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Deuxième congrès La Wallonie au Futur
1991 -
Le Défi de l'Education

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Les centres d'enseignement à horaire réduit

André Réa
Chercheur à l'ULB, Institut des Sciences du Travail

 

Au cours des années 80, l'insertion professionnelle des jeunes a constitué un sujet politique important. Il est vrai que durant cette période les jeunes ont particulièrement été touchés par l'augmentation du chômage. La crise de l'emploi a ravivé la thèse de l'inadéquation entre les formations scolaires et les exigences du monde économique, inadéquation présentée comme la cause du chômage des jeunes. L'école fut, durant cette période, particulièrement malmenée et les jeunes, certains jeunes, identifiés par divers qualificatifs relativement stigmatisants. On les dit infra-qualifiés, inadaptés, défavorisés, ou tout simplement "jeunes".

Pour répondre à ladite non qualification des jeunes, la loi du 29 juin 1983 a porté la scolarité obligatoire à 18 ans. Les Centres d'Enseignement à Horaire réduit ont été créés pour accueillir les jeunes qui effectuent une scolarité à temps partiel. Cette loi, notamment dans l'exposé des motifs, présente de manière négative les jeunes qu'elle vise.

D'autres modes de désignation couramment utilisés pour catégoriser les jeunes dont les attitudes et les opinions dérogent aux normes dominantes contribuent également à en faire une classe réelle. Ainsi, existerait-il des groupes de "jeunes exclus", "de jeunes en difficulté", de "jeunes en danger", de "jeunes défavorisés". Ces modes de désignation, par essence nominalistes, juxtaposent parfois, dans une même classe, des individus vivant dans des conditions éloignées. Par ailleurs, ces désignations naturalisent et personnalisent les caractéristiques qui sont au fondement des classements. Les jeunes dénommés "exclus" n'ont pas une existence en soi. La démarche particulière qui consiste à restituer les conditions de production de l'exclusion a notamment fait défaut lors des débats sur la prolongation de la scolarité.

En définissant négativement les jeunes "lassés de l'école", en stigmatisant leurs manques, en ontologisant le caractère de "jeunes à risque", une justification à la loi sur l'obligation scolaire a certes été trouvée, mais elle n'a pas contribué à améliorer la connaissance et la reconnaissance de ces jeunes. Les termes utilisés au cours des années 80 se distinguent peu des modes de désignation utilisés au cours de l'histoire de la scolarisation : la rhétorique de la moralisation. En l'espace d'un siècle, nous sommes passés de la "moralisation de la classe ouvrière" à la "moralisation d'une forme de jeunesse", ce qui n'est, tout compte fait, qu'une variation sur un même thème. Aussi est-il nécessaire d'aborder l'étude de la transition de l'école à l'entreprise, en présentant la jeunesse, notamment, comme le produit de l'état du rapport entre ces deux espaces sociaux.

La période de la vie qualifiée aujourd'hui de jeunesse résulte d'un long processus d'exclusion progressive de la jeunesse biologique de la sphère de production et corrélativement du processus de scolarisation en cours depuis le début du XXème siècle. C'est ce qui nous permet de dire que progressivement le modèle de la jeunesse studieuse a supplanté celui de la jeunesse laborieuse. Les indices de ces deux processus sont, d'une part, la chute des taux d'activité des jeunes de moins de 18 ans et, d'autre part, l'augmentation des taux de scolarisation. Les modifications intervenues dans le passage de l'école à l'emploi s'inscrivent, notamment, dans le prolongement de ce processus.

 

Les Centres d'Enseignement à Horaire réduit

L'étude que nous avons réalisée se base sur une enquête statistique auprès de 1455 élèves inscrits dans les CEHR. Cette enquête quantitative a été complétée par des entretiens avec 28 jeunes.

Trois éléments essentiels se dégagent de l'analyse des trajectoires sociales des jeunes. Les élèves des CEHR se caractérisent avant tout par deux traits communs : l'origine sociale et l'échec scolaire. De plus, les résultats tendent à relativiser la vision trop négative et stigmatisante que certains portent à l'adresse de ces jeunes : les élèves des CEHR ne sont ni sans projet, ni sans motivation.

 

L'origine sociale

Les élèves proviennent en grande majorité des classes populaires, que les parents soient salariés ou indépendants, qu'ils soient belges ou étrangers. Les parents (la plupart du temps père et mère travaillent) exercent le plus fréquemment des métiers d'exécutants, de manoeuvres, soit dans l'industrie, soit dans les services. Lorsque nous parlons de classes populaires, il est clair qu'il ne s'agit ni de classes défavorisées, ni de milieux handicapés socio-culturellement. L'usage de ces deux notions a pour fonction d'occulter les mécanismes de reproduction inégale des ressources en renvoyant aux seules familles la responsabilité de leur propre destin.

Depuis le début de l'histoire de l'instruction publique, les élèves ont tiré de leur expérience scolaire des bénéfices différenciés, notamment en fonction de leur origine sociale. La sur-représentation des jeunes provenant des classes populaires dans les CEHR, tout comme dans l'enseignement professionnel de plein exercice, montre à suffisance que le débat sur l'égalité des chances à l'école est loin d'être clos.

 

L'échec scolaire

Ces élèves sont, par ailleurs, marqués par l'échec scolaire. Celui-ci a souvent débuté durant le cycle primaire. Néanmoins, les effets des échecs scolaires au cours des deux premières années de l'enseignement secondaire semblent peser davantage sur la suite de la scolarité que ceux du cycle primaire. Ceux-ci apparaissent plus, aux yeux des jeunes et de leurs familles, comme des accidents de parcours, aisément acceptables.

Tant l'analyse statistique que les entretiens avec les jeunes convergent pour relever l'importance qu'il faut accorder aux deux premières années de l'enseignement secondaire, et ce indépendamment de l'orientation en début du secondaire. Si les CEHR accueillent prioritairement les élèves provenant de l'enseignement professionnel, tous les jeunes n'ont pas débuté leur scolarité secondaire en 1ère Accueil (1B). L'inscription au CEHR se fait moins au terme d'un cursus scolaire spécifique qu'à la suite d'une accumulation d'échecs scolaires.

Au cours de la crise économique, toute l'attention s'est centrée sur la recherche de la relation formation/emploi, demeurée introuvable. Le faux problème de la qualification a cependant occulté le vrai problème de l'échec scolaire. La généralisation de la scolarisation rend plus visible qu'auparavant ces "ratés" du système. Elle montre, par ailleurs, que l'homogénéisation qui a été un des principes de la scolarisation provoque d'importants échecs et cause de nombreuses pertes. L'interprétation substantialisée qui trop souvent prévaut pour expliquer ces échecs scolaires ne permet pas de mettre à jour le processus mystificateur qui consiste à faire passer pour "doués" les individus qui sont "dotés" des prédispositions pour jouer les jeux gagnants de l'école. L'absence d'analyse de l'effet scolaire sur les destins sociaux est alors au principe des jugements qui stigmatisent ceux qui n'ont pu utiliser l'école comme instrument de consécration sociale.

 

Devenir professionnel, devenir social

L'analyse statistique a mis en évidence l'absence de relation causale entre le cursus scolaire et l'occupation durant l'autre mi-temps. Si le niveau scolaire ne détermine pas l'occupation durant l'autre mi-temps, la politique de l'établissement joue, par contre, un rôle déterminant sur l'insertion professionnelle des jeunes.

Le nombre d'élèves bénéficiant d'un contrat de travail ou d'un contrat d'apprentissage est infinitésimal. Une forme particulière de mise au travail se développe : le stage. Celui-ci, sans aucun cadre légal, peut être considéré comme une pratique de formation en alternance (aspect pédagogique) et comme un mode d'insertion professionnel (aspect statutaire). Si d'aucuns lui attribuent une vertu pédagogique, sans doute à raison, il est difficile de ne pas le considérer aussi comme une forme précarisée de l'entrée dans la vie active.

Pratiquement tous ces jeunes s'orientent vers les segments secondaires du marché de l'emploi, dans les postes manuels d'exécution. Les jeunes engagés dans les contrats de formation en alternance auront probablement un emploi sur le marché primaire de l'emploi et connaîtront un autre statut social : celui d'ouvrier qualifié.

Des acteurs sociaux, notamment certains employeurs, évoquent l'absence de motivation au travail. L'analyse des représentations et des pratiques de ces jeunes montre au contraire qu'une majorité de ceux-ci sont motivés par le travail. Par ailleurs, ce qui peut apparaître comme une forme "d'absence de motivation" ne doit pas être confondu avec la désillusion qui peut accompagner l'exercice du travail. Ainsi, le décalage entre les attentes des jeunes en matière d'apprentissage d'un métier et les tâches qui leur sont objectivement proposées peut être au principe du désenchantement manifesté. Dans ce cas, le problème tient moins aux caractéristiques des jeunes qu'à celles du travail exercé, de ses conditions et de son environnement. En d'autres termes, il ne suffit pas de savoir si les jeunes sont motivés, encore faut-il savoir si le travail est motivant; de même il ne suffit pas que les jeunes soient qualifiés, il faut encore que le travail qualifie.

De nombreux jeunes ont défini un devenir professionnel et personnel. L'analyse typologique a révélé l'existence de diverses formes de définition. Toutefois, l'occupation durant le second mi-temps ou le statut du jeune sont des critères insuffisants pour apprécier et différencier ces devenirs professionnels.

Ils se distinguent selon les logiques d'action dans lesquelles les jeunes évoluent. Les pratiques qui en émergent ne sont pas réductibles aux déterminants antérieurs, qu'ils soient familiaux ou scolaires; elles s'inscrivent dans le champ de la mobilisation des ressources. Elles se construisent à partir de l'interaction entre la représentation du travail et de la qualification d'une part, et les déterminants sociaux, familiaux et scolaires d'autre part. Elles dépendent aussi de la capacité des familles à jouer la mobilité sociale.

Pour certains, ces pratiques s'élaborent au sein du CEHR qui constitue alors un lieu de structuration. Pour d'autres, elles préexistent à l'inscription ou CEHR. Enfin, les jeunes dont le devenir professionnel est encore indéterminé, trouvent dans le CEHR un lieu d'attente, de transition, duquel émergera peut-être la définition d'un devenir professionnel.

(Octobre 1991)

 


 

 

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