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1991 -
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Nouvelles conceptions dans l'aménagement des voiries de nos villes et nos villages

André Verlaine
Ministère de la Région wallonne, Direction générale des Pouvoirs locaux

 

Depuis la dernière guerre, l'aménagement de la voirie a surtout été dominé par des préoccupations d'ordre technique et par les besoins du trafic motorisé. Les raisons de revoir cette conception d'aménagement d'une voirie ne manquent pas et, sans m'y attarder trop longuement, je voudrais en rappeler quelques unes.

En premier lieu, il y a l'insécurité routière qui, déjà préoccupante au niveau national (la Belgique se situe parmi les pays européens les moins sûrs) l'est encore plus en Wallonie. En 1988 : 26 135 victimes dont 760 tués et 6 412 blessés graves, deux catégories de victimes où la Wallonie dépasse nettement la moyenne nationale proportionnellement à sa population : 2 198 victimes par million d'habitants en Wallonie pour 1 977 en Belgique. Les catégories d'usagers où la différence est marquante sont surtout les piétons (jeunes surtout) et les automobilistes. La gravité des accidents va dans le même sens : 41 décès sur 1 000 accidents corporels en Wallonie pour 32 en Belgique.

La part que représente ces accidents sur la voirie communale wallonne (55 000 km en Wallonie) est importante. La part des accidents corporels y est de 43 %, celle des tués et blessés graves de 35 %. Le problème de la sécurité sur les voiries communales n'est donc pas négligeable par rapport aux voiries régionales ou aux autoroutes : il est sérieux et, étant donné son caractère diffus, peut être difficile à résoudre. Enfin, ces accidents ont surtout lieu dans les agglomérations : 25 % sur les 35 % des tués et blessés graves et 34 % sur les 43 % d'accidents corporels ont lieu sur la voirie communales en agglomération.

L'ampleur du phénomène, son coût et les réactions de plus en plus nombreuses des habitants ont fait que cette situation n'est plus systématiquement considérée, comme par le passé, comme une fatalité ou un tribut à payer à l'automobile.

Une deuxième raison est la pollution atmosphérique et les nuisances acoustiques dues à l'augmentation de la circulation automobile et des vitesses trop importantes relevées sur l'ensemble du réseau routier.

Une troisième raison est enfin que les agglomérations européennes, souvent composées d'un tissu urbain ancien, ont de plus en plus de difficulté d'absorber les flux de circulation rendant ainsi l'automobile incapable de répondre à son propre objectif qui est la facilité des déplacements.

Ces aspects négatifs, et il y a d'autres, de l'automobile comme moyen généralisé et privilégié de transport doivent être corrigés à court terme et des acteurs tels que les pouvoirs publics (ministère des Communications, gendarmerie) ou l'industrie automobile elle-même, s'y emploient.

Mais les gestionnaires de l'infrastructure routière ont aussi leur part de responsabilité dans cette situation et dans les mesures à prendre pour y remédier. Deux objectifs doivent, à mon sens, être mis en oeuvre rapidement : d'une part réduire les vitesses des véhicules motorisés et d'autre part, diminuer en zone agglomérée, tout au moins, l'importance du trafic automobile. Ces deux objectifs se rejoignent dans la mesure où permettre aux usagers non motorisés (piétons, cyclistes, ...) d'utiliser la voirie en toute sécurité, c'est-à-dire dans la rue où les vitesses des véhicules automobiles sont suffisamment faibles, c'est participer au dégagement des villes et à la diminution de la densité du trafic automobile.

Concevoir l'aménagement de la voirie d'une autre façon, c'est, sans négliger les aspects techniques, ne plus se limiter à eux. Cette démarche ne peut isoler les aspects techniques des aspects trafic, de sécurité routière, d'embellissement de la voirie ou du cadre bâti auquel la voirie, prise dès lors au sens d'un véritable espace public, est intimement liée. Envisager ces différents domaines isolément conduirait à des dysfonctionnements soit en matière d'aménagement du territoire, soit en matière de sécurité routière.

Cette évolution des idées coïncide, en effet, avec la constatation - analysée dans différents pays - de la convergence entre la prévention des accidents de la route et la prise en compte de l'environnement, du milieu, dans lequel se déroule la voirie. Cet élément retiendra spécialement notre attention car les études les plus récentes en matière de perception de la voirie par l'usager - la lisibilité de la route - relient concrètement les aspects de sécurité routière et la qualité urbanistique de l'aménagement des espaces publics.

Ce principe particulièrement bien étudié par Madame G. Dubois-Taine, ingénieur français, repose sur la constatation que l'aménagement peut favoriser la sécurité des déplacements si le message visuel adressé au conducteur l'informe, le guide, l'incite à prêter l'attention voulue aux autres usagers et aux discontinuités de son itinéraire (Institut belge pour la Sécurité routière).

D'une ségrégation totale des espaces réservés à certains usagers, d'une application aveugle de normes, il s'agit, dans cette perspective, d'aller vers une ségrégation beaucoup moins forte ou même une mixité partielle et vers l'élaboration de recommandations de base à partir desquelles des solutions multiples peuvent effectivement répondre à des besoins. (par exemple en matière de largeur de chaussée - vitesse).

Cette prise de conscience a progressivement été soutenue par la réglementation. Ainsi en 1978, l'introduction dans le code de la route des zones résidentielles visait explicitement à améliorer la qualité de la vie dans les villes et villages mais elle n'a pas rencontré le succès que l'on pouvait espérer et qu'elle a d'ailleurs rencontré dans d'autres pays comme les Pays-Bas, d'où l'idée est partie, ou la France. Ce demi-succès trouve sans doute son origine dans la difficulté de modifier des mentalités bien ancrées en Belgique. Mais des explications plus précises sont sans doute à trouver.

Les impositions en matière d'aménagement on été souvent perçues par les gestionnaires comme très contraignantes et coûteuses. Les expériences réalisées ont parfois été considérées comme très formelles, sans vision globale en matière d'aménagement ou de sécurité routière. Enfin, les dispositions relatives à la priorité des piétons sur les automobilistes sont apparues à beaucoup comme pouvant aboutir par l'imprécision du texte, à des difficultés en matière de responsabilité civile pouvant entraîner des sanctions pénales.

Le texte a cependant le mérite d'avoir constitué, il y a dix ans, une étape essentielle dans une nouvelle approche de l'aménagement des rues et d'avoir permis certaines réalisations intéressantes, en Flandre surtout.

En 1983, les ralentisseurs de trafic font officiellement apparition dans le code essentiellement pour normaliser leur dimension.

Enfin en 1988, paraît l'arrêté royal créant des zones qui limitent la vitesse à 30km/h. Manifestement, l'objectif de cette réglementation rejoint des préoccupations à la fois en matière de sécurité routière et d'amélioration du cadre de vie des communes, il s'agit ainsi de modérer les vitesses, mais sans utiliser uniquement des dispositifs qui risqueraient d'être mal perçus par les automobilistes, comme les ralentisseurs de trafic par exemple.

Les arrêtés de zone 30 rejoignent ainsi l'esprit des arrêtés concernant les zones résidentielles adoptés dix ans auparavant, mais d'une part, ils ne s'adressent pas nécessairement aux mêmes types de voirie et d'autre part, les inconvénients - ou perçus comme tels - des zones résidentielles, ont été manifestement évités. L'arrêtés royal fixant les conditions d'aménagement est simple et clair : habitat prépondérant, routes non prioritaires, passage occasionnel des véhicules de secours. Les dispositifs incitant à limiter la vitesse à 30 km/h., devront prévoir des interruptions de tronçons rectilignes, ne gêneront pas les véhicules de transport en commun et ils devront être ouverts, permettant aux gestionnaires des voiries de prendre des initiatives.

Parallèlement à cette réglementation, l'Institut belge pour la Sécurité routière publiait une brochure intitulée Nouvelle Approche de l'aménagement des rues - Inventaire des réalisations en Belgique destinée à inventorier et à promouvoir une conception de voirie intégrant sécurité routière et urbanisme. Cette publication mettait en évidence le retard de la réflexion dans ce domaine en Wallonie car sur 247 réalisations inventoriées, 15 étaient situées en Wallonie et sur les 76 sélectionnées, 3 étaient wallonnes.

L'Exécutif régional wallon, à la fois comme maître d'ouvrage (routes régionales) et comme pouvoir subsidiant (voiries provinciales ou communales), a pris conscience de ce problème et dégagé des budgets importants en 1990, 91 et 92 dans le cadre du programme plus.

En ce qui concerne les voiries communales et provinciales A. Cools, Ministre des Travaux subsidiés, a lancé, en 1989, 10 opérations pilotes destinées à tester et à chiffrer ces aménagements en vue de les généraliser en Wallonie.

Le 22 juin 1990, Alain Van der Biest, Ministre des Affaires intérieures pour la Région wallonne, poursuivait l'objectif de son prédécesseur et faisait adopter par l'Exécutif régional wallon un arrêté qui permet à la Région wallonne de subsidier à 80 % deux types d'investissements : tout d'abord les constructions de dispositifs mis en oeuvre dans l'aménagement d'une zone 30, mais aussi, de façon plus générale, toute mesure - ponctuelle ou intégrée - qui vise à réduire la vitesse automobile sur la voirie communale ou provinciale.

En préambule, alors que j'ai insisté sur la nécessité de prendre en compte l'espace public dans tous ses aspects sans se limiter à ceux qui concernent la technique routière, la présentation de l'arrêté, qui cite une série de dispositifs, pourrait faire croire que l'on préconise essentiellement des éléments techniques d'amélioration de la chaussée. Il n'en est rien, cette présentation est essentiellement due à la technique de subsidiation. Le commentaire de l'arrêté de même que le recours à un comité d'accompagnement pluridisciplinaire, qui pourrait conseiller les communes, vont bien dans le sens d'une démarche plus globale.

L'arrêté cite 6 exemples de mesures qui pourraient contribuer à limiter les vitesses de circulation.

La première citée est la surélévation locale de chaussée. C'est le cas du ralentisseur de trafic ou dos d'âne. Ce dispositif que l'on a fini par normaliser est indéniablement la solution la plus efficace mais aussi la plus contraignante et la plus agressive. Il n'est pas conseillé sur des voiries à grande circulation (supérieur à 2 000 véhicules par jour) ou recevant un trafic régulier de poids lourds, ni sur des voiries parcourues par des transports en commun ou des véhicules de secours. Il ne doit pas surprendre l'usager et n'est finalement intéressant qu'intégré dans un ensemble de mesures qui amènent l'usager à une conduite lente inférieure à 30 km/h. Souvent plus urbanistiquement intéressant est le plateau que l'on appelle aussi placette ou place traversante. C'est une surélévation plus longue que le dos d'âne mais qui vise en outre à faciliter des traversées piétonnes. Il sera souvent surélevé au niveau d'un trottoir et son emplacement sera choisi au droit de passages piétons privilégiés ou d'un carrefour où il dispense de canaliser les piétons et donc permet des traversées libres. Sa construction n'est pas incompatible avec des trafic de transit plus importants ou avec des passages de poids lourds ou de transports en commun à condition d'adapter la pente d'accès en conséquence.

La deuxième mesure reprise dans l'arrêté concerne les revêtements différenciés. Le changement de revêtement en travers de la chaussée, même sans surélévation, permet d'alerter l'automobiliste, de l'avertir qu'il traverse un espace différent.

Une troisième mesure proposée est la création ou l'élargissement de terre-plein, de trottoirs ou de zones de stationnement destinés à rétrécir la chaussée. La largeur de la chaussée est l'exemple type d'élément dont la normalisation n'est pas souhaitable. Elle est fonction en effet de la nature du trafic (voitures, poids lourds, vélos, stationnement, ...) de la nature de la voirie (voirie de transit, de desserte, locale, ...), mais aussi de la vitesse admise sur la voirie ou des caractéristiques du site dans lequel elle se trouve. Le rétrécissement de la chaussée peut se réaliser par des îlots séparateurs dans l'axe de la chaussée plus ou moins franchissables occasionnellement, continus ou entrecoupés aux carrefours; ils sont plus adaptés à des voiries de grande circulation dont la traversée piétonne est ainsi rendue plus facile (en deux temps). Le rétrécissement peut se réaliser par avancée de trottoirs d'un côté ou de deux côtés de la chaussée. Ces aménagements peuvent se combiner avec l'interruption de zone de stationnement permettant aux piétons d'avancer vers la chaussée avant de la traverser. Dans des voiries locales, le rétrécissement peut aller jusqu'à la création d'un passage alterné. Le rétrécissement peut également être un élément préexistant de l'environnement ou du bâti, il peut également matérialiser l'entrée ou la porte d'une agglomération.

Quatrième mesure : les déplacements de l'axe du tracé ou les chicanes. Elles peuvent se matérialiser de différentes façons : par du mobilier urbain, par des terre-pleins franchissables ou non, plantés ou non, par du stationnement, .... Elles se réalisent par décrochement latéral et se combinent éventuellement avec un rétrécissement de chaussée. Leur dimension sera fonction de la vitesse souhaitée. Elles permettent souvent de briser les lignes droites incitant à la vitesses ou de fermer des perspectives lorsqu'elles peuvent être plantées.

Cinquième mesure : la création de ronds-points. Essentiellement conçue pour des carrefours, la construction de ronds-points s'est fortement développée en France où, avec la priorité à l'anneau, ils ont contribué sensiblement à réduire les vitesses automobiles sur des voiries à grande circulation. Le rond-point peut ponctuer d'une image forte un carrefour important ou une entrée d'agglomération. Lui aussi peut être plus ou moins franchissable. A la limite de plus petits ronds-points légèrement surélevés peuvent être totalement franchissables occasionnellement : de tels giratoires peuvent supporter des trafics allant jusqu'à 3 000 véhicules par heure et les vitesses descendre sous 45 km/h.

Enfin, des aménagements de type paysager tels que plantations, mobilier urbain et éclairage peuvent aussi compléter les mesures citées ou constituer en eux-mêmes des mesures d'avertissement ou d'intégration dans l'environnement bâti ou non de la voirie. Les plantations permettent de créer une ambiance soit citadine, soit villageoise ou briser la monotonie d'un paysage, fermer une perspective ou signaler l'entrée dans une agglomération.

En matière d'éclairage public, il semble intéressant de compléter l'éclairage général par un éclairage spécifique sur les dispositifs réducteurs de vitesse pour permettre non seulement de les visualiser pendant la nuit (si le trafic le nécessite) mais aussi de participer esthétiquement à l'aménagement du dispositif.

Il est évident que les auteurs de projets, les bureaux d'études, les services techniques communaux ou provinciaux sont encore souvent démunis face à une démarche nouvelle, moins technicienne, plus urbanistique et où les recommandations, les images, les exemples sont encore peu nombreux. Un programme de formation destiné aux fonctionnaires communaux ou provinciaux a été mis sur pied en 1991 et il rencontre un réel succès.

Il semble que les moyens permettant de modifier les espaces publics wallons dans le sens d'une plus grande sécurité par une approche globale d'aménagement se mettent en place et je pense qu'il y a lieu de s'en réjouir.

 


 

 

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