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Deuxième congrès La Wallonie au Futur
1991 -
Le Défi de l'Education

Congrès permanent La Wallonie au futur - Index des congrès


 

Relation Travail - Famille - Solidarité

Joseph Gillain
Premier Président de la Cour du Travail de Mons

 

L'égalité est rarement un donné de la nature ou de la société, elle est une conquête, une difficile conquête qui puise ses meilleures armes dans l'analyse des causes de l'inégalité. Idéal et réalité ne s'opposent pas, dès l'instant où l'on considère que la science est l'action en fonction de nos buts et de notre volonté.

René ZAZZO, Les Jumeaux, le couple et la personne,
Paris, PUF-coll. Quadrige, 2ème éd., 1986, p.114.

Citer d'entrée de jeu la réflexion d'un généticien pour situer les travaux de l'atelier que j'ai l'honneur de diriger en déconcertera sans doute plus d'un au même titre, au demeurant, que les auteurs des contributions ci-jointes et moi-même l'avons été lorsque nous fut quasi-enjoint le thème extrêmement résiduaire de notre entreprise.

N'est-ce pas faire oeuvre résiduaire, en effet, que d'avoir, dans un Congrès où sont recherchées des perspectives d'actions, à se cantonner dans l'analyse de facteurs qui se situent nécessairement en amont et en aval de la relation de travail? N'y-a-t-il dès lors aucune fatalité à redouter de la mise en évidence de certaines pesanteurs sociales particulièrement révélatrices d'un état d'esprit wallon qui serait antinomique à toute idée d'actions ?

La question a été posée et les réponses qui y ont été fournies, si elles ne traduisent pas une grande originalité, témoignent d'une volonté de s'en sortir ou, à tout le moins d'améliorer les choses dans les limites du réalisable ou de l'envisageable.

Parler des relations du travail, c'est s'insérer dans un contexte de relation mercenaire impliquant une nécessaire précarisation du travail et par conséquent pour le travailleur une menace permanente dans la gestion économique de son budget familial. Certes, pareille précarité est-elle également le lot de l'employeur mais dans une mesure moindre si tant est que plus grands sont ses moyens d'infléchir l'outil économique. Parallèlement à cette relation de travail parfaitement balisée par le droit privé et notamment par la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, s'est développé, avec des fortunes diverses et des conceptions hétéroclites, un réseau de relations tirées du droit public, engendrant la notion de fonctionnaire attributaire d'un statut constitutif, en principe, d'une relative stabilité d'emploi. On sait qu'au fil du temps, la situation économique des fonctionnaires s'est dégradée et la plupart d'entre eux se sont trouvés rejetés dans une zone de second ordre.

Parler de famille, c'est prendre en compte à la fois l'idée communautaire qu'elle sous-tend en tant qu'organisation patrimoniale avec tout ce que cela implique de compétence et d'autorité ainsi que la radicale transformation des relations familiales due à une nouvelle approche de la relation sexuelle. Cette transformation affecte directement la rencontre quotidienne de l'homme et de la femme; elle oblige à comprendre d'une façon nouvelle la vie familiale et l'institution du mariage. Notre système de protection sociale a été, à cet égard, un pionnier dans l'approche de cette transformation particulièrement évidente dans une société de types industriel et urbain. En même temps que s'y décelait une relativité de plus en plus affirmée du domaine sexuel, s'opérait le passage du parental au conjugal et l'apparition de nouveaux foyers et de nouvelles relations sociales.

La vie sexuelle change avec la vie sociale : de parental, le lien est devenu conjugal. Dans le système parental, le mariage était considéré avant tout comme une institution ajoutant une cellule à un monde social organisé et préexistant; dans la perspective conjugale, il est d'abord relation interpersonnelle, rencontre d'un homme et d'une femme pour une histoire à faire à deux. Quand l'important n'est plus la lignée ni la maison avec ses traditions à transmettre, c'est simplement l'autre, le partenaire tel qu'il est, qui prend toute la place, avec la perspective ouverte sur l'avenir - en ce sens.

A. JEANNIERE, V° Famille, dans Encyclopaedia Universalis, Vol. 6 p. 907.

En outre, ce changement facilite d'autant mieux l'insertion de la femme dans la vie professionnelle active où le masculin et le féminin se confondent. Néanmoins, cette insertion se heurte à certains archaïsmes de fait ou de droit. De même que la mise en cause de la cellule familiale où la femme a un rôle fixe et limité, rôle encore privilégié notamment dans la classe ouvrière, de même la question de la surveillance et de la garde des enfants dont les parents travaillent selon souvent des horaires difficilement aménageables, fait problème.

Parler de solidarité, enfin, c'est, comme nous le rappellent les dictionnaires, avoir conscience d'une communauté d'intérêts, qui entraîne, pour un élément du groupe, l'obligation morale de ne pas desservir les autres et de leur porter assistance.

A première vue, le Wallon pourrait avoir tendance à s'emparer de cette définition pour s'écrier "solidarité, ça on connaît..." Voire dès lors qu'un certain démantèlement du système de protection sociale opéré durant la précédente décennie et heureusement endigué sous le dernier gouvernement a pu raviver les égoïsmes exacerbés par la crise et que la parcellisation de la relation de travail et les opérations de flexibilité ont ébranlé le droit du travail d'autant plus facilement que la précipitation de couches de travailleurs chevronnés et militants dans les limbes de la prépension, a fait s'essouffler la vigilance syndicale. Ces considérations imposent de redynamiser la solidarité entre pauvres et riches; jeunes et vieux; actifs et non-actifs; valides et moins valides; mariés et célibataires, dans un contexte particulièrement difficile et aléatoire : les régimes d'assistance remplacent insidieusement le système d'assurance sociale.

Pareil champ de réflexion ainsi borné, restait à l'adapter au socle wallon tel qu'il nous a été demandé de l'envisager. Faute de moyens et parce que les collaborateurs amis et moi-même sommes carolorégiens ou y travaillons, l'essentiel des données recueillies provient du grand Charleroi, réserve faites de celles communiquées par l'entité de Saint-Ghislain. D'avance, nous acceptons le reproche qui pourrait nous en être fait en contre-attaquant immédiatement.

Indépendamment de l'attachement aussi viscéral qu'inexplicable qu'éprouve pour Charleroi celui qui y vit, cette grande métropole a le triste privilège de contenir en elle, tel un creuset de laboratoire, tous les maux sociaux que révèle cette fin de siècle tourmentée : Ville champignon sans tradition historique où l'usine est dans la Ville - à l'échelon urbanistique, seules La Louvière et Seraing présentent des données comparables quoique plus modestes et où la paupérisation croît à la mesure de l'indigence culturelle constatée par le monde de la formation... Bref, un parfait outil de travail au demeurant déjà maintes fois éprouvés et qui n'a d'égal que la volonté de ses forces vives unanimes de le doter d'une image de marque positive dont le plus bel exemple est l'extraordinaire "projet ville" mis en chantier par son bourgmestre.

De ces données ainsi localisées, peuvent se déduirent certaines directives de nature à infléchir le cours de la Région wallonne ou de la Communauté française dans la mesure de leurs compétences, affinités et sensibilités électives.

A ce propos que le Wallon se garde de céder au mirage des mots en invoquant le "déjà donné", le "je n'ai de leçon à recevoir de personne", etc.

Au contraire, qu'il se fasse humble, comme l'ont été ceux qui ont contribué aux travaux de l'atelier. Ils ont trouvés dans le passé socio-politique wallon le témoignage d'une volonté de se dépasser dont tout le monde devrait s'inspirer. Non pas pour sombrer dans un catastrophique revanchardisme du genre : "la prospérité wallonne et la conscience syndicale des travailleurs wallons ont largement contribué à l'essor de la Belgique et de la sorte à la prospérité flamande. Partant, à celles-ci de nous aider".

Ce pitoyable plaidoyer n'aurait d'ailleurs que peu de chances d'aboutir pour peu que l'on analyse, au sens où R. Zazzo l'entend, ce qui structure encore l'Etat belge.

Foin donc de tout passéisme et de tout regret, oeuvrons à renverser l'inversion Flandre belge c/ Wallonie dans un esprit de coopération et d'égalité des chances.

Et Bruxelles me direz-vous? Ah oui, j'allais l'oublier tellement elle manifeste peu d'enthousiasme de partage. Va donc pour Bruxelles, où les problèmes envisagés ici sont aussi criants qu'ailleurs.

Il nous a paru logique de développer nos travaux selon trois axes :

  1. Le donné social européen tel qu'il devrait apparaître lors de l'unification du grand marché à l'échéance du 31 décembre 1992 c'est-à-dire, à s'en tenir au calendrier du Congrès, dans quelque 452 jours... Cette analyse de Jean Russe est à mettre en parallèle avec celle de Jacques Fontaine qui interroge "Pourquoi une Europe sociale" et y répond en syndicaliste universaliste.

  2. Le tissu wallon envisagé dans son aspect socio-industriel par André Ruol avec toutes les conséquences liées à la paupérisation, aux interpellations adressées aux Centres publics d'aides sociales parfaitement mises en évidence par Jean-Marie Berger ainsi qu'aux responsables locaux pris de court, faute de moyens adéquats, face à la montée de la violence et à la banalisation de la drogue et de la prostitution comme le soulignent Christian Renard et Alain Gueritte.

  3. Le devenir d'une Wallonie prospère doit se vérifier, selon Gisèle Caprasse au travers de sa percutante formule "A travail admis, parents admis, enfants admis". Pour l'heure, sa réalisation est difficile ainsi qu'en témoigne l'expérience concrète en matière de garde des enfants à Charleroi, relatée par Dominique-Paule Decoster.

C'est quasi un truisme de relever qu'en dépit d'encourageantes déclarations d'intentions contenues notamment dans la Charte sociale européenne avalisée par onze Etats membres, le social européen fait figure de parent pauvre au regard de l'Europe des marchands. Ce n'est pourtant la faute ni de Monsieur le Président J. Delors ni de la Commission qu'il anime, ni même du Parlement européen. Mais on sait que ces organes n'ont pas les moyens de leur politique ni la plupart des Etats, la volonté sincère d'un abandon sérieux et suffisant de leur souveraineté.

Néanmoins des embellies se dessinent, la politique actuelle du Gouvernement anglais et celle de son opposition travailliste exprimée surtout par le Shadow Cabinet, ne sont plus aussi négativistes qu'elles ne l'étaient et certaines mises en place irréversibles sont de bon augure surtout pour ceux qui ne sont pas pressés.

Ainsi paraît bien avoir été adoptée le 10 juillet 1991 par le Parlement européen, la décision de voir mettre au point des Conseils ou Comités d'entreprises au sein d'unités industrielles ou économiques groupant à l'échelon européen, un nombre déterminé mais important de travailleurs pour autant que ces entreprises occupent dans l'Etat membre un nombre minimum d'entre eux. Voilà de quoi oeuvrer à ce droit conventionnel qui remplacerait comme l'écrit J. Russe "le droit réglementaire classique en permettant ainsi aux partenaires sociaux de tenir un plus grand rôle dans l'élaboration et la mise en oeuvre d'une législation sociale communautaire et dès lors, en quelque sorte, de transposer à l'échelle européenne le modèle belge de concertation sociale". Voilà aussi de quoi procurer quelqu'apaisement à J. Fontaine soucieux de développer une politique européenne de nature à "créer les instruments de la cohésion sociale".

André Ruol développe à ce sujet des idées qu'il tire des projets encore en gestation, du Cabinet de Monsieur le Ministre Ph. Busquin et dont les auteurs sont MM. Dispersyn et Vandervorst.

Ainsi le serpent social européen pourrait favoriser d'autant mieux l'égalité sociale des travailleurs européens assujettis à un régime de protection sociale que le scénario de la reconnaissance d'un Treizième Etat, sorte de paradis social, obligerait chaque Etat membre à vérifier l'efficacité de son système national pour y atteindre.

Néanmoins des zones d'ombres subsistent notamment par la multiplication comme générateurs de postes de travail, d'emplois dits "atypiques" dont l'inéluctable effet, souligne encore J. Russe, est de créer deux "races" de travailleurs européens.

Or si la perspective d'un développement de la concertation sociale européenne favorisera incontestablement la cohésion à l'échelon des grandes entreprises où, en règle, elle existait déjà, elle n'atteindra nullement, si ce n'est par osmose, les petites et moyennes entreprises, trop souvent rebelles à toute intrusion syndicale et où les rapports professionnels sont plus de collaboration imposée et de paternalisme social. Mais, je ne crois pas aux effets aléatoires d'une osmose sociale et si une certaine planification des relations industrielles peut pallier tout dumping social, il faudra veiller à ce que ce dumping ne réapparaisse à un échelon plus bas, dans l'entreprise de taille plus réduite, au personnel nécessairement plus docile.

Dans cet ordre d'idées, le contrôle européen d'aide économique aux Régions que la Communauté économique européenne octroie aux Etats membres par l'entremise du Fonds européen de Développement régional, en abrégé FEDER - voir articles 130 A à E du Traité, de même que la politique du Fonds social européen - voir articles 123 à 128 du même Traité, devraient davantage se manifester en collaboration plus étroite avec la Région wallonne et selon des critères plus circonstanciés.

Reviendrait alors à la région le devoir de parfaire l'ouvrage à l'aide de critères qu'elle serait seule parfaitement à même de déterminer et où le "social" devrait être largement pris en compte.

Certes, des efforts sont entrepris à cet échelon depuis trois ans et ils commencent à porter leurs fruits mais il faudrait simplifier les procédures et éviter que le tatillon ne l'emporte sur le but recherché.

Nombres de petites entreprises, de celles qui n'occupent qu'un nombre réduit de travailleurs, par exemple de 1 à 5 travailleurs ou de 5 à 10, ignorent encore la portée de certaines aides alors qu'elles occupent une place de plus en plus importante dans le secteur économique wallon.

Et ce n'est pas un des minces mérites d'André Ruol que de s'être attaché à mettre en évidence la dynamique générée par les PME.

Certes, là n'est pas l'essentiel de ses préoccupations, beaucoup plus générales et tout aussi pertinentes en matière d'emplois. La Wallonie y est défavorisée ne fût-ce qu'à considérer la charge familiale qu'y supporte le travailleur actif et que certains secteurs, porteurs d'avenir, témoignent de faiblesses inquiétantes notamment dans le domaine marchand. Et de suggérer diverses réformes pour conclure par la nécessité de redynamiser le secteur tertiaire wallon.

Reste évidemment le lancinant problème du sous-emploi, de ce chômage qu'il est difficile d'endiguer selon des normes compatibles avec la dignité humaine.

Dans deux chroniques récentes publiées par Le Monde des 2 et 9 juillet 1991, Paul Fabra combat l'idée qui serait communément admise selon laquelle une économie de compétition a nécessairement pour corollaire l'élimination du marché de l'emploi de toute frange de la population plus ou moins incapable de s'adapter aux nouvelles conditions de la production ou réfractaire à ces disciplines. Pour ce faire, il défend avec beaucoup de pertinence la thèse que plutôt, pour un entrepreneur, que de s'arrêter uniquement aux paramètres que sont les salaires et les coûts, il serait plus sage de se référer au temps de travail. Ceci implique de laisser jouer au maximum le principe de la meilleure utilisation du temps, y compris donc, s'il le faut, par l'acceptation d'une hiérarchie des salaires relativement ouverte. Car écraser la pyramide salariale a toujours eu des effets négatifs sur la production et le dynamisme général d'une économie. La raison en est probablement qu'en l'absence d'une incitation pécuniaire, l'aptitude - sauf vocation impérieuse - ne serait pas un moteur suffisant d'orientation des carrières et des métiers.

Rendre le travail attractif en développant une politique de l'emploi pour autant que le phénomène soit considéré avec franchise c'est-à-dire autrement qu'à travers une analyse où étaient expurgées systématiquement plusieurs des causes principales mais gênantes du point de vue de la sensibilité politique. Madame Martine Aubry, Ministre du Travail du gouvernement Cresson s'y attache en proclamant son intention de substituer à la logique de l'exclusion la dynamique de l'insertion. Certes, notre législation en matière de chômage n'a rien à envier à celle de la France. Néanmoins, cette nouvelle vision des choses et l'accent mis sur la création d'emplois dits de proximité - idée chère à M. ROCARD, a de quoi intéresser la Région wallonne. Ces emplois, rémunérés aux salaires minima barémiques à relever, seraient régis par le droit du travail et de nature à détourner les jeunes des allocations de chômage ou des minimex.

Les considérations sévères qu'émet J.M. Berger ne peuvent, à ce propos, laisser aucun responsable indifférent.

La lente montée des régimes d'assistance en matière de protection sociale sape, petit à petit, les digues de l'assurance.

Garantir à chacun le droit au minimum de ce que sa sécurité d'existence requiert, c'est là chose normale pour un pays civilisé. Mais par ce biais, démotiver les jeunes, les vouer à l'oisiveté, à la vacuité mentale et, pour tout dire, en faire quasi des proies pour les exploiteurs de tout acabit, voilà qui est irresponsable, fût-ce involontairement.

Analysant les tâches multiples qui leur sont confiées, on pourrait même dire abandonnées par les Pouvoirs, il observe : les Centres publics d'aide sociale constatent qu'ils sont de fait de plus en plus confinés dans le traitement social de la pauvreté; ils sont confrontés avec effroi non seulement à l'accroissement de leur clientèle, non seulement à sa diversité, mais surtout à la participation de fait de leur institution - incroyable perversité du système social - à la mise sur la touche définitive d'un nombre croissant de jeunes... - fin mai 1991, la Région wallonne comptait 13.684 aidés contre 3.203 bruxellois et 7.737 flamands, selon le bulletin du Ministère de la Région wallonne.

Les montants du minimex ne sont pas dérisoires, ils sont incitatifs à ne pas perdre son droit au minimex, ils ne sont incitatifs à rien d'autre.

Cruel constat qui ne fait qu'illustrer ce que je viens d'écrire.

D'accessoire ou résiduaire, l'aide sociale est devenue principale sans que le législateur n'ait, contrairement aux pays voisins, cure des moyens que cette politique imposée parce que plus aisée, requiert. La jurisprudence des Cours et Tribunaux du travail est, à cet égard, fort laxiste, ce qui dénature le minimex auquel les CPAS sur le terrain, s'efforcent de rendre un sens : celui d'une intervention résiduelle, celui d'un moyen d'insertion et non d'exclusion.

La création d'activités précaires rémunérées par le biais du minimex désarçonnent les CPAS qui ne comprennent pas par quel phénomène collectif le minimex s'est transformé en rente viagère pour une vie sans vie.

Assurément des solutions existent mais, selon J.M. Berger, elles ne se situent plus à l'échelon des CPAS mais requièrent la croyance en une autre politique économique et sociale en s'écartant de la philosophie économique basée sur le sous-emploi - cf. ci-avant P. Fabra, et en se mettant à l'écoute des jeunes eux-mêmes.

Il faut, tout d'abord, que l'Etat prenne en charge le financement du minimex à concurrence de 75% (et non plus seulement de 50%) et limite son intervention à l'égard des candidats réfugiés à ce même pourcentage (et non plus 100% comme actuellement) afin de donner, aux pouvoirs locaux, les moyens de l'action sociale et de mettre fin à toute discrimination entre bénéficiaires de l'aide sociale.

Ensuite, au point de vue des hiérarchies salariales et d'allocations, il ne devrait plus, sauf indexation, y avoir une augmentation du minimex tant que l'ensemble des prestations de sécurité sociale n'ont pas dépassé ou égalé le minimex.

Enfin, c'est tout le statut du jeune sans emploi et sans formation adéquate, qu'il soit chômeur indemnisé ou bénéficiaire du minimex, qui devrait faire l'objet d'un statut approprié et similaire, à défaut d'être identique.

Et de préconiser, à son tour, que soient adoptées des mesures positives d'insertion des jeunes qui pourraient être éventuellement sanctionnées par les juridictions du travail. la proposition de loi L. Onkelinx - DP Chambre 1990-1991, 18 avril 1991 N. 1574, mérite de retenir l'attention de chacun.

J.M. Berger rompt une lance en faveur de l'attractivité ou mieux de la compétitivité des établissements publics qui s'occupent de la santé ou de l'aide sociale. C'est la seule façon de faire face à la concurrence et au règne de la privilégiature.

Le libre choix du patient et le droit de tous aux meilleurs soins sont les paravents du mercantilisme où la solidarité est collective quant à sa charge mais seulement quant à sa charge.

Parmi les remèdes des maux qui minent ce qui reste le meilleur système du monde, il faudrait surtout mettre fin à toute politique de concurrence déloyale, miser sur la transparence à l'égard du personnel et des usages, rémunérer adéquatement les actes intellectuels et mettre fin à toute surconsommation, ce qui implique des budgets prévisionnels décents, permettant de supporter la route, oser "les numerus clausus" et les programmations impératives.

Par ailleurs, les CPAS sont des employeurs en quête de personnel de qualité. Pourquoi ne pas créer entre ses fonctionnaires et les autres agents de la Communauté française, de la Région, des provinces et des communes une mobilité généralisée. Les transferts de fonds, les transferts de moyens financiers, c'est bien, les transferts de personnes, c'est encore mieux.

Et Berger termine par une conclusion éthique en témoignant en faveur du non-marchand, ce qui est hors commerce et qui donc n'a pas de prix.

Alain Gueritte, observateur privilégié du quotidien d'une ville de moyenne importance... située dans une région économiquement défavorisée... au passé riche mais à l'avenir incertain, en l'occurrence Saint-Ghislain, ne pense pas autrement.

Cherchant les pistes qu'un esprit "novateur" pourrait tracer dans pareil environnement, il estime que la restauration du travail comme valeur morale pourrait constituer l'adjuvant nécessaire à l'épanouissement du citoyen.

Il suggère donc la création dans chaque ville moyenne d'une agence locale de l'emploi aux compétences élargies de façon à ne plus être l'antichambre du bureau de pointage mais un service décentralisé d'information-formation sur tout ce qui touche au travail et qui pourrait même coordonner les initiatives existantes.

Rien cependant ne sera possible sans la liaison entre l'emploi, la formation et la solidarité.

Parmi les autres pistes, il ne voit finalement que celles de nature à débloquer les habitudes, à changer les mentalités pour engendrer le renouveau.

Heureusement, la volonté de travailler est dominante et le Wallobaromètre récemment sorti de presse, tend vers un ciel moins perturbé - WALLOBAROMETRE, les Wallons jugent leur Région, CLEO et FAR, 1991, 36 pages.

Gisèle CAPRASSE démontre, à ce propos, combien est difficile de prendre en charge sa condition de femme libérée, autonome dans sa quête de travail mais en difficulté dès lors qu'il s'agit d'assumer son maternage.

A travail admis, parents admis et enfants admis, proclame-t-elle résolument. Or, vérité d'évidence, il n'y a pas de politique globale de la petite enfance francophone. Invoquer le manque de crédits est fallacieux dès lors que les Caisses familiales dégagent un boni de 10 milliards grâce à la double cotisation des couples travailleurs et que des passerelles financières permettraient de mener une VRAIE politique GLOBALE de l'enfance. Pour ce faire, il faudrait notamment disposer de crèches en nombre suffisant et aussi aménager leurs horaires en fonction des exigences des parents qui travaillent - voir art. 183 de la Convention des droits de l'Enfant, adoptée par l'ONU en 1989 et ratifiée par la Belgique.

Cette politique "globale" nécessiterait une adaptation de nos équipements collectifs de nature à ce que puisse se vérifier sérieusement l'égalité des sexes prônée par la législation sociale pour autant qu'existe l'égalité des sexes dans les foyers à travers la prise de responsabilités des hommes dans la garde des enfants et dans les tâches ménagères - voir exemple suédois.

La garde des enfants et leur éducation ne peuvent être dissociées. Au contraire, une politique cohérente d'accueil jusque 10 ou 12 ans minimum devrait être organisée en planifiant les moyens tant nationaux - Fonds des équipements collectifs de l'ONAFTS, que régionaux. A ce dernier propos, pourquoi n'envisagerait-on pas l'établissement d'un département wallon du bien-être social impliquant et subsidiant les Pouvoirs locaux selon des formules de financement et d'organisation de caractère public ou mixte?

Dans la mesure où le social est à l'économique, ce que l'économique est au social, il faut intéresser les employeurs à la création de conditions favorables à la famille qui permette aux couples de travailleurs de s'adonner pleinement à leur emploi parce que tranquillisés par l'encadrement socio-culturel dont disposent leurs enfants.

Et G. Caprasse de préconiser un ensemble de mesures déjà proposées par les organisations syndicales du commerce à la Commission paritaire compétente pour que dans la partie des 0,25% de la masse salariale réservée à la promotion de l'emploi des groupes à risques, une proportion soit réservée à des actions en faveur des travailleuses.

Parmi ces mesures, la prise en charge d'une partie des frais de garde des enfants de travailleurs devrait être solidarisée par le biais de l'ONAFTS. C'est un moyen important de réaliser l'égalité des chances compromise lors de la survenance d'un enfant, ce que Beveridge entendait pallier par l'octroi d'allocations familiales précisément.

L'auteur estime que la création de crèches à l'entreprise est loin d'être une panacée même s'il s'agit là d'une idée de plus en plus répandue - voir la proposition de loi instaurant la déductibilité des frais relatifs à l'établissement ainsi qu'au fonctionnement des crèches en entreprise, déposée le 14 juin 1991 par MM. L. Michel et M. Forêt, DP. Chambre 1160/1-90/91.

Cette solidarisation de la prise en charge ci-dessus décrite pourrait idéalement se réaliser à travers une sorte d'assurance équipement collectif. En attendant et pour en déterminer le coût, serait nécessaire une évaluation des besoins et de leur coût. Rien n'existe à ce sujet en Communauté française.

Mais il est d'autres systèmes que celui des crèches et notamment des solutions de garde qui pourraient être généralisées et dont G. Caprasse donne 6 exemples.

Cependant rien ne servira à rien si ne sont pas aménagées ou favorisées les conditions de travail de la maman par des mesures de flexibilité positive d'absences rémunérées et l'adoption de solutions concertées entre les différents niveaux de Pouvoirs pour qu'existe réellement une politique wallonne de prise en charge à la fois des enfants et, à l'autre bout du chemin, des personnes âgées.

Est particulièrement démonstratif de la thèse de G. Caprasse, le travail effectué par D.P. Decoster qui, forte de son expérience professionnelle au Cabinet de l'échevin de la santé carolorégienne, démontre où le bât blesse dans les divers systèmes de garde des enfants.

D.P. Decoster analyse ces systèmes qui sont autant de services : celui des crèches - à ce propos, Monsieur le Député Klein a eu l'amabilité de me communiquer la brochure qu'il avait fait rédiger sur les crèches lorsqu'échevin, il en assumait la charge : celui des gardiennes encadrées, celui des maisons communales d'enfants et celui des ateliers créatifs.

Mais, conclut-elle, la pierre angulaire du problème de garde reste les difficultés pécuniaires éprouvées par les pouvoirs publics. Devraient être recherchées des formules de mixité financière telles que le financement d'une partie des infrastructures d'accueils par les entreprises alimenté par un pourcentage à prélever sur la masse salariale, comme cela se fait pour subventionner le fonds pour la formation.

Ces cris d'alarme lancés par des gestionnaires sociaux d'une métropole à la reconversion industrielle difficile justifient les préoccupations des chercheurs du "projet-ville" déjà cité.

Cette projection futuriste développe des idées tous azimuts, certainement bénéfiques à moyen terme.

Mais pour l'heure, il s'avère urgent de radicaliser, en fait, le sauvetage. Car il s'agit de sauvetage puisqu'il est question de naufrage.

A ce propos, Christian Renard insiste sur des problèmes intimement liés au non travail qui est hélas le lot de trop de jeunes mal préparés, abandonnés à eux-mêmes et en état d'errance. Ces problèmes tiennent à la sécurité dans la ville, à la lutte contre la drogue et la prostitution. Par delà la volonté des municipalistes de contrôler et d'endiguer ces fléaux, il est nécessaire de leur donner les moyens de leur politique.

Tel était l'état des réflexions qui ont pu m'être communiquées en ce tristounet mois de juillet 1991. Que le lecteur ne s'imagine surtout pas que ce caractère a rendu l'équipe morose ni que celle-ci s'est adonnée tristement à la vérification d'un sujet énoncé de façon quasi vichyssoise, la solidarité triomphant heureusement des principes nationalistes les plus conservateurs et réactionnaires. Néanmoins, le constat n'est pas réjouissant car presque tout reste à faire et les chantiers ouverts doivent être rapidement menés à bien.

Ne nous berçons cependant pas d'illusions. Le changement des mentalités à travers les mailles d'un indispensable et adéquat projet éducatif, requiert avant tout un effort personnel bien évidemment assisté. Dans la recherche d'un hypothétique équilibre entre l'agencement des aises familiales et conjugales d'un côté, et un certain épanouissement professionnel de l'autre, surgissent des tabous à détruire et des barrières à lever. Ceci pour combattre la déviance laquelle peut s'expliquer par l'hiatus constaté entre les idéaux culturels proposés aux acteurs du théâtre de la vie et les modèles légitimes de conduite, eux-mêmes confortés par la norme juridique. Alors à celle-ci à s'adapter par décrets, en cherchant à rencontrer ce problème épineux en Région wallonne sans perdre de vue cependant la nécessité d'envisager la raréfaction du travail disponible. Celle-ci doit inciter à considérer sa disparition comme fondement de l'activité humaine ou, à tout le moins, de le répartir équitablement.

Reste heureusement l'esprit humain à façonner par l'éducation permanente, pour inciter au savoir, à la réflexion et finalement à une prise de responsabilité consciente.

La pensée commence quand le désir de savoir s'épure de toute compulsion à la domination. Elevons nos enfants dans la vergogne de raison, pour qu'ils en éprouvent la pudeur. Entendons par raison la proportion...

Michel SERRES, Le Tiers-Instruit, Ed. F. Bourin, 1991, p. 186.

Marcinelle, le 24 juillet 1991.

Apport du travail de l'atelier thématique tenu à Tournai le 4 octobre

Mr. Berger insiste sur la nécessité de bénéficier d'une seule instance pour gérer le système de l'assistance (CPAS) soit les juridictions du travail.

Il estime que le but de la réglementation n'est pas de créer des assistés "à vie" et qu'il y aurait lieu de trouver les moyens de les sortir d'une spirale dérisoire. Il fait remarquer qu'un problème se pose quant à la mesure des rémunérations minimales de certains travailleurs.

Un intervenant pose la question de savoir si une solution ne réside pas dans l'augmentation de ces rémunérations plutôt que dans le fait de modaliser le minimex.

Un autre intervenant estime que des pistes devraient être trouvées au niveau de l'enseignement, de l'éducation, de la famille dans le développement des contrats d'insertion professionnelle ou même dans le cadre de certaines entreprises en vue de la réinsertion des assistés sociaux comme l'a organisé la sécurité sociale d'Allemagne fédérale plutôt que dans une réorganisation des conditions d'octroi d'allocations.

En ce qui concerne l'exposé de Monsieur Gueritte, Madame Decoster fait remarquer qu'il y a lieu de distinguer la notion de travail de la notion d'emploi; qu'il précise que certains types de travail ne sont pas protégés, comme par exemple celui de la femme au foyer; qu'en cas de séparation, notamment, un système de paiement d'allocations devrait être prévu de manière à pouvoir prendre en considération le travail effectué gratuitement pendant des années.

(Octobre 1991)

 Ce texte est extrait de : QUEVIT Michel (sous la direction de), La Wallonie au Futur, Le défi de l'éducation, Actes du Congrès, Institut Jules Destrée, Charleroi, 1992.

 

 
 

 

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