Conférence - Consensus
La Wallonie au Futur
Namur - 1994

Où en est et où va
le système éducatif en Wallonie ?
Comment le savoir ?

Institut Jules Destrée, Congrès La Wallonie au futur, retour à l'index

Reflets et perspectives

Christine Minguet
Assistante de recherche au Service de Pédagogie expérimentale
de l'Université de Liège

Je remplace ma collègue Aletta Grisay qui, souffrante, a dû malheureusement se désister en toute dernière minute. Les éléments que je souhaite soumettre à votre réflexion ne sont, de ce fait, peut-être pas très structurés. Je me réjouis de la participation des sociologues aux discussions sur le pilotage du système éducatif. Ils vont certainement induire une dynamique intéressante. Leurs questions rejoignent nos interrogations de pédagogues. Mais ce n’est pas le lieu, aujourd'hui, d’un débat entre experts. Le débat, c’est à vous de le mener.

Ma position ici sera plutôt celle d'un "expert technique". Je suis assistante de recherche en Pédagogie expérimentale, à l'Université de Liège, dans le service du professeur Marcel Crahay. Une partie de mon travail consiste à élaborer, dans le cadre du projet INES (Indicateurs internationaux de l’Enseignement) du Centre pour la Recherche et l’Innovation dans l’Enseignement (CERI) de l’OCDE, dont on vous a parlé ce matin, des indicateurs de l’enseignement. J’interviendrai donc surtout sur des données plus techniques qui peuvent aider à répondre aux questions qui se posent aujourd'hui : Où en est et où va le système éducatif en Wallonie ? et comment le savoir ? Je donnerai un bref aperçu de certains acquis, de documents qui existent déjà et qui peuvent être utiles dans une réflexion sur le système éducatif. Je dégagerai également quelques perspectives.

En Communauté française, jusqu’il y a peu, nous ne disposions pas d'éléments qui nous permettaient de répondre à ces questions. "On revient de loin" - comme quelqu’un l'a signalé déjà ce matin. Nous avons cependant pu profiter d'une impulsion internationale. Un "train" est passé à un moment donné, ce "train", c'était le projet INES de l'OCDE dont l’objectif est la mise au point d’indicateurs de l'enseignement, comparables au plan international. La Communauté française a profité de cette opportunité pour se doter d’outils d’analyse du système éducatif. Dans la foulée, le système de prise d'informations sur l'école, notamment le Service des Statistiques, a été réorganisé. Certains décideurs avaient perçu les avantages d’une démarche comparative sur des questions aussi sensibles que l'enseignement et la formation. Ils souhaitaient pouvoir disposer d'informations statistiques fiables qui leur permettraient de dire : "Sur tel aspect, nous sommes plus performants que nos voisins et partenaires économiques. Sur tels autres, nous sommes moins bons". A terme, on pouvait attendre de cette démarche des retombées positives pour notre système d'enseignement.

Les indicateurs disponibles actuellement sont utilisables au niveau du macro-pilotage. Le cadre de référence a été établi par l'OCDE et les différents pays participants. Les critères de sélection des indicateurs sont, en principe, définis en prenant comme références les objectifs généraux des systèmes nationaux d'enseignement. Mais le débat politique à propos des objectifs du pilotage et de l'éclairage que l’on peut en attendre n’a pas encore eu lieu dans tous les pays.

Construire des indicateurs sur l’école constitue un exercice intéressant pour un chercheur en éducation, notamment parce que, à partir d'un ensemble de statistiques détaillées, souvent arides, il faut dégager une information qui a du sens, et pour des publics différents qui ne sont pas nécessairement au courant de toutes les subtilités de notre système éducatif. L’information doit être utilisable, compréhensible... Peut-être n'y réussit-on pas à chaque fois, mais c’est bien là un de nos objectifs. Quelqu'un a évoqué ce matin la publication de l'OCDE : Regards sur l’Education 2, qui est diffusée chez nous en même temps qu’un document rédigé par l’équipe de chercheurs qui a produit les données pour la Belgique, pour la Communauté française en particulier. Nous y proposons une mise en relation des différents indicateurs et une interprétation des résultats belges qui permettent de dégager des points forts et des points faibles de nos systèmes. Cette publication s'appelle Guide de lecture, c'est un livret bleu qui vient de sortir et qui était sur les tables à l'accueil ce matin. La diffusion de ce rapport est assez large; il peut être obtenu au Service Statistiques du Ministère de l’Education.

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Plusieurs lectures des indicateurs de l’enseignement sont possibles. Une première interrogation pourrait se formuler en ces termes : "Quels sont les liens entre les ressources allouées et les résultats obtenus ?" "Les pays qui consacrent une part importante de leur budget à l’éducation, obtiennent-ils de meilleurs résultats sur tels ou tels critères ?" Je ne développerai pas cet aspect car il est discuté dans la publication.

Une autre question pourrait être posée en ces termes : "Quels sont les objectifs des systèmes éducatifs et quels en sont les résultats?", "Les résultats sont-ils atteints ?" Les niveaux des derniers diplômes obtenus par différentes catégories de population sont repris parmi les indicateurs de résultats, comme mesure du niveau de formation. Ainsi, si on envisage plus particulièrement les diplômes obtenus par les jeunes âgés de 25 à 34 ans dans différents pays, on constate que, en Belgique, et en Communauté française en particulier, la part des jeunes qui a terminé avec fruit le secondaire supérieur est proportionnellement plus faible. Ce handicap se marque notamment par rapport aux taux de diplômés du secondaire observés en France et aux Pays-Bas. Dans notre pays, proportionnellement moins de jeunes réussissent leurs études secondaires et obtiennent le diplôme terminal. Or, amener une part de plus en plus importante de jeunes au niveau du secondaire supérieur et leur délivrer le diplôme correspondant pourrait être un des objectifs de notre système éducatif. En Belgique tout particulièrement, puisque l’école est obligatoire jusque 18 ans, on pourrait s’attendre à une proportion plus importante de réussite. C'est un objectif qui se justifie d'un point de vue économique (disposer d’une main d’oeuvre " instruite "), mais c'est également un objectif important d'un point de vue politique. On peut considérer que, dans nos sociétés, "avoir le bac", avoir obtenu le diplôme secondaire supérieur est devenu un point de départ obligé, un atout qu'il faut posséder en entrant dans la vie active. Par rapport à cet objectif, en Communauté française, nous sommes en retard. L'indicateur clignote.

Par contre, notre taux de diplômés de l'enseignement supérieur long (universitaire ou non), toujours parmi les jeunes adultes de 25 à 34 ans, est légèrement plus élevé que celui observé chez nos voisins.

Vous trouverez encore, dans la publication de l'OCDE, d'autres développements, notamment les indicateurs qui permettent de comparer les pays quant au taux de diplômes scientifiques parmi les diplômés de l’enseignement supérieur. Cet indicateur nous est également plutôt favorable.

Parmi les indicateurs de résultat, le document envisage également les acquis en lecture des jeunes de 14 ans (enquête IEA literacy). Notre position est très mauvaise sur cet indicateur. Ces mêmes données mettent en évidence la part de la variance totale qui s’explique par des différences entre établissements et la part qui s’explique par des différences entre élèves d’une même école. On remarque ainsi que, en Communauté française, à ce niveau d'enseignement, les notes au test varient fortement selon l’établissement fréquenté par l’élève. Nos établissements du secondaire sont très différents les uns des autres. En effet, en Belgique, la concurrence entre établissements est forte. Les écarts entre nos bons établissements et nos mauvais sont élevés. Au niveau des pays de l’OCDE qui ont participé à l’enquête, notre position est proche de celle observée en France.

Ces quelques points de référence (vous en trouverez d’autres dans les documents cités), ces indicateurs permettent, à mon avis, d'éclairer bon nombre de débats et d'alerter sur certains problèmes. Certains constats avaient déjà été faits. Mais maintenant nous disposons d'éléments de comparaison internationale qui peuvent illustrer les débats. C'est un des atouts de la démarche des indicateurs internationaux dont Monsieur Thélot parlait ce matin. Lorsqu’on dispose d’une information précise, argumentée, chiffrée, on peut discréditer certaines rumeurs. Parfois aussi, les indicateurs mettent en évidence des problèmes qui n'étaient pas encore repérés ou du moins aussi clairement établis. Ils peuvent alerter sur des dysfonctionnements du système.

Les indicateurs de l'OCDE sont maintenant publiés. Il s’agit déjà de la deuxième édition, la troisième sortira au printemps prochain. Le Guide de lecture est un peu l'expression de l'envie que nous avions, au niveau de la Communauté française, de proposer une lecture plus globale, plus centrée aussi sur notre Communauté, de mettre les indicateurs en relation, d’aider le lecteur dans l’analyse, parce que la lecture de Regards sur l’Education 2 reste quand même fort ardue. On peut critiquer la démarche du projet INES, on peut discuter certains résultats, mais je pense que dans le contexte de votre débat d’aujourd’hui, il était intéressant que vous soyez informés de l’existence de tels outils. On n'échappe plus actuellement à la comparaison internationale dans les débats autour de l’enseignement. Plusieurs pays avaient adopté une démarche de pilotage avant nous et la Belgique, en participant au projet INES, profite de leur expérience et dispose maintenant de données utilisables pour la gestion de son système.

En ce qui concerne maintenant les perspectives, j’évoquerai rapidement des inquiétudes, des espoirs et plusieurs questions. En fait le cadre de référence d'INES est un cadre de référence en développement. C'est une des raisons qui explique la participation de chercheurs à ce projet. On n'en est pas encore au stade où tous les indicateurs pourraient être calculés automatiquement à partir de données brutes collectées régulièrement par des services de statistiques. Des problèmes subsistent encore qui rendent certaines données difficilement comparables. Les indicateurs se construisent, ils ne sont pas donnés à priori. C’est cette caractéristique du projet qui rend le débat possible, car plusieurs directions sont actuellement ouvertes.

J'aimerais vous donner quelques précisions sur les perspectives de la publication prochaine. En fait - et Aletta en aurait parlé mieux que moi - un aspect du projet qui sera développé au plan international consiste dans la prise en compte et la comparaison des objectifs particuliers des différents systèmes éducatifs. Ces objectifs sont appréhendés actuellement au moyen de panels d'experts ou à partir de textes, quand ceux-ci existent. C'est une dimension très importante, car l’analyse des résultats, et des coûts du système, comme je le précisais tout à l’heure, doit se faire en fonction des objectifs que l’on assigne au système.

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Un deuxième enjeu se situe au niveau de la comparaison des compétences des élèves, compétences transversales cette fois, et ceci rejoint certains points des débats de tout à l'heure sur les méthodes de travail des élèves, la vie sociale, le civisme, etc. D’autres équipes proposent de développer des indicateurs sur la formation continue en relation avec les indicateurs sur le niveau de la formation initiale. Une autre perspective intéressante concerne des indicateurs sur les attentes : " Quelles sont les attentes des différents acteurs du système éducatif, de l'opinion publique, des enseignants, etc ? ", " Y a-t-il convergence, y a-t-il divergence entre les pays et les acteurs sur les attentes ? "

Un indicateur isolé ne peut jamais être interprété seul, il faut pouvoir le mettre en perspective. Les développements projetés vont permettre de plus en plus d’analyses finies et rendront possibles des mises en relation de plusieurs composantes.

Dans d’autres pays - notamment la France, mais aussi plusieurs pays anglo-saxons -, des équipes ont mis au point des indicateurs propres à leur système éducatif tout en reprenant parfois des indicateurs internationaux. Ils développent ainsi un système d’indicateurs qui répond au mieux aux besoins d’informations sur l’école. La Communauté française s’engage également dans ce type de travail - Bernard Delvaux en a parlé.

Début juin, des indicateurs de l’enseignement en Communauté française seront publiés pour la première fois. Ce sont, pour une part, des indicateurs du projet INES, recalculés pour la Communauté française. Pour l'OCDE en effet, et les institutions internationales en général, c'est l'unité " Belgique " qui apparaît dans les tableaux; tous les pays fédéraux sont représentés par un seul chiffre. Cette information est maintenant scindée pour dégager la position de la Communauté française. En même temps, des indicateurs plus spécifiques ont été construits. Par exemple, des indicateurs sur les taux de doublement - les analyses de Bernard Delvaux - et des indicateurs plus fins sur les disparités entre établissements, développés par ma collègue Aletta Grisay. Les indicateurs proposés se situent au niveau du macro-pilotage.

Un certain chemin a donc déjà été parcouru par rapport à l’objectif de se doter d’un système de pilotage, mais le débat politique n'a peut-être pas encore vraiment eu lieu - et les sociologues sont là pour nous le rappeler. Ce débat pourrait porter sur les objectifs de notre système éducatif, sur les résultats attendus. Mais il devrait permettre également de préciser de quelles informations les acteurs du système éducatif ont besoin, au niveau du macro pilotage mais aussi à des niveaux plus fins, sur des bases régionales par exemple. Définir les objectifs, c'est bien, mais encore faut-il les concrétiser. Pour la Communauté française, des objectifs ont été proposés par le Conseil de l'Education et de la Formation, d’autres sont définis dans des textes légaux. Mais comment concrétiser ces objectifs ? Et quels indicateurs construire en fonction de ces objectifs ? Les équipes engagées dans INES et les collègues des autres universités ont proposé quelques indicateurs dans la première version des " Indicateurs de l’enseignement en Communauté française ". Certaines inadaptations sont bien connues et nous avons tenté de les refléter dans ce premier bilan. Il est vrai, par exemple, que la "culture de l'échec" en Belgique, et en Communauté française en particulier, a souvent été dénoncée. On peut développer plusieurs indicateurs sur ce thème. Je crois qu'il serait également intéressant de mettre en évidence des points forts de notre système. C'est une démarche sur laquelle je pense qu’il serait intéressant que vous preniez position.

Quand on met en place des innovations - on en a parlé tout à l'heure à propos du premier degré de l'enseignement secondaire -, ne pourrait-on envisager de prendre des mesures, à différents moments, avant et après, pour essayer de voir ce qui a effectivement changé ? Puisqu'il s'agit d'éviter le doublement ou d'empêcher le doublement à l'intérieur d'un cycle, ne pourrait-on construire une statistique, un indicateur pour voir si cet objectif est atteint, s'il n'a pas donné lieu à des effets pervers ? Quels résultats peut-on observer en termes financiers ? Quelles économies a-t-on réalisées en modifiant le système ? Je pense que, en tant que société civile, vous pouvez poser ce type de questions. Et, en tant que chercheurs, nous pourrions proposer un mode de calcul des éléments de réponses à vos questions. Je pense qu'il y a d'autres pistes possibles, par exemple à travers les travaux de la cellule de pilotage dont Monsieur Magy a parlé tout à l'heure. De nouveau, sur ces questions, il est intéressant de savoir comment le pilotage se déroule dans les autres pays, et sur quelles caractéristiques de leurs systèmes éducatifs il porte.

A partir du moment où l'éducation devient une compétence européenne, des perspectives nouvelles d’échange vont apparaître. Ces modalités nouvelles de coopération internationale pourront probablement contribuer également au développement de notre politique de l’éducation.

Mon espoir principal, celui qui m’a motivé à participer à ce débat repose sur cette opportunité que vous avez dès maintenant de nous poser, à nous chercheurs, des questions à propos de ce travail, à propos des indicateurs. Nous avons participé à ce projet sur les indicateurs de l’enseignement en prenant un "train" en marche. Il est temps maintenant que la société civile réfléchisse, s'exprime et nous aide à élaborer d'autres indicateurs, peut-être plus pertinents, sur d’autres modalités, à d’autres niveaux. Mon intention, dans ce court exposé, était de vous signaler certains acquis. Je mets beaucoup d'espoir dans vos questions et vos réflexions. Merci.

(Mars 1994)

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