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La bureaucratique

Guy Moreau
Agent conseil en Sécurité et hygiène du travail

 

Liminaire

Loin de moi l'intention de jouer les défaitistes, de dénigrer le progrès technologique, de m'accrocher à toute forme de conservatisme généré la plupart du temps par l'inquiétude, par la peur du changement, par la crainte de devoir abandonner certains privilèges. Je considère, à juste titre, le conservatisme comme une entrave à la moindre réforme, il est à mes yeux le chloroforme, l'asphyxie de la démarche évolutive.

Je ne tiendrai point le rôle de casseur de métiers à tisser, sous prétexte que la mutation technologique constitue une menace pour le travailleur, résister au changement n'est que combat retardateur empreint de stérilité.

Mais je ne serai point non plus laxiste face au développement anarchique de la troisième révolution industrielle qui ne tient aucunement compte de l'impact psycho-social qu'elle produit.

Dans l'impréparation, l'application des nouvelles technologies engrange des risques potentiels, les conséquences peuvent être dramatiques, les actions à posteriori ne seront plus que correctives et dans bien des cas, elles ne seront qu'un palliatif.

 

Avertissement

Ce qui suit est une texte de synthèse tiré d'un mémoire présenté dans le cadre d'une formation complémentaire des chefs de service de sécurité, formation rendue obligatoire par l'arrêté royal du 20 juin 1975.

Le travail consistait à mettre en exergue les risques et conséquences générés par la mise en place de façon improvisée d'un nouveau concept organisationnel du travail de bureau qui a pour néologisme comme d'autres technologies nouvelles une terminaison en "tique".

Ses promoteurs l'ont appelée la "BUREAUCRATIQUE".

Le contenu de cet exercice traitait de sa genèse, des facteurs évolutifs, des raisons, de sa définition, des éléments constitutifs, de son influence sur l'emploi, des risques qu'elle représente pour les utilisateurs, des recommandations inhérentes, des diverses législations et dispositions en vigueur dans le monde, d'une interrogation en milieux divers sur les contraintes et astreintes spécifiques.

Un diagnostic corroborait l'indigence des mesures préventives, mesures qui prenait un caractère d'obligation par le 54 quater du règlement général pour la protection du travail qui a pour titre "politique de prévention".

Sous forme de plaidoyer, un appel au consensus pour un changement significatif terminait cette recherche.

Les divers aspects exposés dans cet ouvrage ne seront abordés ici que de manière succincte.

Pour une information complète, je vous invite à consulter ledit mémoire.

 

Des bouliers compteurs à la miniaturisation électronique aujourd'hui

Tout comme les progrès de la science, les innovations technologiques ont leur histoire, la "BUREAUCRATIQUE" n'y échappe pas.

Ses origines datent de l'antiquité, elles se situent six siècles avant Jésus Christ par l'invention de la table de multiplication que l'on attribue à Pythagore.

La maîtrise du calcul, dont la bureaucratique est fruit, eut un cheminement semé d'embûches, l'enchaînement fut difficile, c'est la mise bout à bout de constats intelligents traduisant le langage des chiffres.

Dans cette lente ascension, beaucoup de femmes et d'hommes se sont relayés, l'histoire scientifique a mis en évidence quelques uns d'entre eux, ceux qui par leurs découvertes ont marqué les instants décisifs.

Il y eut d'abord les précurseurs, les principaux furent Pascal et Leibniz, le premier était physicien et philosophe, il est l'inventeur de la première additionneuse capable d'effectuer des reports. Cette machine est appelée pascaline. A ses débuts elle connut un développement rapide mais devant l'hostilité farouche des employés aux comptes qui y voyaient une menace pour leur emploi, sa fabrication fut interrompue.

Quant au second autre prodige, né en 1646, il est de 25 ans le cadet du premier, Leibniz, avec intrépidité, introduit des données astronomiques et les fonctions trigonométriques, il s'initie également à la simplification radicale de l'arithmétique, remplaçant l'écriture des nombres de notre système décimal par la combinaison de deux chiffres seulement, le zéro et le un, c'est la découverte du calcul binaire.

Ceux qui suivirent furent considérés comme les bâtisseurs, il faut citer JACQUARD le Français, inventeur des métiers à tisser, HOLLERITH l'Américain, père du premier fichier informatisé, cette invention avait pour motivation le recensement des populations, à chaque personne correspondait une carte perforée qui reprenait une série de renseignements les concernant. HOLLERITH fonda en 1896 la "tabulation machine compagny" mieux connue aujourd'hui sous le signe "IBM".

BABBAGE, mathématicien anglais, inventeur de la machine analytique à l'image de l'ordinateur programmable, présenta son invention au début du 19ème siècle à la "BRITISH ROYAL ASSOCIATION".

Une femme Ada de LOVELACE, jeune comtesse anglaise, passionnée de mathématique, elle, publia deux essais :

- "Observation sur la machine de Babbage";

- "Analogie entre le tissage des fleurs et des feuilles de Jacquard et les motifs algébriques de Babbage".

Elle unifia les divers langages informatiques utilisés par les ordinateurs dont dépendent les rampes de missiles américains, le pentagone en signe de reconnaissance, baptisa ce langage unique du nom "ADA".

D'autres noms et d'autres dates sont à inscrire, l'anglais BOOLE (1847), l'allemand ZUZE (1941), en 1935 commercialisation des premières tabulatrices dont les grandes entreprises s'équipèrent.

 

Les premiers composants actifs

Le coup d'envoi de l'expansion fut donné dans les années vingt par l'apparition des tubes électroniques vulgarisés sous l'appellation de lampes, ces premiers composants sont générateur d'une première révolution qui prend le nom de TSF.

Ils entrent en 1942 dans la fabrication d'un ordinateur qui sera utilisé par l'armée américaine pour des calculs balistiques.

Quatre ans plus tard, une deuxième génération d'ordinateurs naît, le premier exemplaire rentre en service aux Etats-Unis. Comparé à son aîné, il est deux mille fois plus rapide, il est réalisé avec des "lampes" double triode, sa puissance absorbée est de 200.000 watts, la surface qu'il couvre est de 170m2.

En 1950, un autre calculateur est conçu et mis au point par le physicien VON NEUMAN, il est programmable par enregistrement non câblé d'où une souplesse plus grande dans la modification des programmes.

Les trois obstacles à cette application sont les suivants :

- le volume important qu'il faut réserver à son installation;

- une grande consommation d'énergie;

- la dissipation de chaleur qui n'est autre qu'une grosse partie de l'énergie consommée.

Pour vaincre ces handicaps, il faut attendre la découverte des matériaux semi-conducteurs.

 

L'indispensable maillon

Les physiciens BRATTAIN, BARDEE et William SCHOKLEY le découvriront à la faveur des recherches sur les éléments redresseurs, il s'agit du transistor.

Avec d'autres composants tels que diodes, thiristors, triacs, ..., les transistors constituent la première génération des semi-conducteurs, ils contribuent à la réalisation des circuits imprimés, ils entrent dans divers fabricats qui sont les hifi, la télé, l'électro-ménager, l'ordinateur commercial, ils conditionnent les automatismes dans l'industrie manufacturière et dans l'armement.

Des circuits qui tiennent au creux de la main.

Afin de réduire encore le volume et le coût des modules électroniques, des scientifiques, essentiellement américains, appartenant pour la plupart à la "TEXAS INSTRUMENT COMPANY", entreprennent d'importantes recherches, nous sommes en 1947, leurs travaux vont durer quelques 12 ans, ils seront couronnés de succès puisqu'ils parviennent à grouper mille transistors sur 1 cm²..

C'est assurément une performance mais nullement révolutionnaire. Pour la mutation décisive, il faudra attendre la fin des années 60 : le levain de la révolution informatique.

Sur une seule pastille de silicium de quelques mm², plusieurs milliers de transistors sont intégrés grâce à de nouveaux procédés de gravures, ces composants de la 4ème génération sont appelés "CHIPS".

 

L'aire du micro-ordinateur et de la calculette est ouverte

Vers l'infiniment petit

L'hyperminiaturisation donne naissance à un nouveau modèle de "puces" plus connues sous le nom de micro-processeur, ce sont des chips à très grandes intégrations (100.000 transistors inscrits sur moins d'un millimètre carré). Ils sont le fruit de la conjonction des progrès réalisés dans les circuits intégrés de type "calcul" avec les innovations techniques appliquées dans la fabrication des circuits de type "mémoire", ils prennent en charge de grandes quantités de fonctions et de stockage des données.

Les VLSI (Very large Scale Integration) furent commercialisées en 1971 par la firme Santa Clara (Californie).

Nota

Lorsque le mémoire fut écrit, la dimension du transistor était de 3 microns, mais dans les labos de la SILICON VALLEY et de la NIPPON ELECTRONIC, on s'attelait déjà à réduire encore l'objectif : descendre à 1 micron, actuellement ce but est atteint et même dépassé, en effet, dix transistors sont inscrits sur l'espace d'un micron.

Cependant, les efforts ne semblent pas s'arrêter là, les centres d'investigations du "PENTAGONE" ont en point de mire l'échelon moléculaire. Pour l'atteindre ils étudient l'enzymologie qui est l'observation du comportement des enzymes, le procédé dit enzymique consisterait à confier à ces substances organiques solubles le soin de confectionner les jonctions qui actuellement sont encore réalisées par la mise en présence de matériaux dits semi-conducteurs.

Présentement, cela paraît utopiste, le proche avenir confirmera ou infirmera.

 

Pourquoi cette volonté à vouloir rapetisser encore, pourquoi vouloir à tout prix progresser dans ce domaine ?

L'enjeu est considérable ! Tout comme jadis, les conquêtes territoriales, la suprématie sur mer et dans les airs, la révolution micro-électronique va permettre aux puissances industrielles et politiques d'asseoir leur hégémonie dans les secteurs stratégiques qui sont : le contrôle de l'espace interstellaire, le pouvoir prépondérant dans les domaines de l'aérospatial, des télécommunications, de l'automatisation des procédés de productions, de la gestion informatisée, de la production d'énergie électrique et nucléaire par transformation des énergies rayonnantes.

A l'évidence, c'est l'intérêt politico-économique qui motive et non l'aspect scientifique de la découverte, les composants électroniques modernes ouvrent ainsi la voie aux technologies nouvelles, celles-là même qui constituent la troisième révolution industrielle.

L'application de ces nouveaux concepts technologiques ne va pas sans risque pour le travailleur. Ici, nos préoccupations seront retenues par l'application de la "BUREAUTIQUE".

La Bureautique, de quoi est-il question ?

Sous-produit de la miniaturisation des ordinateurs et des systèmes de traitement de textes, mariage de l'électronique de gestion avec l'électronique de l'information, c'est l'automatisation jointe à l'informatisation des tâches de bureau.

 

La rentabilité et la productivité ont force de loi

La raison à cette affirmation est manifeste, le contexte économique des quinze dernières années contraint les entreprises à une recherche constante de l'amélioration des moyens de production.

Entre 1960 et 1978, parce que l'effort s'était concentré essentiellement sur les outils de fabrication, la productivité des travailleurs manuels augmentait de 85 %.

Dans ce laps de temps la rentabilité du personnel affecté aux travaux de bureau ne progressait que de 5 %, les charges administratives et le changement technologique toujours grandissant voient grossir cette catégorie de travailleurs (en France ils représentent plus de 50 % de la population active, au Québec plus de 65 %).

Au vu de cette évolution, il était impensable que l'on ne se pencha point sur ce phénomène.

Dans ces conditions, les prestations de service, le travail de bureau sont réorganisés par l'apport de cette technique nouvelle qui nous apparaît par le biais des machines à traitement de textes, des terminaux à écran, des micro-ordinateurs, des copieurs et télécopieurs plus ou moins intelligents, des machines à dicter, des systèmes de péritéléphonie, sans oublier les systèmes de micrographie.

 

Impact quantitatif et qualitatif sur l'emploi

Progression ou régression du volume ?

S'appuyant sur les faits antérieurs, les optimistes déclarent que les révolutions technologiques ont toujours eu un effet inducteur sur l'emploi, ils affirment que la micro-électronique ne fera sans doute pas exception, par extension la bureautique qui en est sous-produit sera, elle aussi, génératrice, d'après eux, les postes perdus dans les industries traditionnelles seront compensés à moyen terme par la création de nouveaux "JOB".

Sur le terrain qu'en est-il exactement ?

- Premier constat, le secteur à devoir rationaliser c'est celui-là même où l'on conçoit, où l'on fabrique les matériaux informatiques, des exemples : en 5 ans, NCR (manufacture de caisses enregistreuses) réduit ses effectifs de 37.000 à 18.000; ERICSSON (fabricant d'appareil de télécommunication) de 15.000 unités à 10.000 pour un niveau de production identique. Une étude faite pour la multinationale italienne OLIVETTI a, sur un échantillonnage de compagnies qui offrent au marché des produits "d'information", traduit quantitativement des dérangements, elle fait apparaître des pertes de 30 % pour OLYMPIA, 20 % chez ADLER, 40 % à la "WESTERN ELECTRIC". L'industrie horlogère n'est pas épargnée; la Suisse, pays de la montre par excellence, perd 46.000 emplois. A la même époque, en Allemagne occidentale, ce secteur subissait une chute de 40 %.

- Deuxième constat, les industries manufacturières, par la robotisation des procédés de production, voient leur nombre de travailleurs se réduire comme une peau de chagrin.

- Troisième constat, le tertiaire qui pendant des années avait drainé quantité d'emplois, semble s'essouffler en cette matière, jugeons-en : dans les milieux des banques et assurances pendant la période des golden sixties, la progression annuelle était de 10,2 %. Dès les premières années de crise, la croissance n'était plus que de 0,7 %, actuellement c'est la tendance à la baisse qui prédomine.

- Dernier constat, le milieu des médias n'y échappe pas, l'impression et l'édition sont restructurées, les perspectives ne sont guère encourageantes : 7.000 emplois perdus en 5 ans, cela représente une diminution de 17 %.

A l'horizon 1990, on nous annonce la perte d'un poste sur deux de dactylographes, d'autres catégories seront également touchées : l'ingénierie, la recherche au développement industriel, les bureaux des méthodes, les postes de dessinateurs et combien d'autres encore ....

Au vu de la situation présente, au su des prévisions à court terme, n'en déplaisent aux optimistes, nous assistons et nous assisterons à un véritable tassement à un point tel qu'il serait mieux à propos de s'exprimer en terme de volume du chômage et non en terme d'emplois créés ou maintenus.

 

Amélioration ou détérioration de la qualité de l'emploi ?

Les promoteurs de cette nouvelle technologie répètent à la ronde que l'automatisation des travaux de bureau contribue dans une certaine mesure à exclure les tâches monotones, que cette forme de progrès libère le travailleur afin qu'il puisse enfin se consacrer plus amplement à son épanouissement.

Mais les utilisateurs partagent-ils cet avis ?

Pour les utilisatrices et utilisateurs, cet engouement n'est nullement de mise : une parcellisation accrue des tâches, une charge mentale amplifiée, une déqualification du contenu, un changement profond des habitudes et des schémas opératoires exigeant des efforts d'adaptation individuelle ou collective, ne sont assurément point contributifs au plein épanouissement.

La transformation du travail de bureau en une chaîne de montage est révélatrice de troubles psychosomatiques : maux de tête, brûlures d'estomac, insomnie sont monnaie courante chez les employés concernés.

 

La santé du travailleur est-elle en péril ?

Des instituts collectifs ou spécialisés se sont penchés sur cette question, par le biais de sondages, d'investigations d'enquêtes, ils ont mis en évidence les astreintes spécifiques susceptibles d'atteindre la santé du travailleur appelé à s'intégrer dans ce nouveau concept organisationnel qu'est la BUREAUTIQUE.

L'Institut National de Recherches en Sécurité (INRS) réalisa une étude qui avait pour motivation de dégager les causes et aspects cognitifs des tâches informatisées, il s'agissait d'une recherche orientée sur les contraintes et astreintes engendrées en un par la saisie des données sur le terminal écran, en deux sur les opérations de dialogue avec la machine, tâches se différenciant par leurs exigences.

Les risques doivent être considérés sous trois aspects :

- l'aspect psychologique ;

- l'aspect neuropsychique ;

- l'aspect sociologique.

 

Les implications physiologiques

Elles concernent : l'astreinte visuelle que nécessite le travail sur terminal à écran-clavier, le côté sédentaire du poste, la charge mentale liée à l'organisation du travail.

C'est pourquoi en aucun cas les dispositions préventives, fussent-elles élémentaires, ne peuvent être éludées.

Dimensions des écrans, forme de ceux-ci, contraste entre le fond et les caractères, stabilité spectrale, lisibilité des textes, norme dimensionnelle des matrices, choix des couleurs, contraste dans le champ visuel immédiat, épaisseur des claviers, localisation des touches, sensation tactile lors de l'enfoncement de celles-ci, implantation du poste, dimensionnement du poste, exigence gestuelle, position de la posture, angles de perceptions horizontale et verticale, seront pris en considération.

 

Les facteurs qui occasionnent les tensions neuropsychiques

De natures diverses, ils s'articulent autour des tâches qui consistent à interroger l'ordinateur via l'écran cathodique ainsi qu'autour des tâches d'envoi des données à l'aide du clavier, doublées d'un contrôle visuel des données introduites.

Les premiers constituent l'élément astreignant, les attentes devant le terminal, lorsqu'elles sont répétitives, représentent une sollicitation neuropsychique supplémentaire.

Les secondes demandent une plus grande dispersion visuelle par un balayage constant des documents, du clavier et de l'écran.

Elles exigent de l'opérateur une activité mentale soutenue qui peut provoquer un surmenage.

Les cadences élevées, le contexte banalisé nous font penser sans conteste au taylorisme. Il n'est pas étonnant dès lors d'assister à la prolifération des troubles généraux : les plus courants sont la céphalée, les douleurs cervicales, les troubles mentaux, les troubles cognitifs.

En conséquence, lors de l'élaboration organisationnelle globale des travaux de bureau, quand cela est possible, l'alternance des tâches est intégrée. Les efforts nécessaires de formation sont déployés. Des poses de 10'/H assurent une réelle détente.

 

Le contenu sociologique

Si au plan quantitatif, la bureautique est en amont génératrice d'emplois, il apparaît qu'au plan qualitatif, en aval, elle en soit destructrice.

Toute une série de travaux sont spécialisés, le pouvoir de décision est parcellisé, les tâches sont cloisonnées, l'organisation de l'entreprise est davantage centrée sur la compétitivité entre les individus qui n'ayant peu ou plus de contacts entre eux ont tendance à la renforcer.

Cette nouvelle organisation du travail basée sur l'isolement et sur la dépersonnalisation, fait qu'il n'est plus surprenant de voir les opératrices ou opérateurs parler à leur machine, d'où l'apparition d'un sentiment d'aliénation.

 

Prévoir c'est aussi maîtriser

Face à l'extension de ce nouveau concept organisationnel des travaux de bureau et des risques qu'il produit, des spécialistes du monde médical s'y intéressent et y réfléchissent.

Leur démarche est à caractère préventif, elle consiste à avertir les milieux concernés sur les dangers inhérents, dans un premier temps, ils s'attachent à détecter les causes et origines, la seconde phase, ils la consacrent à formuler des recommandations qui, appliquées, contribuent grandement à réduire les risques y afférents.

Les mesures proposées sont d'essence multidisciplinaire, elles sont en symbiose avec les contraintes et astreintes spécifiques décrites au chapitre précédent.

Le contenu de ces recommandations étant tellement important qu'il ne m'est pas possible de vous les énoncer.

Cependant, il est à retenir que lesdits spécialistes préconisent que d'abord tout utilisateur potentiel fasse l'objet d'un bilan ophtalmologique, d'un examen clinique ayant pour cible la santé physique et nerveuse du travailleur.

 

Consécutivement comment les avis préalables prennent-ils caractère d'obligation ?

Avec l'introduction des nouvelles technologies, quasi la totalité des puissances industrielles du monde occidental sont confrontées aux problèmes d'humanisation des conditions du travail.

Peu de pays ont légiféré en la matière, le plus souvent les obligations sont le résultat d'accords cadres ou de conventions collectives entre les partenaires sociaux, patrons et syndicats, les seuls pays où l'état est associé sont, à ma connaissance, la Suède, la Norvège, la France, l'Allemagne, la Belgique, tous possèdent une réglementation qui protège le travailleur contre les nuisances que peuvent produire indistinctement les technologies.

Quelques puissances économiques, comme le Canada, élargissent la protection aux effets socio-économiques provoqués par le changement de technologie.

Chez nous, dès 1975, des dispositions générales prenant caractère d'obligations légales sont promulguées par arrêtés royaux, le 54 quater en est un, il s'intitule "Politique et prévention", le 15 juillet 1975, par sa parution au Moniteur, il prend force de loi, il organise les structures indispensables au développement de la sécurité et de l'hygiène dans les milieux de travail, il donne à l'exécutif le pouvoir de contrôle.

Pour l'essentiel, il tient en ces mots :

"Les employeurs sont tenus de prendre les mesures matérielles de sécurité indispensables à la préservation des travailleurs contre les risques décelables".

"Ils sont également tenus de prendre les mesures nécessaires à l'adaptation du travail à l'homme".

Le 13 décembre 1983, une convention collective du travail (CCT n° 39) vient compléter la disposition de loi qu'est le 54 quater.

A l'instar des pratiques d'outre atlantique, la CCT n° 39 octroie le droit de contrôle aux représentants des travailleurs, elle reconnaît leurs compétences pour négocier dans tous les domaines des accords collectifs au sein de l'entreprise, y compris les mesures protectrices en matière d'emploi.

 

Sur le "tas", ces mesures obligatoires trouvent-elles leur prolongement ?

Afin de vérifier effectivement l'outil utilisé fut le sondage, pour une réflexion objective, il prit forme d'interrogation en milieux divers avec une double préoccupation, pouvoir apprécier là où la bureautique était déjà bien implantée et là où elle était encore à ses premiers balbutiements.

L'action centrée respectivement vers le tertiaire et le secondaire englobait des entreprises de grandes tailles et de tailles moyennes.

Le secteur des banques et des assurances, les activités de produits manufacturés, la construction, l'entreprise d'utilité publique en formaient l'éventail.

Cette enquête exploratrice contenait plusieurs séries de questions orientées de façon convergente avec pour lieu le ou les risques inhérents.

Les travaux d'analyse mirent en exergue les fatigues et les causes probables, les hommes et les femmes étaient répertoriés distinctement, suivant âge, temps d'exposition en durée, en nombre d'heures/jour. Le risque électrique, le maintien d'un bon niveau de lecture y étaient comptabilisés.

 

Les résultats qu'étaient-ils ?

Répartition numérique des personnes selon les conditions de travail dans lesquelles elles étaient placées

  Bonnes conditions Mauvaises conditions
Dimension du poste : hauteur appropriée des différents niveaux
  hauteur écran 4 13
  hauteur clavier 2 11
  hauteur trav. écriture 3 10
  hauteur plan unique 12 31
Clavier
  mobilité 33 10
  données dimentionnelles    
  longueur 12 29
  épaisseur 14 28
Ecran
  localisation 34 7
Siège
  dossier 20 23
  pietement 13 10
Repose-pied   12 31

Malgré le nombre important de poste inadaptés dimensionnellement, les exigences sont assez modestes puisque 36 personnes estiment êtres placées idéalement, mais paradoxalement 20 personnes se plaignent de fatigues liées à la posture pendant et/ou après le travail.

Conditions relatives à la charge visuelle

écran    
dimensions face-avant 38 5
dimensions caractères 10 33
espace entre caractères 15 27
espace entre lignes 19 24
contraste fond-texte 3 39
dispositif anti-reflet    
verre dépoli 15 24
filtre 12 30
distance yeux-écran 22 21
rapport des luminances dans le champs visuel central :    
fond-texte 33 6
écran-clavier 9 34
clavier    
contraste sigles-touches 26 12
absence de brillance 28 13
dimensions de touches 14 32

(3 personnes ont des touches de configurations diverses)

La situation reflétée dénote de la part des constructeurs un manque de prise en considération des recommandations.

implantation du poste :    
distance prise de jour 11 26
occultation baies ou fenêtres 12 28
situation sous luminaires 24 17
diffus. de la lumière artificielle. 34 9

 

rapport des luminances dans le champ visuel périphérique    
contraste plan de travail-lumière diurne 18 18
absence de reflet de l'environnement 26 14
contraste plan de travail-environnement 21 21

Dans cette confusion, il n'est pas étonnant dès lors que 28 personnes se plaignent de fatigue visuelle et que 11 personnes sur 21 portant des verres correcteurs déclarent avoir subi une diminution de l'acuité visuelle après affectation sur terminal à l'écran.

 

Conditions relatives au climat d'ambiance.

Il fut impossible d'évaluer si les tâches s'effectueraient dans de bonnes ou de mauvaises conditions, vu l'absence de mesures préalables concernant l'intensité lumineuse, le bruit ambiant, l'humidité relative, la climatisation des locaux, l'inexistence de démarches associatives.

Il ressort de surcroît que l'état physique du travailleur n'avait été aucunement pris en compte puisqu'un seul des interrogés déclare avoir été soumis à un examen médical complet avant affectation, 11 n'avaient été examinés que partiellement, 32 ne l'avaient pas été du tout.

 

Pour conclure globalement

L'éclairage fourni par cette exploration a prouvé le manque d'actions préventives.

Cette infraction au 54 quater affecte et affectera à court terme la santé des travailleurs, elle aura comme corollaire, dans un premier temps, la reconnaissance en tant que maladies professionnelles des séquelles qui découleront des atteintes à l'équilibre physique et mental, dans un second temps, la couverture des accidents cardio-vasculaires par l'assurances loi.

La situation sur le terrain nous prouve l'urgence d'une démarche informative pour une réelle prise de conscience, condition primordiale à l'indispensable changement.

 

Plaidoyer pour un consensus

Pour mieux avoir à l'esprit la nécessité d'un dialogue fructueux, une image est parfois nécessaire  :

Nous étions dans la petite localité de Sermeuse, en 1928, plus exactement le 13 avril, c'était un vendredi de campagne électorale où libéraux et socialistes s'affrontaient. Les socialistes déployaient un tel dynamisme qu'ils suscitaient l'admiration des plus réfractaires.

Pour s'expliquer sur le collectivisme à propos duquel les histoires les plus absurdes circulaient, un meeting avait été organisé, des socialistes tels DESCHAMPS, ISIERES, DESTABEL, BLANDAIN, BERGER devaient y prendre la parole, en dernière minute, les libéraux souffrant de quelques démêlés avec les commerçants de la ville, acceptèrent de venir se justifier, in extremis, cette réunion d'information devint débat contradictoire.

Dès 19 H, le théâtre municipal était envahi, un pêle-mêle d'ouvriers, de bourgeois, négociants, avocats, houilleurs, employés, s'entassaient aux stalles, dans les loges, le parterre, le paradis . Des milliers d'yeux fixaient la scène où DESCHAMPS, ISIERES, DESTABEL, BLANDAIN, BERGER et d'autres devaient prendre place, lourde était l'atmosphère, tendu était le climat, ils comprenaient qu'ils allaient livrer une bataille décisive contre les préjugés.

L'enjeu était d'importance, c'est DESTABEL qui s'avança le premier, un silence redoutable s'installa.

La voix était claire, nette, elle portait jusque "tout au bout".

Citoyens, commença-t-il, des réunions comme celle-ci ne seraient pas inutiles si elles pouvaient avoir le résultat de nous fournir quelques bases d'appréciations impartiales sur nos intentions et nos projets que défigurent tant de polémiques et de malentendus.

Il exposa l'évolution économique moderne caractérisée par le développement du machinisme et la concentration capitaliste. Le petit patron disparaissait devant la grande industrie, le boutiquier devant le grand commerce tous deux étaient rejetés dans la classe des prolétaires laissés libres par la révolution française mais nus.

L'effort des travailleurs s'estimait de plus en plus comme une simple valeur marchande, constamment réduite et dégagée de toute idée morale, de compassion, de solidarité.

L'organisation des entreprises par des sociétés anonymes éloignait à ce point l'employeur des employés que tout lien humanitaire était rompu et que le directeur-gérant, si bien lui prenait d'améliorer le sort de ses ouvriers, s'exposait à nuire aux intérêts des actionnaires.

Il vit alors au fond de sa pensée une image qui lui parut énorme, violente même, devant elle le discours se cabra tel un cheval face à l'obstacle insurmontable, il marqua un temps d'arrêt puis il poursuivit : de telle sorte que par la force supérieure des choses, par les lois qui régissent le capitalisme actuel, notre société devient, tous sentiments de fraternité morts, un gigantesque pressoir où s'écrase la chair humaine pour en faire juter l'or des dividendes. (extrait d'un compte-rendu journalistique de Jules Destrée pour l'action syndicale du dimanche 15 avril 1928).

On y était ! Nous y sommes ! Il voyait juste, peut-être sa vision était-elle caricaturale, voir apocalyptique, mais la situation présente dépouillée de ses fioritures, de ses salamalecs, ne ressemble-t-elle pas étrangement au spectre décrit par Destabel, économie mondialement organisée, grands groupes financiers, multinationales, trusts, holdings où les dirigés cherchent désespérément le visage des véritables dirigeants, où les décisions sont prises froidement ne retenant qu'un seul critère : la valeur pratique.

Fréquemment encore, ceux qui dirigent, ceux qui ont en charge la gestion des entreprises ont une perception passéiste des relations humaines plaçant au devant une organisation hiérarchisée empreinte d'archaïsme.

Ils semblent dans bien des cas peu préoccupés par l'incidence psychosociale que peut avoir le développement d'une nouvelle organisation du travail.

Ils considèrent la sécurité au travail comme une entrave à la bonne marche de l'entreprise, parce qu'il n'est pas évident, ils ne perçoivent pas l'intérêt économique que procure l'amélioration des conditions.

Ils ne sont pas convaincus du rôle social de l'entreprise qu'a fait naître l'industrialisation .

Du côté des organismes de défense des travailleurs, n'a-t-on pas aussi une part de responsabilité ? A-t-on toujours été attentif aux conséquences que portent en elles les mutations qui s'amorcent ? Il est navrant, voire inquiétant de constater qu'au niveau des instances paritaires (conseils d'entreprises - comités de sécurité et d'hygiène) l'on a peu conscience des problèmes, que les efforts déployés pour en avoir connaissance ne sont bien souvent pas à la mesure.

"L'action préventive" n'est pas l'application pure et simple, voire pragmatique de quelques dispositions réglementaires noyées parmi tant d'autres.

Elle n'est pas non plus la juxtaposition simpliste de mesures fragmentaires prises essentiellement pour faire taire ici et là les revendications.

C'est moins encore l'utilisation unilatérale de méthodes empiriques, la croissante complexité des technologies ne peut s'en contenter.

Face aux nouvelles technologies, la démarche doit être une véritable "ACTION RESEARCH" s'appuyant sur le dialogue, la concertation, la participation effective des personnes concernées par le changement technologique, sans préjugé, sans méfiance réciproque, sans mépris, sans aversion, à l'écart des schémas et clivages stéréotypés, c'est à ces conditions qu'un large consensus se dégagera, donnant à la décision une pleine adhésion.

Parce qu'il engage son capital travail, le Travailleur mérite bien que l'on se préoccupe de sa condition.


 

 

 

L'Institut Destrée L'Institut Destrée,
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