Institut Destrée - The Destree Institute

               Accueil

Organisation

Recherche scientifique

Education permanente

Conseil

Action

Evénements

 

 

 

Deuxième congrès La Wallonie au Futur
1991 -
Le Défi de l'Education

Congrès permanent La Wallonie au futur - Index des congrès

 


L'avenir de l'Enseignement (1) (2/2)

Gilbert De Landsheere
Professeur émérite de Sciences de l'Education de
l'Université de Liège (ULg)

 

.../...

La formation des enseignants

A un moment de l'histoire où leur rôle est déterminant, les enseignants se trouvent dans une situation très insatisfaisante en ce qui concerne leur formation, leur recrutement, leur rémunération et la reconnaissance sociale dont ils sont l'objet. N'est-il pas dramatique que bien des conceptions actuelles relatives aux enseignants et aux institutions éducatives proviennent directement du XIXème siècle? La hiérarchie statuaire et scientifique qui subsiste entre les institutrices maternelles, les instituteurs de l'enseignement primaire, les régents, les licenciés-agrégés en est un criant témoignage.

La profession d'enseignant est en crise psychologique et sociale profonde. Ses membres ont perdu leur pouvoir social en passant du statut de notables, de membres d'une élite intellectuelle, à celui de techniciens, de travailleurs comme les autres : leur rôle d'éducateur passe ainsi au second plan. (G. Fourez).

 

Les tensions constitutives du métier (A. Van Haecht)

Tout enseignant est confronté à la tension entre une représentation de son rôle centré sur l'ineffable vocationnel, - l'art est la référence -, et une autre représentation centrée sur la technicité, - l'expertise est la référence.

L'art d'enseigner, surtout dans le fondamental, renvoie plutôt aux qualités morales de la personne (mélange d'exigence et d'attente à l'égard de l'enfant), mais, depuis une vingtaine d'années, la capacité instrumentale tend à prendre le dessus (tension entre enseigner et éduquer).

 

Une identité professionnelle difficile (A. Van Haecht)

I. Avec Derouet, A. Van Haecht retient trois modèles :

  1. Le modèle civique : l'enseignant est un fonctionnaire dont l'identité s'inscrit dans un espace national. Le professeur conduit vers des diplômes nationaux et fait ainsi entrer l'individu dans un espace ouvert à la mobilité sociale (la méritocratie ou son illusion).

  2. Le modèle domestique : il correspond à une représentation familiale du rôle de l'enseignant.

  3. Le modèle industriel : l'enseignant est représenté comme un expert en techniques pédagogiques.

II. Avec Hirschlorn, A. Van Haecht souligne que l'évaluation actuelle de la position sociale des enseignants suppose l'examen de la nature des biens auxquels ils donnent accès. Or, si les enseignants sont devenus des intermédiaires obligés pour gagner des diplômes dont on ne peut plus se passer, divers éléments affaiblissent cette position selon la situation particulière qui est la leur. Avec "l'inflation des titres", ils apparaissent, en effet, à certains niveaux du cursus scolaire, dans certaines orientations d'études, comme les dispensateurs d'un bien dévalué, [...]. La considération accordée aux dispensateurs de services scolaires se mesure donc à l'aune de la qualité de ces services (rentabilisation possible du titre et importance de la discipline pour la formation recherchée).

III. Les enseignants constituent un groupe professionnel composite et atomisé. Cela tient à la diversité de leur formation, universitaire ou non.

IV. La dévalorisation sociale de leur métier tient à des éléments sur lesquels les enseignants n'ont aucune prise, par exemple, l'élévation générale de la qualification de la population active.

Une chose est sûre : la profession d'enseignant doit muter. Elle doit quitter l'état préscientifique dans lequel elle se trouve encore. En d'autres termes, les enseignants doivent eux aussi devenir de vrais "professionnels", c'est-à-dire, au sens actuel du terme exercer un métier qui présente les caractéristiques suivantes (Lemosse, 1989, p. 57) :

  • Etre une activité intellectuelle qui engage la responsabilité individuelle.

  • Cette activité est savante, et non de nature routinière, mécanique ou répétitive.

  • Elle est pourtant aussi pratique, puisqu'elle se définit comme l'exercice d'un art; elle n'est donc pas purement théorique ou spéculative.

  • Elle doit s'apprendre au cours d'une longue formation, comme c'est le cas pour les autres "professionnels".

  • Elle doit être fortement organisée et présenter une grande cohérence interne.

  • L'activité déployée doit être de nature altruiste en rendant un service précieux à la société. Il ne s'agit donc pas d'exercer la profession en simple technicien.

Ajoutons, avec G. Fourez :

  • que les enseignants doivent être familiarisés avec l'approche multidisciplinaire de problèmes concrets;

  • qu'ils doivent acquérir le sens de l'histoire de leur discipline;

  • que la philosophie et la sociologie de l'éducation sont des composantes nécessaires de leur formation.

D'évidence, un long chemin reste à parcourir pour que l'ensemble de la profession enseignante réponde à tous ces critères. Il faut pourtant y arriver et la première mesure à prendre est de faire des enseignants des universitaires à part entière. L'objection, usée jusqu'à la corde, selon laquelle l'Université formerait des théoriciens sans pouvoir les initier valablement à la pratique doit être rejetée une fois pour toutes. Si elle le veut - et pourquoi ne le voudrait-elle pas? - l'Université peut les deux. Elle le prouve quotidiennement en formant, des médecins, des vétérinaires, des ingénieurs, des architectes, des agronomes, des avocats, ...

Pour tous les enseignants, de la maternelle à la fin du secondaire, jouissant alors d'un même niveau de formation supérieure, le traitement de base serait le même; il évoluerait non seulement en fonction de l'ancienneté, mais aussi des efforts de perfectionnement répondant à des critères à définir. Aussi longtemps que ces conditions ne sont pas remplies, on ne peut espérer une revalorisation de la profession.

Pourtant, une formation universitaire ne résout pas tout. "La considération, la reconnaissance, le prestige reconquis passent par une meilleure formation, un meilleur salaire, des conditions de travail moins inconfortables. Mais tout cela ne sauvera jamais ceux qui n'ont ni culture, ni éthique" (A. Van Haecht).

 

Faire exister la recherche en éducation

Alors que les investissements immatériels, à commencer par la recherche et le développement, sont maintenant reconnus comme la clé du progrès, la recherche en éducation est restée jusqu'à présent, dans notre pays, dans un état de sous-développement funeste. Alors que, depuis longtemps, la cible minimale à atteindre a été estimée à 2% du budget de l'Education, nous en sommes dramatiquement éloignés. En 1990, alors que le budget de l'enseignement de notre Communauté était de quelque 133 milliards, les ministères de l'Education et le Fonds National de la Recherche Scientifique réunis n'ont même pas consacré un dixième de pour cent de cette somme à la recherche pédagogique.

Quelle grande entreprise, quelle armée survivraient dans pareilles conditions? Il n'est donc pas surprenant que la pédagogie demeure un domaine dans lequel les opinions tiennent souvent lieu de savoir et fondent des décisions ou des actions dont la nation, à commencer par sa jeunesse, subit les conséquences.

Comment les historiens de l'avenir pourront-ils comprendre que les membres les plus éclairés de notre Communauté, ceux-là mêmes qui, conscients de la mutation culturelle contemporaine, ne font pas tout ce qui est en leur pouvoir pour fonder celle-ci sur des bases expérimentalement éprouvées?

Aussi longtemps que les ressources humaines et matérielles données à la recherche en éducation et en formation ne dépasseront pas un seuil critique lui permettant de travailler à l'échelle indispensable pour exercer une influence significative et durable sur le système éducatif global, nous continuerons à accumuler les pertes et à rater des occasions d'expansion et de progrès.

 

Piloter le système éducatif

Autre aberration : on dénonce périodiquement la baisse de niveau des apprentissages de nos élèves, alors qu'il n'a presque jamais été mesuré effectivement.

N'est-il pas étrange aussi que l'on adopte des programmes scolaires, que l'on introduise des réformes dans l'enseignement sans vérifier vraiment si les changements désirés se sont effectivement produits?

N'est-il pas surprenant que, pour l'essentiel, on n'évalue pas systématiquement ce que les élèves ont effectivement appris, qu'on ne connaisse pas quel pourcentage des jeunes atteignent l'excellence dans des compétences déterminées?

De nouveau, quelle entreprise moderne pourrait se passer mutatis mutandis des réponses à des questions du même ordre? Une gestion pédagogique plus rigoureuse s'impose.

Un dispositif de pilotage doit établir en priorité si le système éducatif répond à trois exigences : la cohérence, la qualité et l'équité.

La cohérence existe :

  • si les objectifs poursuivis répondent aux besoins des individus et aux options majeures de la société;

  • si le curriculum implanté - ce qui se fait en classe - est en harmonie avec les objectifs visés;

  • si la nature et les modalités de l'évaluation sont commandées par les objectifs poursuivis.

La qualité de notre système éducatif doit être au moins égale à ce que l'on trouve de meilleur dans les pays les plus favorisés, et répondre en même temps à l'essentiel de notre projet éducatif propre : servir pleinement l'épanouissement de chaque homme et de chaque femme, et préparer des citoyens responsables en les aidant à acquérir les compétences nécessaires pour vivre activement dans une démocratie de la participation, pour la défendre et la faire toujours progresser.

L'équité consiste à offrir les mêmes chances de réussite à tous. Tous les biais, qu'ils soient socio-économiques ou socio-culturels, sexuels, ethniques, géographiques, philosophiques, ..., doivent être décelés et combattus.

Enfin, il importe que, pour une large diffusion, les résultats des évaluations soient présentés en un langage accessible au plus grand nombre.

 

L'incontournable question du pluralisme

L'aspect philosophique (G. Fourez)

Dans les pays industrialisés, il devient de plus en plus évident que le pluralisme est vécu comme une valeur : nos éthiques, qu'elles se situent dans les traditions chrétiennes ou laïques, exigent que nous apprenions à vivre, et à bien vivre, avec les autres, qu'ils soient chrétiens, laïcs, juifs, musulmans ou autres. Et les récentes grèves ont montré que les enseignants ne tenaient plus à se laisser diviser autour de frontières traditionnelles auxquelles sont parfois encore attachés certains appareils institutionnels. Les jeunes aussi estiment qu'une éthique qui ne les invite pas à dépasser ces lignes de démarcation est, pour eux, insatisfaisante.

Il me semble donc qu'une sortie de la crise actuelle de l'enseignement implique une solution à cette question du pluralisme. Non pas une solution technocratique qui éviterait l'échange en s'appuyant sur les idéologies de la scientificité. Ni non plus une approche qui conduirait à l'indifférence par rapport au sens de l'éthique. Mais une idéologie qui obligerait à la communication de personnes qui reconnaissent leurs différences, tout en appréciant la possibilité de se retrouver unis dans certains projets et dans certaines valeurs.

Le pluralisme fait désormais partie de notre culture et de nos éthiques. Mais il importe encore de mieux le définir, d'en éviter certains effets pervers, et de le vivre malgré des intérêts parfois divergents.

L'aspect économique

Une politique hardie, des investissements nouveaux s'imposent d'urgence dans le domaine de l'éducation. Les pays qui nous entourent l'on bien compris et agissent en conséquence. Or nous nous trouvons pratiquement dans une situation de blocage budgétaire.

Puisque d'importantes dépenses nouvelles sont indispensables, il faut les exiger comme on n'hésite pas à faire pour d'autres secteurs, lorsque des intérêts majeurs sont en jeu.

Mais, parallèlement, des économies, des rationalisations sont nécessaires. Le pluralisme philosophique qu'appelle notre temps devrait faciliter aussi des accords entre réseaux d'enseignement, susceptibles de réduire significativement les dépenses.

 

Conclusion

La Wallonie est, de longue tradition, pays d'éducation. Cela lui a valu la place de choix qu'elle occupe tant dans le domaine de l'économie que dans celui de la culture.

Nous traversons actuellement une période difficile. La restructuration politique de notre pays a absorbé beaucoup d'énergie et le long processus qui y a conduit n'a pas permis de prendre à temps, en particulier pour l'éducation, des décisions scientifiques et administratives urgentes.

Le retard pris ainsi est alarmant et, s'il s'accentuait encore, il pourrait entraîner des décrochages et des pertes d'une gravité extrême.

La chance veut que les connaissances nécessaires à l'élévation généralisée de la qualité de l'éducation et de sa productivité arrivent à maturité. On dispose ainsi d'éléments solides pour fonder les décisions et mettre en oeuvre une politique éducative qui nous permette d'entrer avec assurance dans le XXIème siècle.

Toute décision en matière d'éducation est indissociable de jugements de valeur et des réalités économiques et sociales. Ne fût-ce que par réalisme, les options humanistes et démocratiques s'imposent, car seuls ces deux idéaux sont garants de progrès et donnent l'espoir d'éviter des mouvements sociaux qui pourraient se solder par un désastre.

En revanche, si la raison et la justice triomphent, la civilisation nouvelle qui émerge pourrait dépasser en qualité et en noblesse tout ce que l'humanité a connu jusqu'à présent.

Références

CASPAR P., L'Investissement immatériel, Paris, Université Paris-Dauphine, Séminaire Compétence et compétitivité, mars 1989.
LEMOSSE M., Le "Professionnalisme" des enseignants : le point de vue anglais, Recherches et formation, 1989, 6, 55-60.
PETRELLA R., L'Homme et l'outil : les valeurs qui basculent, Le Monde diplomatique, 20 septembre 1987.

Propositions relatives à l'enseignement

 

1. Techniques et finalités.

L'éducation en Wallonie doit allier une grande technicité par rapport aux manières d'enseigner à une intentionnalité visant à créer une culture dont les valeurs principales pourraient être la convivialité des individus et des groupes, la capacité d'intégrer les sciences et les techniques dans des projets dont on a appris à négocier la dimension et les finalités humaines, et l'autonomie des individus.

2. Investissements dans l'éducation.

Faire des dépenses sur l'éducation des nouvelles générations est probablement une des formes d'investissements les plus productives que l'on puisse prévoir pour la Wallonie.

3. Au delà des individus et de leur famille, la société.

Les individus étant membres d'une société au delà de leur famille, et cette société étant plus qu'un agrégat d'individus, il revient aux pouvoirs publics d'avoir un rôle important dans le fonctionnement du système éducatif.

4. Une école pour tous les individus et pour la collectivité.

Deux critères seront particulièrement à privilégier pour évaluer ce rôle :

  1. la capacité du système à donner à chacun(e) - et spécialement aux moins privilégiés - une éducation permettant aux individus d'être à la fois autonomes et intégrés dans la vie sociale, et,

  2. la capacité du système à fournir à la collectivité les savoirs et les capacités nécessaires pour piloter efficacement et humainement le développement des technologies et de l'économie.

5. Au delà de l'accumulation des savoirs, le sens.

L'enseignement ne peut pas se contenter simplement de faire accumuler aux élèves un certain nombre de connaissances; il doit viser à leur donner la capacité d'utiliser ces connaissances dans les situations rencontrées individuellement et collectivement. Autrement dit, les connaissances doivent toujours être reliées aux contextes (les projets, les situations, les négociations, les interrogations, les décisions à prendre, etc.) qui leur donnent du sens.

6. Diminuer les matières au programme.

Les programmes actuels en Wallonie sont bâtis sur le principe d'une accumulation de matières à enseigner. Il importe de changer cette perspective pour se centrer sur l'acquisition des savoirs de base - pratiques, théoriques et culturels - nécessaires pour pouvoir se situer d'une manière autonome dans la société. En sciences, notamment, une telle perspective liée au concept d'alphabétisation (ou d'acculturation) scientifico-technique (scientific and technological literacy) implique la suppression d'une partie importante des intitulés des "matières" à voir d'après le programme. L'enseignement doit plus viser la capacité d'apprendre et de modéliser des situations qu'à l'accumulation des connaissances.

7. La culture générale.

L'enseignement doit donner aux jeunes une culture générale. Par ce concept - au delà des importantes attitudes d'ouverture d'esprit, de curiosité et de désir de comprendre, ou encore au delà de la familiarité avec des thèmes culturels importants - nous désignons, avant tout, la maîtrise des représentations théoriques de base permettant de se débrouiller dans notre société.

8. Vers un pluralisme non purement technocratique.

Dans le contexte économique et culturel de la Wallonie, le choix du pluralisme s'impose sans doute. Mais il faut éviter que ce ne soit qu'un pluralisme purement technocratique qui négligerait les échanges et les débats relatifs au sens de ce que l'on vit. Il faudrait au contraire que ce soit un pluralisme voulu positivement et favorisant la connaissance des autres, la communication, l'apprentissage aux négociations interpersonnelles et sociales, la recherche du sens et de ses expressions verbales ou symboliques, le respect et l'écoute des diversités, l'ouverture aux enrichissements pouvant provenir dans les conflits gérés par le droit et la non-violence, ainsi que d'autres valeurs favorisant une vie humaine aussi profonde que possible.

9. Les dimensions techniques et politiques de l'école.

L'école doit être envisagée selon deux dimensions. La première, principalement technique, est celle de la transmission d'un certain nombre de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être. La seconde, à dimension politique dans le sens le plus noble du mot, est relative aux projets de l'institution. Ceux-ci ne peuvent être dictés par les techniques ou une soi-disant analyse des besoins; ils sont le résultat de négociations d'un certain nombre d'acteurs liés au système scolaire.

10. Retrouver le politique (et non la politique) à l'école.

L'école doit être repolitisée, dans le sens le plus noble du mot, c'est-à-dire qu'elle doit être vue comme un lieu où familles, enseignants, organisations sociales, entreprises, élèves, représentants politiques, etc., négocient les structures et les projets d'une institution dont personne ne peut se considérer comme propriétaire. Ces négociations doivent être un des moyens de pression pour que l'école s'adapte aux demandes sociales.

11. Profiter de la diversité des fonctions et éviter leur cumul.

Pour que les négociations conduisant aux décisions qui détermineront les orientations de l'école se fassent de la manière la plus ouverte possible, il importe que soit respectée la diversité des acteurs sociaux intéressés par l'école (par exemple, enseignants, parents, directions, inspecteurs, formateurs de formateurs - de l'université ou des écoles normales - producteurs de manuels, décideurs de programme, membres des centres PMS, etc..), des fonctions qui leur sont confiées, et des intérêts qu'ils représentent. De manière à éviter des blocages institutionnels, il importe d'éviter, autant que possible, le cumul de ces fonctions.

12. Au delà du court terme et des lois du marché.

L'école ne peut être part intégrante à la société marchande où elle se réduirait à devenir une entreprise vendant des services d'éducation à des individus : elle a des objectifs sociétaux à long terme qui ne peuvent être garantis par les intérêts à court terme déterminant le marché.

13. Entre la rationalisation et la décentralisation.

Un compromis doit être trouvé pour l'école entre les rationalisations et les choix politiques qui engendrent inévitablement une certaine centralisation et les aspirations à une société civile décentralisée où les décisions seraient laissées aux échelons locaux.

14. Ne pas s'enfermer dans la logique de la concurrence.

Des mécanismes organisationnels doivent être mis en place pour que la diversité des établissements d'enseignement et une saine émulation entre eux ne dégénèrent plus en une concurrence effrénée et une chasse aux élèves qui ne favorise pas toujours les finalités de l'institution. Il faut donc que la pression du public puisse se faire d'une autre manière.

15. Savoir évaluer les réponses de l'offre aux "demandes".

Même si les écoles ne peuvent se gérer purement et simplement selon les lois d'un marché concurrentiel, elles ne peuvent échapper totalement aux pressions des demandes des divers usagers et acteurs sociaux intéressés (lesquels ne peuvent être réduits aux familles). Un système d'évaluation des écoles devrait aussi être mis au point, similaire aux évaluations que doivent faire les écoles américaines pour être accréditées.

16. Une formation à triple visée pour les enseignants.

La formation des enseignants doit les familiariser avec les savoirs qu'ils auront à transmettre, avec les méthodes pour le faire efficacement en tenant compte des contraintes, et avec les analyses de société qui permettent de discerner les significations et finalités de l'enseignement. En d'autres termes, pour apprendre les mathématiques ou le latin à John, il faut non seulement connaître ces matières (Cf. les savoirs scientifiques), mais il faut aussi connaître John (Cf. la psychopédagogie) et surtout aussi connaître pourquoi, pour quoi et pour qui, dans cette société, on est prêt à imposer cet apprentissage (Cf. l'analyse de société).

17. Une formation à l'histoire et à l'épistémologie.

De manière à ce que la formation des jeunes dépasse un endoctrinement peu critique, la formation des enseignants doit les ouvrir aux dimensions historiques, épistémologiques et sociales relatives à leur discipline. La dimension historique devra avoir deux dimensions : celle de l'historicité des concepts et des modèles scientifiques utilisés et celle du contexte socio-historique de leur construction.

18. Donner leur place aux sciences de l'éducation.

Même si l'enseignement restera toujours en partie un art, il n'est plus possible de l'envisager sans tenir compte des développements récents des sciences de l'éducation qui doivent devenir le bagage indispensable des enseignants.

19. Donner sa place à la recherche en éducation.

Une recherche de haut niveau est nécessaire au développement et au pilotage de l'éducation en Wallonie. Pour donner à l'éducation la dimension scientifique qu'on peut attendre d'elle, il importe que tous les formateurs de formateurs soient aussi des chercheurs.

20. Une formation initiale aussi pour le long terme.

Les objectifs de la formation initiale des enseignants dépassent les visées à court terme liées aux premières années de pratique professionnelle (même si ces objectifs à court terme sont aussi nécessaires). Il s'agit de leur donner les outils essentiels qui leur permettront d'apprendre toujours plus sur le terrain, même pendant les années où les pressions du début, les obligations familiales et autres, les empêcheront de consacrer beaucoup de temps à leur formation ou à des études en profondeur. C'est pourquoi la formation initiale doit apporter une ouverture à des domaines de base qui risqueraient autrement d'être négligés dans le feu de l'action : les développements récents des sciences de l'éducation, la dimension historique de leur discipline, la dimension sociétale de l'école, l'épistémologie, etc.

21. Une formation continué(e) pour le court et le long terme.

La formation continu(é)e (qui devrait être obligatoire) doit viser des objectifs à court terme et à long terme. A court terme, elle doit donner aux enseignants les connaissances et la formation nécessaire pour mettre à jour ou améliorer directement ses cours. Mais elle doit aussi comporter des moments de formation assez long pour pouvoir s'initier à des dimensions qui, dans le feu de l'action, ne paraissent pas absolument nécessaires mais le sont à long terme (Cf. ce qui en a été dit à propos de la formation initiale). Dans cette perspective, il importe que les formateurs de formateurs accordent une place à ces objectifs à long terme (même si certains enseignants - ou même certains inspecteurs ou chefs d'établissements - ont plus tendance à favoriser l'immédiatement utile).

22. Place des technologies dans l'enseignement.

Actuellement, l'enseignement secondaire général ne donne pratiquement pas de place aux technologies. De plus, celles-ci sont souvent présentées comme des recettes et non comme des modélisations théoriques complexes de situations. L'enseignement des technologies - dans les traditions de l'architecture, de la médecine, de l'art de l'ingénieur, etc. - doit avoir sa place dans l'enseignement général.

23. Formation des professeurs de sciences aux technologies.

Aujourd'hui, les enseignants des sciences et des mathématiques n'ont pratiquement aucune formation aux technologies. Il faudra leur donner une formation leur faisant connaître le courant technique de la pensée scientifique. Ils devront aussi apprendre à savoir intégrer, dans un problème concret, des éléments scientifiques provenant de différentes disciplines scientifiques, des éléments juridiques, éthiques, écologiques, politiques, économiques, etc.

24. Le mouvement STS.

Le mouvement appelé "Sciences, Technologies, Sociétés" vise à promouvoir l'intégration des sciences et des techniques aux décisions des individus et des groupes et aux débats éthiques ou politiques. Il vise à présenter une science ne se retirant pas sur une tour d'ivoire. Ce mouvement doit être encouragé.

25. Pédagogie par projets intégrés.

Pour mettre les contenus d'enseignement en relation avec leurs significations pour les individus et dans la société, les élèves doivent, au cours de leur formation, être périodiquement, et selon leur niveau scolaire, amenés à résoudre des problèmes abordés dans leur globalité, par des projets intégrés. Il faut leur apprendre à dépasser les prescriptions de recettes pour construire des îlots de rationalité autour des situations abordées.

26. Développer le "capital social" dans le système éducatif.

L'éducation ne peut être considérée uniquement comme un processus de transmission des savoirs. C'est aussi un apprentissage aux négociations de la vie sociale. Il importe donc que le système éducatif que la société wallonne met en place mette le jeune dans un réseau d'organisations et d'institutions grâce auxquelles le jeune se sentira part de la société. L'école ne peut donc être réduite à être seulement un lieu d'apprentissage des savoirs.

27. Rester fidèle à une tradition occidentale de démocratisation.

L'Occident a valorisé l'attention aux plus démunis de la société. Cette tradition a été reprise aussi bien par les groupes s'inspirant du christianisme que par les traditions laïques de démocratisation des études. Dans cette perspective, le système d'éducation en Wallonie doit refuser, par choix politique, toute dualisation ou tout système à deux vitesses (une pour les "battants", une pour les autres). Le principe de solidarité a un double fondement, l'un éthique basé sur les traditions précitées, l'autre pragmatico-politique basé sur les coûts humains, sociaux et économique des systèmes dualisés et sur les risques d'instabilité et d'insécurisation qu'ils comportent

(Octobre 1991)

 

Note

(1) Le texte de la discussion générale, dont l'ossature est due à G. de Landsheere, intègre des apports d'A. Van Haecht, de G. Fourez, et de J-P Pourtois et Madame Houx, Assistante du Professeur Pourtois, à la Faculté de Psycho-pédagogie de l'Université de Mons-Hainaut.


 

 

L'Institut Destrée L'Institut Destrée,
ONG partenaire officiel de l'UNESCO (statut de consultation) et 
en statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social
des Nations Unies (ECOSOC) depuis 2012
  The Destree Institute The Destrée Institute,
NGO official partner of UNESCO (consultative status) and 
in Special consultative status with the United Nations Economic
and Social Council (ECOSOC) since 2012 

www.institut-destree.eu  -  www.institut-destree.org  -  www.wallonie-en-ligne.net   ©   Institut Destrée  -  The Destree Institute