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Les bases culturelles de la société wallonne de l'an 2000

Georges Viatour
Directeur général de l'Institut national des Industries extractives INIEX
Président du Conseil subrégional de l'Emploi

 

1. De la définition du futur

Rares sont les visionnaires surdoués qui ont pu imaginer avec précision de quoi serait fait le monde de demain. Des Léonard de Vinci ou Jules Verne sont des exceptions qui ne possédaient d'ailleurs qu'une partie de la prescience, nécessitant des talents d'imagination et d'intuition qui, malheureusement, s'amenuisent avec nos générations.

Mais cette vision lointaine, à l'échelle de la vie d'un homme, répond bien à la définition de la futurologie qui a pour objet l'ensemble des recherches qui visent à prévoir quel sera, à un moment donné de l'avenir, l'état d'une région, pays ou continent dans les différentes domaines d'activités humaines, qu'elles soient techniques, sociales ou économiques.

Aujourd'hui, par l'évolution extrêmement rapide de toutes les technologies, il reste malgré tout bien difficile de faire des prévisions même à cinq ou dix ans; les robots qui devaient remplacer l'homme dans toutes nos tâches manuelles éprouvantes ou dangereuses sont apparus pour se camoufler presqu'aussitôt; les développements nucléaires sont de plus en plus contrecarrés et avec raison; le transport urbain individuel électrique ne verra pas le jour avant longtemps; l'énergie solaire reste marginale, la sous-alimentation gagne de plus en plus de pays, les paradis naturels disparaissent, etc.

Et pourtant tout cela avait fait l'objet d'annonces plus ou moins favorables pour cette décennie !

Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Car si toutes les prévisions ne sont pas respectées, le monde continue néanmoins son évolution (bonne ou mauvaise) dans des directions nouvelles dont certaines avaient été prévues.

Mais notre réflexion doit également servir de balise aux courants du temps présent à la recherche des valeurs futures; et je pense notamment aux valeurs morales qui, sous les coups de butoir des technologies, pourraient conduire à des "adaptations" destructives, le probable devenant l'inattendu.

Notre certitude présente doit donc se doubler d'une inquiétude régulatrice du progrès. Paraphrasant Churchill, on peut dire que "les sociétés du futur seront des sociétés de l'esprit" car le progrès (remarquons que ce mot intègre un futur) ou le "déprogrès" est toujours la conséquence de l'imagination des hommes ou de leur manque de créativité.

N'oublions pas également que l'inquiétude est source d'imagination; c'est elle qui crée des emplois à travers la recherche de nouveaux besoins, la mise au point du produit qui y satisfait (en utilisant les technologies les plus récentes), la fabrication industrielle de ce produit, et sa vente.

A travers une telle analyse globale, il reste donc possible d'esquisser les voies de la vie de demain.

C'est ce que nous allons tenter de faire en passant en revue les bases principales qui restent celles de notre société et que l'on ne peut absolument pas dissocier de toute projection d'un futur proche ou d'un demain sans remettre en cause les fondements mêmes de notre civilisation.

Néanmoins, comme je le disais il y a un instant, le probable peut devenir l'inattendu, et il faut s'y attendre.

Rien n'est définitif ni acquis irrévocablement. La vie est dynamique avec son caractère incertain mais qui impose, avant tout, que l'on œuvre pour elle. C'est la vie, et ses implications culturelles, qui est le support de l'espoir, du rêve, de la volonté : technologies nouvelles, informatique, matériaux nouveaux, génétique ne sont que des gadgets pour média.

 

2. Bases de réflexion pour appréhender le demain

La survie de toute société humaine repose sur quatre obligations fondamentales indispensables :

- produire les ressources alimentaires nécessaires à la population du globe;
- gestion visant à la préservation des matières premières disponibles;
- développement des technologies nécessaires sans lesquelles les ressources précédentes ne peuvent être exploitées correctement;
- trouver l'énergie permettant le fonctionnement général des points précédents.

En fait, toute mutation de civilisation a eu pour causse l'altération d'une de ces valeurs fondamentales comme tout progrès significatif a généralement été entraîné par la conquête d'une nouvelle forme d'énergie ou la maîtrise d'un procédé de valorisation des ressources traditionnelles. L'inverse est vrai également puisque l'état de crise actuel a été engendré par le problème pétrolier (guerre du Kippour en 1973).

On peut s'attendre à ce que la seconde vague de la crise provienne de l'état de famine endémique dans lequel est plongée, depuis plusieurs années, une partie de la planète. Et à plus long terme, c'est l'appauvrissement des ressources minérales de la terre (et leur mauvaise gestion) qui occasionnerait le prolongement de la crise. Après cela, il ne reste qu'à envisager un krach financier mondial, un accident nucléaire ou une collision cosmique pour modifier notre civilisation !

En réalité, une nouvelle technologie ne peut influencer le futur que si elle fait sauter une des limites d'adaptation des systèmes actuels qu'elle soit économique, politique, technique, sociale, etc.

Or, si on examine ce qui s'est passé au 20e siècle, on constate que quatre découvertes seulement ont passé ces limites. Il s'agit :

1. de la pile nucléaire, ancêtre du réacteur nucléaire actuel, créée en 1942 par le Physicien FERMI à Chicago.

Conséquences suivantes :

  • accession à une énergie totalement nouvelle permettant la résolution du problème énergétique mondial par une fusion thermonucléaire bon marché, douce, fiable, non militaire;

  • conséquences exceptionnelles sur le développement des technologies, troisième valeur fondamentale de notre raisonnement.

2. de la première fusée créée en 1942, par le physicien VON BRAUN qui ouvrit la conquête spatiale révolutionnant les télécoms et les industries connexes y compris le rayonnement solaire.

3. du premier ordinateur ENIAC mis en service en 1946 aux USA. C'est la plus importante découverte de l'homme puisque, pour la première fois de son histoire, il invente un outil qui prolonge ses facultés cérébrales. Il organise l'intelligence artificielle (et la philosophie ne découvrira que bien plus tard sa réelle signification) et une "big science" dont on ne peut, aujourd'hui prévoir encore toutes les conséquences.

4. de la génétique et des biotechnologies qui commencent en 1953 avec la découverte de la structure de l'ADN, support du code génétique. Or, on arrive ainsi à modifier le patrimoine génétique du vivant, allant jusqu'à créer des espèces nouvelles. Les conséquences peuvent être immenses dans les domaines alimentaire, élevage, militaire, écologique, etc.

Il ne fait aucun doute que ces quatre découvertes influenceront notre futur, plus ou moins bien ou mal suivant leur utilisation. Car sans analyse précise de leur développement, sans contrôle des procédures d'utilisation, sans organisation des technologies conséquentes ces découvertes présentent des redoutables dangers pour l'homme, son milieu, son organisation sociale, etc.

Autrement dit, il faut que ces mouvements s'inscrivent dans une politique culturelle intégrant, en permanence, tous les éléments de la vie de l'homme. Et la culture commence à l'école, dans ces classes maternelles ou primaires dont on s'occupe bien peu aujourd'hui. Permettez-moi d'aborder ce chapitre des bases de réflexions par un autre biais, celui de l'économie iconoclaste telle que la voit le français J. Gimpel. Car même s'il perturbe et fait mal, il oblige à un type de réflexion suffisamment réaliste que pour s'y arrêter quelques instants, confirmant les propos de Paul Valéry qui, au lendemain de la première guerre mondiale, écrivait "nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles". Pensant à Rome, à Byzance, J. Gimpel considère que la civilisation européenne s'éteint, après avoir duré plus de 1000 ans, et que le troisième millénaire sera chinois. Son analyse repose sur un krach financier dû à l'endettement énorme des pays sous-développés incapables de rembourser leurs dettes et même parfois de payer leurs intérêts. Cette banqueroute universelle que notre économiste appréhende pour bientôt conduirait à l'écroulement des monnaies, la montée en flèche de l'or entraînant le blocage des échanges internationaux, le ralentissement des activités économiques, la montée du chômage, le troc se substituant aux échanges monétaires et le mont-de-piété aux banques défaillantes.

Dans ces conditions, les données du maintien en vie, et non du développement, se fixeraient sur un repli autarcique des régions; la société la plus prospère étant celle qui réussirait à vivre sur ses propres ressources sans avoir besoin de celles d'autrui. Autrement dit, il y aurait alors un ralentissement de la technique et donc un retour en arrière, c'est-à-dire aux techniques d'autrefois. Mais quittons ces vues pessimistes pour revenir à des réalités plus tangibles avec les conclusions inattendues du Professeur W. Léontief qui remet en question la plupart des thèses traditionnelles relatives aux technologies nouvelles. Loin de conclure à une substitution de l'homme par la machine, Léontief pense plutôt qu'il n'y aura probablement pas suffisamment de main-d'oeuvre pour faire fonctionner toutes les machines dont nous voudrons disposer. Mais cela dans certaines conditions dont notamment :

  • si le nombre d'emploi de production s'accroît (les bouleversements technologiques doivent augmenter la demande de travail au lieu de réduire) ce sera dans la section des technologies nouvelles (nouveau équipements principalement);

  • le recul du secteur tertiaire se fera à l'avantage des professions libérales grâce à l'informatique notamment; les secteurs en croissance pourraient être l'agriculture, l'artisanat et les services. Ceci confirmerait les thèses de Gimpel.

  • enfin, l'importance de la formation du corps enseignant sera primordiale car elle influence directement l'aspect culturel de la société, aspect fondamental du point de vue imagination et donc innovation.

  • en conclusion, Léontief conclut que plus vite nous nous adapterons aux compétences qu'exigent ces mutations et aux possibilités qu'elles offrent, plus grandes seront nos chances de voir reculer le chômage et s'améliorer notre niveau de vie.

En complément à cette vision optimiste, il est utile de souligner la thèse de "l'économie de partage" développée par le professeur M.-L. Weitzman de Harvard; il s'agit d'un système de salaire variable permettant une lutte efficace contre le chômage, le travailleur choisissant le niveau de salaire (et donc de travail) qui convient au niveau de vie qu'il revendique. Les influences d'un tel système sur la vie des entreprises sont extrêmement larges intégrant le bonus (avec participation aux bénéfices); la flexibilité notamment pour les entreprises en difficultés, la division du salaire en partie fixe et marginale ce qui permet une meilleure intégration des chômeurs, bref une meilleure adaptabilité aux problèmes économiques et sociaux actuels.

Il me paraît utile d'insister sur de tels schémas car, en Wallonie, un enfant qui naît aujourd'hui à une espérance de chômer 10 ans dans sa vie active (en moyenne, évaluée à 40 ans). Autrement dit, en termes statistiques, cela signifie qu'un enfant sur quatre ne travaillera jamais (et que sera-ce dans 5 ans après les pertes d'emplois programmées aujourd'hui).

Cela signifie que la Wallonie a son tiers-monde et que conformément aux thèses de Gimpel, les conditions de vie de cette sous-population pourraient devenir pires, psychologiquement surtout, que dans les pays en voie de développement.

De même, il faudrait analyser les conséquences sur la vie de l'individu lui-même et de la société de ceux qui exercent une profession qu'ils n'aiment pas et qui leur a été imposée par des contraintes purement sociales.

Le démantèlement de l'homme ne commence-t-il pas par une vie au travail inadaptée à son mental ? Ce sont des détails de fond que nous ne pouvons aborder ici mais dont il faudra tenir compte dans nos recherches prospectives de la société de demain par les technologies nouvelles. D'aucuns, pour résoudre le problème, n'hésitent pas à programmer le retour au pays d'émigrés, la diminution du nombre de femmes au travail, le "garage" accru des actifs par des scolarités plus longues et des retraites précoces, etc.

C'est la nouvelle politique de l'emploi par intensification des mesures ! Mais de façon plus pratique, quels sont les créneaux de recherche particulièrement promus aujourd'hui, notamment dans nos pays d'Europe, et qui relèvent d'un certain futur ? Tout d'abord, il y a les nouveaux matériaux dont l'évolution a été orientée par la conquête de l'espace, la fusion nucléaire et l'informatique mais dont les retombées concernent la vie quotidienne (tels l'habitat ou le textile). Mais ces développements ne sont qu'à leurs débuts, l'évolution s'accélérant non seulement dans leurs applications (instrumentalisation, résistance, usure, économie) mais surtout dans les procédés de mise en œuvre (frittage, soudage, formage, etc.). Il est certain que les matériaux et les procédés de mise en forme de l'an 2000 seront tout à fait différents de ceux existants aujourd'hui, les prototypes étant déjà visibles dans certains laboratoires. Autrement dit, les techniques enseignées aujourd'hui sur l'acier, le béton, le bois et même les matières plastiques risquent d'être obsolètes dans 15 ans. D'autre part, les développements technologiques dépendent également des choix de la Communauté économique européenne et de l'unité qu'elle présente dans le choix des décisions.

A ce sujet, le rôle de la CEE sera déterminant dans le développement des grandes infrastructures communes telles qu'Euronet (réseau Européen de banques de données), des télécoms à commutation numérique, des fibres optiques, de l'utilisation de satellites, de TGV, des normes européennes, du programme ESPRIT (informatique), etc. Il faut également prendre conscience que la science devient de plus en plus technologique et vice versa; il est désormais difficile de les dissocier nettement de sortes qu'elles restent deux mondes différents. Si au XVIIIe siècle, il fut possible d'inventer la machine à vapeur (technologie) sans connaître la structure de la molécule d'eau (science), aujourd'hui l'orientation de la technologie des circuits imprimés n'aurait pas été possible sans la science de la physique des solides et des mathématiques. Et l'avenir appartient aux centres de recherches ou industries "combinatoires" dont le caractère "contagieux" répond mieux à la définition des nouvelles technologies. Informatique et électronique se combinent nécessairement aux biotechnologies, nouveaux matériaux complémentent les télécoms, pas de textile sans robotique, pas de passé génétique sans automation. Tout cela est vrai dans toutes les technologies en "ique", en science de l'environnement, dans le social ou le Isaac Asimov culturel. L'imagination d'un ISAAC ASIMOV (biologiste) ou d'un Van Vogt, auteur de science fiction de renommée mondiale, est prise en défaut face aux réalités des laboratoires d'aujourd'hui.

Mais dans notre monde, le pire peut côtoyer le meilleur, le moderne l'ancien; dans certains pays, le courrier urgent et assuré par porteurs; dans d'autres; c'est par télécopieurs.

Envoyer des fleurs de Namur à Paris est plus simple que de Namur à Liège, le transport concernant une information et non des fleurs réelles. En fait, il s'agit d'un nouveau langage posant le problème d'une nouvelle culture technique bouleversant l'appareil productif, la division du travail, la nature du travail, les règles de société, et donc la culture elle-même. Mais ni nos lois, ni nos morales, ni nos religions ou nos idéologies ne nous préparent à un tel univers.

Le véritable problème qui se pose à nous n'est pas scientifique ou technique; il faudra inventer une nouvelle morale pour préparer cette génération de l'an 2000 alors que nous n'entrevoyons même pas les prémisses.

D'où la réaction d'une majorité des savants d'aujourd'hui préférant s'enfermer dans leur ghetto scientifique, cette politique de l'autruche leur permettant d'échapper à l'inquiétude de cette fin de siècle plutôt que de jouer le jeu du psychodrame de l'anticipation utopique nécessitant un courage presque surhumain.

Et c'est vrai qu'il et difficile d'exercer une quelconque responsabilité en de telles matières. Mais alors, que dire de l'enseignement et de la formation dans de telles approches ?

 

3. L'enseignement et la formation de demain

J'ose vous dire, qu'aujourd'hui, l'enseignement est déphasé du réel non seulement du point de vue technique mais surtout culturel. Mes propos précédents vous y ont préparés bien que je ne sois pas allé aux limites ultimes des sciences ou technologies actuelles. Et ce ne sont pas les organismes de formation dits complémentaires (comme la FPA de l'ONEM) qui peuvent espérer un quelconque redressement; pour s'en convaincre, il suffit de constater qu'à Liège, sur un total de 36.633 (fin octobre 1986) chômeurs complets indemnisés, il y en a 15.259 (soit 41,7 %) considérés comme infra-scolarisés (études primaires maximum). Il est certain que la formation générale reste le meilleur facteur d'adaptation à des techniques en évolution rapide. Cependant, il faut reconnaître que l'enseignement est tout à fait inadapté aux nécessités de l'industrie innovante : contenu trop cloisonné et théorique (l'université a-t-elle encore des professeurs universels ?), critères de sélection basés sur l'échec (malgré le rénové !), abstraction (par facilité) étouffant l'imagination, mythes sociétaux orientant le choix des parents et des enfants, dévalorisation des métiers, etc. Ainsi chacun risque de se retrouver à la mauvaise place. Or, le but de la vie n'est-il pas de faire ce que l'on aime, ce pour quoi on possède des dons ? Pourquoi devient-on ingénieur, médecin, enseignant aujourd'hui ? Je suis persuadé que l'éclectisme est de mise sans pour autant intégrer des éléments de base fondamentaux. L'ingénieur est-il encore ingénieux. Le médecin soigne mais guérit-il ? L'enseignant transmet-il des connaissances ou de la matière ? Le technicien, a-t-il choisi une pratique, une salopette ou un tablier blanc ? Et ne retrouve-t-on pas en "professionnel", ceux qui pour de multiples raisons ont échoué en humanités ou en techniques ? Ce qui ne peut conduire qu'à un peuple "techniquement analphabète" ! Je ne voudrais pas m'étendre sur ces lacunes relevant de la "société" mais insister sur la préparation générale et culturelle des jeunes notamment dans l'enseignement même primaire, essayant de dégager des propos précédents certains éléments de réflexion.

Ce que l'on pratique aujourd'hui dans les différents types d'enseignement m'effraye car on n'y retrouve aucune valeur culturelle de base sur laquelle il est possible de construire une société durable. Les technologies nouvelles priment tout; la part de la culture s'évanouit au profit de l'informatique ou des biotechnologies ce qui, pour moi, est inadmissible. Aussi souhaiterais-je aborder ce problème des technologies nouvelles, non par le biais de l'enseignement mais par celui de la culture et vous dire les fondements sur lesquels il faut travailler. La définition la plus générale du mot culture est " ensemble des aspects intellectuels d'une civilisation ". On voit immédiatement qu'elle intègre tous les domaines de connaissance du général au particulier et que la culture technologique y trouve sa place comme la culture philosophique, artistique, scientifique ou autre. On ne peut donc dissocier ou rejeter les technologies nouvelles sous peine d'être incomplet et dès lors de ne pas satisfaire au critère de connaissance globale qui fait le comportement humain. Bien entendu, les "facultés de l'esprit" peuvent être développées par des exercices intellectuels appropriés dont les plus connus sont l'éducation, la formation, l'instruction, etc. C'est donc en confondant les moyens et le but que certains ont assimilé enseignement et culture, avec toutes les conséquences que peut entraîner, dans la réalité, une telle confusion.

Quittant la "société" pour redescendre au niveau de "l'homme", le mot culture, toujours dans sa composante générale, peut se définir comme "l'expression de ce que l'on a en soi", c'est-à-dire l'imagination, créativité, sensibilité.

Les supports qui permettent d'atteindre à cette culture sont multiples mais à l'échelle de l'homme, ils varieront suivant les époques et leur spécificité. L'imprimerie a marqué les siècles qui suivirent son invention; le saxophone a modifié profondément la culture musicale des 19e et 20e siècles; et de façon identique, le microprocesseur (plus généralement, toute technologie nouvelle) influencera tous les siècles à venir. Toutes ces technologies, nouvelles pour leur époque, ont donc agi fondamentalement sur l'évolution culturelle, mais on ne se rend jamais compte, au moment même, de leur importance. D'autant que, si l'on veut tenter de nuancer encore un peu plus la définition précédente, la culture ne peut s'appréhender, en fait, que d'une manière régionale.

D'ailleurs, par la définition de la région ou "territoire possédant des caractères physique et humain particuliers qui en font une unité distincte", on doit reconnaître à la "culture" une spécificité régionale. On ressent très bien aujourd'hui, à l'heure de "l'unification de l'Europe", que les revendications d'autonomie régionale sont de plus en plus nombreuses et exacerbées, reflétant une attitude d'auto-défense que l'on doit qualifier de culturelle.

Chaque région veut se protéger contre toute forme d'agression économique, politique, sociale, etc., qui pourrait porter atteinte aux éléments qui font sa "culture" et qui souvent sont perçus, par facilité de compréhension, comme étant sa "tradition". Donc, société, homme, région sont des facettes superposables concurrent à la culture, celle-ci ne pouvant évoluer que dans le respect simultané de ces trois aspects. Toute agression contre eux, et l'on peut imaginer aisément leur multiplicité, surtout en cette époque de crise, entraînera immédiatement des réactions défensives proportionnelles dont, aujourd'hui, les exemples basque et wallon ne sont qu'une première illustration. Lutter contre la crise, c'est avoir ou retrouver son identité culturelle; c'est être maître de sa région, de son travail, des outils qui lui sont nécessaires et des valeurs qui en résultent, c'est rendre le travail plus humain, l'enseignement plus adapté et l'information vraie, c'est remotiver le fonctionnaire etc.; mais c'est surtout vouloir prendre son destin en main.

Il faut que le wallon retrouve la volonté d'agir en s'appuyant sur des potentialités régionales dans le souci de répondre aux vrais besoins qu'impose le changement de société. Mais cela doit se faire dans le respect des aspirations de la région et de sa tradition; il ne faut pas répéter certaines erreurs du passé qui ont tenté de transformer les mécaniciens liégeois et les textiliens hennuyers en manoeuvre de l'électronique. Bien au contraire, il faut respecter les cultures manuelles qui subsistent et les utiliser comme éléments de base d'une réindustrialisation. Et cela est facilement réalisable en y associant les technologies nouvelles; il faut continuer à fabriquer des balances, des moteurs, des outillages, des machines-outils, des bateaux, des textiles, des presses, mais en y intégrant des matières plastiques, des microprocesseurs, des compostes, des alliages, des lasers, etc., et surtout de l'imagination. Car les technologies nouvelles imposent un nouvel esprit imaginatif; mais alors, quelle richesse pour une région quand l'imagination utilise les technologies nouvelles en s'appuyant sur une tradition manuelle. Plus que toute autre, et pour cette seule raison, la Wallonie a toutes les chances de mieux résister à la crise. En résumé, je dirai qu'il ne faut pas se laisser coloniser par les nouvelles technologies mais les assimiler à notre propre culture, culture qu'il faut absolument maintenir à travers un enseignement général porteur des vraies valeurs de la société.

 

4. Le rôle de l'état et des structures

Le problème de l'enseignement en Belgique est tellement complexe qu'il ne m'appartient pas d'en débattre. Néanmoins, en faisant abstraction de ces difficultés structurelles, il y a quelques grandes lignes qui peuvent être proposées :

  • préserver, dans toutes les mesures du possible, la formation générale porteuse des valeurs fondamentales de notre culture, cela signifie, comme je l'ai dit tout à l'heure, intégrer les technologies nouvelles dans notre enseignement et non l'inverse. Il ne faut pas oublier que la formation générale reste le meilleur facteur d'adaptation à des techniques en évolution rapide;

  • toute mesure doit protéger l'acquis culturel des sous-régions (par exemple, la mécanique à Liège, l'électronique à Charleroi, le verre à Mons, etc.) même s'il faut déroger à certaines règles en vigueur. Je pense notamment à la mécanique à Liège où il est difficile d'avoir le quota d'élèves requis dans les classes;

  • il faut une politique volontariste pour garantir l'efficacité; la culture mécanique à Liège ne se maintiendra que si elle évolue, c'est-à-dire, si on investit en machines-outils modernes dans les écoles;

  • d'où la nécessité de budgets pluriannuels et de procédures simples permettant de telles acquisitions rapidement mais aussi des transferts justifiés par l'évolution des techniques;

  • l'enseignement technique, surtout professionnel, ne doit pas rester dévalorisé comme il l'est depuis longtemps. Plus, l'avenir lui appartient car c'est chez lui que l'imagination est restée la plus vive, la démarche de créativité s'apparentant plus à celle de l'artiste ou l'artisan qu'à celle du chercheur scientifique;

  • il faut permettre à toute population, quelle qu'elle soit, d'accumuler des connaissances dans le simple but d'enrichir le patrimoine culturel (je vois très bien la reconversion totale des chômeurs en étudiants de toutes sortes); l'enseignement a un rôle primordial à jouer à ce point de vue car il peut être le grand ordonnateur d'une telle démarche, justifiant ainsi concrètement le nombre d'enseignants et le budget important. Mais c'est plus qu'une démocratisation de l'accès à l'information et à la formation, c'est une intégration culturelle des technologies nouvelles par tous;

  • 98 % des jeunes au Japon achèvent des études secondaires contre 30 % en Europe. Sans donner de solution, cela fait réfléchir ;

  • enfin, il incombe de préparer les jeunes à ces changements de mode de vie de façon à ce qu'ils puissent faire face aux réalités futures dont les moindres ne seront pas les substitutions de professions et d'emplois, la remise en question des diplômes et formations, le bouleversement des besoins, les nouveaux modes de vie, etc.;

  • l'enseignement devrait oser être une clef des grandes mutations de notre société.

 

5. Les emplois futurs

Au-delà des formations et de l'enseignement, il est possible d'appréhender le futur à travers les emplois que les recherches d'aujourd'hui permettent d'espérer. Et cette perspective des sciences et des techniques est peut-être plus facile qu'une analyse futuriste globale de la société qui intègre obligatoirement d'autres variables sociale, économique, éthique, etc. Et puis, si la science tente d'expliquer, elle permet aussi de prévoir. De tous temps, les scientifiques et inventeurs de tout poil ont été sensibles à cette dimension de leur réflexion; Léonard de Vinci ne disait-il pas : ne pas prévoir, c'est déjà gémir. Aujourd'hui, nous payons durement ce non respect d'une qualité que nos responsables n'ont pas su cultiver. La CSE de Liège que je préside a bien lancé une réflexion sur ce sujet qui malheureusement ne semble guère intéresser nos responsables politiques. Néanmoins, sur base des connaissances que je possède, en me laissant aller à la rêverie, en organisant mon imagination, j'ai essayé de jouer le jeu du "paradigme introuvable". Et je vais, ou plutôt j'ose vous donner mes résultats que je ne puis justifier scientifiquement mais qui ont le mérite de la franchise d'un ingénieur-gestionnaire participant activement à la vie de la région. Je pense que ma définition vaut bien celle des futurologues officiels qui ont pour grand mérite de pouvoir se tromper sans être critiqués. Je crois à l'homme, à son pouvoir, par les idées, sur les hommes et les choses. La société de demain sera muti-régionale, avec un retour à l'autarcie de petites communautés réapprenant la vie collective. Sans aller aussi loin que GIMPEL, je crois que les valeurs fondamentales seront remises à l'honneur, reconnaissant la vie et son égalité quelles que soient les circonstances de région, de race, de diplôme, etc.. Autrement dit, les métiers, au sens réel du mot, vont renaître, en intégrant bien sûr les technologies nouvelles mais devant suppléer la suppression des abus de la société de consommation; l'entretien, l'artisanat, l'adaptation seront le privilège des menuisiers, maçons, plombiers, soudeurs, ébénistes, etc.

Le nombre d'indépendants risque donc de s'accroître à moins que les formules coopératives ou alternatives ne réussissent à s'implanter ce qui serait logique dans une telle mutation (on le constate déjà aux USA). Mais une société d'indépendants majoritaires risque de reposer fondamentalement la problématique du social avec ses effets en cascades; les organisations syndicales seront certainement les structures les plus inquiétées de même que les administrations publiques. Je vois une diminution drastique du nombre de fonctionnaires mais remplacés partiellement par des professions privées de substitution. Par exemple, l'intégration des technologies nouvelles dans la vie de tous les jours et la protection des personnes et des biens conduira également à la création d'emplois nouveaux, les USA nous donnant déjà des exemples que ce soit à travers la domotique, le gardiennage privé ou la fabrication des multiples gadgets ou armes relatifs à la sécurité. Inutile d'insister sur le caractère dangereux d'un tel type de société. L'agriculture et le petit élevage vont se développer car la famine mondiale ne sera pas absente du schéma des quinze prochaines années.

Comme il deviendra de plus en plus difficile d'importer des céréales et produits alimentaires, les sous-régions devront subvenir à leurs besoins et peut-être utiliser ce type de ressource comme monnaie de troc.

Mais, les technologies nouvelles ne seront pas absentes de notre région en étant, cependant, mieux appropriées à nos potentialités de base. La mécanique, le verre, l'électrotechnique seront les bases d'une certaine robotique, de matériaux nouveaux, d'une électronique sophistiquée. Le recyclage des déchets urbain et industriel donnera naissance à de nouveaux produits et technologies. Les emplois seront attribués à des techniciens pluri-disciplinaires formés dans l'enseignement mais aussi par des formations modernes non officielles, sur le tas, non reconnues, pirates, mais intégrant les technologies nouvelles et les outils pédagogiques les plus élaborés. Si un tel système devait se développer, l'enseignement lui-même pourrait craindre un effondrement dramatique; mais pour les entreprises et métiers de demain, l'efficacité et les performances compteront encore bien plus qu'aujourd'hui. Dans cet esprit, il faut encourager le maintien des formations de base développées dans notre région depuis des dizaines d'années en se rappelant qu'une bonne formation générale est la meilleur préparation à l'accumulation des connaissances technologiques. La définition même de l'emploi pourrait être revue, des substitutions d'occupations à temps variable, de prestation, de compensation, de formation collective ou de location de poste de travail pouvant apparaître. Dans cette optique, on peut imaginer que les connaissances accumulées (et cela plus facilement qu'aujourd'hui) conduiront à des nouvelles professions plus adaptées au mode de vie en cours d'autant que la rémunération du travail pourrait se faire sur une base autre que financière. Les banques de temps prestés ou disponibles ne relèvent pas de l'imagination gratuite déjà aujourd'hui. En outre, les travailleurs à emplois multiples et à temps multiples pourraient se généraliser.

Pour conclure je voudrais reprendre à mon compte les paroles de Martin Luther King : I have a dream, pour une société meilleure, plus juste, plus agréable, plus enrichissante, plus respectueuse de la nature.


 

 

 

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