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L'Articulation économie - Culture en période de sortie de crise

Jean-François Escarmelle
Docteur en sciences économiques
Chargé de cours à l'Université de Mons - Hainaut
Laurent Busine
Licencié en histoire de l'art et archéologie
Directeur des Expositions au Palais des Beaux-Arts de Charleroi

 

Selon la science économique traditionnelle, tout système économique trouve en lui-même les ressources nécessaires pour se reproduire, se transformer et donc dépasser ses propres crises. Celle-ci n'accorde ainsi qu'une importance très relative, voire nulle, aux facteurs externes, culturels dans les cas qui nous occupe.

Tout au plus, certains auteurs perçoivent la culture comme synonyme de norme ou de valeur et lui confèrent des fonctions de reproduction, de régulation du système. Cette conception (particulièrement présente dans la littérature marxiste) limite donc la culture à sa seule propriété de reproduction et lui refuse de la sorte toute capacité d'innovation dans la transformation des systèmes économiques et sociaux.

Dans cette vision, la variable économique apparaît comme le seul déterminant de la formation et de la transformation des systèmes sociaux, et tout se passe comme si la culture n'avait d'autre statut que celui de ce conformer aux exigences fonctionnelles de l'économique.

L'apport de la théorie des systèmes a permis de relativiser cette "prétention" des économistes. Pour cette théorie, l'évolution de la société, ou d'une société, y compris celle de son système économique, est, entre autres, étroitement liée aux modifications du système de significations (ou de valeurs) qui régit toutes ses manifestations, c'est-à-dire de sa culture.

Loin des représentations réductionnelles de la science économique traditionnelle, l'approche systémique permet dès lors d'entrevoir l'existence de relations biunivoques entre mutations dans l'ordre de l'économique et changements culturels : si les mutations dans l'ordre productif sont évidemment conditionnées par l'évolution des ressources dont dispose une société, elles n'en sont pas moins aussi tributaires de la culture qui caractérise cette société. Le temps est révolu où il suffisait de capital, de machines, de travailleurs à peine formés pour faire de la croissance. Les conditions de la nouvelle prospérité sont aujourd'hui tout autant immatérielles.

La perception de ce type de relations entre économie et culture permet peut-être de mieux saisir pourquoi, aujourd'hui, les différentes régions, toutes marquées par des traditions culturelles spécifiques, ne sont pas dotées d'une égale capacité à surmonter la crise, à élaborer des solutions performantes et à faire face à la modernisation; pourquoi aussi de nombreux problèmes de mutations économiques et sociales internes aux régions de vieille tradition industrielle trouvent leur origine dans les difficultés d'adaptation des acteurs et des institutions aux valeurs changeantes en cette période de crise.

Aujourd'hui, il n'est plus possible de croire encore en un avenir industriel qui ressemblera, après cette parenthèse qu'est la crise, au passé. Comment dès lors ne pas comprendre que cette même crise nous conduit également à une révision de nos valeurs, de nos représentations, de notre culture. Car si la crise signifie, au plan économique, le passage d'une ordre productif à un autre, elle révèle, dans le même temps, l'inadéquation entre les mutations en cours dans l'ordre économique et des modèles culturels "dépassés".

L'évolution culturelle ne peut en effet échapper au schéma classique "croissance - apogée - déclin - désagrégation" qui caractérise l'évolution économique. Lorsque, pour affronter de nouveaux défis, une culture est devenue trop rigide, le déclin se produit. Durant ce processus, les institutions dominantes - sociales, économiques, politiques ou culturelles - s'efforcent de continuer à imposer leurs schémas dépassés mais leur déclin doit être inexorable. Pendant le même temps, de nouvelles minorités créatives, tentent d'assumer les nouveaux défis.

Au cours de cette phase de changement, la culture "décadente" refuse de changer et se rattache, avec toujours plus de vigueur, à ses vieilles idées. De la même manière, les institutions dominantes refusent d'abandonner leur rôle dominant aux nouvelles forces culturelles.

Pour que les mutations s'opèrent, souvent au risque de discordes et d'éclatements sociaux, il importe cependant que les unes continuent leur processus de déclin et se désagrègent, et que les autres s'affirment pour assumer, à terme, leur rôle dominant.

En Wallonie, où les anciens modèles culturels, politiques, patronaux ou syndicaux, ont bien fonctionné dans le passé, la compétition entre groupes véhiculant l'ancienne culture et groupes porteurs de renouveau est particulièrement vive. Mais celle-ci ne peut rester éternellement ouverte, elle doit rapidement consacrer la domination de l'une sur l'autre. Alors seulement, la créativité nouvelle, la motivation et l'innovation de tel ou tel groupe d'acteurs pourra devenir propriété de la collectivité et donner naissance à de nouvelles significations de l'action. Celles-ci pourront enfin s'imposer comme nouveau système symbolique, comme nouveau code socialement partagé.

Mais la formation et la montée des nouvelles cultures ne sont pas le seul fait de modification des enjeux, tels ceux des mutations industrielles. Au moment où la TV, le TGV et les télécommunications abolissent les distances, il serait absurde de nier l'existence de flux culturels et de rejeter les phénomènes de diffusion inter-culturelle. Dans un système international hypermédiatisé et dominé par des enjeux industriels comparables, l'hypothèse de cultures closes ne tient plus.

Or, le discours souvent dominant en Wallonie en matière de développement, tant économique que culturel, est celui de la dynamique endogène ou autocentrée; pour celle-ci, il s'agit de reconstruire quasi uniquement à partir de ce qui existe au plan régional, en s'appuyant sur les forces vives et les compétences en place. Au plan culturel, et sous prétexte que le jeu des flux culturels converge vers un modèle unique, la démarche autocentrée vise à une survalorisation de la culture locale ou régionale, ce qui dresse des "barrières à l'entrée" aux importations culturelles.

Cette attitude culturelle est néfaste pour le développement : elle entraîne en effet le repli sur soi, la marginalisation, l'immobilisme, et donc l'anti-développement. Comment nier en effet l'utilité, pour une région en difficulté, de l'apport de schémas, d'idées, de découvertes et d'énergies extérieurs ?

Le vrai débat ne consiste plus à opposer développement endogène et développement exogène, mais plutôt à réconcilier développement endogène et apports extérieurs. Loin de conduire à la négation des identités culturelles, les éléments importés ne peuvent qu'enrichir la culture réceptrice et donner lieu à des significations nouvelles. Ils consacrent ainsi non pas la convergence des cultures, mais l'originalité de modèles d'innovation différents face à des défis - économique et industriels - plus ou moins semblables.

La culture nouvelle qui résulte de la combinaison des changements endogènes et des flux importés gardera son originalité dans la mesure où elle alliera fonctionnellement des traditions régionales et de la modernité.

Le grand défi industriel et culturel de cette fin de siècle est donc clair. Si la Wallonie doit faire face à des contraintes industrielles incontournables, à une concurrence extérieure exacerbée et au drame social qu'est le chômage, elle se doit cependant d'entrer de plain-pied dans cette ère nouvelle de bouleversements économiques, industriels et sociaux sans perdre de vue que ceux-ci favorisent et exigent à la fois de profondes mutations culturelles.

Cette articulation, ou mieux encore cette convergence, entre enjeux industriels et enjeux culturels, apparaît déjà à plusieurs niveaux.

Tout d'abord, la culture, prise dans son sens traditionnel de production artistique, est en train de basculer du secteur non marchand et improductif (économiquement) vers le secteur marchand. Plusieurs activités culturelles et paraculturelles sont déjà une composante essentielle de l'activité économique.

Mais la créativité et la culture ne doivent pas seulement irriguer ce qu'il est déjà convenu d'appeler "les industries culturelles", elles peuvent être le ressort d'une reprise économique générale.

Dans le contexte historique de transition vers une société post-industrielle, la culture - et les arts - participe à la revitalisation d'une région en améliorant son image de marque et donc son attractivité, mais peut aussi ranimer les sentiments de fierté et de confiance d'une communauté. Car outre la plus-value en terme d'image de marque qu'apporte l'activité culturelle, le fait de disposer d'une population plus cultivée, donc plus ouverte, crée un climat d'autant plus favorable à la réception et à la diffusion des innovations que celles-ci soient technologique, économiques ou sociales. Car heureusement, ce ne sont pas tant les révolutions technologiques qui changent les sociétés mais davantage la manière dont les hommes les investissent socialement et culturellement.

Dans cette conjoncture de sortie de crise, enjeux économiques et enjeux culturels sont appelés à converger chaque jour davantage.

Entretenir cette convergence entre économie et culture, c'est déjà préparer un autre projet de société.

 


 

 

 

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