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Deuxième congrès La Wallonie au Futur
1991 -
Le Défi de l'Education

Congrès permanent La Wallonie au futur - Index des congrès

 

 
Chapitre IV.
Wallonie et terminologie

Jean-Marie Klinkenberg
Professeur à l'ULg

 

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1. Introduction

Le langage n'est pas la réalité : on ne mange pas le mot pain.

Mais le langage donne prise sur la réalité. Les gouvernements l'ont souvent compris, qui ont substitué les contributions (supposées raisonnées et volontaires) aux impôts (subits), le service militaire ou national, à la conscription, qui ont transformé leur Ministère de la guerre, dont la dénomination avouait trop crûment la fonction en un plus inoffensif Ministère de la défense.

Il n'est donc pas incongru de se poser des questions de terminologie au moment où l'on veut répondre au "défi de l'éducation" que le XXIème siècle lance aux Wallons. Car éduquer, c'est souvent donner une certaine prise sur la réalité par le langage et les signes.

Or, de quel langage les Wallons disposent-ils aujourd'hui pour parler d'eux-mêmes ? D'un langage obscur, bien peu fait pour les rapprocher de leur réalité.

 

2. Analyse

Ce langage présente en effet trois traits, qui sont abstraction, polysémie, et sujétion.

a. Abstraction : des termes comme exécutif, assemblée recouvrent un très grand nombre de réalités. Généraux, ils ne peuvent désigner de manière concrète les instances qui gouvernent la Wallonie, ou légifèrent à son sujet.

b. Polysémie : Nombre de termes officiels utilisés ont déjà un sens dans le langage courant. Cela n'aide pas à identifier le référent qu'ils désignent : c'est le cas de communauté (communauté religieuse, communautés européennes...) ou de région (région spadoise, région calcareuse...)

c. Sujétion : Toute la terminologie en usage fait apparaître toutes les relations entre Etat central et entités fédérées comme étant de sujétion. C'est le cas de dotation (somme donnée d'en haut), de région (avec son corollaire régionalisation).

Cette terminologie officielle est celle qu'on trouve dans la constitution. Elle témoigne de ce que cette constitution a été rédigée par des personnes qui, de manière consciente ou non, réprouvaient fondamentalement le principe fédéral d'une union volontaire d'entités libres.

Non seulement ces entités fédérées se voyaient refuser tout statut d'Etat (nulle part ailleurs un Etat fédéré n'est appelé région, mot qui suggère des limites floues), mais encore leur refusait-on d'être authentiquement dirigées (un exécutif est, rappelons-le, autre chose qu'un gouvernement, puisqu'il comprend l'administration). En outre, la terminologie adoptée, avec ses asymétries, révélait des fantasmes historiques (pourquoi pas de "Communauté allemande" à côté d'une "Communauté française"? ou bien une "Communauté francophone" à côté d'une "Communauté germanophone").

Un effet pervers particulier de cette terminologie est de dissocier radicalement "Wallonie" et "région wallonne". Par exemple, la presse ne parle jamais de la rigueur budgétaire de "la Wallonie" : cette rigueur n'est celle que de la "région wallonne". Par contre, si des grèves éclatent sur le sol wallon, ce sera "la Wallonie qui s'arrête". Mais pourquoi ne pourrait-ce être "la Wallonie" qui soit bien gérée?

3. Solutions

La terminologie officielle est porteuse d'hypothèses pesant gravement sur une prise de conscience wallonne. Elle ne permet pas aux Wallons de communiquer efficacement entre eux à leur propre sujet. Elle creuse le fossé entre le citoyen et l'Etat (comment celui-ci pourrait-il se sentir proche d'un Ministre-Président-de-l'exécutif-de-la-Communauté-française de Belgique?).

Il faut donc l'abandonner au plus tôt.

Si l'on en convient, trois questions se posent : peut-on l'abandonner? Par quoi la remplacer? Et qui en a le pouvoir (ou le devoir)? Répondons à ces trois questions.

  • Peut-on abandonner la terminologie officielle? Certes, cette terminologie est celle de la Constitution. Et on peut rêver de la changer à la faveur d'une prochaine révision. Mais outre que cette ambition est peu réaliste - le nombre d'articles à réviser serait énorme -, elle n'a pas de pertinence ici : la Constitution ne traite nulle part des termes que l'Etat devrait obligatoirement utiliser pour s'adresser au citoyen. Aucune loi ne le prévoit non plus. Toute liberté existe donc en cette matière. Les Flamands l'ont bien compris, qui parlent de vlaamse regering - gouvernement flamand - et non d'exécutif, de premier ministre flamand. Ces termes que la Constitution ne prévoit pas sont immédiatement compris de tous, et la presse de langue française l'utilise d'ailleurs fréquemment (alors qu'elle ne parle jamais de "gouvernement francophone", et presque jamais - et alors avec des guillemets - de "gouvernement wallon").

  • Par quoi remplacer la terminologie officielle? Ce qui précède montre assez dans quelle direction il faut aller : précision, clarté, autonomisation. On ne parlerait ainsi plus de Ministre-Président, mais de Premier ministre. On ne parlerait plus de siège, mais de capitale, plus d'exécutif, mais de gouvernement, plus d'assemblée, mais de Parlement, plus de région, mais d'Etat. Et évidemment on ne parlerait plus de Région wallonne, mais bien de Wallonie.

  • Qui a le pouvoir (ou le devoir) d'utiliser une nouvelle terminologie? La responsabilité en incombe en premier lieu au gouvernement wallon. Dans ses communiqués, ses conférences de presse, les documents qu'il destine au grand public, il doit cesser de s'adresser à ses partenaires et aux citoyens dont il a la charge dans une terminologie aliénante. Elle incombe en second lieu aux autres faiseurs d'opinion : journalistes de la presse écrite ou parlée, rédacteurs de brochures, de guides, etc, créateurs de manuels scolaires.

Sans doute l'adoption d'une nouvelle terminologie choquera-t-elle certains. Sans doute sa mise au point demandera-t-elle une concertation entre diverses instances. Mais elle pourra jouer un rôle de révélateur dans les débats qui constituent l'objet du congrès "La Wallonie au futur".

(Octobre 1991)


 

 

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