Conférence - Consensus
La Wallonie au Futur
Namur - 1994

Où en est et où va
le système éducatif en Wallonie ?
Comment le savoir ?

Institut Jules Destrée, Congrès La Wallonie au futur, retour à l'index

Ouverture de la Conférence

Philippe Destatte
Directeur de l'Institut Jules Destrée

Monsieur le Rapporteur général,
Mesdames, Messieurs, chers Amis,

Le thème des trois jours que nous consacrons à cette conférence-consensus dans le cadre du Congrès permanent La Wallonie au Futur et dans le prolongement du Défi de l'Education relevé en octobre 1991, peut surprendre. En effet, poser la question Où en est et où va le système éducatif en Wallonie? Comment le savoir? ne manque pas d'étonner puisque le cadre institutionnel dans lequel on évoque traditionnellement ces problèmes est celui de la Communauté française.

En réalité, la surprise disparaît lorsque l'on tient compte des trois éléments suivants.

1. Même si l’Institut Jules Destrée étend son champs d'action à l'ensemble des communautés françaises de la Francophonie, notamment par l'intermédiaire du Centre René Lévesque, sa vocation première consiste à appréhender la Wallonie, son passé, son présent, son avenir. C'est ainsi que l'Institut a signé, voici plus de deux ans, une convention pluriannuelle de partenariat avec la Région wallonne, comprenant notamment un volet relatif à la formation. C'est ainsi également que tous les Ministres-présidents des Gouvernements wallons, de Melchior Wathelet à Robert Collignon, ont marqué un vif intérêt pour la démarche de La Wallonie au Futur, centre efficace de prospective interdisciplinaire et inter-universitaire de Wallonie.

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2. En matière d'éducation, qu'ils soient d'affreux régionalistes ou d'insupportables défenseurs de la Communauté française, les Wallons n'ont plus le choix. Ou plutôt, comme l'indiquait en juin dernier le syndicaliste liégeois Englebert Renier, ils ont le choix entre une Communauté en faillite et une région en difficulté (1). Dès lors, faisant allusion aux 70 milliards qui manqueront à la Communauté française d'ici l'an 2000 - et le chiffre est en-dessous de perspectives plus sombres -, je dis avec Philippe Delaunois, ancien Président de l'Union wallonne des Entreprises, qu'à défaut de trouver des solutions au problème de l'enseignement, c'est toute la Wallonie qu'on va pénaliser dès l'horizon 95-96. Dans cette perspective, il est d'ailleurs utile de savoir que si, de 1992 à 1993, le budget du Ministère communautaire de l'Education et de la Recherche a augmenté de 8,6%, la progression de la dette de la Communauté était de 200%. (2)

Par ailleurs, on sait que, au delà des transferts de compétences de la Communauté vers les régions, c'est une aide considérable de 22 milliards de francs par an que la Région wallonne consent actuellement à la Communauté française. Dès lors, c'est en toute logique que, évoquant il y a un an le mécanisme du rachat par les régions des bâtiments scolaires, le Ministre Di Rupo précisait que les pouvoirs publics qui contribuent au financement de l'enseignement officiel doivent être associés aux décisions relatives à la gestion de cet enseignement(3)

Il est vrai que, quelles que soient les solutions institutionnelles de demain, qu'il s'agisse d'un gouvernement communautaire constitué de ministres régionaux tel que la récente réforme de l'Etat l'a prévu ou d'une solution plus clairement wallonne - que, à titre personnel, j'appelle de mes voeux -, le rôle de la Région wallonne y sera déterminant.

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3. La situation économique de la Wallonie est difficile. Très difficile. Certes - et Michel Quévit l'expliquerait beaucoup mieux que je ne pourrais le faire -, il semble que l'on puisse s'attendre à une légère reprise de l'économie wallonne en 1994 (4). Mais, nous le savons, cette évolution restera conjoncturelle et ne nous sortira pas de la crise structurelle que nous subissons depuis vingt ans. (5) L'impact sur l'éducation est direct.

Doit-on s'en étonner? Assurément, non. C'est Jacques Berleur qui soulignait que l'Education a bien d'autres objectifs que ceux de l'économie. L'une et l'autre ont leur logique propre. Et pourtant, ajoutait l'ancien Recteur des Facultés Notre-Dame de la Paix à Namur, on constate que leur interdépendance ne fait que s'accroître.  (6)

A ce constat provenant du milieu de l'éducation semble répondre une note qui nous était dernièrement adressée par l'économiste Jacques Defay, membre de notre Conseil scientifique. Il y montrait qu'il y a complémentarité entre les actions répondant aux deux défis que sont le défi du sous-emploi et celui de l'éducation. En effet, le Président de l'Institut wallon d'Etude, de Recherche et de Formation soulignait que la préparation d'une population active formée en vue d'emplois modernes est particulièrement décevante si ces emplois ne sont pas offerts. Elle tourne alors à la fabrication de chômeurs modernisés et surdiplômés, ce qui est frustrant et - nous le savons tous - démobilisateur(7)

C'est là effectivement que réside le problème majeur et urgent. Notre responsabilité est considérable au vu de l'avènement de la société duale qui semble caractériser cette fin de siècle. Elle est considérable également au vu de ses implications.

Observant l'évolution du chômage en France, passé - en quelques années à peine - de 500.000 à 3 millions de personnes, l'ancienne Ministre Martine Aubry écrivait dernièrement que la République n'avait connu ni révolution ni explosion sociale. Mais elle ajoutait que ce qui s'y passe est peut-être plus grave : un lent affaiblissement de la société. Je la cite : Lorsque des gens exclus ne se reconnaissent plus dans des valeurs communes, c'est toute une société qui se fissure. Ces failles peuvent devenir des fractures, si nous n'y prenons garde. Le scénario est peut-être déjà enclenché. (8)

Qui douterait qu'en Wallonie - comme en France, d'ailleurs - il ne soit déjà enclenché ? Au delà des événements eux-mêmes, j'ai été frappé par la justesse de cette affiche du syndicat majoritaire des CRS, affiche censurée par le ministre français de l'intérieur, et qui a fleuri après les très durs affrontements avec les marins-pêcheurs à Rungis et à Rennes, les 3 et 4 février dernier. En voici un extrait :

"Lorsque les sans-travail, les sans-revenu, les sans-stage d'insertion, les sans-secours, les sans-abris, les sans-avenir, les sans-illusion, les sans-espoir, les sans-chapelle, les sans-syndicat, les sans-parti, en auront assez d'être bercés de promesses sans fondement et sans lendemain, lorsqu'il ne restera plus rien que la fuite en avant, on appellera la police..." (9)

C'est vrai qu'en boutade, Jules Destrée avait déjà écrit dans La Lettre au Roi, que si les Wallons ne sont pas contents, on leur enverra les gendarmes. Evidemment, ajoutait-il, le procédé est expéditif et dispense de fatigantes méditations. Mais il n'atteint pas toujours le résultat souhaité(10)

C'est vrai aussi qu'un 27 septembre 1990 à Namur, les forces de l'ordre ont pris les enseignants pour des marins-pêcheurs.

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Mesdames et Messieurs,

Le Congrès La Wallonie au Futur des 17 et 18 octobre 1987 a permis de dégager l'interactivité des différentes dimensions de la vie en société et la conviction, fondamentale, que le projet économique de la Wallonie - rappelons-nous qu'à l'époque, la Région wallonne n'avait que des compétences économiques ! - que le projet économique de la Wallonie est indissociable de ses projets technologique, scientifique, culturel, éducatif et institutionnel.

A la question du nouveau paradigme posée aux quatre cents participants, ceux-ci avaient répondu en montrant que les Wallons étaient encore capables de se forger une identité susceptible de rassembler toutes les composantes de la société autour d'un projet novateur.

Après plus de deux ans de préparation, c'est sur le thème du Défi de l'Education que le Congrès a fait porter ses travaux les 4 et 5 octobre 1991. Les six cents pages de conclusions ont été communiquées aux décideurs politiques lors de la constitution des assemblées parlementaires et des gouvernements issus des dernières élections. De plus, le 30 novembre 1991, l'Assemblée générale de l'Institut Jules Destrée approuvait une résolution en dix axes, induite des travaux du Congrès, dont six portaient directement sur le système éducatif. Je les rappelle ici :

  1. Si elle est indispensable au libre développement de la population wallonne, l'autonomie de la Wallonie n'a de raison d'être qu'associée à un projet de société cohérent et novateur auquel les Wallons adhèrent.
  2. La jeunesse a un rôle déterminant à jouer dans la conception et la mise en oeuvre de ce projet de société. Il est donc nécessaire de favoriser le dialogue entre toutes les générations qui doivent s'investir dans cette tâche.
  3. Quelle que soit l'approche que l'on souhaite réaliser de nos problèmes contemporains, il faut de manière préalable prendre en compte la prédominance des facteurs immatériels - et tout particulièrement des ressources humaines - sur les facteurs matériels dans l'organisation de la vie en société. Cela signifie l'absolue nécessité d'investir à court terme dans l'intelligence - véritable valeur stratégique -, dans la culture et dans le social.
  4. Une réforme de notre système éducatif s'impose immédiatement en optant pour une formation interdisciplinaire visant le développement d'une culture générale alliée à une culture technologique et scientifique solide.
  5. Une réforme durable des contenus scolaires n'a de sens que si elle est accompagnée d'une profonde réforme pédagogique. Un effort budgétaire tangible devrait permettre d'accorder aux sciences de l'éducation et à la recherche dans ce domaine toute l'attention qu'elles méritent.
  6. Aux facteurs de développement du professionnalisme des enseignants, notamment par la formation continue, doit s'associer une réforme des modes d'organisation de notre système éducatif. Il est urgent de rendre aux professeurs une autonomie responsable.

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Néanmoins, lors des séances d'évaluation des différents réseaux tenues par le Comité scientifique du Congrès, sous la présidence du Professeur Michel Quévit, un constat a dû être dressé : si l'examen de l'impact du congrès sur la décision politique était très important dans de nombreux domaines, en ce qui concerne spécifiquement l'enseignement, le Comité était unanime pour considérer qu'aucun suivi du Congrès n'avait pu dans ce domaine, être finalisé au niveau politique. (11)

Puisque les enjeux sociétaux avaient été identifiés par l'équipe solide réunie autour du Professeur de Landsheere, de Mesdames Christiane Bosman et Anne Van Haecht ainsi que des Professeurs Jean-Emile Charlier, Marcel Crahay, Gérard Fourez et Jean-Pierre Pourtois, puisque ces enjeux n'avaient pas été perçus par les politiques, il fut décidé de prendre à témoin les Wallonnes et les Wallons.

Ainsi, le Comité scientifique a demandé au Professeur de Landsheere d'affiner le concept de pilotage scolaire qu'il avait mis en évidence, d'en mesurer à nouveau l'intérêt pour le système éducatif, de confronter son avis à ses pairs de manière interdisciplinaire. Tout ceci fut réalisé avec l'efficace complicité du Professeur Gérard Fourez, ainsi que de plusieurs membres du réseau.

Une méthode fut élaborée : la Conférence-Consensus, dont Michel Quévit va nous préciser ou nous rappeler la démarche.

Au delà du choix qui sera fait ce soir ou demain, chacun mesure déjà l'intérêt de la confrontation d'idées qui va avoir lieu. En fait, c'est probablement un nouveau modèle de relations entre les Wallons et leurs décideurs politiques que l'on inaugure ici. Ce modèle doit nous apporter l'optimisme.

En effet, si l'on en croit Alain Touraine, alors que la société civile, c'est-à-dire en fait le système économique, est dominée par l'inégalité et par les conflits d'intérêts, la société politique doit être le lieu de l'égalité et la démocratie a donc pour but principal d'assurer l'égalité non seulement des droits mais aussi des chances, et de limiter le plus possible l'inégalité des ressources. (12)

Dès lors, j'émets l'espoir que cette conférence-consensus contribuera à la mise en place d'un nouveau système démocratique en Wallonie.

Aussi, permettez-moi de compter sur chacun d'entre vous et de vous remercier déjà, Rapporteur général, membres du Comité scientifique, experts, et surtout vous tous qui avez la lourde tâche de représenter ici la société civile.

(Mars 1994)

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Notes

(1) Frédérique PIRON, La Question de la régionalisation fait des vagues à la CGSP, dans Le Peuple, 18 juin 1993.
(2) Déficit de l'enseignement "On court à la catastrophe", dans L'Echo, 3 juillet 1993. - Voir surtout les contributions de G. PAGANO et le modèle de Muriel BOUCHET et J.-C. JACQUEMIN, dans La Wallonie au Futur, Le Défi de l'Education, Actes du Congrès, p. 196-256 Charleroi, IJD, 1992. - voir aussi Robert DESCHAMPS, Les Perspectives budgétaires (sombres) de la Communauté française et de son enseignement, dans Economie de l'Enseignement, Journée d'Etude FNRS, 22 octobre 1993 (note manuscrite, 9 pages).
(3) P. Bn. [Pierre BOUILLON], Les réseaux officiels devront avoir fusionné en septembre 1995, Le PS découpe le plan Busquin en trois étapes, dans Le Soir, 2 février 1993.
(4) Tendances économiques, décembre 1994, sous la direction de F. BISMANS, Namur, MRW, p. XLV.
(5) Jacques JULLIARD, Ce fascisme qui vient..., p. 28sv Paris, Seuil, 1994.
(6) Jacques BERLEUR, Quelques réflexions à propos de la crise de l'enseignement, Redonner confiance à la communauté éducative, Discours d'ouverture de l'année académique 1991-1992, 16 septembre 1991, Namur, FUNDP, 1991, p. 24.
(7) Jacques DEFAY, Le Défi du sous-emploi jusqu'à la fin du siècle, Note au Conseil scientifique du Congrès "La Wallonie au Futur", Rendeux, 5 juillet 1993, p. 4.
(8) Martine AUBRY, Le Choix d’agir, p. 29, Paris, Albin Michel, 1994.
(9) Erich INCIYAN, La Peur des jacqueries, dans Le Monde, 2 mars 1994, p. 1 et 12.
(10) Jules DESTREE, Lettre au Roi..., dans Semailles, p. 283, Bruxelles, Lamertin, 1913.
(11) Compte rendu de la réunion du Comité scientifique "La Wallonie au Futur", 15 septembre 1992, p. 1.
(12) Alain TOURAINE, Qu'est-ce que la démocratie?, p. 166 Paris, Fayard, 1994.

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Page mise à jour le 23-08-2004

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