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Deuxième congrès La Wallonie au Futur
1991 -
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La formation et les relations collectives de travail

Jean Verly
Chercheur à l'UCL, Institut des Sciences du Travail

 

L'histoire des relations collectives de travail en Belgique montre, jusqu'à ces dernières années, une quasi-absence de la formation comme contenu des conventions collectives.

Traditionnellement, la formation relève davantage de la logique contractuelle - celle qui lie le travailleur à l'employeur - que de la logique conventionnelle - celle du contrat collectif qui lie les organisations patronales et syndicales entre elles. Cette logique conventionnelle s'exerce en Belgique aux trois niveaux : l'interprofessionnel (1), le sectoriel (ou la branche) et l'entreprise.

Derrière l'élaboration des normes en ce domaine, on supposera, lorsqu'on prend en considération des mobiles économiques de la formation, que l'entreprise n'y consacrera des ressources que dans la mesure où elle espère en retirer, prioritairement pour elle-même, l'avantage optimum; le risque est supposé d'autant plus élevé que le salaire du travailleur est ou sera plus élevé. Un contexte caractérisé par des bas salaires ne serait donc pas, a priori, favorable à des investissements en formation.

Complémentaire, la formation est censée apporter à l'entreprise un accroissement de ses avantages comparatifs dans un contexte de concurrence, accroissement d'autant plus favorable que l'efficacité productive de la formation est importante; l'entreprise ne sera dès lors pas tentée, a priori, de collectiviser cet effort. Dès lors, la collectivisation de la formation pour les groupes à risques ne répondant pas à cette logique, à quelles conditions peut-elle se poursuivre?

Dans cette perspective, la formation est un bien privatif qui suppose un prix individualisé; la considérer comme un bien collectif suppose qu'un agent économique à lui seul - une entreprise - puisse en tirer avantage sans léser d'autres agents (d'autres entreprises).

 

La formation, nouvel enjeu des relations collectives, et l'évolution du public visé

Considérant les trois niveaux où s'exerce la négociation collective en Belgique, l'histoire des relations industrielles montre que la formation des travailleurs en général ne se trouve pas dans les conventions interprofessionnelles conclues au Conseil national du Travail.

Cet enjeu se trouve au niveau des branches dans le cadre des Commissions paritaires.

Si l'on considère que cette question relève de la préoccupation générale de la gestion des carrières, il faut constater que les conventions collectives sectorielles, lorsqu'elles organisent les classifications des fonctions et donc des salaires, n'intègrent cette notion que sous la forme réduite de l'ancienneté; en outre, l'accroissement des barèmes pour ancienneté (âge ou expérience selon les cas) ne se retrouve en général pas chez les ouvriers.

Si l'on invoque la notion plus contemporaine de la gestion prévisionnelle des emplois, elle est absente de la négociation sectorielle, en Belgique. Il est vraisemblable, en outre, que la gestion des carrières est absente des conventions collectives conclues au niveau des entreprises.

Les formations des travailleurs actifs, à l'entreprise, sont des formations de plus en plus "pointues" dont l'organisation ne dépend plus des commissions paritaires d'apprentissage, et qui sont destinées au personnel d'un certain niveau de qualification. En dépit d'un financement collectif, dans le cas d'une collaboration avec le Forem, ces formations relèvent davantage de la logique contractuelle, en raison de l'objectif directement productif qu'elles poursuivent.

Lorsqu'il s'agit de la formation des actifs potentiels, l'évolution peut être ainsi résumée.

Sous la forme précise de l'apprentissage industriel, l'enjeu de la formation remonte en fait au lendemain de la Seconde Guerre mondiale dans les secteurs manufacturiers, pour des formations plutôt techniques dont l'organisation se faisait souvent en collaboration avec le monde de l'enseignement.

L'évolution des conditions de travail, d'une part, caractérisée par la diminution des postes à très faible contenu technique, la séparation accentuée du monde du travail de celui de l'enseignement, d'autre part, ont eu tendance à faire oublier ce système de formation.

La période récente apporte un correctif par rapport à cette tendance : l'accroissement du chômage des jeunes à partir du milieu de la décennie 70 conduit l'autorité publique, en raison sans doute de l'importance du coût du chômage, à stimuler les interlocuteurs sociaux à favoriser l'embauche des jeunes. Cette évolution s'est précisée avec l'accroissement du chômage de longue durée au début de la décennie 80. La formation comme contenu de la négociation collective s'est faite sous la pression de stimulants financiers de la part des autorités publiques et non comme résultat de l'autonomie active des interlocuteurs sociaux : la création d'un Fonds pour l'emploi avec le système des 5-3-3 en 1983.

Les Accords interprofessionnels qui ont été conclus à partir de 1986 précisent cette tendance à faire entrer la formation dans les contenus des conventions collectives et à la financer collectivement à ce niveau, surtout à partir de 1988.

L'Accord de 1986 incite les secteurs et entreprises à consacrer 0,5 % de la masse salariale à l'emploi en général, et notamment à la formation, de préférence des jeunes en difficulté d'insertion professionnelle.

Le bilan des conventions sectorielles, conclues suite à cet accord, montre qu'en ce qui concerne la formation : "cet objectif est mentionné dans un nombre assez élevé de commissions paritaires ouvrières, mais sans donner de précision quant aux moyens qu'elles se donnent pour le réaliser. L'organisation des formations est précisée dans un nombre plus restreint de secteurs (fabrications métalliques, textile, non-ferreux, assurances) ... (il s'agit plutôt) de secteurs industriels où existait une tradition d'apprentissage industriel préalablement à l'accord interprofessionnel". En outre, "dans la plupart des secteurs où la formation est visée, on constate que les interlocuteurs sociaux marquent une préférence pour un financement de cette formation par un fonds de sécurité d'existence" (2).

L'Accord de 1988, tout en incitant à la continuation des efforts précédents, convient d'une cotisation de 0,18 % des salaires bruts en 1989 et 1990 à consacrer à l'insertion professionnelle des groupes à risques, soit notamment les jeunes à scolarité obligatoire partielle, les chômeurs à qualification réduite et les chômeurs de longue durée; un effort équivalent conclu par une convention de branche ou d'entreprise, dispense de cette cotisation. La plupart des branches qui avaient conclu une CCT suite à cet accord y ont introduit une clause concernant cette cotisation à l'exception de certains secteurs financiers et de secteurs composés principalement de PME.

Les modalités d'application des dispositions en faveur de l'insertion professionnelle des groupes à risques présentent un certain degré de diversité : le recours à des formules classiques d'apprentissage; l'incitation par des primes à l'embauche; la création d'un institut de formation professionnelle sectoriel (tels le textile et les fabrications métalliques). "On constate d'une manière générale que les commissions paritaires qui ont explicité davantage les modalités de mise en oeuvre sont principalement celles d'ouvriers (habillement, garages, commerce alimentaire, construction, imprimerie, carrosserie et métaux, etc.)" (3).

Dès lors, à propos des groupes à risques eux-mêmes, la formation n'apparaît pas être le seul moyen pour favoriser leur insertion professionnelle; l'autre catégorie de moyens porte sur une réduction du coût salarial, au niveau même du secteur. Un bilan - toujours attendu - de la mise en oeuvre de ces dispositions conventionnelles devrait faire apparaître cette distinction entre les deux catégories de moyens et montrer à quelles catégories de secteurs et d'entreprises (notamment la taille) correspondrait ce clivage (4).

Il apparaît cependant, environ deux années après la conclusion de ces conventions sectorielles, qu'un reliquat de l'ordre de 1500 millions existe au Fonds pour emploi, alimenté par les entreprises n'ayant pas réalisé les objectifs précités (5).

L'accord de novembre 1990 adopte une approche globale plutôt que des actions dispersées selon qu'il s'agit de l'une ou l'autre catégorie de travailleurs (jeunes femmes, travailleurs âgés, groupes à risques..., handicapés) (6).

L'effort est porté à 0,5 % de la masse salariale globale (sauf pour les secteurs non-marchands et les contractuels des services publics). "Il est prévu qu'une part de 0,10 % sera consacrée au noyau dur du chômage ... et une autre de 0,15 % est ouverte à de nouvelles catégories : travailleurs peu qualifiés, actions positives pour les femmes, recyclage des travailleurs menacés de licenciement, "brugbanen" pour les travailleurs âgés, etc." (6).

L'évolution de la formation comme enjeu de la négociation collective, dans la période récente, indique que la formation est liée au degré d'urgence de l'insertion professionnelle (plus particulièrement encore des groupes dits "à risques"); cette liaison appelle cependant les remarques suivantes :

  • le caractère conjoncturel du besoin de formation : la diminution du chômage des jeunes dans la période la plus récente (7) peut sembler rendre la question moins urgente;

  • les publics considérés comme prioritaires dans les accords interprofessionnels sont dans une situation différente par rapport à la nécessité de l'insertion professionnelle, d'une part, et par rapport au niveau de qualification, d'autre part; telles, par exemple, les deux catégories que sont d'une part, les chômeurs de longue durée et, d'autre part, les femmes désirant "rentrer" dans la vie active (accord 1990);

  • les publics visés par les conventions collectives restent cependant ceux des travailleurs généralement en difficulté; ceci illustre la distinction de départ entre l'élaboration conventionnelle, dans le cas présent, et l'élaboration contractuelle de la formation.

 

Logique économique et formation

Partant du fait que la mise en oeuvre ultime se fait au niveau de l'entreprise - c'est à ce niveau que s'opère l'embauche effective du travailleur - l'aspect économique de cette évolution appelle quelques remarques.

D'une part, l'intérêt économique de l'entreprise apparaît comme la condition majeure pour la persistance d'une logique conventionnelle; d'autre part, les dispositions conventionnelles elles-mêmes peuvent être classées en dispositions favorisant la formation et dispositions favorisant directement l'embauche (primes). On observe ainsi une double réponse au caractère ambivalent du concept de groupes à risque : on pense, de prime abord, au risque du point de vue du travailleur en difficulté (8), il y a cependant le risque du point de vue de l'entreprise, risque qui explique l'incitant financier qui, en fait, a dû être imposé par l'autorité.

Rappelons que les dispositions conventionnelles qui favorisent l'organisation d'une collectivisation du coût de la formation (9) ne visent que les travailleurs des groupes à risques; la formation d'autres travailleurs étant directement assumées par l'entreprise (10).

En l'absence de logique conventionnelle, l'effort financier de formation semble lié au niveau moyen des salaires - les secteurs à salaires élevés consacrant davantage d'effort à la formation (11). La technique de financement de la formation des groupes à risques n'échappe cependant pas à ce clivage sectoriel dans la mesure où la cotisation (0,18 ou 0,25 %) est proportionnelle à la masse salariale; elle est donc plus faible par travailleur dans les secteurs à salaires bas, secteurs qui sont aussi ceux où l'effort financier de formation est, a priori, plus faible.

Le fait d'un financement collectif pour les groupes à risques indiquerait donc que les entreprises d'un même secteur sont disposées à entrer en concurrence l'une par rapport à l'autre à propos de la formation des travailleurs "en difficulté"; elles ne le sont a priori pas pour les autres catégories de travailleurs : le financement par l'entreprise suppose pour ces derniers un espoir de favoriser leur stabilité dans l'entreprise.

La collectivisation du coût suppose en outre que l'entreprise sera satisfaite de "return" qu'elle pourra vérifier de la cotisation qu'elle aura versée; s'il n'en est pas ainsi, ce financement collectif n'est pas appelé à une permanence.

C'est pourquoi il apparaît vraisemblable qu'il y ait un lien entre le mode de mise en oeuvre de ces cotisations (0,18 ou 0,25 ) et la structure du secteur - la taille des entreprises; la formation est susceptible d'être mise en oeuvre dans des secteurs à entreprises de taille moyenne et grande; les primes à l'embauche sont susceptibles de se rencontrer davantage dans des secteurs à petites entreprises (12), où il serait plus difficile de stabiliser les avantages obtenus par la formation.

 

En conclusion

Le degré ultime de collectivisation du coût de la formation est celui où celle-ci est financée et organisée par les Pouvoirs publics. De ce point de vue, un glissement au niveau des secteurs d'activités constitue déjà une dérogation à ce principe. Il laisse apparaître des clivages sectoriels; ceux-ci trouvent, en outre, leur source, comme il a été souligné ci-dessus, dans la technique de financement, proportionnelle à la masse salariale.

La collectivisation, depuis l'entreprise vers le secteur, apparaît cependant comme une nouveauté dans les relations collectives de travail. La question est posée des conditions pour le maintien du caractère collectif.

On a proposé ici des réponses "a priori" en ce sens qu'elles résultent davantage, non seulement de présupposés économiques - le rendement économique de la formation pour l'entreprise - mais aussi de l'inventaire que l'on a pu réaliser des normes dans les conventions collectives sectorielles.

A ce dernier propos, un clivage semblerait apparaître entre les secteurs à entreprises d'une taille qui accepteraient de collectiviser la formation et secteurs à entreprises de plus petites tailles ou plus éclatées qui préféreraient utiliser les ressources financières sous forme de primes à l'embauche, ayant pour effet de réduire le coût salarial.

Il reste cependant une place à l'évaluation de la mise en oeuvre de ces normes, principalement au niveau des entreprises, et des effets sur l'emploi qu'elles auraient engendrés.

(Octobre 1991)

 

Notes

(1) L'interprofessionnel peut lui-même être scindé en un volet officieux, les Accords interprofessionnels, et en un volet officiel, les conventions collectives conclues au Conseil national du Travail; celui-ci n'a pas, jusqu'à présent, conclu de convention portant sur le thème analysé ici.
(2) J. VERLY, Bilan et lignes de force des conventions sectorielles 1987-88, CH du CRISP, 1988, n° 1200, p. 14.
(3) P. BLAISE, J. VERLY, La mise en oeuvre de l'accord interprofessionnel de 1988, CH du CRISP, 1990, n° 1286-87, p. 37.
(4) La formation dans les plus grandes entreprises, les primes dans les entreprises de plus petite taille?
(5) Les arrêtés royaux du 27 février 90 et du 22 juin 90 précisent les conditions d'intervention du Fonds, en faveur des initiatives pour les groupes à risques.
(6) P. Blaise, L'accord interprofessionnel du 27 novembre 1990, CH du CRISP, 1990, n° 1297-98, p. 27.
(7) Sous réserve de l'évolution des derniers mois.
(8) L'expression "travailleur en difficulté" relèverait de la politique sociale dans la mesure où elle soulignerait la dimension économique (professionnelle) du phénomène. Les "groupes à risques" constituent ainsi un sous-ensemble des "travailleurs en difficultés.
(9) Cotisation versée à un fonds sectoriel dans le cas d'une convention sectorielle visant à mettre en oeuvre le 0.18 ou 0.25 %.
(10) Sans interdire évidemment le financement public (formation Forem...).
(11) Selon VANDEWATTEYNE et VAN ASSCHE, dans L'effort de formation des entreprises en Belgique, Fondation Industrie-Université, 1990, "la comparaison entre la participation financière sectorielle et la taille moyenne des entreprises relevant de ces secteurs met en évidence l'impact de l'effet de taille sur l'intensité de l'effort de formation"; les auteurs observent cependant des "limites à cet effet de taille" par exemple dans le cas du secteur de la distribution, secteur à entreprises de taille supérieure à la moyenne et à bas salaires.
(12) Celles-ci bénéficiant par ailleurs de primes à l'embauche dans le cadre d'autres mesures de politique de l'emploi.

 


 

 

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