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Deuxième congrès La Wallonie au Futur
1991 -
Le Défi de l'Education

Congrès permanent La Wallonie au futur - Index des congrès

 

 
Quand la solidarité se marchande

Jean-Marie Berger
Docteur en Droit, Secrétaire du CPAS de Charleroi

 

A partir du quotidien des Centres publics d'Aide sociale (1), le débat sur la mise en brèche de la solidarité par une société marchande peut facilement se nouer. Et cela à plusieurs égards. Au niveau des services concurrentiels avec le secteur marchand. Au niveau du gestionnaire.

 

1. L'aide sociale.

Lorsque le droit à un minimum de moyens d'existence a été instauré en 1974, lorsque les CPAS succédant aux infamantes commissions d'assistance publique furent chargés en 1976 de mettre en oeuvre le Droit de l'Homme par excellence qu'est le droit à l'aide sociale, le législateur croyait mettre la touche finale à la protection sociale, en garantissant la dignité aux exclus, aux marginaux, aux personnes qui, pour une raison de santé ou pour une raison sociale impérieuse, ne pouvaient trouver le chemin adéquat de l'insertion par le travail, voire par la sécurité sociale.

Aujourd'hui, les Centres publics d'Aide sociale constatent qu'ils sont de fait de plus en plus confinés dans le traitement social de la pauvreté; ils sont confrontés avec effroi non seulement à l'accroissement de leur clientèle, non seulement à sa diversité, mais surtout à la participation de fait de leur institution - incroyable perversité du système social - à la mise sur la touche définitive d'un nombre croissant de jeunes. La situation était déjà catastrophique depuis la crise économique : près de 30 % des bénéficiaires du minimum de moyens d'existence étaient des jeunes de moins de trente ans. L'ouverture - aussi sauvage que demain celle des frontières européennes - de la majorité civile à 18 ans avec le droit au minimex, proclamé comme le sommet du bien-être social pour tous ces jeunes sans diplôme adéquat, sans motivation suffisante, en décrochage familial et scolaire, transformés en consommateurs de la drogue douce du minimex ne peut que nous interpeller tous. Ils se précipitent sur ce qui, en termes de citoyenneté, n'est qu'un mirage.

Les montants ne sont pas dérisoires, ils sont incitatifs à ne pas perdre son droit au minimex, ils ne sont incitatifs à rien d'autre. Au 1er mars 1991, les conjoints perçoivent 24.482 francs, les isolés avec charge d'enfant(s) 23.258 francs, les isolés sans charge d'enfant 18.362 francs, les cohabitants 12.241 francs. Il y a lieu de préciser qu'au 1er janvier 1992, les isolés avec charge d'enfant(s) recevront le même montant que les conjoints.

Aujourd'hui, le minimum de moyens d'existence correspond à 82 % de la pension minimale des travailleurs salariés en carrière complète au taux ménage, il est équivalent à la pension moyenne de retraite au taux ménage, il est supérieur à la pension minimale au taux ménage des travailleurs indépendants, il correspond à 91 % de l'allocation minimale de chômage au taux ménage et à 95 % de l'allocation minimale de chômage pour un isolé pendant la première année. Il est équivalent à l'allocation forfaitaire pour un cohabitant, il est supérieur à l'allocation d'attente d'un jeune de plus de 18 ans. Il représente les deux tiers du salaire minimum garanti pour un isolé sans charge de famille.

La jurisprudence est là pour conforter l'image d'un CPAS mister-cash d'un bien marchand, en tout cas pour l'allocataire social :

  • ouverture du droit au minimex même aux étudiants;

  • sanction à l'égard du CPAS qui se montre trop impérieux dans ses exigences de recherche d'emplois;

  • définition laxiste de l'isolé permettant à deux jeunes qui vivent sur le même pallier de bénéficier de 36.700 francs par mois;

  • charge de la preuve à fournir par le CPAS et non parle demandeur;

  • ouverture d'un droit identique par biais de l'aide sociale aux candidats réfugiés qui ne sont en fait ni réfugiés, ni candidats à quoi que ce soit sinon à l'aide sociale.

N'est-ce pas une manière, pour la société, de se donner bonne conscience en ne la réveillant que pour se plaindre du coût des CPAS.

Tout est "clean"; l'ordre social n'est pas dérangé, la masse des sous-hommes est régentée. L'étonnement devant la colère de quartiers populaires en révolte stupéfait les responsables des CPAS

Certes, allant à contre-courant de cette évolution sociale, législative et jurisprudentielle, les CPAS, sur le terrain, tentent parfois par tous les moyens de rendre un sens au minimex : celui d'une intervention résiduelle, celui d'un moyen d'insertion et non d'exclusion.

Les uns inventent les contrats d'insertion, les autres conditionnent l'octroi du minimex à des mises au travail, les troisièmes créent des chantiers-formation, les quatrièmes participent à des missions locales pour l'emploi et la formation,...

Mais les CPAS ne comprennent pas par quel phénomène collectif le minimex s'est transformé en rente viagère pour une vie sans vie.

Hier, les enseignants étaient chargés d'aider les étudiants en phase terminale à remplir le formulaire de demande d'allocation de chômage.

Maintenant, c'est en cours de scolarité, de préférence dès la rentrée scolaire, qu'ils expliqueront dans ses détails le droit au minimex dès 18 ans.

Aujourd'hui, l'enseignement continue à former des jeunes pour des emplois inexistants ou déclassés, l'enseignement fait l'objet d'un rejet d'un nombre croissant de jeunes de milieux défavorisés.

L'aide sociale donne bonne conscience à chacun. C'est le couvercle sur une marmite qui ne cesse de subir l'accroissement de la source de chaleur.

Et, dans les faits, l'effet n'est même plus celui qui est espéré : l'aide sociale est-elle encore un moyen de prévention de l'insécurité en confinant dans l'oisiveté un nombre croissant de jeunes sans but, déjà prépensionnés?

Les solutions fondamentales ne peuvent se trouver qu'à la source; le problème posé au niveau des CPAS n'est plus solutionnable.

Et pourtant, certains dispositifs peuvent contribuer à renverser la vapeur.

Peut-être en premier lieu : croire en une autre politique économique et sociale.

Est-ce le fait du hasard si dans des pays aussi différents que la Suède, le Japon, les Etats-Unis, la Corée du Sud, le chômage est faible ou très faible.

Notre politique actuelle d'aide sociale part d'une philosophie économique basée sur le sous-emploi permanent, constant d'une frange croissante des citoyens.

Ensuite, écouter les jeunes eux-mêmes. (2)

Peut-on vraiment penser que l'organisation de notre société est parfaitement huilée, lorsque, parmi les inactifs, on compte autant de jeunes sans formation adéquate et surtout sans possibilité d'assouvir leur formidable soif de travailler, d'être citoyens à part entière, de ne pas se sentir culpabilisés en écoutant la dernière statistique du chômage... au point de devoir cacher même leur envie profonde tant est grand leur découragement, leur sentiment d'inutilité injuste.

"J'ai envie de travailler, c'est tout" dit un jeune. "N'importe quel travail, n'importe quelle formation", ajoute le deuxième. "Ne me demandez pas ce dont j'ai envie, dites-moi ce qui est possible" renchérit le troisième. Et le quatrième de compléter : "Pourquoi voulez-vous mon avis? On ne m'a jamais demandé mon avis".

Avant tout aussi, l'Etat belge devrait être lui-même plus solidaire. Il l'est moins que les pays voisins. Aux Pays-Bas, l'Etat prend en charge 90 % du droit à l'aide sociale; en France, il prend à son compte 100 % du revenu minimum d'insertion; en Belgique, il ne supporte que 50 % des allocations versées aux bénéficiaires du minimex, laissant aux collectivités locales la charge des 50 autres pour-cent, la charge de l'ensemble des frais administratifs et du travail social.

Et pourtant, les montants n'ont cessé d'évoluer. Si l'index seul avait joué depuis 1975, les montants du minimex auraient été multipliés par deux. En fait, ils ont triplé par volonté du législateur, ils ont donc augmenté beaucoup plus vite que l'indice des prix à la consommation, mais moins vite que les ressources mêmes des Centres publics d'Aide sociale, à savoir du fonds spécial de l'aide sociale.

L'Etat devrait donc prendre en charge 75 % des dépenses du minimum de moyens d'existence.

Cette augmentation de la charge de l'Etat le rendrait plus responsable dans sa générosité, lui ferait préférer au développement de l'aide sociale celui de la sécurité sociale; cette libération des moyens des pouvoirs locaux leur donnerait la possibilité de promouvoir une véritable politique d'insertion et cela tout particulièrement dans les centres urbains où la situation est, chaque jour, plus explosive.

Une subvention de 75 % du minimex à charge de l'Etat permettrait d'établir un droit moins discriminatoire à l'égard des candidats réfugiés et des réfugiés eux-mêmes.

Actuellement, l'Etat prend en charge 100 % de ces charges et il s'établit une discrimination entre les Belges et les candidats réfugiés assez curieusement, en faveur des candidats réfugiés. Il serait plus opportun que chacun soit mis sur un pied d'égalité sans exigences spécifiques liées à une résidence de longue durée.

L'Etat devrait, en même temps, revoir fondamentalement la tension entre les montants du minimex et le salaire minimum garanti et les autres prestations de sécurité sociale. Il ne devrait plus, sauf indexation, y avoir une augmentation du minimex tant que l'ensemble des prestations de sécurité sociale n'ont pas dépassé ou égalé le minimex.

Enfin, c'est tout le statut du jeune sans emploi et sans formation adéquate, qu'il soit chômeur indemnisé ou bénéficiaire du minimex, qui devrait faire l'objet d'un statut approprié et similaire, à défaut d'être identique.

Pour éviter l'installation dans le minimum de moyens d'existence de jeunes de 18 à 25 voire 30 ans, il y aurait lieu de poser vraiment la question de fixation des montants évoluant en fonction de l'âge mais surtout de conditionner l'octroi d'un minimex supérieur aux allocations de chômage d'attente à des exigences contractuelles liées à une insertion grâce au suivi d'une formation, ou/et par la mise au travail sauf si des raisons de santé ou des raisons sociales impérieuses justifient une impossibilité.

L'enlisement des jeunes dans le minimex doit être combattu par des mesures positives d'insertion pouvant au besoin faire l'objet de sanctions soumises à l'appréciation des tribunaux du travail.

La proposition de loi déposée par L. Onkelinx (Document parlementaire, Chambre 1990-1991, 18 avril 1991, n° 1574) mérite de retenir l'attention de chacun.

Naturellement, les solutions fondamentales doivent trouver leur place dans le monde éducatif et dans le monde professionnel. Le CPAS est là pour mettre le doigt sur la réalité.

 

2. La concurrence

Le citoyen est aujourd'hui consommateur de services : hôpitaux, maison de repos, repas à domicile, soins à domicile, aides familiales ou seniors et de service social,... Il compare les avantages et les inconvénients, les coûts: il reçoit - comme d'ailleurs tous les intermédiaires utiles (administrations, médias, médecins généralistes, ...) une publicité de plus en plus agressive sur ces services.

Il peut avoir un a priori, avoir des habitudes de consommateur marquant naturellement sa préférence pour le service public ou le service privé, tantôt sans but lucratif, tantôt avec but lucratif.

Le service public doit aujourd'hui être en équilibre financier, doit être compétitif.

Tous les coups sont permis en service privé, le coût n'est pas admis pour les services publics.

Des exemples

Le citoyen compare - pour le même service, pour la même opération, pour la même hospitalisation - l'hôpital public et ses barèmes préférentiels, la nomination à titre définitif de son personnel, ses tutelles administratives, avec l'hôpital universitaire au prix de la journée d'entretien au moins 50 % plus élevé, il le compare aussi avec l'hôpital privé, maître en flexibilité du personnel et au recours au bénévolat.

Et chacun de s'étonner de la course à la surconsommation, aux actes prestigieux, honorés doublement et attractifs parce qu'une machine les accomplit. Certes, l'offre est excédentaire et la première des mesures consiste à remédier à cette situation. Mais l'Etat devrait parallèlement revaloriser les prix de la journée d'entretien et cesser d'obliger les gestionnaires à induire la surconsommation en quémandant auprès des prescripteurs un dynamisme, source d'équilibre budgétaire.

Le fétichisme du service public mis en évidence par André Cools mérite aussi dépoussiérage; les attributs classiques du service public (statut, barème...) n'ont plus le même sens aujourd'hui qu'il faut concilier mission de service public et efficacité de gestion.

Par contre, les spécificités dont le service public est le garant devraient être restaurées : accessibilité de tous aux soins, services lourds,...

Le citoyen compare la maison de repos gérée par le CPAS qui montre, de gré ou de force, l'exemple en matière de respect des normes de sécurité, qui dispose de jour et de nuit de personnel qualifié requis, avec la maison de repos à but de lucre où parfois toutes les méthodes de travail sont encore permises, où parfois le niveau de protection élémentaire est loin d'être acquis. Le citoyen compare tandis que les services d'inspection du Ministère ne comparent pas : des inspecteurs différents par type de gestionnaire exercent leur contrôle, les pouvoirs locaux sont exclus de l'exercice de ce contrôle.

La famille du futur résident compare le coût annoncé au moment de l'admission en maison de repos et non pas le prix pratiqué. La personne âgée elle-même n'est plus souvent en état de comparer et très vite, elle ne sera plus en état d'émettre la moindre critique ou de modifier son premier choix. Le choix de l'entourage, et, parfois, son intérêt, prime sur une véritable comparaison "coût - bénéfices".

En fonction d'affinités personnelles, le citoyen choisit de faire confiance à un réseau de services de maintien à domicile.

Le clivage est souvent lié aux mutualités, aux convictions politiques ou philosophiques.

Tantôt saine émulation, tantôt double emploi et dumping, qui entraînent les uns à ne pas réclamer le ticket modérateur, les autres, à miser sur le marketing social. Bientôt, le budget consacré au marketing sera plus élevé que celui qui est déjà consacré à l'informatisation, signes par excellence d'efficacité sociale.

Y a-t-il encore des remèdes?

Coordination signifie généralisation des actes, des intervenants. Complémentarité respire la jalousie, la duplication d'actes et de services.

Le remède de la forfaitisation, de la fonctionnarisation des métiers médicaux et para-médicaux s'est révélé poison.

L'antidote s'appelle liberté; plus de 2.500 sociétés de médecins leur permettent d'échapper à la fiscalité des personnes physiques pour bénéficier des largesses de la fiscalité des sociétés.

Le libre choix du patient et le droit de tous aux meilleurs soins sont les paravents du mercantilisme où la solidarité est collective quant à sa charge mais seulement quant à sa charge.

Nous avons le meilleur système au monde. C'est vrai à beaucoup de points de vue.

Ne niez pas que cela se réalise dans un climat où allier service et marché relève de l'art du compromis et de l'habillage de produits blancs, voire blanc cassé, disent les infirmières.

Il faudrait surtout mettre fin à toute politique de concurrence déloyale, miser sur la transparence à l'égard du personnel et des usagers, rémunérer adéquatement les actes intellectuels et mettre fin à toute surconsommation, ce qui implique des budgets prévisionnels décents, permettant de supporter la route, oser les "numerus clausus" et les programmations impératives...

Ces dernières années, de multiples mesures ont été prises dans le bon sens, elles n'ont pas encore eu l'avantage d'être décisionnelles.

La concurrence existe aussi dans le domaine de l'aide sociale; le pauvre a le choix - et il peut se servir de tous les plats au buffet des services sociaux - entre le caritatif classique, le caritatif new look, le généraliste, le spécialiste, le bureaucratique, le bureaucratique informatisé...

L'action sociale publique doit éviter de se tromper et doit décider dans la minute. Comme il est aujourd'hui impossible de répondre à ces deux défis, elle est critiquée. Elle aussi doit esquiver les excès du fonctionnarisme si elle veut garder coeur et dynamisme.

 

3. Le gestionnaire

Les Centres publics d'Aide sociale sont un employeur d'importance.

Dans certaines villes, c'est même le premier employeur de la commune, parfois le deuxième ou le troisième; ce n'est jamais négligeable, même si ce n'est pas heureux en termes de développement économique. Ce n'est pas qu'une charge pour la ville; par les impôts aux personnes physiques et au précompte immobilier jusqu'aux revenus de nombreux commerçants et entrepreneurs, le CPAS constitue un apport direct et indirect à une région (3).

Un personnel souvent particulièrement motivé, qui vous enrichit chaque jour, parce qu'il est en contact immédiat, permanent avec la plus profonde des solidarités, il en connaît les limites, les vainc, les recule.

Une image vécue du service public qui ne correspond à aucun des clichés, des sous-entendus. Courteline n'a jamais mis un pied dans un CPAS; seul, un poète peut comprendre le vécu d'une telle institution.

Tous les efforts entrepris pour rénover le service public devraient commencer par un stage dans un CPAS, l'administration la plus sous-tutelle administrative qu'il soit et malgré tout la plus branchée sur les problèmes de société.

Il faut d'abord vivre un CPAS, ensuite lire la loi et enfin voir comment, avec quel bout de la lorgnette, les autorités de tutelle lisent la loi.

Le prix citron, nous avons toujours envie de l'attribuer à ce gouvernement provincial qui mérite sa place dans le livre des records de la bureaucratie : peut-on invoquer la tutelle administrative sans se souvenir de la décision provinciale annulant la délibération du CPAS qui remboursait à un habitant quelques francs par utilisation de son lave-vaisselle personnel pour desservir les repas à domicile de la commune; le CPAS n'avait pas, c'est vrai, réalisé un appel d'offres en bonne et due forme pour faire appel à un tel bénévolat qui était encouragé par un défrayement inférieur au prix coûtant.

Voilà le drame constant : l'augmentation et le sens social s'exercent avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête.

Quand retrouverons-nous le sens de l'autonomie communale? Quand pourrons-nous à nouveau poser le pied de bonne foi dans l'action sociale sans craindre les foudres des autorités de tutelle?

Quand devrons-nous cesser de rêver "asbl", chaque fois qu'une innovation s'impose à nous?

Il est beaucoup question de créer la Wallonie, de développer la capacité de comprendre et d'agir. Une suggestion toute simple : pourquoi ne pas créer la mobilité généralisée entre les agents de la Communauté française, de la région, des provinces, des communes et des CPAS. Les transferts de fonds, les transferts de moyens financiers, c'est bien, les transferts de personnes, c'est encore beaucoup mieux.

Pendant que le Ministre des Affaires sociales cherche désespérément des infirmières, les Ministres de l'Education paient 200 infirmières ultra diplômées et formées mises en disponibilité pour suppression d'emplois dans l'enseignement!

Si des modalités d'accès à des fonctions et des détachements doivent être inventées, pourquoi pas?

Si tous les dix ans, tout agent d'un pouvoir de tutelle passait un an dans un service décentralisé pendant qu'un agent communal au sens large du terme le remplaçait dans l'exercice de sa mission, que de murs ne seraient pas abattus !

Il faudrait mieux rémunérer ceux qui construisent des parcelles plutôt que ceux qui construisent des murs entre les services publics.

Drôle de défi

Il serait temps aussi de décentraliser les responsabilités, d'alléger les hiérarchies. Il faut redonner aux agents publics le sens de la responsabilité et de l'action jusqu'au niveau de la cellule de base. L'insertion de ces cellules dans une politique cohérente ne peut se réaliser qu'en assignant à chacun des objectifs et en évaluant les résultats.

Enfin, le service public - dans son statut - devrait être profondément adapté aux besoins concrets et diversifiés qu'il doit rencontrer.

Le statut uniforme est un mythe, sauf s'il a pour objectif de scléroser le secteur public.

Ajoutons une suggestion complémentaire : la nécessité - impérieuse - d'une formation permanente adéquate du personnel affecté à ces tâches d'intérêt général qui sont en mutation profonde : sécurité, insertion socio-professionnelle, coordination, écoute des autres, management des services publics, développement des villes... Des budgets doivent être réservés à cette formation qui doit être conçue non plus à partir des seuls besoins des formateurs.

Le Centre public d'Aide sociale présente, en tant que service public un atout non négligeable : il est de nature modeste. Il sait qu'il intervient subsidiairement aux solidarités naturelles, lorsqu'elles défaillent parce que la charge est trop lourde ou que les épaules sont trop faibles.

Il sait tout le mérite des solidarités familiales, des solidarités de voisinage.

Le CPAS sait que de nombreuses personnes âgées handicapées restent heureuses à domicile grâce à un entourage remarquable de dévouement.

Il se sait en appui et rage chaque jour qu'il est seul en première ligne car il se sait beaucoup moins efficace dans bien des cas.

Même s'il a envie aussi de demander qu'on ne l'appelle pas trop tard, par gêne, par crainte de perdre la dignité, par le fait des préjugés à son égard.

Le travailleur social sait toutes les valeurs des plus démunis. Il sait que c'est une toute autre approche de la pauvreté qu'il faudrait mettre en oeuvre s'appuyant sur les forces des plus pauvres eux-mêmes.

Le CPAS sait aussi partager sa mission, que cela s'appelle coordination, coopération, complémentarité, association, convention...

Il sait que le réseau de services est énorme dans notre pays et qu'on est plus fort à deux que seul.

Un regret : pourquoi ne pas inciter davantage tous les services subsidiés par les pouvoirs publics (Etat, Communauté, Région...) à coopérer avec le pouvoir local. Sans doute parce que le mot "pouvoir" fait peur mais les élus de la nation et de la communauté locale ne méritent-ils pas respect et considération pour la responsabilité qu'ils assument? Le dialogue se provoque, ne l'oublions pas.

Et puis, il y a le nerf de la guerre : l'argent.

Le législateur innove, augmente les charges et n'augmente pas les moyens financiers.

L'exemple du minimex, mais aussi de toute la loi organique des CPAS est frappant.

Il est grand temps de reconsidérer les priorités budgétaires. A titre d'exemple : en 1976, les dépenses nettes des pouvoirs locaux en matière de minimex s'élevaient à 162 millions; en 1991, elles s'élèvent à 4.235 millions. Pendant le même temps, le fonds spécial de l'aide sociale est passé de 1.937 millions à 3.439 millions.

On voit toute l'évolution.

 

Conclusion : Une réflexion éthique

Si le CPAS est enfoui dans notre subconscient, si son image est souvent négative, s'il est si peu attractif naturellement, et s'il doit faire tant d'efforts... parfois vains pour soigner son image (4), c'est peut-être parce qu'il porte tous les malheurs du monde : les échecs de la solidarité Nord-Sud illustrés par l'accueil froid réservé aux "candidats réfugiés", la propagation planétaire des maux de la société : sida, drogue, violence, ..., les échecs du système scolaire avec le minimex à 18 ans, l'humain devenant inhumain, avec la trop grande vieillesse qui ne se réduit pas à des données démographiques et à un progrès médical triomphant, la maltraitance des enfants et des vieux, l'obligation alimentaire faute de chaleur naturelle, la subsistance d'une pauvreté sans nom, les villes à la recherche d'un nouveau souffle, d'une nouvelle identité et de leur reconnaissance, le désarroi de tant de professionnels qui furent enthousiastes dans leur choix professionnel...

Autant de signes que se marchande ce qui est hors commerce, que le marché est mal réglé et que n'est pas reconnu à sa juste valeur le non-marchand.

Faut-il souligner que l'on demande beaucoup aux CPAS sans leur donner les moyens et en se défaisant de sa propre responsabilité.

La convivialité devrait être la règle. Et pourtant,...

Depuis que l'aide médicale urgente est connue de tous, celui qui a formé le numéro 100 se considère à l'abri de toute application de l'article 422 bis du code pénal sanctionnant l'abstention de venir en aide à une personne exposée à un péril grave; il en est de même de celui qui sait ou croit savoir qu'une autre personne a formé ce numéro.

De même, l'instauration du droit à l'aide sociale a pour effet de donner bonne conscience à tous ceux qui renvoient des citoyens en difficulté aux Centres publics d'Aide sociale. Les solidarités naturelles s'estompent, s'effacent progressivement, imperceptiblement devant la solidarité légale. Les services privés se transforment en poteaux indicateurs de l'adresse du CPAS.

Le CPAS n'ose plus refléter le miroir de la vie.

A l'instar de la Reine dans la légende de Blanche-Neige, la société demande au CPAS : "Mon beau miroir, qui est la plus belle?" En entendant la réponse mettant en évidence ses rides, la société, folle de colère, casse le miroir et cesse d'interroger le Centre public d'Aide sociale.

Et oui, la réponse vous la connaissez... ou alors rien ne sert de vous la redire... Les CPAS aujourd'hui ont envie que la société perde ses rides et retrouve son sourire devant son miroir.

Quand la solidarité se marchande, elle perd sa valeur d'échange.

(Octobre 1991)

 

Notes

(1) Jean-Marie BERGER et Etienne JACQUES, Droit au coeur, l'action quotidienne des Centres publics d'Aide sociale à la lumière d'un sondage d'opinion, Editions Labor, 1989, 269 p.
(2) Et surtout pas certains sociologues. Voir I. DECAMPS, Le contrat de (ré)insertion socio-professionnelle : innover ou faire bonne figure, Droit au Quart-Monde, n° 2, juin 1991, p. 35 à 49.
(3) Voir brochure "Centre public d'Aide sociale de Charleroi, Acteur économique et social", 1988.
(4) Le CPAS en point de mire, un guide pour les CPAS, le Secrétaire d'Etat à l'Emancipation, mai 1991.

 

Ce texte est extrait de : QUEVIT Michel (sous la direction de), La Wallonie au Futur, Le défi de l'éducation, Actes du Congrès, Institut Jules Destrée, Charleroi, 1992.

 


 

 

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