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Deuxième congrès La Wallonie au Futur
1991 -
Le Défi de l'Education

Congrès permanent La Wallonie au futur - Index des congrès

 

 
L'avenir de l'Enseignement (1) (1/2)

Gilbert De Landsheere
Professeur émérite de Sciences de l'Education de
l'Université de Liège (ULg)

 

Alors que tous les pays industrialisés entrent dans une ère nouvelle dont les bouleversements économiques, sociaux, culturels seront historiquement aussi importants que ceux de la Renaissance ou de la première Révolution industrielle, notre jeunesse - idéalement, toute la jeunesse - est-elle bien préparée à faire face aux problèmes qui l'attendent? Il importe de s'en assurer d'urgence et de prendre les dispositions qui s'imposent.

La libération des tâches routinières par l'informatique laisse une place prépondérante au jeu des processus mentaux supérieurs : analyse, synthèse, créativité, évaluation. Dans une société qui, selon l'admirable expression de Louis Armand, est en train de s'encéphaliser, l'intelligence est devenue l'une des marchandises les plus recherchées. "Les échanges invisibles, écrit Caspar (1989, p. 2), constituent désormais une part essentielle des échanges entre pays. Le Fonds monétaire international (FMI) estime que la moitié des échanges se font désormais [...] sous forme de brevets, de hautes technologies, de capacités managériales, d'informations financières ou stratégiques... bref de savoirs."

Société de l'information et de la communication. De la surinformation aussi, surinformation qui risque de déboussoler ou de paralyser ceux qui sont incapables de la trier, de la structurer. Société du changement accéléré. Le capital de connaissances de l'humanité doublerait, en moyenne, tous les sept ans. Les activités professionnelles - est-ce un hasard? - demanderaient elles aussi une reconversion au même rythme. Changement encore dans tous les aspects sociaux.

Selon des données récentes, la moitié des emplois créés d'ici l'an 2000 exigeraient une formation supérieure et environ un tiers d'entre eux seraient destinés à des universitaires à part entière. Même pour l'exécution de tâches dites subalternes, les processus mentaux supérieurs joueraient un rôle croissant.

Les entreprises, surtout les grandes, connaissent des transformations fondamentales. Elles découvrent que leur essor dépend de plus en plus des investissements immatériels, c'est-à-dire des investissements dans l'intelligence : recherche et développement, formation, affinement intellectuel et affectif des rapports d'autorité, des communications dans le travail, des relations avec la clientèle.

De la base au sommet, le monde du travail voit disparaître sa linéarité organisationnelle et fonctionnelle au profit de processus interactifs multidirectionnels. Idéalement, chaque travailleur devrait être, à son échelon, un décideur éclairé, communicatif, prévoyant et flexible.

L'intelligence est donc devenue l'une des marchandises les plus recherchées et le savoir prend valeur stratégique. "Quel est le point commun à tout cela? C'est une double conviction, autant philosophique que managériale, que n'aurait pas reniée le Siècle des Lumières : l'homme constitue la ressource primordiale; la connaissance est la source du progrès." (Caspar, 1989).

Qui - individu, entreprise, nation - tire le mieux et le plus vite profit de ces conditions nouvelles est un gagneur. D'où la concurrence effrénée. Qui a le mieux compris ce qui arrive sait aussi que nous entrons dans l'ère de la mondialisation.

Si, quittant l'échelle sociétale, on s'interroge sur les caractéristiques individuelles requises, on s'aperçoit que l'individu total - intellectuel, affectif, moral, social, physique - est interpellé. Doué d'une bonne santé physique et mentale, ayant acquis dès le début, surtout dès le début de la scolarité, des bases solides, chacun doit idéalement pouvoir :

  • prendre et analyser l'information et conquérir la connaissance;

  • communiquer;

  • détecter les problèmes et avoir l'envie et le pouvoir de les résoudre;

  • élaborer des projets;

  • anticiper;

  • travailler dans des conditions mouvantes, décider et agir sans posséder tous les éléments d'information souhaitables.

Est-il besoin de continuer pareil inventaire?

Croire que chacun possédera toutes ces qualités à la perfection serait naïf. En revanche, considérer que nous trouvons là des caractéristiques modales souhaitées des populations de demain est tout simplement réaliste. Il reste à les susciter. Si nous le voulons, nous le pouvons. Comment? En commençant par approfondir, sans complaisance aucune, l'analyse des problèmes majeurs d'éducation et de formation qui se posent.

  1. Il faut d'abord déterminer de façon aussi précise que possible notre situation réelle, c'est-à-dire évaluer le rendement de notre enseignement fondamental et voir où se situent les populations de 17-18 ans, qu'elles soient encore pleinement scolarisées ou non.

  2. La qualité de l'enseignement fondamental doit absolument être améliorée. A cette fin, il importe de dégager les savoirs méthodologiques les plus sûrs et de combattre sans merci ce qui n'est qu'idéologie creuse ou fantasmes pédagogiques. Et comme les savoirs fiables restent, à bien des égards, sérieusement lacunaires, il faut investir dans la recherche en éducation, ce qui n'a jamais été fait significativement dans notre pays. Nous y reviendrons.
    Quant à la formation des enseignants, elle n'a pas encore fait sa nécessaire mutation, ce qui rend d'autant plus pressante une formation continuée de tout le personnel éducatif, formation dont l'ampleur doit dépasser le seuil critique à partir duquel les effets du perfectionnement deviennent sensibles au niveau éducatif global, et pas seulement en quelques lieux d'exception.

Le problème de la culture générale se repose aussi. Sans elle, l'homme deviendra esclave de la technologie au lieu de mettre cette force prométhéenne au service de tous.

Enfin, on voudrait savoir dans quelle mesure l'Université continue à bien remplir sa mission essentielle, tout en en assumant deux nouvelles : offrir un couronnement de culture générale à des populations qui ne se destinent pas à la conquête scientifique supérieure et assurer une formation continuée indispensable à tous ses diplômés - et ils sont nombreux - qui ne peuvent la trouver normalement ailleurs.

Nous voudrions maintenant revenir sur chacun des grands points qui viennent d'être évoqués pour approfondir et préciser quelque peu la réflexion.

 

A société à reconstruire, éducation nouvelle

L'école est déstabilisée : elle n'est pas en crise parce qu'elle n'est pas adaptée à la société, mais parce qu'elle essaie de s'y adapter (G. FOUREZ).

Les hommes sont d'inguérissables apprentis sorciers. Loin de diriger en constante rationalité leur existence propre et celle de la société, ils se laissent entraîner, voire piéger par les événements. Nous sommes actuellement entraînés dans deux de ces pièges historiques.

D'une part, la technologie a avancé beaucoup plus vite que la moyenne d'instruction de la population. Les régulations éducatives indispensables ne se sont pas produites au bon moment parce que l'on n'avait pas vu venir le danger ou que les responsables avertis n'ont pas jugé urgent d'y parer. Ainsi, seule une minorité s'est munie à temps des compétences nécessaires et appartient à une nouvelle aristocratie : celle des meilleurs, des gagneurs à qui vont actuellement toutes les faveurs sur le plan individuel.

Dans le passé, les privilèges se transmettaient sans plus. Aujourd'hui, il faut que les classes dirigeantes soient compétentes : les parents favorisés sont prêts à payer le prix pour que les enfants le soient aussi.

La perspective néo-libérale est inacceptable. Comme le souligne G. Fourez, d'aucuns poussent l'école vers le secteur marchand, lié à l'organisation du marché et à l'optimisation des coûts. Cette optimisation est, de toute façon limitée, car on ne peut remplacer les enseignants par des robots ou par une main-d'oeuvre pédagogique à bon marché importée des pays moins favorisés.

L'école ne peut pas être dominée par la recherche du rendement économique, car l'attention première, elle doit la réserver aux valeurs. Comme service public, son devoir peut être de s'opposer à des parents ou à des élèves qui seraient prêts à accepter un système scolaire "dualisé". La vision de l'école doit rester focalisée sur le bien commun et donc continuer à faire place aux plus faibles.

D'autre part, des régulations sociales indispensables ne se sont pas opérées, soit par mépris pour les "perdants", soit parce que le danger de réactions révolutionnaires auxquelles le désespoir pourrait les pousser n'est pas perçu.

Pour redresser la barre tant qu'il en est encore temps, du moins, on l'espère, une transformation profonde des mentalités doit se produire dans le plus bref délai. Un nouveau et grand défi est ainsi lancé à l'éducation. Collaborant avec tous ceux pour qui le respect de la dignité humaine est impérieux, elle doit contribuer de façon décisive à l'installation de valeurs et d'attitudes nouvelles.

Dans son article L'Homme et l'outil, Riccardo Petrella (1987) a admirablement cerné le problème. La série des mots-clés qui caractérisent la société innovante qui se dessine actuellement devant nos yeux est, nous dit-il : productivité, compétitivité, efficacité, rentabilité, optimisation, flexibilité, contrôle, adaptabilité, mesurabilité, gestion. A cette série, il importe d'en substituer une autre : joie, beauté, solidarité, créativité, autonomie, stabilité, espoir, coopération, identité, partage.

Un ordre social nouveau doit s'instaurer, "celui de l'emploi pour tous, chômage zéro en l'an 2000" ou encore "celui de la dissociation entre revenu et emploi : établissement d'une allocation universelle de base à laquelle on aurait droit non pas parce qu'on a un emploi, mais du simple fait d'exister" (Petrella). Qu'on ne s'y trompe pas! Il faut y insister, il ne s'agit pas ici d'un rêve, d'une utopie de plus, mais bien du seul programme humaniste susceptible de répondre positivement aux conditions qui, sauf cataclysme, peuvent être les nôtres dans un avenir proche.

 

Une culture générale à reconstruire

Une culture générale de bon aloi interroge les événements naturels et les phénomènes sociaux de façon permanente, permet de dégager l'essentiel de l'accessoire et de fonder les actions. Elle doit imprégner toute formation pour l'empêcher, notamment, de s'enfermer dans une vision technicienne et de s'éloigner de la capacité de toujours se renouveler en un mouvement caractérisé par une flexibilité, une polyvalence en continuel accroissement. Si cette valence devenait universelle, la technologie et la philosophie pourraient opérer leur jonction.

Qu'une réflexion nouvelle sur la culture générale soit à l'ordre du jour n'a rien de fortuit ni de gratuit. Les grandes entreprises comme les laboratoires de recherches les plus avancés savent que ce qui manquent souvent à leurs membres, c'est la capacité de philosopher, de distinguer l'essentiel sous le disparate ou les particularités, de détecter les principes généraux qui apparentent des choses en apparence très différentes, sinon étrangères.

La culture générale reconstruite, que toute éducation devrait faire acquérir, a pour mission essentielle d'offrir, aux futurs citoyens du XXIème siècle, une référence et un code communs, une boussole intellectuelle et morale indispensable pour tenir un cap dans le tourbillon tempétueux des innovations et des changements.

Il est grand temps, écrit en substance Domenach, dans son récent ouvrage Que faut-il enseigner ? (1989, p. 35), de rechercher l'essentiel dans le contemporain, de le ramener à quelques règles, à quelques principes unifiants. Il importe "d'asseoir sur des bases simples et stables, une pédagogie du complexe et du mobile", tout en sachant bien "qu'entre la simplicité et la complexité, le chemin n'est pas univoque : on va de l'une à l'autre", et c'est dans ce va-et-vient que se situe la dialectique de la pédagogie.

On n'insistera jamais assez sur la nécessité de construire une éducation intellectuelle et morale à l'échelle de notre temps. Cette tâche est complexe et sa traduction en termes de programmes va demander au monde de l'éducation un énorme effort de créativité et de réajustement.

Simultanément, toutes les disciplines d'enseignement, qu'il ne s'agit pas de fondre en un magma informe, mais d'articuler, de "ponter", doivent être réexaminées pour décider de leur survie, de leur place, de leur esprit et de leur contenu. Cette remise en cause s'inscrit dans la réflexion relative à la culture générale nouvelle qui, faut-il encore le dire, ignorera l'artificielle distinction entre culture littéraire et culture scientifique.

 

La réflexion de G. Fourez s'inscrit dans la même ligne

Un changement fondamental de la méthodologie de l'enseignement est indispensable. Une société stable s'accommode de contenus d'enseignement figés, d'une centration disciplinaire sur les matières inscrites aux programmes. L'écolier est essentiellement passif, réceptif? Mais, à société en évolution, contenus d'enseignement en évolution ! Pour éduquer à la flexibilité, au dynamisme, on ne peut plus contraindre l'élève à la passivité.

"Dans nos écoles, on tend moins à éduquer en vue d'une vie autonome et adaptée à la société qu'à y enseigner les disciplines. Pourtant, déterminer un programme de mathématiques, c'est avant tout répondre à la question : Qu'estimons-nous important, dans notre société, d'imposer aux jeunes et pourquoi ?"

 

Dans un monde aussi complexe que le nôtre, seule l'interdisciplinarité est opérationnelle

"La crise du sens dans l'enseignement est profonde. On n'y apprend guère comment croiser sciences, techniques, éthique, droit, écologie, économie, politique, esthétique, etc., pour aborder l'existence individuelle ou collective. A partir du moment où les savoirs ne sont plus reliés au monde et aux décisions qu'ils essaient d'éclairer, ils deviennent dogmatiques et tendent à ressembler à des endoctrinements idéologiques (n'est-il pas caractéristique que l'on enseigne aujourd'hui souvent les sciences comme des vérités qu'il faudra finalement croire, comme on le faisait de la religion, il y a quelques siècles ? [...]"

L'image d'une école où l'on ne vient que pour suivre des cours, et puis d'où l'on repart aussitôt, est dommageable à l'institution scolaire.

Il s'agirait de re-politiser l'école dans le sens noble du mot. J'entends par là que l'école doit être vue comme un lieu où familles, enseignants, organisations sociales, entreprises, élèves, etc. négocient les structures d'une institution dont personne ne peut se considérer comme propriétaire. Même les relations pédagogiques ne peuvent être envisagées comme purement techniques : il faut savoir promouvoir une pédagogie qui réintroduit la distinction des perspectives entre enseignants et étudiants, la négociation, les projets éventuellement conflictuels, et, à travers tout cela, le sens.

 

L'enseignement fondamental, le bien nommé

David Weikart a beaucoup frappé les esprits lorsqu'il a établi, aux Etats-Unis, que pour chaque dollar investi dans l'éducation préscolaire des enfants de milieux socio-culturellement défavorisés, un bénéfice de 4,75 dollars était réalisé, grâce à la réduction des affectations à l'enseignement spécial, de l'assistance publique et des moyens à déployer pour lutter contre la drogue. D'une telle observation, on retiendra simplement combien un investissement financier fait au bon moment dans le domaine de l'éducation peut être fécond pour l'individu et la société.

Que penser, par ailleurs, de l'affirmation, qui prend souvent valeur de slogan : "Tout se joue avant huit ans" ? Elle repose d'abord sur une observation générale : c'est pendant les premières années de la vie que l'individu présente la plus grande plasticité, l'apprentissage du langage et l'effet indélébile de certaines expériences précoces en témoignent. Plus particulièrement, Freud - pour ne citer que lui - a mis en lumière le caractère infiniment profond des effets de certaines expériences affectives précoces, tandis que des chercheurs comme Bloom, Kraus et bien d'autres ont pu démontrer comment les apprentissages réalisés au début de la scolarité, à commencer par celui de la lecture, décident dans une large mesure de la réussite ou des échecs qui vont suivre et influencent notre vie entière. De telles considérations appelleraient bien des discussions techniques et des nuances, mais leur signification statistique incontestable intéresse quiconque envisage macroscopiquement le phénomène éducatif.

Quatre conclusions s'imposent, sans la moindre contestation possible : la nécessité de préparer les futurs parents à leur mission, de créer des conditions d'accueil de la petite enfance éducativement positives, d'offrir à la presque totalité des enfants qui le fréquentent, dans notre pays, un enseignement maternel de très grande qualité, et de confier la charge des premières années de l'école primaire à des maîtres de grande compétence pédagogique et psychologique. (Nous ne nous arrêtons ici qu'aux deux premiers points. Les autres relèvent de la formation des enseignants dont il sera traité plus loin).

1. L'éducation des parents.

Alors que l'on enseigne tant de choses d'une importance contestable dans l'enseignement secondaire et dans les Universités, notamment sous le couvert de formation générale, pourquoi ne prépare-t-on pas psychologiquement et pédagogiquement les parents potentiels à l'une des choses les plus importantes et les plus difficiles qu'ils devront accomplir au cours de leur vie adulte? L'éducation des enfants.

Cette préparation s'impose plus que jamais dans le nouveau contexte socio-culturel dont l'immense complexité vient d'être évoquée.

On sait, en particulier, qu'à côté du curriculum scolaire explicite et implicite, il existe aussi un curriculum familial, implicite dans sa plus grande partie, mais tout aussi important. Il est porteur de valeurs et d'attitudes qui se transmettent plus par contagion que par discours de circonstance, et s'incruste ainsi profondément dans les personnalités. D'où, répétons-le, l'importance de l'éducation des futurs parents.

Se référant à divers auteurs J-P. POURTOIS et M. HOUX écrivent : "L'égalité des chances à et par l'école est loin d'être chose acquise. En particulier, l'art de développer des stratégies d'investissements scolaire rentable reste l'apanage des classes privilégiées".

Il apparaît notamment que les parents construisent des représentations sociales de l'école différentes, non seulement en fonction de leur appartenance socio-culturelle, mais aussi, à niveau scolaire égal, en fonction de leur trajectoire professionnelle. Aux trajectoires, individuelles vient s'ajouter l'effet des trajectoires intergénérationnelles, qui contribuent à définir les typologies familiales particulières, plus ou moins favorables à l'investissement dans le jeu scolaire. Par ailleurs, une étude longitudinale montre que les pronostics de curriculum scolaire établis pour des enfants âgés de sept ans, à partir de données individuelles et familiales, se vérifient quinze années plus tard dans sept cas sur dix.

La collaboration active entre la famille et l'école manque surtout de propositions concrètes et précises. En cela, elle déçoit l'immense majorité des parents qui ne demandent qu'à bien faire. Par exemple, beaucoup de parents intelligents et de bonne volonté ignorent ce qu'ils pourraient et devraient faire pour aider leur enfant au moment où il apprend à lire. Donner à ce propos des indications concrètes, éventuellement accompagnées de petits matériels utilisables à la maison, se révèle très efficace. Bien des suggestions de ce type sont possibles, non seulement pendant les premières années de la scolarité, mais aussi par la suite, notamment au moment de l'adolescence, pendant laquelle les réactions des jeunes prennent si souvent les parents au dépourvu.

Quand parents et professeurs réussissent ainsi à conjuguer leurs efforts, l'élève y gagne pratiquement toujours. L'effet de cette coopération peut être supérieur à celui du statut socio-économique de la famille. Et se vérifie aussi bien pour les jeunes élèves que pour les plus vieux. Evidemment, les enseignants doivent être bien préparés à cette collaboration.

2. L'accueil de la petite enfance.

De plus en plus de femmes exercent une activité professionnelle en dehors du domicile familial et les grands-parents vivent de leur côté. D'où le besoin croissant de structures d'accueil pour les jeunes enfants, depuis les premiers mois de la vie jusqu'à, au moins, l'entrée à l'école maternelle. Le placement se fait ou bien dans une famille ou bien dans une crèche. Ces deux modalités font actuellement problèmes.

Selon une vérité reçue qui a la vie dure, grâce à Freud, à Bolwby et à bien d'autres psychologues, l'éloignement quelque peu prolongé du milieu familial, spécialement de la mère, serait générateur de carences affectives souvent graves. Grâce à des réalisations comme celles de Loczi, on sait aujourd'hui que ces effets négatifs sont loin d'être inéluctables pour autant que le milieu d'accueil soit à la fois sécurisant, stimulant et propice à l'indépendance ou, si l'on préfère, à la créativité comportementale.

Malheureusement, les familles d'accueil sont rarement préparées à la mission qu'elles assument et ne réunissent guère l'ensemble des conditions qui viennent d'être évoquées. Quant aux contrôles qui peuvent être opérés, ils ne portent guère sur la qualité éducative de ces milieux.

De leur côté, les crèches, dont le nombre est dramatiquement insuffisant, sont encore loin d'avoir accompli leur évolution nécessaire. Surpeuplées, elles travaillent dans des conditions difficiles, très éloignées de ce qui permettrait la sécurisation psychologique et la stimulation pédagogique optimales.

On ne semble pas encore avoir bien compris combien une amélioration quantitative et qualitative sensible des modalités d'accueil pourrait avoir des répercussions bénéfiques sur l'avenir des enfants, notamment pour leur carrière scolaire.

 

La reconstruction de l'enseignement secondaire

Cette reconstruction est, elle aussi, urgente, car il n'est pas possible de mener de la même manière un enseignement secondaire fréquenté par une minorité culturellement et socialement homogène, et un enseignement secondaire accueillant la quasi totalité de groupes d'âge, - dès lors forcément hétérogène -, à conduire effectivement au seuil des études supérieures.

On a perdu de précieuses décennies a échanger arguments et contre-arguments à propos de ce que nous appelons l'enseignement secondaire rénové, alors qu'en fait le choix n'existe pas, si l'on s'en tient aux objectifs qui viennent d'être évoqués. Et comment ne s'y tiendrait-on pas ? On sait depuis longtemps que l'éducation ne se modèle pas au gré de vues abstraites, idéales, mais bien en fonction des besoins d'une société telle qu'elle existe en un lieu et à un moment donnés. Et le besoin d'une valorisation massive des potentialités des jeunes existe bien.

Ce qui est encore sujet de controverse chez nous depuis longtemps est tenu pour évident dans d'autres pays, qui évitent une sélection prématurée. Cette politique s'avère payante, à condition de savoir conduire la barque ou, si l'on préfère, de ne pas faire n'importe quoi.

Dans l'indispensable rénovation de l'enseignement secondaire, il importe toutefois, de ne pas répéter les erreurs commises lors de la grande réforme de ces dernières décennies, notamment:

  • un certain flou conceptuel chez ceux qui ont pris l'initiative de la réforme, dans les domaines de la psychologie, des sciences de l'éducation et de l'évaluation;

  • un certain laxisme confondu avec le respect de la personnalité de l'élève et avec ses besoins particuliers;

  • une préparation psychologique et pédagogique des enseignants et des cadres pédagogiques insuffisante;

  • un manque de moyens et d'instruments adaptés, tant pour l'enseignement que pour l'évaluation;

  • une information insuffisante des politiques et de l'opinion publique. Les généreuses professions de foi, les affirmations essentiellement idéologiques ne suffisent pas. Il importe d'expliquer, d'apporter des preuves, de fournir des dossiers bien étayés. Les données objectives, difficilement contestables, ne manquent pas. Encore faut-il les digérer et les diffuser sous des formes qui conviennent;

  • l'absence d'un pilotage rigoureux de la réforme. Tous les intéressés ont le droit de savoir avec précision ce qu'elle produit, et où des difficultés particulières se manifestent.

Ils ont aussi le droit de poser des questions et d'obtenir des réponses qui ne soient pas de simples opinions.

La rénovation de l'enseignement secondaire compte parmi les urgences premières de la politique de l'éducation.

 

L'expansion universitaire

Une expansion externe des universités a été généreusement réalisée. Elle suffit largement à notre petit pays et bien des rationalisations sont souhaitables.

En revanche, l'expansion interne accuse un retard dramatique et en aggravation constante. Il concerne trois aspects : l'adaptation à des populations nouvelles, les moyens humains et matériels de la recherche, et la formation continuée.

1. La population universitaire change.

Si nous réussissons à conduire avec succès la grande majorité des jeunes jusqu'à la fin de l'enseignement secondaire supérieur, ceux-ci jouiront, selon notre législation, du droit d'entrer à l'université, dans la plupart des cas sans la moindre épreuve de sélection.

Ainsi va se reproduire, avec un décalage temporel, le problème d'hétérogénéité qui se pose avec tant d'acuité dans l'enseignement secondaire. A côté des étudiants "traditionnels" sélectionnés de fait (selon des critères autant sociaux qu'intellectuels sur lesquels nous ne revenons plus) dans l'enseignement secondaire, étudiants qui souhaitent mener à bien des études scientifiques du plus haut niveau, vont affluer progressivement dans les universités des élèves souhaitant y trouver, soit un parachèvement de la formation secondaire générale, soit une qualification technique valorisable le plus rapidement possible.

Ces trois types de besoins sont éminemment respectables et il faut y répondre. Mais sans perdre de vue la mission première de l'université : former, dans les meilleures conditions possibles, des spécialistes et des chercheurs du plus haut niveau.

Des réponses à ces questions existent et sont bien expérimentées. Ainsi, pour la culture générale, on a créé aux Etats-Unis, depuis les années 60, des instituts annexes, les Community colleges, qui offrent des cycles courts, de deux à trois ans. Des dispositions institutionnelles similaires doivent voir le jour chez nous.

Quant aux formations techniques ou technologiques, elles peuvent être assez facilement réalisées, soit dans l'enseignement technique supérieur, non universitaire, bien développé dans notre pays, soit en coordonnant ces instituts avec des sections universitaires, solution déjà pratiquée grâce à des passerelles.

Tant pour les formations générales que pour les formations techniques, de nouvelles initiatives doivent être prises.

2. La recherche, plus que jamais.

La recherche scientifique et le développement technique sont non seulement de plus en plus indispensables dans la civilisation de l'intelligence, mais leurs apports constituent aussi une part majeure des échanges invisibles dont on a vu l'importance croissante sur le plan tant commercial que stratégique.

Malheureusement, la recherche d'aujourd'hui coûte de plus en plus cher et devient de plus en plus difficile chez nous.

D'abord en raison des équipements souvent sophistiqués et de vie de plus en plus courte. Dans certains cas, des petites communautés comme la nôtre devront passer des accords intercommunautaires, interrégionaux ou internationaux pour l'acquisition des matériels les plus chers. Encore faut-il que nous puissions payer notre part!

Ensuite parce que les équipements les meilleurs ne présentent aucun intérêt s'il ne se trouve pas de chercheurs du plus haut niveau pour s'en servir. Or cette situation nous menace, parce que les Universités ne disposent plus d'assez de moyens pour offrir un minimum de stabilité aux plus avancés de leurs jeunes éléments, et que, par conséquent, ceux que nous avons formés à grand prix nous sont enlevés par des pays plus avisés.

3. Organiser d'urgence la formation continuée.

L'attribution d'un diplôme universitaire atteste deux choses : que le lauréat a acquis, d'une part, une formation supérieure aussi fondamentale et donc aussi durable que possible et, d'autre part, qu'à la date de délivrance, il était bien au fait de l'état d'avancement de sa discipline.

A une époque où la science ne progressait que très lentement, la validité du diplôme pour une vie professionnelle entière pouvait encore se concevoir, avec déjà, cependant, un certain nombre de réserves. Mais, à partir du moment où la totalité des connaissances, dans une discipline donnée, double en quelques années, - ce qui est le cas dans tous les domaines avancés -, la situation change radicalement. L'actualisation continue ou au moins périodique de la formation s'impose. Certaines entreprises privées l'assurent à leur personnel, mais pour beaucoup d'autres professions, à commencer par les professions libérales, cette possibilité n'existe pas.

C'est pourquoi nos universités doivent pouvoir organiser immédiatement et en grandeur réelle la formation récurrente pour un grand nombre de leurs diplômés. Dans certains pays, les étudiants engagés dans ces formations continuées sont déjà plus nombreux que les étudiants en formation initiale . Nous sommes encore loin d'être dans une telle situation. Nos Universités ont pris des initiatives limitées en ce sens, sans pratiquement disposer de moyens spéciaux pour le faire. Pour répondre aux besoins réels et urgents, il n'est plus possible de travailler dans ces conditions.

 

En conclusion:

Deux mesures s'imposent sans tarder : une rationalisation rigoureuse (elle est souvent évoquée, mais se traduit peu dans la réalité) et l'attribution des crédits nécessaires aux nouvelles initiatives universitaires.

.../...

Notes

(1) Le texte de la discussion générale, dont l'ossature est due à G. de Landsheere, intègre des apports d'A. Van Haecht, de G. Fourez, et de J-P Pourtois et Madame Houx, Assistante du Professeur Pourtois, à la Faculté de Psycho-pédagogie de l'Université de Mons-Hainaut.


 

 

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