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La Wallonie en l'an 2000 : l'édition

Thierry HAUMONT
Ecrivain - Bibliothécaire à la ville de Charleroi

 

1. Quelques réflexions sur l'avenir du livre.

L'avenir du livre et de la lecture a fait l'objet de nombreuses prospectives, dont les conclusions varient souvent; cela va des craintes de l'humaniste classique à l'indifférence des sceptiques et à la jubilation des modernistes de voir refoulé un savoir qui aurait perdu son utilité pratique. Ces futurologies à mon avis ne mènent à rien; je ne vais pas m'y aventurer à mon tour, mais proposer quelques réflexions sur ces thèmes.

1.1. Le livre - le papier - est, contrairement à ce qu'on dit souvent, un support beaucoup plus durable qu'on ne le croit. Les supports inventés par le vingtième siècle se signalent certes par leur souplesse, leur rapidité d'utilisation, mais ce sont des supports fragiles: qu'on pense à la "combustion spontanée" des filmothèques et des collections de photographies, à la façon dont s'abîment les microfiches lors d'utilisations prolongées - elles se rayent, elles se cassent- à la rupture des bandes magnétiques ainsi qu'à leur démagnétisation... Ne serait-il pas plus raisonnable de penser que TOUS les supports que l'homme a créés pour sa pensée sont fragiles?

1.2. Ces nouveaux supports n'entrent qu'en partie en concurrence avec le papier. L'informatique a donné naissance à une multitude de livres... Personne, sinon les imprimeurs, ne se plaindra à la perspective de voir bientôt les bottins téléphoniques remplacés par un outil informatique... Puis: la photographie a-t-elle fait disparaître le dessin et la peinture? Le livre deviendrait ainsi, pareillement, le support de ce qui lui est purement spécifique: tous les défenseurs de la lecture ne pourraient que se réjouir d'une telle perspective.

1.3. Il n'y a pas non plus de partage qualitatif entre ces deux catégories de support, où l'un serait réservé à ce qui est nécessaire, en termes d'efficacité, à une société, et l'autre à ce qui constituerait en quelque sorte le superflu. Pour parler brièvement, l'électronique a produit ses navets aussi, elle continue à en produire, et une partie non négligeable de son intelligence est allée à la production de jeux, de gadgets, etc... A ce niveau-là, l'important n'est pas de savoir s'il y a lutte entre les deux types de support, et donc se demander qui va gagner; mais c'est de se poser les bonnes questions, comme celle-ci: l'informatique ne va-t-elle pas, n'est-elle pas en train de créer ses nouveaux illettrés ?

1.4. Admettons que l'accès à l'électronique devienne aussi peu coûteux que possible et soit donc à la portée de tout le monde, quotidiennement; qu'il se miniaturise suffisamment pour être emporté partout; il n'en reste pas moins que le livre présente un avantage fondamental: c'est qu'il résiste beaucoup mieux au piratage et à la censure. On peut intervenir dans un texte informatique comme on veut, parce qu'il est très simple d'agir à tout moment sur un programme; le livre, et à ce niveau-là, c'est sa force, est beaucoup plus rigide - d'une manière qui n'est pas absolue, évidemment. On annote un livre, on le caviarde, on le truffe de blancs même - mais on voit encore qu'il est censuré; tandis qu'on transforme une donnée, qu'on l'efface, qu'on la remplace "sans que le crime soit signé". Puis il y a dans le livre une chose certes aussi floue que le ton, mais qui permet souvent une critique interne qui arrive souvent à rétablir les intentions. Un listing, lui, est dépourvu de ton. En gros, l'ordinateur s'occuperait de ce qui est transformable, et qui dans une certaine mesure demande à être transformé; tandis que le livre aurait pour domaine ce qui est propre à l'individu, y compris ses aspects collectifs. Pour résumer ma pensée, je dirais que les textes de l'antiquité qui nous sont parvenus par les lectures de générations de copistes sont peut-être plus proches de la pensée des auteurs originaux que ne le sera, dans un millénaire, l'image que donnera de nous la mémoire des ordinateurs, après l'ensemble des manipulations dont elle a fait l'objet. Quoi qu'il en soit, l'important, ce ne sera jamais le media; ce qui aura de l'importance, c'est la capacité qu'aura eue le media de dire et de produire ce qui méritera d'être retenu.

2. L'Edition en Wallonie.

Quelles que soient les opinions et les options de chacun, personne ne doute que le livre ait encore un avenir, pour un temps certainement encore long. Alors: quelle politique du livre en Wallonie, et pourquoi une politique du livre en Wallonie?

Quelques données de base sur l'édition telle qu'elle se pratique chez nous. Proximité de la France, avec le centralisme parisien. Avec comme conséquence pour nous, à quelques exceptions près; l'occupation des marges laissées par l'édition française: la bande dessinée, le manuel scolaire, le livre pour la jeunesse, le documentaire... Ce tableau d'ensemble dessine déjà quelques-uns de nos handicaps.

Premier handicap : notre édition n'occupe pas tous les pôles de la vie littéraire et intellectuelle.

Deuxième handicap : la prédominance du livre scolaire, s'étendant à la vulgarisation générale, dans un discours unificateur et peu audacieux.

Ceci est relié avec notre troisième handicap:les conditions même du marché chez nous. Et je pense particulièrement à ce qu'il faut appeler la Belgique francophone. Un exemple? Certains éditeurs belges francophones calculent leur tirage en comptant que plus de la moitié des ventes se feront chez les francophones de Flandre et à Bruxelles - est-ce dû à un pouvoir d'achat supérieur, ou à une tradition culturelle particulière, à un plus haut niveau de lecture? En tout cas, cela amène les éditeurs à proposer des textes qui rassurent la majorité de ses lecteurs - c'est-à-dire, pour l'histoire par exemple - mais pas seulement la science historique, mais l'historiographie ou la perspective historique des différents domaines - politique, social, etc., - un regard qui exclut la Wallonie.

Quatrième handicap: la subsidiation... Et j'avance ici prudemment, La Communauté française propose la réédition des oeuvres majeures de ce qu'on appelle "notre littérature". Personne ne songe à s'en plaindre. Mais s'il faut se réjouir sans réserve de ces rééditions, elles contribuent cependant, à travers les collections qui leur sont consacrées, à enfermer nos écrivains dans un ghetto: Car le premier critère, même s'il a toujours été tenu compte de la qualité des textes, est l'appartenance à la nationalité belge. On assiste là à une forme de repli; sentiment qu'on éprouverait, et qu'on éprouve d'ailleurs effectivement, lorsqu'on se trouve devant un catalogue d'éditeur ne publiant que des oeuvres québécoises, suisses ou togolaises... Que penserait-on des maisons d'édition parisiennes, si elles ne publiaient que des auteurs français ? Dans notre cas, ce qui est pire encore, c'est qu'il s'agit de ce que j'ai appelé le repli belge: ces collections "nationales" contribuent à coller sur le dos des écrivains wallons une étiquette belge dont ils se seraient bien passés. Soyons justes: il est difficile de demander à un ministère d'aider ou de contribuer à faire connaître d'autres personnes que ses ressortissants. En tout cas, il est certain que ce n'est pas nous qui pourront retirer des bénéfices de l'idée belge qui gouverne ces actions.

Cinquième handicap: la dispersion des petits éditeurs; c'est le prix de notre individualisme. Il se publie en Wallonie quantité de textes intéressants; mais ils sont mal diffusés, se destinent à des cercles restreints, sont introuvables en librairie, n'ont fait l'objet d'aucune publicité, alors qu'ils pourraient gagner d'autres lecteurs.

3. Propositions

Je ne m'attarderai pas sur ce qui pourtant me paraît indispensable: que la Wallonie ait son propre ministère de la Culture.

Nécessité d'un éditeur de format international en Wallonie - j'insiste: en Wallonie, pas à Bruxelles - recouvrant tous les domaines du savoir, littérature, philosophie, sciences humaines, de langue française et traduits, dans lesquels, évidemment, les Wallons seraient minoritaires et ne bénéficieraient d'aucun privilège particulier, mais pourraient se jauger à l'aune des grands talents étrangers, et non pas trouver refuge frileusement dans des collections belges. Cela favoriserait leurs contacts, etc., et opposerait au repli dans l'étroitesse de l'horizon belge, l'ouverture qui est une des aspirations premières des défenseurs de la culture wallonne.

Nécessité de la création d'un office qui pourrait s'appeler Réunion des Editeurs wallons, chargé de regrouper, de coordonner les efforts des différents éditeurs de Wallonie, de les diffuser, de les soutenir par l'édition de catalogues collectifs, etc. Cet office pourrait d'ailleurs être en même temps éditeur, et même être l'éditeur dont j'ai souhaité l'apparition dans ma proposition précédente.

(Octobre 1987)


 

 

 

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