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Energie - Culture - Economie

Elio Di Rupo
Docteur en Sciences -Inspecteur général adjoint au Directeur d'Administration
Inspection générale de l'Energie au Ministère de la Région wallonne

 

Ces dernières années, l'énergie ne constitua plus une préoccupation majeure. L'abondance et l'effondrement des prix anesthésièrent les esprits. Mais Tchernobyl les ranima et on reprit conscience que l'énergie c'était la vie. La vie sociale, la vie économique, la vie culturelle.

En Belgique, la Wallonie comprit précocement et intensément que l'énergie était source privilégiée d'activités économiques et de vie sociale. Nous, les Wallons, devons beaucoup au charbon ! Ce fut, dans le passé, une richesse patente. Aujourd'hui, les réalités sont différentes.

La présente communication tente d'esquisser l'état énergétique de la Wallonie. Nous approcherons cette réalité en séparant, d'une part, les principales ressources utilisées et, d'autre part, le potentiel de maîtrise de l'énergie. Nous insérerons ces deux aspects de la politique énergétique dans les contextes national et international et aborderons alors le nouvel espace institutionnel belge en montrant quel est le pouvoir légal de la Région. Et subséquemment, nous examinerons quelques retombées économiques en mettant l'accent sur les déséquilibres importants entre le nord et le sud du Royaume. Enfin, nous aborderons l'aspect culturel en terme de projet de société.

A ce stade de la communication écrite, seules les grandes idées sont évoquées. Leur développement ainsi que les conclusions seront présentés en communication orale. Par ailleurs, il s'impose de noter que la teneur de la communication n'engage pas l'Administration.

 

I. La réalité énergétique de la Wallonie

A. Les principales ressources énergétiques consommées

Une manière d'appréhender la réalité énergétique de la Wallonie consiste à examiner sa consommation finale (1).

En 1985, la Wallonie utilisa 11,8 MTEP (2)  d'énergies dont
48,9 % dans l'industrie (27,2 % rien que dans la sidérurgie);
15,9 % dans les transports;
31,0 % dans le secteur domestique.

Cette utilisation représente 37 % de celle du pays alors que la population wallonne n'en constitue que 32 %.

La consommation moyenne par Wallon est de 3,75 MTEP, consommation plus élevée que la moyenne nationale (3,20 TEP) et que l'européenne (2,32 TEP).

La Wallonie "consomme" essentiellement 4 matières premières traditionnelles :

1. les produits pétroliers (38 %);
2. les combustibles solides (27,5 %);
3. les gaz (principalement gaz naturel) (25,7 %) ;
4. les combustibles nucléaires (8,1 %).

Depuis le premier "choc pétrolier", les spécialistes ont ajouté la notion de "maîtrise de l'énergie" à ces 4 principales ressources.

 

B. La maîtrise de l'énergie

En Région wallonne, ce fut sous l'impulsion de M. Philippe Busquin que prirent naissance les premiers programmes importants de maîtrise de l'énergie. Le présent Exécutif a poursuivi bon nombre de ces programmes. De plus, il vient de mettre au point une vaste campagne de sensibilisation visant à rappeler à la population que l'énergie à bon marché n'est que temporaire et qu'il convient de préparer l'avenir. L'effort régional en matière d'économie d'énergie a été considérable. Pas moins de 4 milliards ont été consacrés aux différents programmes, en particulier en chauffage urbain, à la réduction de la consommation dans les bâtiments publics et dans l'industrie, et à la mise au point d'énergies renouvelables.

 

C. La réalité énergétique

La réalité énergétique de la Wallonie est fonction de 5 éléments regroupés en deux parties; la première constituée des produits pétroliers, des combustibles nucléaires, relève essentiellement des contextes national et international; la seconde partie relative à la maîtrise de l'énergie relève du contexte régional.

II. Les contextes régional, national et international

A. Les principales ressources énergétiques consommées

1. les produits pétroliers

En 1986, 36,1 millions de tonnes métriques (MT) de produits pétroliers (dont 23,3 MT de pétrole brut) ont été importés en Belgique.

Le pétrole brut provient d'une vingtaine de pays répartis sur le globe.

Les principaux fournisseurs sont :
- L'Arabie Saoudite 27,5 % du total des importations ;
- La Grande Bretagne 18,1 % ;
- Le Nigeria 11,6 % ;
- L'URSS 8,8 % ;
- La Libye 7,4 % ;
- L'Irak 4,9 % ;
- L'Iran 4,7 %.

2. Les combustibles solides

En 1986, la production nationale en combustibles solides (6.620 KT) se présentait comme suit :

- 5.589 K (3), produits par les Kempense Steenkolenmijnen ;
- 36 KT, produits parla mine à ciel ouvert de Gosselies ;
- 994 KT, produits par les terrils.

Bien que les types de charbons ne soient pas comparables, la Wallonie a produit 15 % du volume des combustibles solides.

Toutefois, depuis la fermeture du Roton, seuls les charbonnages situés en Flandres extraient de la houille.

Outre les 6.620 KT produits en Belgique, notre royaume importe 8.520 KT de produits charbonniers et en exporte globalement 1.200 KT.

Parmi les principaux fournisseurs de houille, il convient de noter les USA (43,7 %), l'Afrique du Sud (25 %), l'Allemagne (19 %), la Pologne (4,5 %).

 

3. Le gaz naturel

En 1986, la Belgique a importé 337 millions de GJ (4) de gaz naturel

- 46 % proviennent des Pays-Bas;
- 34 % proviennent de l'Algérie;
- 20 % proviennent de la Norvège.

Avant l'entrée en activité du terminal gazier du port de Zeebrugge, le gaz algérien a transité par le port de Montoir-de-Bretagne.

 

4. Le cycle du combustible nucléaire

Les 4 sources d'approvisionnement en minerai d'uranium (oxyde d'uranium) sont situés aux USA, en Afrique (Afrique du Sud et Niger) et en Australie. Chaque source contribue à environ 25 % des approvisionnements.

En Belgique, on remplace en moyenne 30 tonnes d'uranium enrichi par 1000 MW. Il existe 5.500 MW en production.

Le combustible est acheté par SYNATOM (50 % public et 50 % privé) et enrichi par EURODIF. Après son utilisation, il est traité en France, à La Hague. BELGONUCLEAIRE fabrique le combustible (uranium + plutonium) et la gestion des déchets est assurée par l'ONDRAF (100 % public).

La société franco-belge de fabrication du combustible (100 % privé) produit de l'uranium enrichi mis en pastilles et en crayon.

Le parc national de production d'électricité d'origine nucléaire se compose de 7 centrales sur 2 sites : DOEL (4 centrales) et TIHANGE (3 centrales). Le centre national de recherche, pour sa part, est localisé à MOL.

 

B. La maîtrise de l'énergie

Les quatre combustibles traditionnels utilisés en Wallonie sont l'objet d'importants mouvements qui s'inscrivent dans les contextes internationaux et nationaux. En revanche, la maîtrise de l'énergie concerne principalement la Région. En effet, bien que l'Etat ait développé des programmes spécifiques en particulier grâce aux actions des SPP (5) et des différentes tranches URE (6), c'est au plan régional voire local que la gestion optimale des programmes de maîtrise s'effectue.

Les différentes actions menées de façon efficiente par la Région wallonne en témoignent. A signaler notamment l'imposition de nouvelles normes thermiques dénommées K70-Be500, le vaste appel pour la gestion des bâtiments publics (AGEBA), les guichets de l'énergie.

 

III. Le nouvel espace institutionnel belge

La loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 scinde les éléments de la politique énergétique de la Belgique en trois catégories :

- la première spécifiquement régionale;
- la deuxième spécifiquement nationale;
- et la troisième sans affectation régionale ou nationale précise.

Dans la première catégorie, le législateur a classé les aspects régionaux de l'énergie, et en tout cas :

A. La distribution d'électricité au moyen de réseaux dont la tension nominale est inférieure à 30.000 Volts;
B. La distribution publique du gaz;
C. L'utilisation du grisou et du gaz de hauts fourneaux;
D. Les réseaux de distribution de chaleur à distance;
E. La valorisation des terrils;
F. Les sources nouvelles d'énergie chaque fois qu'elles présentent un intérêt local ou constituent le prolongement de recherches industrielles relevant de la compétence régionale;
G. La récupération d'énergie par les industries et autres utilisateurs.

Pour ces matières, la Région mène sa politique en toute autonomie.

Dans la deuxième catégorie, comprenant les matières explicitement nationales, le législateur a classé les matières dont l'indivisibilité technique et économique requiert une mise en œuvre homogène sur le plan national, et en tout cas pour :

A. L'utilisation rationnelle de l'énergie;
B. Le plan d'équipement national du secteur de l'électricité;
C. Le cycle du combustible nucléaire;
D. Les grandes infrastructures des stockage; la production, en ce compris les mines, le transport et la distribution;
E. Les tarifs.

Sur les grands axes de la politique énergétique nationale reprenant les matières énumérées ci-dessus, une concertation associant les Exécutifs régionaux et l'Autorité nationale doit avoir lieu.

Enfin, dans la troisième catégorie, pour laquelle le législateur n'a pas clairement octroyé les matières aux régions ou au Gouvernement national, on trouve par exemple le charbon, le pétrole, le gaz, etc. Pour toutes les mesures au sujet de ces matières, une concertation entre les régions et l'autorité nationale doit être programmée.

On peut donc affirmer que les régions sont dotés d'une très large compétence en matière d'énergie qui s'étage sur 3 niveaux :

1. L'exercice de compétences propres;
2. La concertation sur les axes de la politique énergétique nationale;
3. Une concertation sur toutes les mesures au sujet de la politique énergétique en dehors des matières explicitement reconnues comme régionales ou national.

Par rapport aux principales sources énergétiques utilisées en Wallonie, les compétences régionales apparaissent bien faibles. Si la loi était effectivement appliquée, la Région pourrait faire valoir ses exigences par des concertations explicites sur les matières concernées. Mais comme ces concertations sont peu effectives, la volonté régionale parvient difficilement à s'exprimer !

 

IV Quelques retombées économiques

A. L'emploi

Le tableau ci-dessous relate le nombre d'emplois (ouvriers et employés) du secteur de l'énergie en Belgique au 30 juin 1986 (sources ONSS).

Domaines Bruxelles 19 communes Flandre Wallonie Total
Gaz, électricité 2569 10223 5773  
charbonnages (sans cojeries) 18 17398 99  
Raffineries, pétrole 196 3268 239  
Nucléaire  
industries des combustibles 24 804 -  
centrales nucléaires 32 793 780  
Cokeries 290 457 629  
Sous-Total 3129 32943 7520 43592
Produits pétroliers et lubrifiants (commerce), tertiaire (à l'exclusion des garages)  
gros 2294 2696 586  
détail 114 564 390  
TOTAL 5537 36203 8496 50236

On constate dans ce secteur une réalité étourdissante. Les trois quarts des emplois sont concentrés en Flandre. Dans l'industrie des combustibles nucléaires, la Wallonie est totalement absente.

A ces données économiques (et sociales), il convient d'ajouter l'activité créée par la Recherche/Développement dans le domaine du nucléaire pour laquelle plus de 2 milliards sont injectés chaque année et cela au bénéfice presque exclusif du CEN (Centre Electro Nucléaire de MOL) qui occupe environ 1200 personnes.

 

B. Les infrastructures

La Wallonie est presque totalement dépendante des produits pétroliers, des substances charbonnières, du gaz naturel et des combustibles nucléaires.

Or, le pétrole est importé, stocké et raffiné à Anvers.

Une partie importante de gaz transite dorénavant par le port de Zeebrugge, le charbon s'extrait en Campine et la recherche nucléaire s'effectue essentiellement à Mol.

Anvers, Zeebrugge, la Campine et Mol; il apparaît clairement que les principales infrastructures lourdes sont localisées au Nord du pays (à l'exception du parc de centrales électronucléaires).

 

V. Les aspects culturels et les projets de sociétés

Depuis l'introduction de la notion d'énergie par le physicien anglais YOUNG au début du 14ème siècle, les différentes sociétés se sont fait une image technique de l'énergie, image renforcée par les spécialistes. L'énergie a toujours été présentée comme un paramètre économique implicitement considéré comme neutre, illimité, inépuisable, dominable à volonté et dépourvu d'incidences particulières sur le devenir social. Cette considération s'est avérée tout à fait erronée. L'énergie est la condition fondamentale de l'existence des groupes humains. Elle engage l'homme à adopter une attitude particulière vis-à-vis de la nature. L'utilisation des énergies s'organise au sein de systèmes économiques dont les dimensions sont à la fois sociales, techniques, politiques, culturelles et mentales.

L'ensemble des systèmes énergétiques est aujourd'hui en voie de détérioration. Même si elles apparaissent momentanément surabondantes, les réserves sont limitées à l'échelle de l'humanité. Et l'homme est contraint d'assurer une transition vers l'avenir. Le mode de gestion actuel des énergies influence le type de société.

Il est vrai que les images qui nous sont parvenues de Tchernobyl et plus récemment du Golfe où les pétroliers sont escortés par l'armée, associent l'énergie à la force, l'énergie à l'autorité, l'énergie à la puissance.

Cette association inquiète d'aucuns qui estiment subir les servitudes de la puissance.

Ces images fortes concernent essentiellement les quatre vecteurs traditionnels que sont le pétrole, le charbon, le gaz et plus particulièrement le cycle du combustible nucléaire. La gestion de ces quatre vecteurs est très centralisée. Elle est parfois entourée de secrets ou d'actions policières.

En revanche, la gestion de la maîtrise de l'énergie offre une image de déconcentration et de participation du citoyen. Elle ne peut être effective qu'en établissant un dialogue avec un opérateur local.

Nonobstant cette réalité dichotomique, le débat culturel est beaucoup plus profond. Il ne s'agit pas uniquement d'opposer le mode de gestion des quatre vecteurs traditionnels à celui de la maîtrise de l'énergie. Il s'agit surtout d'examiner qui sont les responsables de ces gestions.

En Belgique, un clivage très marqué sépare la gestion essentiellement privée des 4 vecteurs traditionnels, et la gestion essentiellement publique de la maîtrise de l'énergie. Or, dans un pays champion du libéralisme comme les Etats-Unis, certaines compagnies privées d'électricité investissent dans les programmes de maîtrise de l'énergie. La "Pacific Gaz and Electic" qui dessert les 11 millions d'habitants du Nord de la Californie a dépensé en 1984, plus de 60 millions de dollars pour des programmes d'économie d'énergie. Dans un pays comme la République Fédérale d'Allemagne, cette opposition s'estompe également à cause du rôle des communes. Celles-ci ont officiellement, par une loi de 1935, la responsabilité de l'approvisionnement énergétique des entreprises et des citoyens. Les collectivités locales ont la charge de gérer le plus rationnellement possible, à la fois le développement des réseaux d'énergie, gaz, électricité, charbon et la maîtrise de l'énergie. On assiste dans ces deux cas à une conjonction d'intérêt entre la gestion de type centralisé et la gestion de type décentralisé. L'opposition entre les vecteurs traditionnels et la maîtrise de l'énergie disparaît progressivement.

L'antagonisme entre "la gestion centralisée" et "la gestion décentralisée" s'estompe. L'image d'une société autoritaire et d'une société participative n'apparaît plus aussi clairement et l'impact sur le comportement culturel des citoyens est différent.

Grâce à ses actions spécifiques, la Région wallonne pourrait s'inscrire dans un type de gestion qui s'apparente à celui des deux exemples cités. Toutefois, pour ce faire, un approfondissement des lois de régionalisation et une réforme de structure s'imposent. La Région wallonne serait ainsi susceptible de devenir le lieu d'expérimentation belge de l'évolution positive des mentalités. A l'opposé des schémas hiérarchiques et autoritaires, elle serait capable d'engendrer des schémas de créativité, de dialogues et d'initiatives.

La politique énergétique régionale se veut à cet égard génératrice de réalisations prometteuses.

Dans la nouvelle révolution technologique, la Wallonie adopte, à l'instar de notre Constantin Meunier face à la première, le thème magnifiant l'essor du monde social vers un avenir fécond et heureux.

 

Notes

(1) La consommation finale comptabilise l'énergie au moment où le consommateur final prend livraison et n'inclut pas la consommation des secteurs transformateurs
(2) MTEP : Million de tonnes équivalent pétrole
(3) KT : 1000 T
(4) GJ : milliards de joule
(5) Service de Programmation de la Politique scientifique
(6) Utilisation rationnelle de l'Energie


 

 

 

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