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La pensée wallonne, quel avenir ?

Armand DELTENRE
Ecrivain - Dramaturge - Animateur culturel
Directeur de la revue "La pensée wallonne"

 

La pensée wallonne et son avenir, c'est mon souci de tous les jours. Mais avant d'en parler ici, je voudrais d'abord m'expliquer sur ce que représente et sur ce que signifie pour moi la pensée wallonne.

Quand on a la passion de la Wallonie, selon son tempérament, sa propension, sa vocation, il y a différentes façons d'exprimer ses sentiments. Pour les uns, les statiques, leur attachement à la Wallonie ne consiste le plus souvent qu'à préférer aux autres produits et services, les produits et services de chez nous, qu'à renoncer à prendre des vacances à la côte belge, qu'à voter wallon, etc... Pour les autres, les moins nombreux en somme si l'on admet que la société est composée de 95% de personnes statiques contre 5% seulement de dynamiques (mais il est vrai que c'est ceux là qu'il faut généralement attendre le plus), la meilleure façon de s'exprimer, c'est l'action. C'est ou la politique active, ou le militantisme politique, très important car il peut servir d'aiguillon, ou enfin le militantisme culturel. Pour ma part, bien qu'ayant fait aussi dans le temps du militantisme politique, c'est la défense de l'identité culturelle de la Wallonie qui a mes préférences. Et défendre l'identité culturelle wallonne, c'est promouvoir les Arts, les Sciences et les Lettres de notre région. Autrement dit, c'est veiller à la sauvegarde et à l'élévation de notre patrimoine intellectuel, c'est-à-dire "La pensée wallonne". Dans cette optique des choses, en ce qui me concerne, les moyens que j'utilise sont en ordre principal la publication d'une revue, une bibliothèque, où je m'efforce de rassembler des archives, des documents et des livres wallons d'expression française mais aussi dialectale qui sont mis ensuite à la disposition d'une clientèle faite surtout de chercheurs, d'étudiants, d'historiens, d'essayistes, d'écrivains et de professeurs. En cela, je suis aidé par un groupe de femmes et d'hommes qu'un même idéal anime: "la Pensée wallonne". Vous l'aurez sans doute deviné! Ce groupe, cette revue, cette bibliothèque et aussi le prix annuel que nous attribuons à une Wallonne ou un Wallon dont l'oeuvre contribue, ou a contribué, à l'enrichissement de notre patrimoine intellectuel, ont la même appellation "La Pensée Wallonne".

Voilà donc une certaine forme de projection dans l'avenir de nos valeurs culturelles. J'ajouterai que pour ma part, très passionné par le dialectal et considérant que c'est aussi un patrimoine qu'il faut sauvegarder et que le théâtre peut y contribuer très largement, j'écris et fais représenter des pièces de théâtre en wallon. A noter au passage que je souligne la différence entre le théâtre en wallon, qui lui peut survivre et le théâtre wallon qui tombe en désuétude. Mais proclamer ce fait haut et clair c'est entamer une polémique redondante dont ce n'est pas ici mon propos.

Quel avenir pour la pensée wallonne? En premier lieu y intéresser les pouvoirs publics à tous les niveaux: Communauté, Région, Provinces, Communes. Obtenir, mais c'est là, peut-être, que devraient agir les"politiques", que les budgets octroyés à la culture wallonne ne soient pas systématiquement amputés de montants qui lui seraient pourtant si nécessaires. A Mons, les édiles communaux sont favorables à l'action que j'anime et ils nous aident. Mais il faudrait plus encore, partout il faudrait plus encore pour réussir une oeuvre aussi importante et tellement nécessaire à l'épanouissement intellectuel de notre peuple. Certes des institutions existent qui ont pour mission de réaliser des programmes culturels à court, à moyen et à long termes: les Maisons de la Culture, des associations littéraires et artistiques, la promotion culturelle préconisée par certains pouvoirs publics, la télévision, etc... Certes, des organismes déjà en place travaillent à la sauvegarde de notre patrimoine et à le conserver pour les générations à venir. Du moins ce qu'il en reste. Qui, quoi, que citer? Des musées, celui de la vie wallonne à Liège, de loin le plus important, qui rassemble une documentation assez complète sur la manière de vivre des Wallons, ceux d'hier et d'aujourd'hui, la Commission royale belge de Folklore wallon, la Société de Langue et de Littérature wallonnes, "Le Wallon à l'école", l'Union royale des Fédérations littéraires et dramatiques, les bibliothèques, dont la bibliothèque des dialectes de Wallonie à Liège et celle de La Pensée wallonne à Mons? Je ne citerai pas la Bibliothèque royale à Bruxelles qui n'est pas totalement wallonne mais je signalerai que lors d'un colloque organisé à Liège en 1978 par la SLLW, notre Académie nationale du dialecte, je préconisais déjà la création d'un dépôt légal à l'échelle wallonne. Voilà bien un clou sur lequel on devrait frapper sans relâche. Ce serait tellement valorisant pour la Wallonie, et pour le peuple de Wallonie, de posséder une vaste bibliothèque où serait classé, répertorié, catalogué tout ce qui aurait été publié et édité non seulement en Wallonie mais aussi à l'étranger pour et par des auteurs wallons, en français ou en dialecte, dans tous les genres littéraires. Ne serait-ce pas là une forme d'action à suivre qui pourrait être utile aux générations montantes? Soit! dans d'autres domaines, un peu a été fait, mais il reste tant à programmer d'urgence et à réaliser. Ainsi, qu'a-t-on fait pour la promotion de notre patrimoine architectural, pour celle de l'archéologie industrielle, pour la peinture, la sculpture, pour toutes les formes d'art en général et pour l'édition des oeuvres de nos écrivains, de nos poètes qui, s'ils ont du talent - et pourquoi non? - doivent se faire éditer à Paris. Il en va de même en ce qui concerne la plupart de nos artistes qui, le plus souvent, ne sont consacrés qu'à Paris; on oublie alors très vite qu'ils sont de chez nous. (1) Toute culture est un héritage merveilleux et, cet héritage, nous avons l'impérieux devoir de le léguer intact à nos enfants. A ce propos, il me plaît à mentionner le monument prestigieux qu'est l'édition "La Wallonie, le Pays et les Hommes" qui sert bien la "pensée wallonne". Seulement, mis à part quelques privilégiés, qui connaît cet ouvrage? Il devrait l'être, pourtant, par toute la jeunesse wallonne, ne serait-ce que pour qu'elle puisse de rendre compte du nombre de vérités historiques que l'on nous a volées.

En matière de lecture publique, le décret du 28 février 1978 pourrait être un tremplin vers une réorganisation en profondeur du Service public de la Lecture et permettre une utilisation plus fructueuse et plus efficace d'un patrimoine culturel dispersé dans ces "temples du savoir" que sont les bibliothèques. A Mons, ce décret pourrait trouver un commencement d'application au ler janvier 1988, c'est-à-dire 10 ans après la promulgation du décret, si tout va bien du côté des moyens, matériel et financier, que nécessite la réalisation d'un tel projet. Mais ne faisons pas de négativisme, c'est d'avenir que nous parlons et l'important c'est de vouloir à tout prix. Réjouissons-nous donc! Hélas, j'ai connu d'autres décrets qui sont restés lettres mortes, ou presque.

Je songe spécialement au décret de 1983 relatif à l'introduction dans l'enseignement, des dialectes de Wallonie dont l'application est toute relative. Et pourtant! "Etudier un dialecte régional, expliquait Monsieur Urbain, alors ministre de l'enseignement de la Communauté française, n'est pas marcher à contre courant de l'histoire. En effet, il est indispensable, à une époque où l'identité culturelle est une revendication fondamentale, de rendre vie au vecteur de cette identité: le dialecte. Mais qui veut encore admettre aujourd'hui la richesse de ce patrimoine dialectal qui nous vient du fond des âges? Nul ne peut nier cependant l'existence d'une véritable littérature dialectale ni le succès que connaissent toujours la bonne chanson wallonne et le théâtre du dialecte. Heureusement des organismes existent qui ne sont pas prêts à déclarer forfait. Je n'en citerai que quelques uns: la Société de Langue et de Littérature wallonnes, fondée en 1856, l'Association royale des Ecrivains wallons francophones, les fédérations littéraires et dramatiques provinciales regroupées par l'Union royale des Fédérations dramatiques et littéraires wallonnes, organisatrice, dans le domaine du théâtre dialectal du "Grand Prix du Roi Albert". Il faut souligner le travail fécond réalisé par l'Union que dirige Paul Lefin. L'oeuvre de ces sociétés, celle des hommes qui les composent sont en fin de compte, une assurance réjouissante pour l'avenir de la pensée wallonne considérée sous cet aspect. Mais combien, par contre, de détracteurs, d'indifférents, de grippe-sou, même en ce domaine de la culture, de "je-m'en-foutisme". Seul compte souvent l'intérêt, qu'il soit pécuniaire ou de prestige. Et tout autant de la part de notre radio et télévision que des médias, que des pouvoirs supérieurs. Je lisais dernièrement une lettre ouverte émanant de la Maison de la Culture de Tournai à qui des subsides et du personnel ont été supprimés et le compte rendu de la réception à la RTBF des représentants de l'association des Ecrivains belges de langue française, de l'Académie royale de Langue et de Littérature françaises, des Biennales de Poésie, des Midis de la Poésie, de l'Office du bon Langage qui regrettent de voir régulièrement la production littéraire d'expression française de notre communauté délaissée dans la plupart des émissions télévisuelles. J'ajouterai, quant à moi, à propos de la RTBF, que j'ai fait campagne en 1983, contre la décision de Monsieur Robert Wangermée, alors administrateur général qui, en accord avec son Conseil d'administration, avait décidé la suppression de l'émission dialectale sur le petit écran le samedi après-midi.

Pris par le temps, j'ai rédigé ce rapport en notant les idées telles qu'elles me sont venues à l'esprit. Certes il y en a d'autres, beaucoup d'autres à faire valoir, à examiner. Mais il est possible, après tout, que ce travail puisse servir de document de base pour un large échange de considérations l'avenir, tellement primordial à mon sens, de la pensée wallonne.

Mais, de grâce, au cours de la discussion, que l'on ne confonde pas les torchons et les serviettes, que l'on ne confonde pas les sports et la culture comme cela se fait parfois! J'ai horreur, pour ma part, de lire sur une porte: "Echevinat des sports et de la culture".

(Octobre 1987)

 Notes

(1) Il faut tout de même souligner que l'Opéra royal de Wallonie, né de la volonté de rationaliser les activités de création artistique en région francophone, célèbre cette année son vingtième anniversaire.


 

 

 

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