Institut Destrée - The Destree Institute

               Accueil

Organisation

Recherche scientifique

Education permanente

Conseil

Action

Evénements

 

 

 

Deuxième congrès La Wallonie au Futur
1991 -
Le Défi de l'Education

Congrès permanent La Wallonie au futur - Index des congrès

 

 
Politiques de formation et Emploi en Communauté française :
bilan et perspectives

Christian Maroy
Chercheur à l'UCL, Institut des Sciences du Travail et FOPES

 

Les politiques de formation et d'éducation sont de plus en plus interrogées du point de vue de leur impact sur l'emploi et l'économie. Le développement des qualifications de la main-d'oeuvre apparaît en effet de plus en plus important dans la lutte contre le chômage persistant de couches importantes de la population ou dans le développement de la compétitivité de l'économie. Bref les politiques et des dispositifs de formation sont au coeur d'enjeux économiques et sociaux dont l'importance va croissant.

Les différentes contributions des intervenants de l'atelier portent chacune sur un type d'institution ou de dispositif de formation dont l'effet est de modeler les frontières, les structures ou les qualifications de la population active. Loin de vouloir se substituer à ces apports, la synthèse que je propose vise à souligner les lignes de forces et les aspects transversaux des diagnostics effectués dans chaque contribution.

Mon propos sera d'abord de proposer une définition du champ sur lequel porte les différentes contributions. Ensuite de repérer les principales tendances qui me semblent avoir traversé ce champ au cours de la décennie 80, notamment du point de vue du type d'actions de formation mises en oeuvre. Il sera alors possible de montrer les rôles évolutifs qu'y ont joué d'une part l'Etat et d'autre part les interlocuteurs sociaux. Ceci pourra être illustré dans les différents terrains concrets sur lesquels portent l'analyse des membres de l'atelier : ainsi on pourra rappeler les diagnostics effectués à propos de l'enseignement professionnel et de la problématique de l'adéquation enseignement-système productif (J.E. Charlier, Matéo Alaluf), des politiques et dispositifs d'insertion des jeunes (A. Rea et P. Georis), des politiques de formation professionnelle du Forem (C. Maroy) et, last but not least, de la place de la formation dans les négociations sociales (J. Verly). En finale, on évoquera les propositions politiques que nous soumettons à la discussion.

 

1. Evolutions socio-économiques et orientations de la formation postscolaire.

Mis à part le travail opéré sur l'enseignement professionnel initial, les autres contributions portent sur des actions ou des politiques qui relèvent de la formation professionnelle postscolaire. Nous entendons par formation postscolaire l'ensemble des actions de formation qui s'adressent à des publics qui ne s'inscrivent plus dans un cycle de scolarité initiale. Les publics dont il s'agit peuvent avoir mené ou non leur scolarité à son terme. Il s'agit tantôt de publics socialement définis comme jeunes, en référence à l'école ou à la famille (les "jeunes" de 18 à 25 voire 30 ans "sortis" du système scolaire, ou ayant "décroché" du système scolaire), tantôt de publics définis comme adultes et souvent par référence au travail (chômeurs ou travailleurs). Parmi ces formations, nous n'aborderons que les formations à finalité "professionnelle" : ces formations s'adressent implicitement ou explicitement aux personnes en tant que "main-d'oeuvre" potentielle, en tant que membres de la population active, occupée ou inoccupée. Elles définissent leurs objectifs en référence à la demande d'emploi ou au "marché du travail". Les objectifs déclarés de ces actions peuvent alors être de plusieurs ordres : formation professionnelle accélérée de chômeurs, formation continuée du personnel des entreprises, remise à niveau des connaissances en vue d'une formation professionnelle, etc. (voir Maroy 1991).

Les différentes contributions confirment que les formations professionnelles postscolaires se sont développées dans trois directions :

  • développement d'initiatives de formation professionnelle instaurées à l'initiative des entreprises ou de secteurs professionnels. Il s'agit notamment de formation continuée dans la mesure où elles visent à compléter la formation initiale du personnel de ces organisations; que l'on songe ainsi aux formations initiées par les secteurs d'entreprises (1) ou par les entreprises dont plusieurs études ont montré la croissance (voir de Brier 1990, Vandewattyne et Vanassche 1991).

  • développement de formations basées sur le principe de l'alternance, visant à assurer la transition professionnelle des jeunes, de l'école à l'emploi; on connaît ainsi le développement d'un arsenal légal instaurant les contrats d'apprentissage professionnels, les EAP, les contrats emploi-formation, les centres d'enseignement à horaire réduit etc... (voir les contributions de Georis et Rea pour le présent colloque).

  • développement d'un "marché" de formations visant soit à répondre aux demandes individuelles de promotion ou de reclassement professionnels, soit à favoriser la réinsertion sociale et professionnelle de personnes peu "employables" sur les marchés du travail. D'une part, on a vu ainsi les universités ou les écoles supérieures, mais aussi des organismes de formation publics (FOREM) ou des entreprises privées proposer un nombre croissant de formations à des personnes relativement bien nanties économiquement et culturellement désireuses de se recycler, de se perfectionner voire de se reconvertir. Dans la seconde optique, on a vu des associations d'éducation permanente ou de travail social, ou des organismes de formation publics (FOREM, Promotion sociale) offrir des formations générales ou techniques aux sans-emploi dotés de compétences culturelles très faibles et largement marginalisés des emplois productifs ou d'autres formes de formation (voir la contribution de Maroy).

Ces évolutions importantes du type d'offres de formation et de leurs finalités sont favorisées par deux types d'acteurs dont la présence mais surtout l'ampleur de l'intervention dans le domaine sont nouvelles: d'une part, l'Etat au travers de son activité réglementaire ou de ses interventions financières, d'autre part, les interlocuteurs sociaux qui font de la formation un thème de plus en plus important de leurs négociations comme le montre J. Verly.

En outre, il faut mettre en évidence que le financement de la formation postscolaire n'est plus seulement d'origine publique, mais qu'il provient à l'occasion des récents accords interprofessionnels de nouvelles cotisations sociales de la part des entreprises.

Ces évolutions de l'offre de formation professionnelle postscolaire, ces interventions croissantes de l'Etat ou des interlocuteurs sociaux au cours des années 80 apparaissent sur une toile de fond socio-économique marquée principalement par deux types de changements structurels, de la structure de l'appareil de production d'une part, de la population active d'autre part. La modernisation technologique des entreprises tend en effet à susciter diverses évolutions du travail et des qualifications, s'accompagne parfois de changements plus ou moins prononcés de l'organisation du travail, ce qui ne va pas sans induire divers besoins de formation du personnel occupé dans les entreprises tout en alimentant parallèlement les rangs des chômeurs. Les évolutions de l'offre de formation sont aussi nourries de l'augmentation du chômage, et elles apparaissent fortement associées à la dégradation de la situation de couches sociales ou de catégories de main-d'oeuvre dont le chômage apparaît particulièrement préoccupant par son niveau, mais aussi par sa durée ou son caractère structurel : il en va ainsi successivement du chômage des jeunes, surtout les moins qualifiés, des femmes, ou plus globalement de l'ensemble des chômeurs de niveau de formation ou de qualification faibles qui forment les gros bataillons du chômage de longue durée.

Au delà de cet environnement, je voudrais souligner quelques unes des tendances lourdes qui sont mises en évidence dans les différentes contributions. Je voudrais aussi illustrer la croissance du rôle de l'Etat et des interlocuteurs sociaux en détaillant davantage ce qui s'observe successivement dans quatre domaines, explorés par les différents contributeurs de l'atelier :

  • tout d'abord, l'évolution de l'enseignement professionnel initial, qui permet d'interroger simultanément la pertinence d'une approche en terme d' "adéquation aux besoins des entreprises";

  • les formations qui prennent place dans le cadre des politiques d'insertion professionnelle et sociale des jeunes. Il s'agit des formations assurant la transition des jeunes de l'école à l'emploi, déjà évoquées.

  • les évolutions des offres de formation du Forem.

  • enfin, l'évolution des interventions des entreprises et des syndicats dans le domaine de la formation.

 

2. L'évolution de l'enseignement professionnel et la question de l'adéquation emploi-formation.

Les contributions de J.E. Charlier et de M. Alaluf convergent sur un point central : il est difficile, voire impossible, d'envisager la pertinence de l'enseignement professionnel et de son évolution, en l'interrogeant seulement du point de vue de son adéquation aux demandes de main-d'oeuvre des entreprises.

En effet, ces demandes sont multiples et se différencient selon le type d'entreprises : certaines grandes entreprises lui demandent surtout de fournir des élèves dotés de capacités générales, qu'elles se chargent après coup de spécialiser par elles-mêmes une fois intégrés dans l'entreprise; à l'inverse, de plus petites entreprises demandent une formation très spécialisée qu'elles rencontrent évidemment rarement telle quelle dans les différentes sections de l'enseignement professionnel.

Le dilemme qui se pose à l'école est alors de savoir si elle maintient son rôle de service public, devant rencontrer au delà des besoins particuliers de tel ou tel employeur, les exigences d'une formation générale préparant à l'exercice des rôles de citoyen, de parent etc..., ou à l'inverse si elle se réduit à un simple outil de formation au service des entreprises.

Dans le même ordre d'idée, M. Alaluf montre que les tentatives françaises de planification des sorties du système d'enseignement en fonction des prévisions d'emplois et de qualifications, se sont heurtées à des obstacles de méthode et de fond. Ainsi, les prévisions d'emplois reposent le plus souvent sur des projections dont les hypothèses de départ font l'impasse sur plusieurs facteurs qui sont pourtant lourds de conséquences : la non prise en compte des effets du progrès technique, l'hypothèse d'homogénéité des structures d'emploi au sein de chaque secteur, l'hypothèse d'une absence de mobilité sectorielle de la part des offreurs de travail. Ces difficultés rendent dès lors problématique la recherche d'une réelle planification de l'enseignement en vue d'une supposée adéquation aux besoins de main-d'oeuvre. La supposée inadéquation entre l'enseignement et les emplois disponibles lui paraissent d'ailleurs largement difficile à croire dans la mesure où le niveau d'études des générations successives sorties du système scolaire n'a fait que s'accroître alors que les structures d'emploi dans divers secteurs industriels restent stables entre les années 70 et 80.

J.E. Charlier ajoute quant à lui, que les effectifs de l'enseignement professionnel se sont considérablement accrus entre 76 et 84 en raison principalement d'un allongement spontané de la scolarité de la part des élèves et des familles.

Dans ces contributions, deux questions liées à la thématique de l'adéquation me semblent posées, questions souvent confondues qu'il importe, me semble-t-il, de dissocier :

  • la question de l'écart ou de la proximité effective entre les qualités et compétences produites par le système d'enseignement et les qualités et compétences variées et variables requises dans les divers secteurs de l'univers productif, compétences requises dans le cadre d'un ordre normatif et de rapports sociaux particuliers.
    Sur cette question, J.E. Charlier répond que la proximité est tantôt réalisée, tantôt non; M. Alaluf avance que l'écart est peu probable vu l'élévation générale du niveau de formation.

  • la question de la planification des offres de l'enseignement en fonction des besoins futurs de qualifications des entreprises : sur ce point, nos contributeurs ont insisté sur les difficultés pratiques et théoriques d'un telle visée, sans parler des contradictions qu'elle peut entretenir avec d'autres missions dévolues à l'école (professionnelle en particulier).

On voit d'emblée les liens qu'entretiennent ces deux questions; il est cependant utile de les distinguer; en effet s'il apparaît que la planification du système d'enseignement initial est difficile voire peu opportune, cela n'induit en rien la réponse à la première question. Le constat peut en effet aller de pair avec deux réponses opposées : soit considérer qu'il n'y a pas de décalage, soit considérer qu'il y en a. Dans cette dernière hypothèse, il apparaît alors évident qu'il faille chercher d'autres modes de résorption des décalages, si tant est qu'un tel objectif apparaît pertinent.

Or un tel objectif peut davantage faire l'objet des politiques de transition des jeunes de l'école à l'emploi, ou des politiques de formation professionnelle postscolaire.

 

3. Les politiques de formation dans le cadre des politiques d'insertion professionnelle et sociale des jeunes peu qualifiés.

En ce domaine, les contributions font d'abord apparaître un fait patent et massif : l'institutionnalisation de dispositifs de formation assurant la transition de l'école à l'emploi. Quels sont alors les enjeux clés qui apparaissent de façon transversale ?

Tout d'abord la question de la genèse de ces dispositifs. Pour A. Réa, qui s'est surtout centré sur la naissance des CEHR, il s'agit d'un moment dans un processus d'extension d'un modèle de "jeunesse studieuse" à la classe ouvrière. La jeunesse n'est jamais en effet que le résultat d'une exclusion de la sphère productive; la loi de prolongation de la scolarité de 83 qui fut au point de départ des dispositifs et des politiques d'insertion engendre de ce point de vue une modification des frontières de la population active, modification qui fut légitimée par une rhétorique de la moralisation : on justifie la prolongation de la scolarité au nom du chômage des jeunes qu'on attribue à leur formation déficiente. Bref, on assiste à une disqualification d'une fraction de la jeunesse ouvrière (infrascolarisée, à problèmes etc.) qui justifie dès lors des mesures spécifiques à son endroit.

P. Georis, pour sa part, met surtout en évidence le fait que la naissance des EAP, a été un moment de confusion sémantique, dans la mesure où les EAP ont autant désigné des logiques de formation par le travail, que des initiatives visant à créer de l'emploi ou des activités occupationnelles. Or pour lui, seule la première visée doit être recouverte par le label d'EAP que les dispositions légales ont consacré. Cette idée de formation par le travail a pris naissance dans deux terrains qui se sont rapprochés par la suite : l'éducation permanente et le travail social. On y a compris que la demande des publics populaires auxquels ils s'adressaient était moins une demande de formation qu'une demande de travail, de revenus, de statut. Dans un contexte de chômage massif, où l'accès à l'emploi devient plus difficile pour les moins formés, la solution apparaît alors : celle de réengager une dynamique de formation au travers d'une insertion dans une activité productive. Partie du terrain, une telle idée a trouvé une conjoncture politique favorable qui a permis sa reconnaissance institutionnelle dans le champ de la formation. Cependant, ces initiatives ont connu ultérieurement des crises chroniques qu'on peut imputer à leur précarité structurelle, précarité résultat d'un "effet de système" généré par la conjoncture politique : alors que la place de cette nouvelle offre de formation est consacrée dans des dispositifs de la Communauté française, les moyens en personnel dépendant de l'Etat national puis de la Région, les aides à l'investissement et à l'activité économique dépendant de la Région, n'ont pas été suffisants. De ce fait, les expériences des EAP après leur institutionnalisation en 1987 n'ont jamais connu une réelle vitesse de croisière.

Au delà des questions des conditions sociales de naissance et de développement des expériences des CEHR et des EAP, un double enjeu est alors abordé dans ces communications :

D'une part, il apparaît qu'une des originalités et fonctions spécifiques de ces dispositifs par rapport à des dispositifs classiques de l'enseignement professionnel ou de la formation professionnelle, est d'organiser, autant que faire se peut, l'accès à l'emploi ou au moins l'inser-tion temporaire dans un lieu de production, ce qui peut être vu d'une part comme une forme de formation et simultanément comme une modalité particulière de mise au travail. Or de ce point de vue, les conditions précaires de fonctionnement des expériences des EAP expliquent les effets mitigés de ces dispositifs du point de vue d'un accès à l'emploi durable.

En outre, A. Réa montre que l'ensemble des dispositifs d'insertion successivement mis en place (contrats d'apprentissage industriels, contrats emploi formation, les contrats d'apprentissage des classes moyennes, les CEHR, EAP) est caractérisé par une hiérarchisation de fait, si on les considère du point de vue des conditions d'accès d'une part, des statuts et contrats offerts aux jeunes d'autre part. Il rejoint là des diagnostics posés par d'autres auteurs (Charlier et alii 1989, Maroy 1991). On peut ainsi considérer que les garanties du point de vue sécurité sociale, rémunération et statut du stagiaire, sont meilleures dans les contrats d'apprentissage industriels ou dans les contrats emploi-formation que dans les contrats d'apprentissage "Classes moyennes", ou plus encore les EAP ou CEHR. Parallèlement à cette hiérarchisation des avantages, on peut d'ailleurs remarquer une hiérarchisation du public désigné comme cible : les jeunes définis comme les plus désavantagés sur le marché de l'emploi, les "jeunes défavorisés" se retrouvent ainsi dans les dispositifs les moins intéressants du point de vue des moyens. Les dispositifs de transition de l'école à l'entreprise tendent donc à s'inscrire dans une logique de classification que partagent nombre de dispositifs d'intervention de l'Etat. Cette fonction classificatrice pourrait produire des effets d'étiquetage des jeunes, qui ne sont pas neutres du point de vue de leurs trajectoires et des différentes positions professionnelles qui leur sont accessibles. Ainsi, les résultats d'un dispositif comme l'EHR apparaissent d'ores et déjà en deçà des rêves de leurs promoteurs. Le mi-temps "productif" est souvent effectué à titre de stagiaire plutôt qu'à titre de salarié ou d'apprenti rémunéré. Si du point de vue de la formation le résultat peut être intéressant, du point de vue de l'accès à l'emploi, le risque est non négligeable que l'issue dominante de l'EHR relève au mieux du marché secondaire du travail.

Les deux contributions d'A. Réa et P. Georis, mettent donc l'accent sur deux problèmes clés :

  • les risques d'étiquetage négatif et de marginalisation dans des "ghettos" pour "exclus" que de tels dispositifs peuvent générer si de réelles possibilités de passerelles vers des formations qualifiantes, des emplois et des itinéraires d'accès à l'emploi ne sont pas recherchés de façon volontariste.

Les effets positifs du volontarisme se laissent ainsi entrevoir dans le fait que les politiques des établissements sont décisives, plus que les caractéristiques du jeune, dans l'accès à un stage pour un élève des CEHR. A fortiori, l'accès à l'emploi ne peut être gagné de façon spontanée.

  • les hiérarchisations de fait entre différents dispositifs du point de vue des possibilités légales et des moyens effectifs (en hommes ou argent) de fonctionnement.

En définitive, il apparaît que l'Etat intervient de façon de plus en plus développée dans l'organisation de l'accès aux emplois de la main-d'oeuvre juvénile. Cependant, l'analyse des modalités d'organisation de cet accès montre qu'il y a une forme de segmentation des dispositifs d'insertion qui semble épouser celle des emplois et des marchés. Dans cette mesure, la lutte contre le cloisonnement des dispositifs, contre leur isolement, paraît décisive pour lutter à la fois contre les inégalités d'accès aux savoirs et qualifications, et contre l'inégalité d'accès à l'emploi, a fortiori à un emploi satisfaisant.

 

4. Les politiques de la formation professionnelle du Forem-Onem francophone.

C. Maroy met en évidence qu'au cours des années 80, la FPA francophone n'a pas renoncé à ses missions de base : tâcher de répondre aux besoins de main-d'oeuvre des employeurs (objectif économique) tout en s'efforçant de reclasser dans l'emploi les chômeurs (objectif social). Cependant, il apparaît de plus en plus que ces objectifs sont poursuivis de façon segmentée, séparée par les différents secteurs de formation de la FPA. L'essentiel du propos de Maroy est en effet de montrer qu'au delà de l'extension et de la diversification des activités de la FPA au sein du Forem, il y a eu progressivement une cohabitation des centres de formation (tertiaires principalement) menant une logique économique et d'autres (COISP, les centres secondaires également) qui mènent une logique visant davantage le reclassement dans l'emploi. Les centres tertiaires ont une action plus "économique" dans la mesure où leur objectif essentiel est de pouvoir placer dans le délai le plus bref les stagiaires passés dans leurs centres. Ce placement est sensé constituer une réponse à un besoin de main-d'oeuvre. Or, une telle logique aboutit dans le cadre d'une formation qui reste accélérée à élever le niveau moyen d'études des stagiaires sans qu'on ne puisse assurer qu'une fonction de régulation du marché du travail ne soit assurée pour autant. Les autres centres mènent, au moins partiellement, une logique sociale, au sens où certaines actions de formation ou d'orientation ont pour but explicite de reclasser des demandeurs d'emploi "peu employables" dans un milieu productif. Dans ce contexte, Maroy s'interroge sur les effets d'égalisation des chances d'accès à la qualification et à l'emploi produits par les formations du Forem. Il émet l'hypothèse que dans les années 60, l'effet des formations de feu l'Onem avait un effet d'égalisation des chances; à présent, on peut se demander si la bipolarisation des logiques de formation au sein du Forem ne creuse pas les différentiels d'employabilité et de qualification, n'accentue pas les inégalités des chances d'accès à l'emploi. En effet, les formations qui "placent" le mieux leurs stagiaires ( les formations tertiaires notamment) tendent à renforcer l'employabilité de demandeurs d'emploi déjà relativement bien dotés en terme de niveau d'étude et de compétences professionnelles initiales, alors que les formations à logique sociale n'ont pas toujours les moyens de mener leurs objectifs de reclassement jusqu'au bout dans la mesure où les cloisonnements entre centres de formation ne sont pas minces, par exemple entre COISP et centres tertiaires. Or, nous pouvons nous demander, avec P. Georis, si, pour atteindre l'objectif social de reclassement, de telles passerelles ne devraient pas au contraire être développées, de façon à doter ces personnes de seuils de connaissances techniques, sociales et générales suffisants que pour être réembauchées.

Dans la même optique, nous pouvons également nous demander s'il ne faudrait pas aussi abandonner ou tempérer le caractère court et accéléré de la formation professionnelle du Forem, dans la mesure où cette temporalité s'imposait surtout pour rencontrer rapidement l'objectif de régulation conjoncturelle du marché du travail dans les années 60. A présent, ce caractère court ou accéléré de la formation professionnelle a surtout pour conséquence la mise à l'écart des stagiaires les moins formés puisque, étant donné le temps de formation disponible, leurs connaissances sont jugées insuffisantes pour réussir un placement à court terme après la formation. On a vu ainsi combien le secteur de formations tertiaires tendait à augmenter ses critères d'accès à la formation.

Le caractère accéléré de la formation professionnelle ne garantit pas pour autant "l'effet de régulation" du marché du travail, visant à diminuer les pénuries de main-d'oeuvre qualifiée des employeurs. Si les centres tertiaires et secondaires se justifient par le taux de placement réalisé à la fin de leurs cycles, une telle mesure n'indique pas nécessairement qu'il y avait "pénurie de main-d'oeuvre". Nonobstant les difficultés pédagogiques que poserait un tel allongement du temps de formation, du fait du rapport d'un public peu scolarisé à une activité de formation, les actions pourraient cependant être rallongées si on voulait vraiment réussir le reclassement des personnes les moins employables, ce qui suppose une appropriation de compétences techniques et générales plus importantes actuellement que dans les années 60.

 

5. Le développement de la formation comme enjeu des négociations sociales.

La contribution de Jean Verly centrée sur l'évolution de la formation comme enjeu des négociations entre interlocuteurs sociaux incite à d'autres réflexions intéressantes :

  • J. Verly met en évidence que la formation au sein des entreprises fait le plus souvent l'objet d'une logique contractuelle entre l'employeur individuel et son employé, plutôt que d'une logique conventionnelle, impliquant un accord collectif au niveau de l'entreprise ou du secteur. Néanmoins, les évolutions récentes en la matière attestent que la formation commence à rentrer dans une logique conventionnelle. Ainsi, la signature des derniers accords interprofessionnels de 89-90 et 91-92 consacrant 0,18 puis 0,25 % de la masse salariale à la formation et à l'emploi des groupes à risques est importante parce qu'elle inaugure une extension des ressources financières consacrées à diverses formes de formation professionnelle postscolaire. Elle signifie également l'apparition d'une nouvelle forme de ce financement. Alors qu'il s'agissait d'une activité essentiellement financée par l'Etat, il s'agit dorénavant d'une activité partiellement financée sur base de cotisations patronales nouvelles.

  • les modalités de mise en oeuvre de ces accords interprofessionnels appellent d'autres remarques : ainsi pour l'essentiel les accords doivent être concrétisés au niveau du secteur ou de l'entreprise. Ceci a un effet sur les rapports entre secteurs et entreprises forts et faibles : d'une part les sommes récoltées dépendent toujours de la masse salariale versée dans le secteur. Même si certains secteurs à forte intensité de main-d'oeuvre se retrouvent avec de fortes sommes à gérer, les sommes disponibles par tête de salariés seront inéluctablement plus fortes dans les secteurs et entreprises qui versent les salaires les plus élevés. Le principe de mise en oeuvre de l'accord au niveau de la formation des "groupes à risques" engendre donc de fait une forme de désolidarisation entre secteurs forts et faibles de l'économie, dans leur contribution au financement de la formation.

  • Un autre constat intéressant a trait à l'évolution des dispositions contenues dans les accords interprofessionnels mentionnés. Ainsi le deuxième accord apparaît plus souple au niveau des publics cibles : la définition des "groupes à risques" comprend en effet les travailleurs peu qualifiés, ou les travailleurs âgés de plus de 50 ans. Par ailleurs la mise en oeuvre des projets visant les groupes à risque doivent obligatoirement émaner des entreprises ou des secteurs d'entreprises, le cas échéant avec la collaboration du Forem, Orbem ou VDAB. Ces évolutions amènent à penser que la mise en oeuvre de l'accord 91-92 sera plus facilement réalisée au niveau des entreprises ou du secteur que le précédent. Mais cette localisation de la mise en oeuvre est pour l'instant largement entachée d'incertitudes. Quels groupes risquent effectivement d'être touchés par la formation ? Quel sera le contrôle réel des représentants syndicaux sur l'utilisation des fonds, sur les orientations concrètes données à la formation en termes de publics, de contenus, de reconnaissance de la formation après coup ?

En bref, les contours concrets des projets de formation ou d'insertion des groupes à risques seront largement le résultat des stratégies et des rapports de force entre les interlocuteurs sociaux. En ce domaine, un des risques est alors de voir apparaître dans les entreprises ou les secteurs une logique proche de celle qui a pu s'observer au sein des formations professionnelles du Forem, à savoir une forme de segmentation des offres et des projets, les uns pour les "plus vulnérables parmi les groupes à risques", les autres pour d'autres catégories moins "vulnérables".

 

6. Propositions et recommandations

Les recommandations principales sont les suivantes :

  • Le problème posé par la résorption du décalage entre les qualités acquises et les qualités requises pourrait être rencontré par la redéfinition des rôles et des fonctions des institutions de formation. Ainsi, trois fonctions pourraient être distinguées :

    • une fonction d'apprentissage et de formation initiale chargée de transmettre des savoirs, des compétences opératoires du savoir-être, constitutifs de la formation initiale;

    • une fonction de formation de compétences spécifiques assurant la transition structurelle de l'enseignement à l'emploi;

    • une fonction de formation continue chargée de compléter la formation des travailleurs engagés professionnellement dans une activité.
      Toutes les institutions de formation pourraient être impliquées dans ces fonctions.

  • Dans les débats sur les politiques de formation et l'emploi, deux enjeux sont souvent soulignés : d'une part un enjeu économique (adapter les compétences de la main-d'oeuvre aux "besoins de l'économie", aux "pénuries de main-d'oeuvre qualifiée" qu'elle connaît), d'autre part un enjeu social (insérer ou réinsérer dans l'emploi et la société les individus ou catégories dont les chances d'accès à l'emploi sont relativement faibles par rapport à d'autres groupes). Dans l'orientation des politiques de formation, il nous semble important de relativiser et redéfinir l'enjeu économique. Il est en effet souvent limité à la résorption des pénuries locales de main-d'oeuvre. . L'enjeu économique, défini de cette façon, tend à être surévalué par rapport àl'enjeu social. Même s'il peut avoir une pertinence locale, pour telle ou telle industrie, dans telle région, il ne doit constituer ni la finalité unique, ni la finalité dominante des politiques de formation ou d'insertion professionnelle. A l'opposé, le but de reclassement et d'insertion sociale et professionnelle doit recevoir toute l'attention des politiques publiques. Il s'agirait par contre de redéfinir cet enjeu économique : la formation doit être un investissement. Elle doit être articulée à une politique industrielle. Ainsi pourrait se créer une véritable culture de la formation de sorte que celle-ci devienne une variable d'action de l'entreprise, au même titre que d'autres.

  • la situation actuelle d'une tendance à la segmentation/ hiérarchisation des offres et dispositifs de formation est grosse de risques de diminution des chances d'accès à l'emploi des publics les moins employables. A cela s'ajoute même un risque de stigmatisation de ces publics, qui peut peser sur leurs trajectoires professionnelles ultérieures. Face à cette situation, le souci doit être de mettre en place des passerelles entre les formations les plus ouvertes aux demandeurs d'emploi "peu employables" et les formations. qualifiantes Dans cette optique, ne doit-on pas reconsidérer le caractère accéléré de certaines formations, par exemple celles du Forem.

  • les récents accords interprofessionnels sur l'insertion et la formation des groupes à risques, s'ils ont le mérite d'élargir les sources de financement de la formation postscolaire par le recours à des cotisations patronales nouvelles, risquent d'accentuer une gestion décentralisée mais donc largement peu contrôlée des politiques de formation. Les disparités entre secteurs et entreprises fortes et faibles risquent non seulement de s'accentuer, mais surtout, la mise en oeuvre de ces accords risquent largement d'échapper à une régulation de la part d'acteurs soucieux de la lutte contre l'exclusion sociale des demandeurs d'emploi " à risques"; ainsi, le contre-pouvoir syndical, ou l'Etat pourront-ils assurer que les mesures des 0,18 et 0,25 % ne soient détournés de leurs publics cibles : les groupes à risques ? Cette situation appelle donc de la part des autorités publiques et des acteurs compétents une particulière vigilance dans l'utilisation des sommes récoltées en faveur de l'insertion des groupes à risques, en particulier celles allouées au Fonds pour l'Emploi.
    En outre, une information veillant à assurer une transparence dans l'utilisation des fonds s'avère indispensable. Parallèlement une évaluation des besoins, des processus et des effets induits est une composante élémentaire de toute politique en la matière. En effet, une absence d'évaluation entraîne un double risque : l'action au coup par coup et la déresponsabilisation des acteurs publics.

  • Au delà d'une vigilance dans l'application de ces accords interprofessionnels, on peut se demander si un des moyens d'éviter un tel détournement n'est pas paradoxalement, de développer d'autres moyens financiers en faveur de formation continuée dans les entreprises. En effet, malgré notre insistance sur les enjeux sociaux de la formation (former pour (ré)insérer), il ne faut pas nier les importantes réorganisations dont sont l'objet actuellement nombre d'industries wallonnes (dans les fabrications métalliques par exemple). Dans ces secteurs, des opportunités existent pour que le modèle taylorien d'organisation du travail soit dépassé, pour des formes d'organisation du travail plus "anthropocentrées" (plus utilisatrices des intelligences et des compétences des travailleurs). Cela suppose que les compétences des travailleurs soient suffisantes et pertinentes car le choix de ces nouvelles formes organisationnelles par les entreprises est influencé par la qualification et la formation des différentes catégories de leur personnel. Dans cette optique, la mobilisation publique et privée pour le développement de formation continuée et le relèvement des compétences des travailleurs actifs ne doit pas être perdue de vue. A cet égard, il serait important qu'au-delà des mesures en faveur des groupes à risques, les entreprises fassent un effort financier afin de diffuser et d'augmenter les pratiques de formation continuée de leurs travailleurs. Il est donc important de contraindre ou à tout le moins d'inciter les moyennes et grandes entreprises à faire un effort de formation minimal à l'égard de l'ensemble de leur personnel; cela pourrait prendre la forme d'un pourcentage minimal de leur masse salariale à consacrer à la formation.

  • Il convient enfin de souligner que les diagnostics élaborés à propos des différentes politiques se font surtout sur base d'une forme d'évaluation ex ante; il en va ainsi de l'analyse ex ante des contenus des accords interprofessionnels, sans que des enquêtes systématiques des mises en oeuvre concrètes et de leurs effets aient pu être menées. On retrouve une situation identique pour l'évaluation des dispositifs d'insertion des jeunes ou des politiques du Forem pour lesquels la principale évaluation est soit une évaluation ex ante des dispositifs légaux mis en place, soit une première analyse des actions concrètes menées, sans qu'une analyse des effets - soit une évaluation ex post- soit réellement menée de façon exhaustive, comparant par exemple les effets parallèles de tous les dispositifs en place. Les seules évaluations ex post disponibles ne sont pas toujours convaincantes soit parce qu'elles ont surtout des fins d'auto-légitimation des organismes, soit parce qu'elles ne donnent une image que d'un dispositif isolé.

Cet état de choses appelle la mise en place d'instruments de recherche permettant une meilleure connaissance et une meilleure évaluation d'ensemble des politiques de formation et de leurs effets.

 

Références bibliographiques

 

BODSON D., CHARLIER J.E., DEKEYSER F., PIRDAS J., Nouvelles technologies, formation technique et professionnelle et marché du travail, SPPS, 1987.

DE BRIER C., Les pratiques de formation dans les entreprises belges, UCL, 1990

MAROY C. Chômage et formation professionnelle, Ciaco et Presses de Namur, 1991.

VANDEWATTYNE Jean et VAN ASSCHE Erik, L'effort de formation dans les entreprises en Belgique, Fondation Industrie Université, 1990

(Octobre 1991)

 

Note

(1) Notamment à l'initiative des cncertations entre interlocuteurs sociaux : Cfr l'accord interprofessionnel 89/92 incitant à consacrer 0,18 puis 0,25 % de la masse salariale à la formation ou l'insertion des groupes à risques

 


 

 

L'Institut Destrée L'Institut Destrée,
ONG partenaire officiel de l'UNESCO (statut de consultation) et 
en statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social
des Nations Unies (ECOSOC) depuis 2012
  The Destree Institute The Destrée Institute,
NGO official partner of UNESCO (consultative status) and 
in Special consultative status with the United Nations Economic
and Social Council (ECOSOC) since 2012 

www.institut-destree.eu  -  www.institut-destree.org  -  www.wallonie-en-ligne.net   ©   Institut Destrée  -  The Destree Institute