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Deuxième congrès La Wallonie au Futur
1991 -
Le Défi de l'Education

Congrès permanent La Wallonie au futur - Index des congrès

 

 
Introduction

Jean-Pierre TITZ
Administrateur au Conseil de l'Europe
Responsable du Projet Enseignement secondaire pour l'Europe

 

Mesdames, Messieurs,

Je voudrais tout d'abord vous apporter les salutations de Monsieur Raymond Weber, Directeur de l'Enseignement, de la Culture et du Sport du Conseil de l'Europe, qui regrette de ne pouvoir être parmi vous aujourd'hui.

Vous avez choisi de consacrer depuis deux ans une réflexion systématique sur la place de l'éducation, son rôle actuel et futur, dans le contexte du développement d'une région, la Wallonie. En invitant le Conseil de l'Europe à être présent à cette cérémonie d'ouverture, vous avez également indiqué que vous souhaitiez placer cette réflexion dans le contexte de l'Europe, de la grande Europe, de celle qui connaît aujourd'hui de si profondes mutations qui nous satisfont et nous inquiètent en même temps.

Depuis longtemps, le Conseil de l'Europe est attaché à cette idée d'une Europe multidimensionnelle où les Régions, selon des définitions qui varient largement de pays à pays, forment une des bases essentielles de la construction d'un ensemble démocratique où diversité, identités multiples, convivialités des groupes sociaux, seront non des obstacles mais le ferment d'une richesse commune.

L'Education est évidemment au centre d'un tel ensemble. La grande qualité des travaux des groupes thématiques et de la synthèse de Monsieur Michel Quévit le démontre très bien. A cet égard, je tiens à féliciter l'Institut Jules Destrée pour ses initiatives et le sérieux de sa démarche.

S'interroger sur le défi de l'éducation revient à étudier l'interface entre le système éducatif et le contexte global que détermine la demande sociale par rapport à laquelle il faut définir une politique à la fois adaptée et volontariste.

Ce n'est pas le lieu, maintenant, d'en exposer tous les aspects, je voudrais me limiter à vous présenter quelques réflexions que je crois pouvoir faire du point de vue des problèmes principaux qui sont communs à la plupart des pays européens; j'aborderai d'abord la démarche sociale, avant le système éducatif lui-même.

Le contexte global me paraît d'abord déterminé par deux concepts nouveaux.

Il s'agit d'abord d'une grande imprévisibilité. L'on parle depuis longtemps d'une accélération du rythme du changement. Cette tendance est de plus en plus marquée et l'on constate qu'il est extrêmement difficile de concilier la nécessité d'une certaine prévision - voire planification - et le caractère toujours plus aléatoire de la succession des événements économiques, géopolitiques et culturels.

Il faut beaucoup d'audace pour oser s'aventurer dans la futurologie autrement qu'à titre de scénarios alternatifs. Les difficultés des géopoliticiens sont évidentes depuis deux ans, la prévision macro-économique ne se relève que difficilement des chocs qu'elle n'avait pas prévus et l'évolution des cultures échappe totalement à un quelconque système de représentation prospective satisfaisant.

L'autre concept, sinon nouveau du moins de plus en plus déterminant, est celui de l'interculturalité.

Il n'est plus possible de réfléchir en terme de relation simple entre identité culturelle, ethnie, nation, région et Etat.

L'interculturalité concrète et quotidienne envahit notre espace par la présence sur un même territoire, et étroitement entremêlées, de populations d'origines diverses et porteuses de systèmes de valeurs parfois très éloignés les uns des autres. Mais de plus, le développement mondial des moyens de communication, des processus de production et de distribution des biens et savoirs, des industries culturelles, des déplacements des individus et le rôle croissant des institutions internationales et transnationales nous met tous les jours en contact avec des champs culturels autrefois éloignés, voire exotiques.

Par ailleurs, l'interculturalité envahit l'échelle du temps dans la mesure où la rapidité des changements sociaux en général oblige chacun d'entre nous à changer de références culturelles plusieurs fois dans sa vie. N'avons-nous pas tous été éduqués pour une société - et donc une culture - qui a déjà changé plusieurs fois depuis notre passage dans le système éducatif formel ?

Une autre caractéristique du nouveau contexte social en Europe est relative à la référence spatiale ou territoriale.

Deux dimensions ont connu une évolution relative qui interroge le système éducatif à cet égard. Il s'agit d'abord de la référence régionale qui connaît pourtant une région de légitimité politique et un accroissement de son rôle en tant que source et lieu de développement. Il s'agit ensuite de la référence européenne à laquelle l'on ne peut pas échapper dans toute réflexion et action sur le développement politique, économique, social, culturel et géopolitique.

L'évolution de la mobilité sociale est également déterminante. Nous vivons à cet égard une tension croissante entre un accroissement de l'appareil socio-éducatif qui ouvre des perspectives très grandes de mobilité individuelle et l'apparition de processus d'exclusion et de marginalisation de pans entiers du tissu social dont les conséquences seront très graves si l'on n'y prend pas garde.

Enfin je retiendrai comme dernier phénomène significatif, celui de l'évolution de la notion même de capital humain qui, de la force physique, est passé au savoir faire, au savoir penser et aujourd'hui au savoir penser la façon de penser. Il y a là un élément de ce que le Professeur de Landsheere appelle l'encéphalisation de la société.

Bien sûr, je ne voulais pas être exhaustif mais je pense que par rapport à la problématique de nos discussions, les facteurs d'imprévisibilité, d'interculturalité, de modification des références spatiales, de tension quant à la mobilité sociale et l'exclusion, et les modifications de définition du capital humain et du savoir figurent parmi les défis principaux auxquels le système éducatif doit faire face aujourd'hui et par rapport auxquels il faut bien admettre qu'il n'y a pas de réponses toutes faites.

Où en est justement le système éducatif ?

De façon générale, et je me cantonnerai à cette première approche, l'on peut constater que nos systèmes éducatifs européens participent tous peu ou prou d'une même philosophie de base. Celle-ci remonte généralement au XIXème siècle et a correspondu à deux phénomènes, la Révolution industrielle et l'émergence des Etats-nations.

On pourrait l'appeler la philosophie de l'Instruction publique. Il s'agissait, en simplifiant, de permettre à chacun de lire, écrire, calculer; d'assurer progressivement l'égalité des chances, la récompense des mérites et de l'effort, de faire des citoyens des Etats concernés. Cela s'est traduit par le développement spectaculaire d'un système éducatif gérant un savoir, sinon stable, en fait en évolution lente, avec des méthodes uniformisées dans une structure formelle hiérarchisée.

Les chocs culturel (1968) et socio-économique (1973) ont remis en cause cette philosophie reposant au fond sur une relation stable et continue entre école et demande sociale.

Durant les années 70, s'est constituée, en particulier au Conseil de l'Europe, une nouvelle conception de l'école sous le titre générique d'Education permanente. Il faut souligner combien le processus de production de cette approche fut original dans la mesure où il s'est agit du premier travail de ce type entamé au niveau européen et associant des philosophes, des éducateurs, des experts et des preneurs de décisions de tous les pays signataires de la Convention culturelle.

Des principes généraux qui furent énoncés alors découleront de multiples réformes qui s'en inspirèrent manifestement, sinon explicitement.

Autonomie, action communautaire, ouverture de l'école sur la société, flexibilité des structures et des programmes, concept de district socio-éducatif et culturel, continuité de l'action éducative à tous les stades de la vie en formaient la trame philosophique même si la mise en oeuvre ne fut généralement que partielle ou mal reçue, pour de nombreuses raisons - légitimes ou non, ce n'est pas notre propos de trancher ici.

Pendant une courte période, le milieu des années 80, le contexte politique a conduit à un ralentissement, un arrêt voire un certain recul, par rapport aux réformes entreprises. Pour toute une série de raisons, l'on a cru nécessaire d'en revenir aux "vraies valeurs", aux méthodes et programmes qui avaient fait "leurs preuves" dans le passé.

Le début des années 90 nous montre combien il est impossible d'éviter la logique des faits. L'évolution de la demande et du contexte social tels que schématisés plus haut s'étant encore accélérée, il est aujourd'hui, je crois, assez évident qu'il faut avoir le courage de reprendre une réflexion structurelle fondamentale du système éducatif. Les tensions très fortes, dont les malaises du corps enseignant, des lycéens, voire des banlieues pauvres (même si le système éducatif n'est là pas seul en cause) me confirment dans cette hypothèse.

La mise en place de processus de réformes de nos systèmes éducatifs ne me paraît pas possible sans qu'elle ne soit pensée au niveau de notre continent dans sa nouvelle configuration. Entendons-nous bien, il s'agit bien d'entamer un nouvel effort de coopération et d'échange d'idées et d'expériences sans qu'il ne puisse être engagé une quelconque dévolution de pouvoir en la matière à une autorité supranationale. Cela n'est ni nécessaire, ni politiquement faisable.

L'extraordinaire mouvement, parfois tumultueux, qui accompagne la réconciliation de notre vieux continent avec lui-même autour des valeurs communes - les Droits de l'Homme, la démocratie pluraliste - et de son patrimoine historique et culturel, en forme le contexte idéologique.

Les institutions de coopération qui dans notre domaine ont une grande expérience, en forment un outil privilégié. A cet égard, le Conseil de l'Europe joue un rôle déterminant depuis 1948.

L'Europe est désormais une réalité concrète dans la vie quotidienne, dans la culture, dans l'économie et de plus en plus au niveau politique.

Le concept même de citoyens autonomes et responsables est inconcevable sans la dimension européenne, tout comme, et c'est tout l'intérêt de vos travaux, la dimension régionale.

Faire de l'école un lieu de vie, un centre de développement intégré, de rencontres des acteurs sociaux, de partenariats entre acteurs communs, de rencontres permanentes des savoirs, anciens et nouveaux, des technologies, des convivialités et des nouvelles sociabilités, et, ne l'oublions pas, des générations, voilà le grand défi. Ne pas le relever serait prendre une grande responsabilité face à l'avenir.

(Octobre 1991)

 


 

 

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