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Deuxième congrès La Wallonie au Futur
1991 -
Le Défi de l'Education

Congrès permanent La Wallonie au futur - Index des congrès

 


Politiques culturelles, patrimoine, mémoire collective

Jacques Dubois
Professeur à l'Université de Liège

 

0. Dès le moment où il est apparu que La Wallonie au futur aurait pour axe et thème de référence l'éducation, le groupe de travail chargé de définir des politiques culturelles a concentré son attention sur une préoccupation unique et essentielle : les jeunes Wallons d'aujourd'hui sont dépossédés de leur histoire et de leur culture; et, dès lors, on peut estimer que la crise aiguë que connaît l'enseignement dans notre région est, pour partie au moins, le fait de cette dépossession; dans une telle conjoncture, l'école est à la fois coupable et victime : elle subit la dépossession mais aussi l'entretient et n'y trouve pas remède. Comment sortir de cette situation génératrice d'anomie ?

Une fois la priorité donnée à cette idée-force, le groupe de travail en a tiré trois conséquences pour sa réflexion et les propositions qu'il avait à formuler :

  1. il a convenu de n'aborder le champ très vaste des politiques culturelles que sous l'aspect spécifique et restreint d'un "comment rendre les jeunes à leur culture ?";

  2. il s'est imposé de faire que sa réflexion se retraduise rapidement en projets concrets, branchés notamment sur les pratiques sco-laires;

  3. deux petites cellules ont fonctionné prenant en charge l'une l'histoire et l'autre la culture : si elles ont travaillé de manière relativement fermée, c'est qu'en raison de l'orientation choisie, il leur était plus utile dans l'immédiat de consulter les travaux existants que d'autres spécialistes et experts. Mais une concertation plus large est prévue par les participants au groupe de travail dont l'ambition n'a été que de planter des jalons, que de dessiner un plan.

On leur reprochera peut-être d'avoir laissé de côté, au nom d'un choix radical, diverses questions brûlantes. Ainsi la perspective de doter le gouvernement régional wallon d'un pouvoir de décision et de moyens financiers en matière culturelle, encore qu'elle ait été prise en considération, n'a pas fait l'objet d'un débat frontal dans le réseau. Mais il a fallu choisir. Aussi particulière que soit la question qui a été mise en avant, elle a le mérite de faire ressortir une orientation générale en même temps que de traverser, par ses implications, l'ensemble de la réflexion sur la culture.

C'est l'occasion de dire aussi que le travail du groupe s'est déroulé dans un climat dynamique et stimulant : nous avons redécouvert pour notre propre usage les traditions et les créations de Wallonie; nous en avons mesuré l'ampleur et les ressources trop souvent insoupçonnées; nous avons surtout perçu qu'il était possible de porter sur elles un regard neuf et en quelque sorte de les réinventer au bénéfice d'un présent et d'un avenir.

1. Identité régionale (nationale)

1.1. Histoire wallonne, culture wallonne : le débat est ouvert depuis quelques années. Il s'est accéléré et a pris une nouvelle dimension avec la fédéralisation de la Belgique. Il fait immanquablement surgir la question d'une identité régionale ou encore nationale. Question controversée, comme on sait : la Wallonie est une notion qui a mis des siècles à se dégager; elle n'émerge vraiment comme représentation qu'au XIXème siècle (avec Mockel, par exemple); l'unité que lui assurent langue de culture et dialecte est loin, aujourd'hui encore, de gommer les particularismes dont cette région est l'addition ou la juxtaposition. Dans quelle mesure peut-on, en cette occurrence, fonder une culture sur l'idée d'une identité partagée ?

De notre point de vue, l'identité ne saurait être de l'ordre de l'essence ou de la race. Elle relève de l'appartenance concrète à une même communauté et du sentiment de cette appartenance. Autrement dit, elle se constitue au fil d'une histoire, en référence à un territoire, à une langue, à des pratiques collectives, à des comportements traditionnels. C'est donc avant tout l'idée d'espace social commun qui prévaut.

A cet égard, parce que la Wallonie n'accède à son histoire que progressivement, elle est loin d'avoir entièrement dépassé à l'heure actuelle ce qui fait sa disparate et ses contradictions. Mais désormais elle existe, et c'est ce qu'on ne peut plus contester. Cette région s'est formée au gré de quelques événements historiques qui l'ont coalisée et définie : on peut penser aussi bien à la Révolution industrielle et à toutes ses conséquences qu'à la formation puis à la désagrégation de la Belgique, aux luttes sociales de 1886 qu'à la guerre 40-45 et à la Résistance.

Penser identité, dans cette mesure, c'est assurer, très dialectiquement, le va-et-vient entre un présent et un passé. Du présent, on remonte vers des origines, qui toujours, plus ou moins, se dérobent. Du passé ressaisi, on projette sur un présent qui se dessine en lignes de fuite happées par l'avenir. Travail généalogique où s'entremêlent étroitement réalité de l'histoire et fiction du mythe.

 

1.2. Tout ceci pour dire que la reprise en charge d'une culture et d'une histoire, objet de la présente proposition, se veut résolument moderne. Disons même qu'elle vise à faire accéder la Wallonie et les Wallons à une modernité nouvelle, qui n'est plus celle de l'avant-garde industrielle du XIXème siècle, qui est celle des mutations récentes du monde avancé, sur lesquelles notre région a pris du retard.

Mais il est deux façons de concevoir l'accès à ce moderne-là. Soit par une importation massive et indistincte des nouveautés diverses : sous cet angle, les choses sont bien engagées mais elles risquent de faire de nous de simples colonisés économiques, technologiques et culturels. Soit par une transformation de nos savoir-faire et coutumes en prises renouvelées sur le monde. En ce second cas, il est évidemment exigé que tout ce qui est fondateur de notre société et de l'appartenance commune s'inscrive dans la familiarité de chacun et que chacun puisse fonder sur lui ce par quoi il innove. Il n'est donc de moderne véritable que repensant pour son compte et activement la filière généalogique.

1.3. Ainsi conçue, dans le mouvement même de son affirmation, l'identité est tout le contraire d'un repli sur soi : elle est ouverture au monde extérieur. Si nous avons besoin d'une appartenance, c'est pour nous situer et nous définir dans la rencontre des autres. Au moment où la Communauté européenne favorise par différents moyens la circulation et l'échange des jeunes, il est urgent que les Wallons de la nouvelle génération soient en mesure de se connaître pour se donner à reconnaître.

Dans ce dialogue, les Wallons souffrent d'un handicap : ils sont ou se croient réfractaires à l'apprentissage des langues. Résorber activement ce handicap est une priorité. Mais les mêmes possèdent un atout. La Wallonie est depuis longtemps terre de migrations et d'hospitalité. Le XXème siècle industriel nous a constitué en société plurielle au gré d'une intégration réussie des travailleurs immigrés. Cette tradition devrait se révéler hautement favorable à la transition vers une "Wallonie région d'Europe" qui est l'exigence de notre redressement.

 

1.4. Pour que la Wallonie soit en mesure de s'identifier, il lui revient donc de renouer avec sa culture en même temps que d'en rassembler les composantes. Elle ne le fera bien que si elle y investit une fierté de soi et un désir d'être. C'est d'un acte de souveraineté qu'il s'agit. Il ne s'accomplira pas sans que l'on repère dans l'histoire des faits, des gestes, des personnalités, des moments fondateurs. Sur son passé la région wallonne doit opérer tout un travail de symbolisation. A cet égard encore, nous souffrons d' un retard lié aux faibles occasions qu'un peuple a eues de se revendiquer comme tel. La condition prolétarienne, même si elle n'a pas été le tout de la société wallonne contemporaine, pèse ici douloureusement. Certes, le prolétariat wallon s'est affirmé par des actes et des aspirations. Mais la culture qui s'en est dégagée est toujours demeurée une culture "barrée". Et aujourd'hui nous sommes confrontés à une sorte de vide de la représentation nationale et populaire, auquel il s'agit de remédier par divers moyens.

2. Une politique culturelle

2.1. Les propositions qu'on va lire indexent toute politique culturelle sur l'idée que la culture remplit auprès d'une collectivité deux fonctions primordiales. En premier lieu, en tant que réseau symbolique, elle assure la cohésion collective : par référence à des filiations, elle crée un sentiment d'appartenance ainsi que les fidélités dont a besoin le groupe pour croire en lui. En second lieu, elle garantit la représentation du même groupe au dehors, face aux autres, en relation avec des partenaires. La collectivité s'affirme au monde par ses propriétés, ses oeuvres et ses travaux, ses actes et ses héros. De ce point de vue, on rappellera que les Wallons sont nourris de deux cultures au moment de l'école : la française, grande et prestigieuse, d'une part, la belge, incertaine et souvent factice, de l'autre. De leur appartenance on ne souffle mot : il n'est pas beaucoup de peuples en dehors du nôtre auquel la littérature nationale n'est pas enseignée mais bien une littérature de substitution, aussi considérable et enrichissante soit-elle.

 

2.2. L'absence ainsi relevée vient de ce que les Wallons n'ont pas entièrement acquis la maîtrise d'eux-mêmes. Sans engager ici le débat sur la répartition des compétences entre Région et Communauté, on notera cependant que le divorce entre les deux instances n'est pas propice à la création d'une culture wallonne dans son image et dans sa réalité. Peut-on croire que cette culture émergera et se fera respecter tant qu'elle ne disposera pas d'institutions spécifiques pour la gérer et des moyens financiers et matériels qui leur sont attachés ? Qu'il s'agisse de théâtre ou de cinéma, de vidéographie ou de photographie, d'ensembles musicaux ou d'appareil éditorial, il est frappant à chaque fois que différents "pôles d'excellence" sont repérables à l'intérieur de l'espace wallon mais on observe tout autant que ces pôles 1° demeurent très localisés et ne rayonnent pas sur l'ensemble du territoire; 2° ne s'intègrent pas à une politique d'ensemble expansive et représentative. Le groupe de travail a évoqué ces déficits pour mémoire : il n'a pas choisi de s'y attarder parce qu'il estimait devoir faire face à d'autres urgences. Par ailleurs, de tels choix politiques ne sont plus de l'ordre de la réflexion ou du projet mais appartiennent désormais au domaine de la décision. Si l'on veut qu'existent un cinéma ou une presse de Wallonie et pour la Wallonie, il convient avant tout de créer les structures qui leur permettront de se développer. Il convient aussi de créer de grandes instances qui unifient le territoire : à quand une Bibliothèque nationale de Wallonie, prévoyant le dépôt légal?

2.3. C'est donc une autre problématique qui a requis l'attention du groupe. Il a estimé que l'urgence première était relative à la crise de l'enseignement. Si cette dernière a pris dans notre région la forme accusée que l'on sait, c'est largement faute d'une culture de référence que l'école puisse transmettre et dans laquelle les jeunes soient en mesure de se reconnaître. Il est heureux que l'école réserve une large place aux acquis technologiques et scientifiques les plus modernes. Mais elle doit faire contrepoids à cette "avancée" en donnant toute son importance à l'autre culture, celle du milieu, de l'appartenance, du patrimoine, ainsi que l'on fait partout. Et là, nos lacunes sont considérables. La jeunesse de Wallonie se retrouve du fait même au bord de l'anomie. Elle ne sait plus bien où elle vit ni qui elle est, et ceci très paradoxalement au moment où, à la faveur de la fédéralisation de la Belgique, cette jeunesse commence son existence dans une structure politique qui reconnaît la réalité et l'autonomie de la région. Contradiction violente dès lors : nous avons de toutes neuves institutions wallonnes mais les citoyens ne savent pas grand'chose du pays auquel elles correspondent. Voilà essentiellement ce qui a inspiré les propositions qu'on va lire et qui sont au nombre de quatre.

 

2.4. Mais un mot encore. Rendre la culture aux jeunes Wallons ou plutôt rendre les jeunes Wallons à leur culture, c'est en appeler tout ensemble à une mémoire et à un imaginaire. Et nous entrons par là dans la modernité invoquée plus haut. Entretenir la mémoire de son passé aujourd'hui, ce n'est plus subir un héritage en quelque sorte ritualisé et institutionnalisé (sous la forme, par exemple, où les jeunes Belges apprenaient leur histoire en ce début de siècle...). Mais c'est, à chaque fois, pour chaque génération, redécouvrir et reconstruire, par un travail de mémoire collective, un passé en fonction de besoins et d' objectifs actuels. Et c'est ici qu'intervient l'imaginaire: il irrigue immanquablement cette mémoire-là qui est aussi incessante rêverie du groupe sur la représentation qu'il a de lui-même. Dans les projets concrets dont il va être question, on trouvera inséparablement à l'oeuvre imaginaire et mémoire. On lira également en filigrane le souci de concevoir les oeuvres de culture non comme des faits de contrainte mais comme des objets de désir et de plaisir.

3. Propositions

3.1. En fonction de ce qui précède, le groupe s'est fixé comme objectif de centrer toute sa réflexion sur les instruments qui pourraient, dans les délais les plus immédiats, familiariser les jeunes de Wallonie avec leur culture et avec leur milieu. A cette fin, trois projets ont été mis en chantier. Les deux premiers vont étroitement de concert puisqu'il s'agit d'offrir au public des jeunes - mais aussi bien à un public plus large - un ouvrage d'initiation à l'histoire de la Wallonie en même temps qu'un manuel d'accès aux cultures de Wallonie. Ces deux livres ont donc été projetés dans leurs grandes lignes et en étroite corrélation. Mais, pour que le rapport à la région et à son patrimoine ne soit pas uniquement livresque et scolaire, il a été prévu d'assortir l'emploi des ouvrages d'un plan d'incitation à la mobilité des jeunes; il s'agirait de favoriser les voyages de découverte et les échanges des élèves et étudiants à l'intérieur de la région. A quoi est venu se greffer enfin une proposition plus latérale et plus particulière relative à la désignation des institutions régionales wallonnes.

 

3.2. Les ouvrages ont été conçus et imaginés par deux groupes distincts. Le réseau présentera diverses indications relatives au travail accompli ainsi que des échantillons de ce travail. Il ne s'agit encore que d'esquisses mais pensées de manière telle qu'elles devraient permettre une réalisation rapide.

Quelques précisions sur ces deux livres :

  1. ils sont conçus comme des ouvrages collectifs à élaborer dans les mois à venir;

  2. ils visent à atteindre le public scolaire par priorité, le grand public dans un second temps et se veulent donc synthétiques, lisibles, didactiques;

  3. ils pourraient connaître des transpositions concomitantes ou ultérieures en manuels scolaires, en cassettes vidéo ou sur tout autre support que l'on voudra;

  4. il est prévu qu'ils se baseront sur les conceptions les plus actuelles de l'histoire et de la culture : c'est dire notamment qu'ils feront place à des secteurs généralement négligés et si importants pour nous (les paysages et l'urbanisme, la cuisine, les jeux et les sports, etc.), qu'ils n'hésiteront pas à adopter une attitude critique envers la matière traitée (soulignant les contradictions qui travaillent l'idée même de Wallonie), qu'ils feront place à tout ce qui est du domaine de la représentation et du mythe;

  5. enfin nous demandons instamment que l'histoire et la culture de Wallonie soient résolument inscrites dans les programmes scolaires et sue les instruments de travail que nous prévoyons fassent l'objet d'une initiative politique déterminée : il devrait s'agir non d'un acte confidentiel mais d'une opération de grande envergure à caractère populaire et didactique. Une étude de faisabilité est à prévoir. Les équipes qui ont participé aux projets sont prêtes à se renforcer pour se mettre au travail dans les meilleurs délais.

3.3. Le projet sur la mobilité des jeunes Wallons à l'intérieur de leur région repose sur le constat que les diverses provinces s'ignorent, sont coupées les unes des autres. Et, scolairement parlant, le déficit est à nouveau sensible : on appartient à un ensemble dont on n'a aucune représentation concrète, vécue. Les jeunes gens qui, de plus en plus, iront à l'étranger ou recevront des étrangers chez eux éprouveront de la gêne de ne pouvoir parler avec aisance de leur région, de ses villes, de ses richesses artistiques, de ses paysages. Dès lors, il faut donner à chacun de meilleures possibilités de découvrir le territoire régional à la faveur de déplacements et d'échanges internes. Plus précisément, un "Erasmus" wallon destiné aux élèves du secondaire serait sans doute un élargissement considérable de leur horizon et, de toute façon, un stimulant éducatif important. Dans cette direction, le groupe de travail n'a pu faire jusqu'ici que des propositions assez générales : il en appelle à tous ceux qui voudront bien partager avec lui suggestions et expériences. Il en appelle tout autant et bien plus à une politique de développement en matière de lecture publique, de pratique des musées, etc.

 

3.4. Un point de terminologie institutionnelle clôt la série des propositions faites dans ce rapport. Quoiqu'un peu extérieur au reste du débat, il touche de près de son côté à la conscience qu'ont les jeunes de leur appartenance. Nommer adéquatement les choses, c'est aussi les faire exister. Par quelle euphémisation sournoise parlons-nous d'Exécutif de la Région wallonne là où, parallèlement, nos voisins du nord osent parler d'un Gouvernement flamand ? N'est-ce pas là le reflet de nos timidités et, à nouveau, de nos hésitations à nous donner une image ? Pour qu'elles s'affirment au monde, les nouvelles générations auront à s'affranchir de telles hésitations. Aidons-les d'emblée à franchir le pas.

 

3.5. Les projets ici évoqués engagent clairement la participation et la créativité des jeunes. Connaître nos grands musiciens, c'est bien; pratiquer la musique, c'est encore mieux - et l'on sait combien l'enseignement musical en Wallonie demande à être développé.

4. Conclusion

L'idéologie du déclin a menacé de jeter la Wallonie dans les poubelles de l'histoire, selon l'expression forte de Jean Louvet. Cette idéologie, même si elle est en recul, ne sera résorbée que si nous sortons de l'amnésie, de l'impuissance à comprendre "la grandeur et la décadence de l'empire wallon". Pour quitter cette impasse, il convient de lancer un grand projet offensif de nature culturelle. Sans nul doute, il s'agira de garantir aux créateurs et aux intellectuels qui nourriront ce projet la place qui leur revient et qu'ils n'ont pas encore. Il conviendra aussi d'entrer dans la voie du renforcement des institutions. Mais il faut avant tout , et c'est bien sur ce point que nous avons mis l'accent, faire en sorte que les nouvelles générations, bien équipées sur le plan d'un autre savoir, apprennent peu à peu à connaître qui elles sont, d'où elles viennent et sortent de l'ignorance concernant leur milieu d'appartenance. De cet apprentissage, il s'agit donc de leur fournir au plus tôt les instruments de base.

 

Annexe au rapport du réseau n° 7 :

 Je rêve d'un manuel scolaire...

Jean Louvet
La Wallonie, 12 avril 1991.

Sans sa culture, la Wallonie ne sera jamais une nation. Sans doute un Etat mais sans projet mobilisateur. Moi, pour écrire et espérer, j'ai voulu connaître les fils cachés de mon appartenance à l'histoire. Aujourd'hui, j'en sais assez pour me situer dans le temps et l'espace wallons par rapport au monde. Et je rêve d'un manuel scolaire à l'usage des jeunes de Wallonie, qui leur rendrait quelques repères pour leur donner envie d'en savoir davantage sur leur pays.

C'est encore l'école qui modélise la culture pour une large part. Ce qui me tue dans l'enseignement, c'est la difficulté, voire l'incapacité, que nous éprouvons à nous situer face aux moments fondateurs de l'Occident; Renaissance, Lumières, Révolution française, socialisme, etc. La Renaissance est nôtre aussi par Roland de Lassus et sa musique révolutionnaire, par Joachim Patinier et ses superbes paysages, par Jacques Dubroeucq sculptant une si émouvante Charité à Sainte-Waudru : que c'est beau! Faisons visiter, par ce manuel, quelques musées (pas trop, je sais) : Musée de la Vie wallonne, est-ce trop demander?, Magritte, Simenon : on peut? Avec tant d'autres peintres, écrivains, sculpteurs. Nous ferons un sort aux idées : de Destrée à Quévit en passant par Sauvy. Et nos historiens, ô dérision! , qui ont tant fouillé le passé à l'usage d'un peuple qui ne sait toujours pas qu'il a une histoire... La BD, évidemment. Bury, Pousseur, Ubac : connaissent pas. Quand au Palais des Princes-Evêques ou Beloeil, je demande à voir. Que nos jeunes sachent au moins lire quelques monuments. Maredsous, Orval, abbaye d'Aulnes, c'est quoi? C'est quoi, les citadelles de la Meuse? Et Bois-du-Luc, le Grand Hornu, ces empires de richesses et de misères : nos anciens ont vécu, mangé comme des bêtes, mais l'alimentation (culture aussi) a changé : grâce à qui? Et pourquoi pas l'histoire de la mort, du sexe? Que nos jeunes marchent dans l'espace, marchent dans le temps! Qu'on leur rende enfin quelques points forts comme des étoiles qui éclaireront leur vie!

C'est cela aussi et surtout appartenir à un peuple. Combien d'élèves ne sortent-ils pas des humanités en reprochant : "La Wallonie, Monsieur, on ne sait presque rien." On peut encore les faire rêver sur les animaux fantastiques de Bernissart, l'Homme de Spy, le génocide romain et la terrible résistance gauloise dans l'imprenable forêt des Ardennes. Résistance, quel beau mot pour irriguer leur esprit si incertain : nos jeunes n'ont aucune identité, phénomène exceptionnel dans l'histoire des hommes. Est-ce un hasard si la Wallonie détient le taux de suicides le plus élevé d'Europe? Des grèves générales du dix-neuvième siècle à André Renard, de notre antifascisme, que savent-ils? Versailles, c'est bien, mais des qualités démocratiques, ce n'est pas mal non plus en ces temps mal définis...

(Octobre 1991)


 

 

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