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Deuxième congrès La Wallonie au Futur
1991 -
Le Défi de l'Education

Congrès permanent La Wallonie au futur - Index des congrès

 


La loi de financement des régions et
des communautés ou la contrainte financière
(1/2)

Giuseppe Pagano
Assistant au Département d'Etude du Secteur public de l'Université de Mons-Hainaut

 

I. Introduction

Au cours des vingt dernières années, la Belgique a connu un long processus de fédéralisation dont le rythme est allé croissant. Ainsi, si les premières étapes furent timides et notoirement incomplètes, le pas franchi en août 1988 et janvier 1989 paraît décisif à plusieurs égards. D'abord, la création de la troisième Région exécute enfin complètement l'Art. 107 quater de la Constitution. Mais ce sont surtout les nouvelles compétences transférées aux Régions et aux Communautés qui leur donnent désormais un rôle non négligeable en ce qui concerne respectivement la politique économique et la politique d'enseignement. De la sorte, on a instauré une nouvelle répartition des pouvoirs et des moyens financiers entre l'Etat, d'une part, les Régions et les Communautés, de l'autre. Ce new deal a cependant d'emblée suscité de nombreuses interrogations liées à ses conséquences budgétaires, notamment, pour les Communautés.

La présente contribution aborde la question de la marge financière pour une politique d'enseignement en Région wallonne. Une telle politique ne peut être dissociée de son contexte, or celui-ci est caractérisé par deux éléments marquants. En premier lieu, l'enseignement relève des Communautés et donc, pour ce qui concerne la Wallonie, de la Communauté française. La situation budgétaire de celle-ci constitue précisément le second élément marquant. Comme nous le verrons ci-dessous, elle semble difficile tant à moyen qu'à long termes.

Diverses formules peuvent être envisagées en vue d'accroître les moyens de la Communauté française. Parmi celles-ci, l'aide de la Région wallonne semble désormais acquise puisque 1,2 milliard a été versé en 1991 et que le Ministre wallon du Budget suggère déjà que cette aide soit portée à 2,4 milliards en 1992. Il est clair, cependant, que l'aide de la Région est, à long terme, conditionnée par sa propre situation financière. C'est pourquoi la présente analyse de la marge financière pour une politique d'enseignement en Région wallonne abordera aussi bien la situation budgétaire de la Région wallonne que celle de la Communauté française.

Pour des raisons pratiques, nous limiterons notre analyse aux conséquences budgétaires de la loi de financement du 16.01.1989. Celle-ci recouvre la quasi-totalité des recettes communautaires, mais une partie seulement des recettes régionales. Cependant, il faut remarquer, d'une part, qu'elle en représente une proportion importante (environ 75 %), et d'autre part, que des scénarios testés sur l'ensemble du budget régional conduisent, toutes proportions gardées, à des conclusions analogues (1).

Enfin, les négociations budgétaires de juillet 1991 ont débouché sur deux éléments nouveaux : la ristourne intégrale de redevance radio télévision et l'octroi d'un pouvoir fiscal aux Communautés. Quoiqu'ils n'aient pas encore été traduits en textes légaux, ces éléments méritent évidemment une première analyse en vue d'en déterminer les impacts potentiels sur les finances communautaires.

 

II. La Communauté française

II.1. Introduction

L'enseignement belge a connu au cours de la décennie '80 une évolution qui l'a profondément marqué. En effet, alors que les dépenses d'enseignement avaient enregistré au cours des vingt années précédentes une croissance ininterrompue, passant de 10,4 % des dépenses courantes totales de l'Etat en 1956 à 20 % en 1980, elles vont subir par la suite le contrecoup de la situation très difficile des finances publiques nationales, dont les tentatives d'assainissement se feront, dans une large mesure, au détriment de l'éducation. Ainsi, les dépenses d'enseignement reculeront de 20 % des dépenses totales de l'Etat en 1980 à 16 % en 1985, puis environ 14,5 % en 1988 (2).

C'est dans ce contexte qu'ont lieu en 1988 une série de négociations politiques qui aboutiront à transférer aux entités fédérées, Régions et Communautés, près de 30 % des dépenses totales de l'Etat soit 610,6 milliards F. L'enseignement est presque entièrement communautarisé par la loi du 08.08.1988 (3), et son financement réglé par la loi du 16.01.1989 (4) dite loi spéciale de financement.

Le financement des dépenses communautaires d'enseignement était alors simple dans son principe : les Communautés n'avaient pas de pouvoir fiscal; elles recevaient de l'Etat national une dotation qui devait leur permettre de couvrir leurs dépenses. Cependant, la situation financière de l'Etat central semble avoir pesé sur le mode de calcul de la dotation à un point tel que le financement de l'enseignement en Communauté française (5) présentait des difficultés quasiment insurmontables sans modification ultérieure de la législation.

 

II.2. Le mécanisme de financement : la loi du 16.01.89

La loi spéciale du 16.01.1989 qui règle le calcul des moyens ristournés aux Régions et aux Communautés distingue deux périodes : une période transitoire s'étendant, pour ce qui concerne la dotation communautaire d'enseignement, de 1989 à 1998 et une période définitive à partir de 1999 .

A. La période transitoire

A.1. les montants de base indexés

La dotation se base sur les montants fixés par l'Art. 38 et correspondant aux dépenses que l'Etat central aurait consacrées à l'enseignement pour l'année budgétaire 1989 si cette compétence était restée nationale. Ces montants sont de 167.4389 et de 128.9468 milliards F respectivement pour les Communautés flamande et française. Pour l'année 1989 il est appliqué une réduction forfaitaire de 6 102.3 et de 4 690.2 millions de F respectivement pour les Communautés flamande et française (Art. 38 § 2) (6). A partir de 1990, les montants de base sont indexés, c'est-à-dire adaptés pour tenir compte de l'inflation mesurée par l'indice des prix à la consommation.

A.2. les dotations avant correction de transition

Dans une deuxième étape, les montants de base indexés sont multipliés par un facteur d'adaptation destiné à prendre en compte l'évolution démographique. Le facteur d'adaptation est défini comme le rapport entre, d'une part, le nombre d'habitants de moins de 18 ans au 30 juin de l'année budgétaire précédente, majoré de 20 % de la baisse de ce nombre par rapport au 30 juin 1988, et, d'autre part, le nombre d'habitants de moins de 18 ans au 30 juin 1988, dans la Communauté où il baisse le moins. L'adaptation démographique consiste donc en fait à réduire la dotation communautaire en fonction de la dénatalité (7). A ce stade, les montants ainsi obtenus pour chaque Communauté sont additionnés puis répartis forfaitairement : 57.55 % allant à la Flandre et 42.45 % à la Communauté française. On obtient alors les dotations avant correction de transition.

Les dotations avant correction de transition diffèrent évidemment des montants de base indexés. Si le facteur d'adaptation a - en principe - le même type de conséquence pour les deux Communautés, la répartition forfaitaire tend à favoriser la Flandre et à défavoriser la Communauté française, par rapport à la situation qui prévalait avant la fédéralisation. Afin de permettre à la Communauté française d'adapter sans heurts ses dépenses à ses nouveaux moyens, une correction dégressive de transition est appliquée au bénéfice de la Communauté française. La base de cette correction est donnée par la différence observée en 1989 entre les montants de base indexés et les dotations avant correction de transition, soit - 3 022.3 millions F pour la Flandre, et + 3 022.3 millions F pour la Communauté française. Pendant les trois premières années de fonctionnement (1989 à 1991 inclus), ces montants seront imputés tels quels. Par la suite, ils seront réduits de 12.5 % par an de sorte qu'ils seront nuls en 1999, début de la période définitive.

A.3. les dotations

En additionnant la correction de transition et la dotation avant correction de transition, on obtient pour chaque communauté la dotation effective en période transitoire. Si on fait l'hypothèse (8) d'une inflation (2 %/an) et d'une dénatalité (1 %/an) uniformes sur toute la période, on obtient au Tableau II.1 les dotations prévues pour les deux Communautés.

Tableau 2.1. Les dotations communautaires en régime transitoire (9)
(millions de francs courants)

Années

Montants transférés

 

Communauté flamande

Communauté française

1989

161336,6

124256,6

1990

169567,2

130327,7

1991

171613,5

131837,1

1992

174064,8

132988,7

1993

176543,6

134160,7

1994

179050,3

135353,3

1995

181585,5

135566,8

1996

184149,5

137801,6

1997

186742,8

139058,0

1998

189365,7

140336,3

II.3. Le régime définitif

A. Introduction

A partir de 1999, le passage au régime définitif simplifie le calcul des dotations tout en introduisant quelques éléments nouveaux. L'adaptation des montants de base en fonction de l'indice des prix à la consommation subsiste. De même, le principe et le mode de calcul du facteur d'adaptation demeurent inchangés.

Deux éléments sont cependant modifiés. D'une part, la correction de transition dont l'importance était dégressive en régime transitoire, disparaît complètement dès l'année budgétaire 1999. D'autre part, la répartition de la dotation totale entre les deux communautés ne se fera plus de façon forfaitaire mais en fonction du nombre d'habitants de moins de 18 ans dans chaque communauté (10).

 

B. Les dotations

En fin de compte, la disparition de la correction de transition réduit à deux les étapes pour le calcul de la dotation communautaire. La première étape comprend l'indexation des montants de base, leur adaptation en fonction de la dénatalité et leur sommation. La seconde consiste en la répartition du total ainsi obtenu sur la base d'une clé reflétant la distribution des habitants de moins de 18 ans dans les deux communautés.

En reprenant les hypothèses du Document parlementaire, on obtient les dotations suivantes.

 

Tableau 2.2. Les dotations en régime définitif (11) (en millions de francs courants)

Années

Montants transférés

 

Communauté flamande

Communauté française

1999

192018,8

141636,8

2000

194324,8

143337,8

2001

196661,8

145061,6

2002

199030,4

146808,7

2003

201421,0

148579,5

2004

203864,2

150374,2

2005

206330,4

152193,3

2006

208830,1

154037,1

2007

211363,9

155906,1

2008

213932,2

157800,6

 

II.4. Les conséquences

La question qui se pose à ce stade est celle de l'insuffisance éventuelle des dotations communautaires par rapport aux politiques à mener.

Il est certes impossible de prévoir quel sera le niveau effectif des dépenses d'enseignement dans les années à venir. On peut évidemment envisager, au moins théoriquement, qu'elles seraient strictement adaptées aux moyens disponibles - c'est-à-dire aux dotations effectives - de sorte que les soldes budgétaires seraient toujours nuls. Cependant, il ne faut pas perdre de vue, d'une part que les montants de base prévus à l'Art. 38 incorporent déjà des réductions qui, comme nous l'avons vu dans l'introduction, les ont fixés à un niveau relatif historiquement très bas, et, d'autre part, que ces montants ne connaîtront aucune augmentation en termes réels.

Dans ces circonstances, prévoir que les dépenses d'enseignement - dont près de 75 % constituent des salaires - se limiteront aux montants de base indexés, c'est-à-dire en termes réels à ce qu'elles auraient dû être en 1989, nous paraît déjà peu réaliste, surtout eu égard à la longueur de la période considérée. Or, même dans ces hypothèses le bilan serait largement déficitaire tant en régime provisoire qu'en régime définitif, comme le montrent les tableaux II.3 et II.4.

Tableau 2.3. Dotations, dépenses et soldes pour la Communauté française (millions de francs courants)

Années

Recettes (a)

Dépenses (b) = montants

de base indexés

Soldes nets

(c) = (a) - (b)

Régime transitoire

1990

130327,7

131525,7

-1198,0

1991

131837,1

134156,3

-2319,2

1992

132988,7

136839,4

-3850,7

1993

134160,7

139576,2

-5415,5

1994

135353,3

142367,7

-7014,4

1995

136566,8

145215,0

-8648,2

1996

137801,6

148119,3

-10317,7

1997

139058,0

151081,4

-12023,4

1998

140336,3

154103,4

-13767,1

Régime définitif

1999

141636,8

157185,4

-15548,6

2000

143337,8

160329,1

-16991,3

2001

145061,6

163535,7

-18474,1

2002

146808,7

166806,4

-19997,7

2003

148579,5

170142,6

-21563,1

2004

150374,2

173545,4

-23171,2

2005

152193,3

177016,3

-24823,0

2006

154037,1

180556,7

-26519,6

2007

155906,1

184167,8

-28261,7

2008

157800,6

187851,1

-30050,5

 

Tableau 2.4. Dotations, dépenses et soldes pour la communauté flamande (millions de francs courants)

Années

Recettes (a)

Dépenses (b) = montants

de base indexés

Soldes nets

(c) = (a) - (b)

Régime transitoire

1990

169567,2

170787,7

-1220,5

1991

171613,5

174203,4

-2589,9

1992

174064,8

177687,5

-3622,7

1993

176543,6

181241,3

-4697,7

1994

179050,3

184866,1

-5815,8

1995

181585,5

188563,4

-6977,9

1996

184149,5

192334,7

-7591,9

1997

186742,8

196181,4

-9438,6

1998

189365,7

200105,0

-10739,3

Régime définitif

1999

192018,8

204107,1

-12088,3

2000

194324,8

208189,2

-13864,4

2001

196661,8

212353,0

-15211,0

2002

199030,4

216600,1

-17569,7

2003

201431,0

220932,1

-19501,1

2004

203864,2

225350,7

-21486,5

2005

206330,4

229857,7

-23527,3

2006

208830,1

234454,9

-25624,8

2007

211363,9

239144,0

-27780,1

2008

213932,2

243926,9

-29997,7

 

II.5. Conclusions

L'analyse détaillée du financement des dépenses communautaires d'enseignement dégageait avant toute chose l'impression d'un carcan financier. Celui-ci s'expliquait d'abord par l'absence d'imposition communautaire autonome. Les communautés constituaient le seul niveau institutionnel qui, en Belgique, ne dispose pas de pouvoir fiscal. L'extrême modicité des recettes non fiscales propres nous permet d'écrire que les communautés dépendaient entièrement des dotations prévues par la loi spéciale de financement. Or, les modalités pour le calcul de la dotation d'enseignement sont précisément les plus rigoureuses.

D'une part, le principe de la croissance nulle des montants de base en termes réels est appliqué à l'enseignement au delà même de la période transitoire, alors qu'il est abandonné en régime définitif pour toutes les autres politiques tant régionales que communautaires. Mais la rigueur va même au delà, puisqu'en adaptant, d'autre part, la dotation à la dénatalité, c'est en fait la croissance nulle des dépenses en termes réels et par élève que la loi impose.

Les communautés disposent bien évidemment d'autres dotations dans lesquelles elles pourraient puiser au bénéfice de l'enseignement. Mais ces dotations sont destinées à financer toute leur politique culturelle. En outre, si leur mode de calcul est certes plus favorable que celui appliqué à la dotation d'enseignement, il n'en est pas moins marqué par une certaine rigueur.

Cette situation nous conduit à examiner dans les points suivants les modes de financement complémentaires qui pourraient être recherchés à plus ou moins courte échéance : l'aide de la Région wallonne, le transfert intégral aux communautés de la redevance radio-télévision (RRT), et, enfin, la modification de la loi spéciale de financement.

 

Notes

(1) Voir : Ministère du Budget et des Finances de la Région wallonne, Aspects financiers du Fédéralisme, décembre 1989.
(2) Source : Ministère des Finances, Bulletin de documentation : Annexe statistique; (Tab. II. 7 : Regroupement fonctionnel des dépenses de l'Etat); 1989.
(3) Moniteur belge (MB), 13.08.1988.
(4) MB, 17.01.1989.
(5) Le cas de la Communauté flamande est quelque peu différent notamment parce que sa fusion avec la Région flamande, dont la situation financière à moyen-long terme semble nettement plus favorable, est de nature à permettre des transferts budgétaires au bénéfice de l'enseignement.
(6) Cette diminution correspond à la "décision gouvernementale du 15 août 1988 de réaliser en 1989 une économie non récurrente en matière d'alimentation du Fonds des bâtiments scolaires, et à la nécessité de permettre à l'autorité nationale de supporter les charges du passé de l'enseignement". (Exposé de motifs; Document parlementaire 635 - 1 Chambre des Représentants, 1988-1989, p. 37).
(7) Il est à remarquer que le facteur d'adaptation ne se base pas sur l'évolution de la population scolaire effective mais seulement sur celle de la population de moins de dix-huit ans. Cette distinction n'est pas anodine. On sait, en effet, que si la populaiton de moins de dix-huit ans tend à baisser pour d'évidentes raisons démographiques, la population scolaire de plus de dix-huit ans, tend, elle, à augmenter, reflétant les besoins croissants d'enseignement supérieur.
(8) Cette hypothèse constitue la base d'un scénario fournit par le Document parlementaire 562 - 2 Ter (Chambre des Représentants, 1988-1989), dont sont extraits la plupart des tableaux qui suivent.
(9) Document parlementaire, Op. cit, p. 108.
(10) Le Document parlementaire continue cependant à utiliser, pour ses simulations, la proportion 57.55 - 42.45.
(11) Document parlementaire, Op. cit., p. 108.

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