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Deuxième congrès La Wallonie au Futur
1991 -
Le Défi de l'Education

Congrès permanent La Wallonie au futur - Index des congrès

 

 
L'Enjeu des Médias et des Industries culturelles

Jean-Philippe Art
Directeur régional RTBF Charleroi

 

Les médias, leur place dans la société wallonne, leur développement, leurs fonctions constituent, sans nul doute, une des préoccupations essentielles pour l'avenir de la région.

Le sujet, dans toute son ampleur, est cependant vaste, très vaste, trop vaste pour être rapidement cerné.

Dans le souci de réaliser un travail en profondeur, afin d'éviter toute superficialité, il a semblé préférable de n'envisager qu'un seul aspect des médias à savoir la Télévision.

La radio aurait sans doute constitué un thème d'étude intéressant et riche, mais le paysage radiophonique actuel est certainement trop mouvant, trop incertain pour pouvoir en dégager dès aujourd'hui des lignes directrices, pour pouvoir définir des orientations à prendre. La situation doit encore se décanter.

A la concurrence qui existe depuis plusieurs années entre la RTBF et les radios libres s'ajoute un nouvel opérateur, Bel RTL, qui pourrait modifier sensiblement la situation. Dans quelques années, celle-ci sera probablement plus stable et plus claire.

On aurait pu s'intéresser également au cinéma et à la presse écrite. Il a toutefois paru préférable de ne pas se disperser parmi des sujets ayant chacun leur problématique propre.

Dans un premier temps, c'est donc la télévision qui a fait l'objet des préoccupations du groupe de travail. Le paysage télévisuel est certainement en mouvement, voire en mutation, mais il paraît possible d'en discerner les orientations et de dégager par conséquent des axes de réflexion.

I. Les acteurs en présence

Ils sont parfaitement connus et aisément identifiable(1) :

  • Une chaîne de service public de la Communauté française de Belgique (la RTBF);

  • Une chaîne privée de la Communauté française de Belgique (RTL TVi);

  • Des télévisions locales,

  • Des établissements d'enseignement spécialisés formant aux métiers de la radio et de la télévision;

  • Des maisons de production en très petit nombre;

  • Un réseau de télédistribution très dense (+/- 97 % de la population est desservie) qui fait entrer en Belgique; De multiples chaînes étrangères de toute nature (francophones et non francophones, publiques et privées, émettant par satellite ou par réseau terrestre,...).

Quelles sont les articulations entre ces différents acteurs; ont-ils des liens, ont-ils organisé des interactions, quels sont les développements à donner à leurs relations et dans quel sens ?

Autant de questions qui ne peuvent être résolues qu'en tenant compte des compétences et des capacités d'action de la Région wallonne.

La survie des médias propres à la Communauté française ou à la Wallonie est une question qui, dans ce contexte doit être posée avec beaucoup d'acuité à l'avenir.

 

II. Les compétences et les capacités d'action

C'est la Communauté française, et non la Région wallonne, qui est compétente dans l'ensemble des domaines de l'Audiovisuel et de l'Enseignement. C'est donc elle qui a priori est susceptible d'organiser ou de modifier le paysage audiovisuel, tant en Wallonie qu'à Bruxelles.

La RTBF, RTL, les radios locales, la Télédistribution, la création, ainsi que l'Enseignement relèvent de ses compétences.

Celles-ci sont toutefois limitées par l'interventionnisme croissant de la Communauté européenne qui entend instaurer une libre circulation des programmes de télévision considérés par elle comme des services. Cela réduit considérablement les capacités d'action de la Communauté française qui ne peut notamment s'opposer à l'introduction en Belgique de chaînes étrangères dont les programmes sont conformes à la directive sur la télévision sans frontières intégrée à présent dans notre législation par le décret voté le 20 juin 1991 par le Conseil de la Communauté française.

Par ailleurs, ces dernières années ont vu, de manière tout à fait générale en Europe, l'émergence de deux courants dans le monde de la télévision : l'internationalisation et la privatisation.

La puissance de certains groupes internationaux, le fait qu'ils soient installés à l'étranger, le libéralisme pratiqué par la CEE, autant d'éléments qui rendent difficile l'élaboration, dans un petit pays comme la Belgique et a fortiori dans une région, d'une véritable politique des médias.

 

III. Les capacités d'action de la Région wallonne

Elles ne sont apparemment pas très étendues :

  • La Région ne possède aucune compétence directe (celle-ci étant dévolue à la Communauté française ou à la CEE),

  • Elle est confrontée à des acteurs qui par leur puissance et leur lieu d'implantation, échappent à tout contrôle,

  • Sa taille réduite n'est pas faite pour arranger les choses.

Et pourtant, des choses se font en Wallonie. Et pourtant, des compétences peuvent être trouvées en abordant le problème par le biais économique.

 

IV. Agir là ou c'est possible

Sans nécessairement parler d'une modification des compétences institutionnelles dont l'impact serait de toute manière limité en raison de l'interventionnisme croissant de la CEE, il paraît possible de développer en Wallonie un certain nombre de pôles d'action.

 

a. La RTBF

Elle est, comme on le sait, décentralisée. Sont installés en Wallonie deux Centres Radio à Mons et à Namur, un Centre TV à Charleroi, un Centre Radio-TV à Liège.

Ensemble, ils occupent un peu plus de 600 personnes et disposent d'un budget de 576.288.000 pour la radio et d'un budget de 583.500.000 pour la télévision.

Cela représente 41.13 % du budget total de la radio et seulement 18.63 % du budget de la télévision.

Les centres sont compétents, non seulement pour développer des émissions et des actions régionales, mais aussi et surtout pour produire des programmes destinés à l'antenne nationale.

Les centres wallons, avec des fortunes diverses, ont joué le rôle qui leur était imparti en occupant globalement une place substantielle dans la grille des programmes de RTBF1, de Radio Une, de Radio Deux et dans une moindre mesure de Radio Trois. C'est sans nul doute un atout pour la Wallonie.

Mais les prises de décisions de stratégie générale de la RTBF échappent à la Wallonie. Celle-ci n'est pas représentée comme il se doit au sein du Conseil d'administration et du Comité permanent de l'institution.

Un développement plus important de la régionalisation, conforme au poids de la Wallonie à l'intérieur de la Communauté française, ne peut se faire que moyennant une représentation adéquate de la Région wallonne à l'intérieur des structures centrales de décision de la RTBF. C'est certainement le moment d'y penser. Le Conseil d'administration devra en effet être revu au lendemain des élections législatives.

En aval, un poids plus grand des directions régionales dans les structures de direction centrale devrait s'imposer. Des organes qui fonctionnaient autrefois (par exemple le collège général de direction) ne jouent plus aujourd'hui le rôle qui leur était imparti, à savoir permettre l'association des régions à l'élaboration de la politique générale. Celle-ci est maintenant traitée au sein d'instances réunissant des fonctionnaires généraux sans représentation régionale. Le Collège général n'est plus convoqué que pour la forme, alors qu'il a autrefois joué un rôle important.

On aurait évidemment pu imaginer la création d'une télévision wallonne s'articulant autour des centres de production et disposant d'un réseau d'émetteurs (par exemple, celui de Télé 21).

Cette hypothèse ne paraît pas souhaitable. A l'échelon européen, la RTBF peut déjà être considérée comme une télévision régionale qui aura du mal à survivre dans de bonnes conditions face aux géants qui l'entourent. Un repli sur soi de la part de la Wallonie ne ferait qu'aggraver cette situation.

Mais ce qui importe, ce qu'il faut revendiquer avec insistance et fermeté, c'est un accroissement substantiel du poids wallon à l'intérieur de la RTBF, c'est une participation aux prises de décisions de politique générale, tant au niveau des organes de gestion (Conseil d'Administration et Comité permanent) qu'au sein des structures de direction.

b. RTL TVI

RTL TVI est installé à Bruxelles.

Les accords conclus entre la CTL et Audiopresse ont favorisé l'existence d'équipes de reportage en région (à Charleroi avec la Nouvelle Gazette, à Liège avec Gazette de Liège la Meuse, à Namur avec Vers l'Avenir). Ces équipes permettent une présence wallonne dans les journaux télévisés de RTL.

Quelles peuvent être, au delà, les collaborations entre la chaîne privée et la région ? Il n'y en n'a guère, si ce n'est un développement éventuel de la production de programmes télévisés qui serait confiée à des maisons installées en Wallonie.

Il y a là sans doute une piste à explorer : RTL TVI, par son cahier des charges, est obligé de passer des commandes à des maisons de production indépendantes, et de conclure des co-productions en Communauté française. La Wallonie ne possède actuellemnt pas d'infrastructures lui permettant de tirer parti de cette situation.

 

c. Les télévision locales.

Au nombre de 10 en Wallonie, elles ont connu des développements divers.

Créées initialement en vue de permettre une meilleure participation des citoyens à la vie locales, créées également dans un souci d'éducation permanente, elles ont progressivement réorienté une part non négligeable de leurs activités vers l'information locale et la production de programmes audiovisuels de toute nature.

Quel doit être leur rôle à l'avenir, quel développement leur donner ?

Les subventions dont elles disposent venant de la Communauté française sont sans nul doute insuffisantes pour assurer leur viabilité à terme. Celle-ci ne peut être assurée que moyennant une intervention croissante d'autres instances (pouvoirs locaux et provinciaux, voire la région)

Les télévisions locales disposent en outre de ressources propres (publicité, parrainage, télétexte). Elles concluent entre elles ou avec d'autres partenaires des contrats de coproduction. L'ensemble de leurs recettes constitue néanmoins un tout insuffisant pour leur permettre de se développer efficacement.

Même si elles existent fortement dans leur région respective, même si des accords de complémentarité peuvent être recherchés auprès de la RTBF, le rôle qu'elles pourraient jouer est considérablement limité tant que leurs ressources ne sont pas augmentées.

d. L'enseignement spécialisé.

Il est difficile en ce domaine de dissocier la Wallonie de Bruxelles. Certaines écoles telles que l'IHECS étant d'ailleurs passées d'un site wallon à une implantation bruxelloise.

On peut relever qu'en Communauté française existent de établissement d'enseignement spécialisé de très haut niveau (IAD, INSAS, IHECS, INRACI) formant aux nombreux métiers de la Télévision. De ces écoles sortent des professionnels qui font très rapidement leurs preuves dans leurs disciplines respectives. Il y a là sans conteste une richesse à exploiter.

Mais les débouchés sont relativement limités, même si l'on prend en considération l'ensemble de la Communauté française : les chaînes de Télévision, les maisons de production privées, les milieux de la publicité et du film d'entreprise.

Que dire alors des débouchés en Wallonie et des possibilités d'expression qu'offre notre région à ces jeunes diplômés dont le talent et la formation sont souvent incontestable ?

 

e. La Télédistribution

Depuis une quinzaine d'années, le réseau de télédistribution est devenu le moyen normal (95 %) d'accès de la population aux programmes de télévision et de radio FM.

Plus de 20 programmes, en langues diverses, sont ainsi disponibles et leur nombre est amené à augmenter dans le futur, d'autant plus que la directive européenne sur la libre circulation transfrontière des programmes entre en application le 3 octobre 1991.

Une autre directive européenne, en cours d'approbation, concerne les normes de transmission des programmes visant à augmenter la qualité de l'image, et à défendre l'industrie électronique européenne en face des développements japonais et américains.

Elle se traduira pour les réseaux câblés par une nouvelle nécessité d'accroître la capacité de transmission des réseaux.

Avant même que les réseaux ne soient financièrement amortis (les câbles sont placés pour 25 ans), les réseaux devront donc être transformés et des moyens financiers nouveaux devront être mis à la disposition des télédistributions pour faire face à ces investissements supplémentaires.

L'opportunité se présente, dès lors que cette adaptation est indispensable, de profiter de l'occasion pour que la nouvelle structure des réseaux puisse être utilisée à des services nouveaux et complémentaires, notamment dans le domaine de la formation.

La Région wallonne, en favorisant l'action des télédistributions dans ce domaine, pourrait disposer d'une infrastructure publique de communications qui, associée au réseau téléphonique, permettrait de satisfaire aux besoins toujours croissants de transport d'informations de la région, pour de nombreuses années, en attendant un éventuel Réseau numérique à Intégration de Services.

Ce réseau de communication constituerait un facteur de développement économique que la Région wallonne pourrait maîtriser , alors qu'elle ne dispose d'aucune compétence à l'égard de la RTT.

f. Les maisons de production

En Wallonie, c'est la grande misère.

Sur 173 sociétés de production répertoriées dans l'annuaire audiovisuel 22 seulement sont situées en Wallonie.

Peu de structure de production privées. Les raisons en sont simples.

  • Bruxelles regroupe la grande majorité des différents services et prestataires de services de la Communauté française et flamande. (personnel de réalisation et technique, matériel de tournage et montage, laboratoires de développement ou de duplication...).

  • Les budgets de productions, les financements potentiels sont pratiquement tous situés à Bruxelles (télévision, ministères...).

Deux asbl partiellement subventionnées par la Communauté française, le WIP (Wallonie Image Production) et Dérives sont installées en Wallonie :

  • Le WIP est une asbl qui aide à la production audiovisuelle de documentaires et oeuvres de jeunes réalisateurs.
    Fondée en 1982 et subventionnée par la Communauté française, WIP donne des aides en liquidité et en matériel au titre de coproducteur de projets acceptés par son Conseil d'administration. WIP participe à l'élaboration d'un projet (aide à l'écriture ou aux repérages), à la production, et surtout à la promotion et à la diffusion. WIP est présent annuellement dans les grands marchés des télévisions (MIP, MIPCOM) et ses films sont sélectionnés dans environ 40 festivals internationaux.

    WIP ne bénéficie d'aucune aide de la Région wallonne, alors que le CBA, son équivalent bruxellois, est aidé par la Région de Bruxelles.

  • Asbl partiellement subventionnée par la Communauté française, DERIVES assure la production déléguée de réalisation propres, et de projets de quelques autres cinéastes.

Les perspectives de développement ne sont guère brillantes :

  • Les subventions de la Communauté française permettant un financement (partiel) de projets de création - de fiction ou de documentaire - représentent un montant dérisoire, face à l'investissement qu'il serait indispensable de faire si l'on voulait développer une véritable industrie de l'audiovisuel. Il suffit de comparer les différents types d'aides possibles en France et en Belgique. De plus, vu les difficultés budgétaires de la Communauté française, il n'est pas prévu d'augmentation substantielle de ces subventions.

  • Les cahiers de charges imposés aux télévisions en vue de développer la production indépendante ne sont généralement pas respectés et sont de plus mis en cause par la directive des Communautés européennes.

  • Aucun système d'incitation fiscale (tax shelter) n'a été organisé, malgré la demande des professionnels.

  • Aucun de ces systèmes n'est prévu de manière spécifique pour des productions en Wallonie.

V. Les perspectives

La situation globale ne paraît guère brillante. Le poids de la Wallonie à l'intérieur de la RTBF est insuffisant. Elle ne tire guère parti du fonctionnement d'une télévision privée en Communauté française. Ses télévisions locales manquent de ressources. Son réseau câblé joue un simple rôle de transporteur de programmes. Ses maisons de production sont peu nombreuses.

Ce constat, à première vue affligeant, ne doit pas inciter à la morosité. La qualité du réseau d'enseignement spécialisé, l'existence d'opérateurs publics et privés jointe à une politique volontariste et dynamique est susceptible de faire évoluer favorablement la situation.

Somme toute, la Wallonie doit tirer parti de l'existence prochaine d'un grand Marché européen. Elle doit faire valoir ses atouts :

  • une main-d'oeuvre qualifiée de très haut niveau professionnel,

  • des créateurs,

  • des coûts de production inférieurs à ceux de nos voisins,

  • des opérateurs, petits à l'échelle européenne, mais présentant quand même une puissance suffisante pour être à la base de commandes et coproductions.

Pour ce faire, des pistes d'action et de réflexion peuvent être tracées. On en retiendra principalement trois.

  • Revendiquer et obtenir un poids plus important dans les organes de gestion et de direction de la RTBF.

  • Créer un cadre favorisant l'éclosion et le développement de structures de production. Cela peut se faire par des aides directes, par des incitants fiscaux ainsi que par l'obligation pour les opérateurs de passer des commandes aux maisons de production installées en Wallonie. Cela peut surtout se faire si les financiers sont convaincus de l'opportunité d'investir dans ce secteur.

  • Profiter de l'existence d'un réseau de télédistribution dense pour créer une infrastructure de communication moderne permettant la mise en oeuvre de services nouveaux vecteurs de développement économique.

(Octobre 1991)

 

Notes

(1) On pourrait y ajouter Canal +, chaîne de télévision à péage.


 

 

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