la protection des enfants et des adolescents mis au travail, la liberté syndicale de travailleurs de négocier des conventions collectives.

L'Europe industrielle est en train de se construire, l'harmonisation économique et monétaire ne tardera pas. On peut observer ces mouvements européens tous les jours avec les fusions, les restructurations qui se font entre les groupes et les entreprises.

Bien qu'elle trouve sa base dans le Traité de Rome, complété par l'Acte Unique, la dimension sociale apparaît comme quelque chose de totalement secondaire par rapport au Grand Marché. L'Europe sociale reste floue, car trop éloignée des notions de rentabilité et de productivité.

Or, si je suis convaincu de la nécessité de l'Europe économique, monétaire et politique, je suis également d'avis que l'Europe ne peut se réaliser que dans la mesure où le social aura la place qui lui revient dans cette construction. L'organisation d'un véritable "espace social européen" s'inscrit dans une perspective à long terme qui englobe des mesures de politique sociale européenne, des mesures nationales, le développement du dialogue social et la mise en place de conventions collectives européennes. Il faut arriver à créer, au niveau communautaire, les conditions suffisantes d'une négociation articulée et décentralisée des voies et moyens de la protection sociale. Créer les instruments de la cohésion sociale. La négociation seule n'y suffira pas non plus. Il faut donc veiller à établir une législation communautaire de base, promotionnelle d'une négociation dans le progrès. Les querelles de textes et d'interprétation du Traité ne peuvent masquer les tâches prioritaires de la Communauté : défense et création d'emplois, lutte contre le chômage, élimination des déséquilibres régionaux, harmonisation dans le progrès des conditions de vie et de travail, protection des plus démunis, solidarité sociale... Berceau des valeurs démocratiques, notre Europe n'aura de sens que dans la mesure où elle permettra de faire progresser la justice sociale et les libertés du citoyen. Cela suppose une volonté politique réelle de donner au Marché Intérieur la dimension sociale qu'il mérite.

Défendre l'Europe sociale, c'est aussi affirmer ce qui n'existe qu'en Europe : des Droits politiques et syndicaux et un système de sécurité sociale basé sur la solidarité.

Des droits acquis, que les syndicats voudraient obtenir aussi dans d'autres parties du monde, de l'Europe de l'Est à l'Amérique du Sud, en passant par l'Afrique et l'Asie. La démocratie, ce n'est pas simplement la liberté d'expression et de suffrage, c'est cette liberté qui doit être mise au service du développement social pour mieux assurer le respect des droits élémentaires de la personne.

Pour moi, les droits sociaux sont des droits de l'Homme au même titre que les droits civils et politiques, et l'occasion s'offre à nous de faire de l'Europe un modèle de justice sociale. C'est sur cette note optimiste que je souhaite terminer ce bref exposé.

(Octobre 1991)

 (Ce texte est extrait de : QUEVIT Michel (sous la direction de), La Wallonie au Futur, Le défi de l'éducation, Actes du Congrès, Institut Jules Destrée, Charleroi, 1992.

 


 

 

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