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Deuxième congrès La Wallonie au Futur
1991 -
Le Défi de l'Education

Congrès permanent La Wallonie au futur - Index des congrès

 

 
Formation et emploi

Matéo Alaluf
Professeur à l'Institut des Sciences du Travail à l'ULB

 

1. Critique de la notion d'adéquation

Avec la crise, le débat sur les relations entre formation et emploi a gagné en importance et se trouve au centre des polémiques.

Si les termes du débat se sont continuellement modifiés, celui-ci, paradoxalement, ne semble guère se renouveler pour autant quant au fond. Bien sûr, alors que précédemment l'accent était mis sur les problèmes d'inégalité d'accès à l'école et au travail et que l'on se préoccupait des pénuries de main-d'oeuvre, à présent la réflexion s'inscrit dans un contexte de chômage.

Le problème reste cependant celui de l'orientation scolaire et professionnelle des jeunes, d'une part, et celui de l'évaluation du système dans ses filières, ses contenus et ses méthodes, d'autre part. Pour y répondre, c'est une vieille notion, abandonnée depuis la fin des années '70, qui reprend le dessus : celle de l'adéquation du système d'enseignement aux besoins des entreprises en personnel scientifique et technique qualifié. Quelle est d'abord la pertinence de cette conception de l'adéquation qui polarise à nouveau les polémiques?

Cette problématique de l'adéquation ne provient pas des disciplines académiques (économie et sociologie) relatives à l'éducation et à l'emploi. Une étude récente fait bien le point en la matière (1). Pour l'économie de l'éducation, l'après-guerre a été nettement dominée par la théorie du "capital humain" qui considère l'éducation scolaire comme un investissement productif. La sociologie de l'éducation, marquée par les travaux de Pierre Bourdieu, a pour une bonne part opéré une reconversion de la notion de capital économique en capital culturel, et mis en avant la théorie de la "reproduction". De même, bien que s'opposant aux analyses en termes de reproduction sociale, le modèle "d'inégalités des chances" développé par Raymond Boudon place aussi au centre du débat la notion de "mobilité sociale" (2).

En fait, ce sont les travaux relatifs à la planification, au lendemain de la guerre, qui poseront la question en termes d'adéquation. Dès le premier plan français, M. Jean Monnet pose le problème en ce qui concerne la reconstruction des secteurs de base, et le deuxième plan (1952-1957) désigne les pénuries de main-d'oeuvre qualifiée comme élément de blocage de la croissance. Par après, les plans envisagent la planification des flux scolaires en fonction des perspectives de développement des différents secteurs d'activité. Ainsi les flux scolaires devront-ils correspondre aux prévisions d'emploi par secteur, par région et par profession. La confirmation des flux scolaires avec les évolutions professionnelles projetées devrait aboutir à des balances d'emploi équilibrées, attestant ainsi de l'adéquation entre les emplois offerts et les formations reçues. Tout écart entre les connaissances acquises et celles qui sont utilisées correspond, suivant cette démarche, à des gaspillages. Dans cette conception, le système éducatif doit obéir aux injonctions de l'appareil productif.

Comme dans les autres pays industrialisés, en Belgique aussi ces orientations, largement stimulées par l'OCDE, se développent. L'information de base sur les besoins en main-d'oeuvre est fournie par les recensements généraux de la population, ainsi que par les enquêtes menées depuis 1956 par le Centre d'Etude des Problèmes sociaux et professionnels de la Technique (CEPSPT) (3). Ces données font ensuite l'objet de projections par extrapolation des tendances passées. C'est ainsi que le Conseil national de la Politique scientifique établit son rapport sur l'expansion universitaire (4), et que les travaux de Bureau de Programmation économique d'abord et du Bureau du Plan ensuite tentent d'établir des prévisions d'offre et de demande de diplômés (5).

Cependant, au fur et à mesure que ces travaux progressent et se développent, l'idée selon laquelle les flux de formation doivent se calquer sur les prévisions d'emploi paraît contestable du point de vue de l'analyse économique. Ainsi le fait que les modèles ne peuvent prendre en compte les phénomènes de mobilité professionnelle, la fragilité des nomenclatures qui servent de base aux prévisions, le fait que les projections sectorielles supposent l'homogénéité (non vérifiée) des structures d'emploi correspondantes et qu'elles ignorent l'influence du progrès technique et des transformations des structures de l'emploi (6) sont mis en évidence. De plus cette tentative d'appréhension des structures de l'emploi peut être taxée "d'écononisme" dans la mesure où elle ignore totalement les facteurs sociaux et institutionnels du changement. Les évolutions observées ne sont-elles pas, en effet, tout à la fois le résultat des contraintes de rentabilité, mais aussi des aspirations et des insatisfactions des partenaires en présence, à savoir les employeurs et les travailleurs? L'analyse ne peut donc pas faire abstraction des revendications et stratégies des organisations syndicales et patronales, ni des politiques d'emploi et de résorption du chômage mises en oeuvre par les pouvoirs publics.

Si bien que la confrontation des prévisions avec les tendances observées a mis en évidence non seulement les lacunes techniques des projections, mais aussi l'inconsistance des bases théoriques sur lesquelles elles reposaient. Elles furent donc progressivement écartées des travaux de planification. En fait tous les résultats des recherches convergeaient : ce n'est pas en termes d'adéquation qu'il fallait envisager les rapports entre formation et emploi. Tout indiquait au contraire que l'acquisition de "savoir" et "savoir-faire" et leur mise en oeuvre dans une activité économique, ou encore la possession d'un titre scolaire et l'exercice d'une profession s'articulent à partir de médiations multiples et de rapports complexes.

 

2. Tendances significatives

Les différentes études sur les structures d'emploi menées en Belgique que nous venons d'évoquer permettent de dégager un certain nombre de tendances significatives.

On est d'abord frappé par la diversité des diplômes dont sont porteurs les travailleurs dans un secteur d'activité déterminé. On peut effectivement penser que la probabilité d'accéder à un certain niveau d'emploi est la plus forte pour le niveau de formation qui lui correspond "normalement". Encore faudrait-il pouvoir définir "le niveau de formation normal", et prendre en compte l'ensemble des diplômés de niveau excentrique par rapport aux diplômés "normaux" et présents dans toutes les activités. Prenons par exemple le cas des fabrications métalliques. Ce secteur se caractérise par la proportion relativement importante qu'occupent les diplômés de l'enseignement technique et professionnel. Mais on y trouve également un grand nombre de diplômés de l'enseignement général et même artistique. Il n'existe donc pas de correspondance directe entre type de formation et emploi occupé.

Cette hétérogénéité sectorielle une fois admise, on peut également dégager des spécificités propres aux différentes activités. Ainsi dans l'agro-alimentaire les travailleurs peu scolarisés sont particulièrement nombreux et les niveaux intermédiaires très peu fournis; dans la chimie, les taux d'encadrement en diplômés universitaires et de l'enseignement supérieur sont relativement élevés, alors qu'ils sont faibles dans la construction; enfin, dans les fabrications métalliques et les transports, la part des diplômés de l'enseignement technique secondaire, supérieur et professionnel est relativement importante dans l'emploi sectoriel (7).

On observe également au niveau de la population active occupée, d'une part, une proportion importante de travailleurs qui disposent seulement d'un diplôme de l'enseignement primaire, mais, d'autre part, on enregistre la diminution très nette de cette catégorie de diplômés au cours des dernières années. Ainsi se trouve confirmée la tendance suivant laquelle, en période de crise, les taux de scolarisation de la population tendent à augmenter considérablement. En période de manque d'emploi, on a effectivement tendance à prolonger la scolarité de manière à retarder le moment du chômage, de la recherche difficile d'un travail ou de l'émigration.

La principale tendance observée à travers ces différentes enquêtes réside cependant dans le contraste entre l'augmentation importante du niveau d'instruction des travailleurs depuis le début des années 70, et la stabilité relative des structures de l'emploi, en particulier des proportions d'ouvriers qualifiés, spécialisés et manoeuvres pendant la même période. Pour occuper un même emploi aujourd'hui, il faut avoir un niveau d'instruction nettement plus élevé que quelques années auparavant. Si bien que la disparité que nous avons soulignée entre titre scolaire et classement professionnel revêt en fait une signification concrète dans le cadre du fonctionnement des marchés du travail.

(Octobre 1991)

 

Notes

(1) Sous la direction de L. TANGUY, L'Introuvable relation formation/emploi. Un état des recherches en France, La Documentation française, Paris, 1986.
(2) Ces aspects ont été développés dans M. ALALUF, Le Temps du labeur. Formation, emploi et qualification en sociologie du travail, éd. de l'Université de Bruxelles, 1986. Voir en particulier le chapitre 5.
(3) Voir à ce sujet : Premier Livre blanc sur les besoins de l'économie belge en personnel scientifique et technique qualifié, Bruxelles 1958; Deuxième Livre blanc sur les besoins de l'économie belge en personnel scientifique et technique qualifié, Bruxelles 1972, ainsi que les diverses études sectorielles réalisées par le CEPSPT entre 1956 et 1975.
(4) Conseil national de la Politique scientifique, L'Expansion universitaire, Bruxelles, 1969 (2 volumes).
(5) Bureau du Plan, Plan 1971-1975. Population et Emploi, mai 1971.
(6) Nous avons déjà développé cet ensemble de critiques dans M. ALALUF, La prévision d'emploi par niveau et par type de formation et une nouvelle approche de la qualification, dans Revue de l'Institut de Sociologie, n° 2, 1974, p. 353 à 363.
(7) M. ALALUF, et R. DE SCHUTTER, Diplômés de l'enseignement technique et activités professionnelles agro-alimentaire, chimie, fabrications métalliques, transports, Etude effectuée par l'Institut de Sociologie de l'ULB à la demande du Ministère de l'Education nationale et de la Culture française, Bruxelles, 1981.

 


 

 

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