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Deuxième congrès La Wallonie au Futur
1991 -
Le Défi de l'Education

Congrès permanent La Wallonie au futur - Index des congrès

 


Le devenir économique de la Wallonie (2/2)

Albert Schleiper
Directeur du Centre Universitaire de Charleroi (CUNIC)
Centre interuniversitaire de Formation permanente (CIFOP), Charleroi

 

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2. Quel(s) type(s) d'éducation faudra-t-il promouvoir pour induire et soutenir les mutations attendues ?

2.1. L'expertise technique appropriée de celles et ceux qui lui sont confiés est certainement une des finalités importantes du système éducatif mis en place en Wallonie. Cette expertise ne peut cependant plus être déterminée par les seuls contenus scientifiques et techniques : elle doit intégrer les exigences qu'impose la déparcellisation des tâches et la participation de chaque acteur aux processus de décision. C'est ce qu'exprime bien Jean-Pierre SICARD (30) lorsqu'il fait remarquer que "les emplois de conduite de machines ou d'ensembles automatisés requérant l'exercice d'une véritable polyfonctionnalité se multiplieront. Les travailleurs devront détenir non seulement ce qui constitue aujourd'hui l'un des éléments de la qualification de l'ouvrier qualifié traditionnel - la connaissance des matériaux et des pièces d'usines -, c'est-à-dire une spécialité inscrite dans un champ professionnel, mais aussi une connaissance des principes de base du fonctionnement de leurs machines pour en assurer le réglage, l'entretien préventif et le petit dépannage, et enfin, une capacité à se situer dans un vaste ensemble informationnel, pour produire et faire circuler les données nécessaires à la régulation du fonctionnement des installations. D'où deux dimensions structurantes pour l'activité des opérateurs sur installation automatisée :

  • la nécessité que soient pris en compte, au plus près de la production, des éléments de gestion économique;

  • la responsabilité très grande des opérateurs à l'égard du fonctionnement d'ensemble de l'entreprise.

Car la qualité des relations entre les différentes fonctions impliquées dans la production (fabrication, gestion de la production, méthodes, essais) s'imposera comme l'un des facteurs-clés de la productivité et de la qualité du travail. De nouveaux types d'emplois à l'interface des diverses fonctions apparaîtront".

Dès lors, toute démarche d'éducation et de formation doit développer, outre les compétences techniques et les capacités d'abstraction, le sens des responsabilités, l'esprit d'initiative, le goût d'une polyvalence qui n'exclut pas l'expertise et le souci de décloisonnement. Trop nombreux encore sont les modes d'action qui ne tiennent compte que d'un aspect des problèmes - technique par exemple - en oubliant ou en sous-estimant l'importance des autres - juridique, commercial, relationnel, ...

Ces nouvelles exigences impliquent bien sûr une élévation généralisée du niveau de formation mais également une flexibilité beaucoup plus importante du "système scolaire" de manière à permettre aux pouvoirs organisateurs la mise en oeuvre rapide de programmes nouveaux, adaptés à l'évolution de la demande.

 

2.2. Un autre défi que devra relever le système d'éducation et de formation est l'accentuation du caractère pluri-culturel de la Wallonie. Déjà fort présent actuellement, il ne pourra être que renforcé par le développement et l'internationalisation des activités économiques.

 

2.3. Il convient également de souligner l'importance de la formation continuée dans les processus d'innovation que les entreprises performantes mettent en oeuvre régulièrement. Celles qui évaluent correctement ce que signifie l'innovation le savent bien : on ne peut exiger de la formation initiale qu'elle mette sur le marché du travail des personnes immédiatement compétentes dans les technologies et les modes de gestion les plus récents. Il faut donc que les entreprises intègrent dans leur organisation cette préoccupation permanente de la formation de leur personnel. Cette formation continuée sera évidemment d'autant plus efficace que la formation de base aura été appropriée dans le sens exposé en 2.1. ci-dessus.

2.4. Enfin, le redéploiement des activités économiques wallonnes requiert qu'un certain nombre d'attitudes nouvelles émergent de tous les domaines de l'éducation.

a. De celui des cultures ...

Chaque groupe social véhicule des valeurs dont il n'est pas évident qu'elles soient particulièrement favorables aux activités à pertinence économique ou aux conditions requises par le travail dans l'industrie, l'artisanat et le commerce. Les ambitions individuelles et familiales sont déterminées par la hiérarchie que l'on établit entre les fonctions et les métiers, hiérarchie de l'estime qui est souvent parallèle à la hiérarchie des rémunérations et à la considération dont chacun bénéficie dans son travail.

C'est une des raisons pour lesquelles les changements d'attitudes doivent nécessairement concerner l'ensemble du corps social et modifier la culture familiale et locale aussi bien que celle des entreprises, des administrations, des média et du monde politique.

b. ... comme de celui des formations

On n'ose peut-être pas assez dire que l'activité économique, le rôle des entreprises et leur contexte, la nécessité du travail efficace et intelligent, l'expérience de démarches créatives et efficientes, bref tout ce qui engendre le bien-être, sont beaucoup trop absents des milliers d'heures de "formation" que l'on impose aux enfants et aux adolescents.

Prendre comme terrain d'étude la vie et le développement des entreprises permettrait certainement de communiquer des savoir-faire techniques, scientifiques et relationnels beaucoup plus facilement que par le truchement de théories et d'exercices dont l'éloignement par rapport aux réalités démotive un trop grand nombre d'étudiants. A cet avantage, il faut ajouter que la référence plus habituelle à l'entreprise permettrait de renforcer les liens de compréhension et de collaboration entre enseignants et décideurs économiques.

 

2.5. En fait, il est urgent de mettre en place des modèles éducatifs nouveaux, mieux appropriés à ce qu'est l'"humanité" aujourd'hui et à ce qu'elle sera demain. Leurs effets devraient se faire sentir aux trois niveaux dont la conjonction est indispensable, tant pour la Wallonie que pour le reste du monde :

  • celui de l'initiative technique et financière où, notamment, la recherche d'une rentabilité collective à moyen et long terme peut se substituer à la poursuite d'un profit individuel immédiat;

  • celui de l'accueil réservé à cette initiative et aux modes de gestion qu'elle implique par les travailleurs et leurs familles;

  • celui de l'accompagnement mis en place par les pouvoirs publics qui ne sont peut-être pas encore assez conscients du rôle et de l'influence toniques que peut exercer une administration efficace; divers auteurs insistent sur l'importance croissante de cet accompagnement (31) et J. Henrotte y consacre la majeure partie de son article (déjà cité) notamment pour souligner le rôle que peuvent jouer des municipalités dynamiques.

Au consensus parfois naïf ou résigné qui entoure aujourd'hui les entreprises, ces modèles nouveaux permettront de substituer une attitude de partenariat, à la fois positive et vigilante, et de réaliser ainsi une des principales conditions du devenir économique d'une région.

 

3. De quels moyens les pouvoirs publics concernés devront-ils disposer pour mettre en oeuvre le système d'éducation requis ?

Pour répondre à cette question, deux démarches semblent nécessaires.

 

3.1. Il faut d'abord s'interroger sur l'évolution des finances publiques communautaires et régionales et recourir, pour ce faire, à des simulations à l'aide de modèles. Deux approches ont été mises en oeuvre dans cette perspective :

  • d'une part, celle de Giuseppe Pagano, déjà citée, qui aborde la question de la marge financière pour une politique d'enseignement en Région wallonne;

  • d'autre part, celle de Muriel Bouchet, déjà citée également, qui analyse l'incidence de variables particulières (la population scolaire, par exemple) sur les recettes et dépenses de la Communauté française et de la Région wallonne.

  •  

3.1.1. La contribution de G. Pagano a pu faire référence aux décisions du récent conclave budgétaire concernant le transfert intégral de la radio-redevance aux Communautés et, ce qui est plus important, la révision de la loi spéciale de financement de janvier 89. Ces décisions n'ayant pas encore été traduites en textes légaux, il ne s'agit évidemment que d'une première analyse.

Il faut dire que sans ces mesures, la marge de manoeuvre pour une politique d'enseignement renouvelée serait tout à fait insuffisante.

"L'analyse détaillée du financement des dépenses communautaires d'enseignement dégageait avant toute chose l'impression du carcan financier. Celui-ci s'expliquait d'abord par l'absence d'imposition communautaire autonome. Les Communautés constituaient le seul niveau institutionnel qui, en Belgique, ne disposait pas de pouvoir fiscal. L'extrême modicité des recettes non fiscales propres nous permet d'écrire que les Communautés dépendaient entièrement des dotations prévues par la loi spéciale de financement.

Or, les modalités pour le calcul de la dotation d'enseignement sont précisément des plus rigoureuses. D'une part, le principe de la croissance des montants de base en termes réels est appliqué à l'enseignement au delà de la période transitoire, alors qu'il est abandonné en régime définitif pour toutes les autres politiques tant régionales que communautaires. Mais la rigueur va même au delà, puisqu'en adaptant, d'autre part, la dotation à la dénatalité, c'est en fait la croissance nulle des dépenses en termes réels et par élève que la loi impose" (32).

En ce qui concerne la possibilité d'une contribution régionale au financement des dépenses communautaires d'enseignement, il est important de remarquer que la simulation de l'évolution des moyens et des dépenses de la Région wallonne ne fait apparaître des excédents qu'en 1998.

"La Région wallonne dispose certes d'autres possibilités de financement : la possibilité d'imposition propre et un important patrimoine industriel dont on peut logiquement attendre un certain revenu. On voit mal, cependant, la Région lever un impôt destiné à financer une politique qui n'est pas directement de sa compétence. Quant au rendement du patrimoine industriel, on sait combien il peut être variable d'une année à l'autre.

En conclusion, il est évidemment possible que la Région wallonne contribue au financement des dépenses communautaires d'ensei-gnement pour des montants annuels de l'ordre de quelques milliards. Mais il paraît irréaliste d'en attendre davantage au moins à court terme, c'est-à-dire tant que la Région ne se trouvera pas elle-même dans une position structurellement équilibrée et même excé-dentaire" (33).

Du côté de la Redevance Radio Télévision, G. Pagano a calculé que, sur base des recettes 1990, on peut espérer un accroissement de ressources annuelles de l'ordre de 2 milliards.

Quant à la révision de la loi spéciale de financement, les options prises excluent que la dotation soit calculée sur base du Produit national brut. En fait cette révision repose sur la possibilité pour les Communautés d'imposer des centimes additionnels à l'impôt des personnes physiques. Dans les hypothèses de calcul retenues par G. Pagano, un additionnel de 1 % entraînerait des ressources supplémentaires pour la Communauté française évoluant de 3 à 7 milliards entre 1992 et 2008.

Au terme de cet examen de projections qui ne sont certainement pas parmi les moins optimistes que l'on puisse faire, G. PAGANO établit le diagnostic suivant : "Existe-t-il en fin de compte une marge financière pour une politique d'enseignement en Région wallonne ?

La réponse à cette question me paraît devoir être négative, dans l'état actuel des choses. En effet, la dotation prévue par la loi spéciale de financement paraît insuffisante même pour maintenir inchangées les politiques actuelles. A fortiori, elle ne laisse aucune marge pour un développement éventuel de ces politiques. A court terme, le transfert de la redevance radio-télévision et l'aide de la Région wallonne suffiront peut-être à couvrir les engagements qui ont déjà été pris. A plus long terme, l'aide de la Région wallonne pourrait être accrue.

Enfin, l'imposition communautaire propre, admise en juillet 1991, donnera à la Communauté française la maîtrise de ses recettes. Cependant, la couverture des déficits prévisibles par ce seul moyen nécessiterait rapidement l'imposition d'un additionnel communautaire dont l'ordre de grandeur serait de 4 % en 2008.

En conclusion, une marge de manoeuvre pour une politique d'enseignement en Wallonie ne pourra être dégagée que par l'utilisation conjointe des "instruments" auxquels nous avons fait référence ci-dessus : imposition communautaire, collaboration régionale, redevance radio-télévision, ainsi que d'autres à définir" (34).

Parmi ces moyens figure nécessairement l'élimination progressive des coûts abusifs et on ne peut exclure a priori toute réduction des dépenses.

3.1.2. M. Bouchet réalise également des projections des finances publiques de la Région wallonne et de la Communauté française, mais son travail se différencie de celui de G. Pagano dans la mesure où il traite plus spécialement de l'enseignement et où il limite son champ d'investigation à la période transitoire prévue par la loi spéciale de financement, soit les années 1989-1999. Le modèle conçu au sein du Groupe d'Economie wallonne permet ainsi de simuler des variations de la démographie (population résidente et fréquentation scolaire par niveau d'enseignement, par exemple,) sur les recettes et dépenses d'enseignement attendues. Il autorise également à considérer d'autres types de variations possibles : normes d'encadrement scolaire, barèmes des catégories d'enseignants, ...

En outre, les travaux qu'il permet d'effectuer peuvent jeter un pont entre les résultats relatifs aux réalités institutionnelles existantes et l'Etat régional wallon, construction théorique élaborée par COREG et définie plus haut.

La structure et les potentialités de ce modèle sont décrits dans le texte rédigé par Muriel Bouchet. Ce document comporte également les premiers résultats livrés par deux projections soumises au modèle : l'une relative à la variable démographique, l'autre aux appointements des enseignants. De plus, il rend compte de simulations qui permettent de dégager diverses constantes, de mettre à jour des informations qui sont susceptibles de guider les décideurs politiques ainsi que les membres des "forces vives" impliquées dans la problé-matique de l'enseignent. Dans cette perspective, une "option revalo-risation" ainsi qu'un examen de l'impact des nouvelles sources de financement avancées par le dernier conclave budgétaire sont successivement abordés.

 

3.2. Ce sont les modifications à apporter à l'organisation du système éducatif qui font l'objet de la deuxième démarche impliquée par la troisième question que l'on se pose. Ces modifications ne sont pas seulement suggérées par l'atelier "Devenir économique de la Wallonie" mais également par bon nombre d'autres ateliers. Le congrès permet donc de rassembler divers points de vue grâce auxquels il sera possible d'établir avec plus de rigueur les paramètres à prendre en compte pour un calcul de financement qui compléterait l'exercice de projection des coûts actuels. Eu égard aux contraintes financières décrites ci-dessus tout autant qu'au principe d'efficience qui doit animer toute saine gestion, il n'est pas interdit de penser que la créativité et l'imagination de chacun pourront figurer parmi ces paramètres et être mobilisées de manière à effectuer les mutations requises sans gonflement budgétaire excessif.

(Octobre 1991)

 

Bibliographie et notes

(30) SICARD J.-P., Evolution des qualifications et besoins de formation : perspectives pour l'an 2000, Problèmes économiques, n°2221, avril 1991, La Documentation française; cité part STAES et VAN OVERBEKE
(31) STAES V. et VAN OVERBEKE M., op. cit., p. 6.
(32) PAGANO G., op. cit., p. 12.
(33) PAGANO G., op. cit., p. 16.
(34) PAGANO G., op. cit., p. 21.


 

 

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