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L'animation socio-culturelle, la recherche-action et le district socio-éducatif:
des procédures de développement à encourager

Claude BONTE
Assistant social
Licencié en Travail social
 Co-Directeur de la Maison de la Culture à Charleroi

 

Si l'on veut s'interroger sur les pratiques entreprises au sein de notre Communauté française dans le champ socio-culturel, il est frappant de constater que rares sont les initiatives prises jusqu'à présent par les praticiens et les multiples acteurs concernés pour évaluer sereinement le chemin parcouru par rapport aux intentions affirmées et pour mieux comprendre la nature, la diversité, l'efficacité des actions réalisées, leurs objectifs, leurs enjeux, leurs significations possibles.

Pourtant, cet effort d'analyse est indispensable. Il est d'autant plus urgent à entamer qu'en raison de la crise socio-économique - mais qui est bien plus que cela! - la pertinence de l'action socio-culturelle, conçue dans une perspective de développement communautaire et d'éducation permanente, est remise en cause.

La concertation que les institutions engagent entre elles est quasiment nulle. Et, quand elle existe, elle ne porte que sur la dimension opérationnelle à court terme de leurs actions ou encore sur les mécanismes à mettre en place pour s'adapter aux modifications suggérées et même, dans certains cas, imposées par les autorités locales et régionales. La séduction des responsables, les efforts pour saisir et suivre les mouvements de mode remplacent petit à petit le dialogue avec les usagers, la solidarité pour défendre des priorités précédemment affirmées en faveur des couches défavorisées de la population.

La prise en considération des réalités collectives reste au second plan, les initiatives à dimension socio-politique se sont réduites. L'action culturelle qui dérange, qui interpelle le pouvoir est devenue exceptionnelle. La conception d'un pluralisme "conflictuel inégalitaire" a cédé la place à celle d'un pluralisme "consensuel humaniste" continuant de proclamer l'opportunité de faire des choix mais se gardant bien, dans les faits, de les concrétiser.

La politique étouffe le politique. On peut d'ailleurs se demander si une telle "restriction mentale" n'est pas délibérée. La responsabilité des acteurs progressistes qui s'accommodent de cette occultation est préoccupante...

Les animateurs "militants" sont en voie de disparition. Ceux qui demeurent en fonction renoncent, de plus en plus, à l'inconfort, au courage que nécessitent la critique et la contestation. De nouveaux "pedigrees" marquent l'évolution du profil des "animateurs légitimes": techniciens neutres de la communication, de la créativité, stratèges électoraux des états-majors politiques.

Dans les années 70, la revendication affirmée - par les praticiens avec véhémence mais sans grand impact sur les politiques et les pratiques réelles - s'efforçait de faire admettre le rôle primordial de l'action culturelle dans la lutte des classes pour l'accomplissement véritable de la démocratie économique et politique. Actuellement, le discours "dominant" a changé. Le rendez-vous à ne pas manquer pour l'action culturelle est celui de sa légitimation dans le champ des industries culturelles et donc de l'économie. On est entré dans le mythe du "management ostentatoire". Les animateurs principaux des Centres culturels comparent leurs capacités de gestion économique des projets, se passionnent, sans scrupule, pour la recherche de "sponsors" généreux et tentent de rentabiliser au mieux des produits culturels dont ils ne sont que les vagues intermédiaires.

Du côté des organisations de jeunesse, les difficultés sont multiples: insuffisance des ressources matérielles, manque de formation du personnel d'animation, hostilité de l'environnement, aggravation de la situation sociale des jeunes, urgence des problèmes sociaux rencontrés, disparition accélérée des maisons de jeunes, repli sur soi des initiatives qui subsistent dans la précarité...

Le Décret du 8 avril 1976 relatif à la reconnaissance des organisations d'éducation permanente et de promotion socio-culturelle des travailleurs présente un intérêt incontestable. Et pourtant, il faut constater le recul sensible de la vie associative et observer que si les organisations liées aux syndicats, aux grands mouvements volontaires, aux partis politiques se sont formellement constituées en asbl comme l'exige la réglementation, elles continuent, dans les faits, à fonctionner dans la stricte dépendance des institutions-mères et le pouvoir réel de leurs usagers est resté pratiquement nul.

Pour préciser ma pensée et introduire quelques propositions concrètes et constructives visant à changer la situation que nous connaissons, il ne suffit pas selon moi de crier haro sur l'action culturelle, de la vouer aux gémonies. Il ne s'agit pas non plus de la "sanctifier" en lui attribuant des vertus excessives. Elle n'est rien qu'un signe parmi de multiples autres de la vitalité de notre démocratie, un apprentissage toujours à reconstruire dont il convient de mieux connaître les enjeux. Et puis, et c'est ma principale préoccupation, le socialisme n'est-il pas encore à inventer?...

Il convient dès lors de bien comprendre que la stratégie de développement culturel dépendra de la nature des relations qui s'institueront entre les structures communautaires et régionales et les structures locales publiques et privées. Autrement dit - et c'est une question fondamentale qui dépasse la problématique culturelle - est-ce que les pouvoirs législatifs et exécutifs de la Communauté française et de la Wallonie (et c'est vrai aussi au niveau des municipalités) vont reproduire les rapports centralisateurs de l'Etat belge ou s'efforcer de concevoir, de pratiquer des rapports plus horizontaux directement articulés autour des réalités vécues sur le terrain et suscitant une participation civique plus importante des individus et des groupes considérés comme "sujets" et non plus seulement comme "objets de droit"?...

Revenant à l'action socio-culturelle, il faut reconnaître qu'elle s'est souvent gargarisée, sur base de théories - plus ou moins bien intériorisées par les professionnels - héritées du passé, de projections aussi approximatives que généreuses sur le devenir, le "devoir être". "L'ici et maintenant" est resté la "boîte noire". Pour préparer l'avenir, il faut conquérir le présent. Pour commencer à le maîtriser, il faudrait donc apprendre à connaître le quotidien des praticiens, celui des publics auxquels s'adressent les institutions culturelles et, tout particulièrement, s'attacher à percevoir celui du public non touché, c'est-à-dire appartenant aux couches sociales défavorisées.

L'animation socio-culturelle peut utilement contribuer à la réalisation d'un tel objectif si, avec opiniâtreté, elle vise clairement "à développer une prise de conscience et une connaissance critique des réalités de la société, à doter la classe dominée de capacités d'analyse, de choix, d'action et d'évaluation, à promouvoir chez elle des attitudes de responsabilité et de participation active à la vie sociale, économique, culturelle et politique" (1). Considérée comme pratique relevant des sciences humaines, elle doit pouvoir accéder au rang de discipline scientifique s'inscrivant dans un processus de recherche visant l'élaboration de théories au départ de pratiques expérimentées. Pour cela, il est urgent que les praticiens relativisent leurs prétentions et ne se satisfassent plus de démarches empiriques - souvent improvisées et rarement évaluées - et que les universitaires abandonnent une part de leurs certitudes théoriques désincarnées.

Comme il ne s'agit pas pour moi de penser un travail culturel unanimiste, mais bien au contraire d'imaginer les moyens adéquats pour susciter, pour multiplier les actions novatrices susceptibles d'ouvrir une brèche dans le système du pouvoir, de contester son hégémonie, comme le disait Gramsci, j'estime que plusieurs types complémentaires de stratégies sont à mettre en oeuvre.

La pratique de la recherche-action, de la pédagogie du projet et la concrétisation de la notion de district socio-éducatif et culturel me paraissent, tout particulièrement, devoir être encouragées.

La recherche-action considérée comme un moyen de partager le pouvoir dans et par l'action commune(2) peut conduire à éviter que l'animation socio-culturelle, en se plaçant au-dessus de la mêlée, ne se contente de produire un discours sur les autres sans impliquer tous les acteurs concernés. Néanmoins, pour que les deux éléments constitutifs de la recherche-action forment, dans un mouvement dialectique, une véritable synthèse entre théorie et pratique, il est indispensable que toutes les personnes qui y sont impliquées participent à la clarification des objectifs, à l'élaboration d'un contrat précisant les contributions réciproques et à l'évaluation du chemin parcouru.

La démarche d'analyse continue de l'intervention que suppose la recherche-action engendre une théorisation qui se construit progressivement et surtout, en rassemblant des spécialistes-chercheurs, des praticiens travailleurs socio-culturels, des usagers et plus largement des citoyens, elle crée une autre façon de considérer "la demande" et d'élaborer des stratégies permettant de la satisfaire.

C'est ici que la question de la pédagogie qu'un tel processus suppose devient essentielle si l'on veut faire en sorte que des individus de formation inégale (et, pour certains, vraiment limitée) participent effectivement à une démarche où se conjuguent recherche et action.

La pratique de la pédagogie du projet peut contribuer à ce que de telles initiatives finissent par atteindre et par impliquer les moins favorisés.

Cette alternative pédagogique vise en effet "l'acquisition de la confiance en soi, de l'autonomie personnelle ainsi que l'apprentissage de la solidarité, de la décision collective vers l'autogestion. Elle suppose l'acquisition des savoirs, des savoir-faire (mais j'ajouterai aussi des savoir-être) permettant la maîtrise des outils intellectuels de base, la libération des modes d'expression verbaux et non-verbaux, la perception et l'analyse de l'environnement culturel et social et l'utilisation de techniques nécessaires à la pratique d'un travail productif géré collectivement" (3).

A partir de cette conception de la pédagogie et de la perspective de son application dans le champ de l'animation socio-culturelle, il n'est guère plus possible de considérer ce dernier indépendamment de ceux de l'éducation et du travail social.

J'introduirai dès lors la notion de district socio-éducatif définie par Bertrand Schwartz (4) comme "constituant la structure de base de l'institution sociale, éducative et culturelle, au caractère souple et intégré, comme étant à la fois un lieu géographiquement et socialement défini, terrain d'expérimentation et d'implantation d'une politique éducative et culturelle globale; une problématique qui fournit une grille de lecture et d'analyse dans les diverses actions novatrices et dans la pratique des agents éducatifs (et, bien entendu, les travailleurs socio-culturels en sont); une pratique politique développant un projet éducatif reprenant les principaux objectifs relevant de l'éducation permanente".

Comme le précise encore Bertrand Schwartz, pour donner tout son sens au district socio-éducatif et culturel, il convient de poursuivre simultanément trois objectifs: l'articulation des ressources pour décloisonner les multiples institutions se préoccupant de l'humain, pour rétablir des continuités, éviter la dispersion des efforts et accroître, en lui donnant d'autres priorités, l'efficacité générale du système social, éducatif et culturel; l'égalisation des chances par la multiplication des moyens mis à la disposition des citoyens et en les répartissant selon un principe de discrimination positive en faveur des couches sociales défavorisées, par le développement d'actions dévoilant les facteurs producteurs d'inégalité et affirmant donc une volonté de rupture avec la conception capitaliste des rapports sociaux; l'accroissement de la participation de la population à la répartition, à la gestion mais aussi à la production des ressources éducatives et culturelles (5).

Malgré les multiples écueils potentiels dans l'environnement cloisonné, individualiste que nous connaissons, il me semble qu'il est possible de créer progressivement les conditions de son véritable fonctionnement. Pour y arriver, il conviendrait successivement ou simultanément, de concrétiser une double démarche.

Tout d'abord, faire l'apprentissage de solidarités partielles et limitées au travers de l'élaboration et de la réalisation concrète d'actions communes. C'est ce que Paul Demunter et Christiane Verniers proposent en parlant de la définition préalable d'un opératoire minimum autour d'un projet précis d'action et de la mise en place de structures intermédiaires de participation (6).

Ensuite, convaincre les praticiens d'abord et les responsables ensuite de ces diverses institutions qu'il est indispensable - en raison du foisonnement d'actions originales, d'expérimentations alternatives dont la richesse est évidente, tout autant que leur dispersion, leur manque d'articulations - de préparer la création d'une "superstructure" qu'ils institueraient en parfaite démocratie et en liaison avec les services administratifs compétents de la Communauté française et de la Région wallonne et dont ils maîtriseraient constamment la progression en veillant à la doter des moyens matériels et humains nécessaires.

C'est, me semble-t-il, de cette façon qu'une authentique démarche de concertation aboutira au développement effectif d'un travail de coordination qui apporte une plus-value à l'action réalisée par chacun et accroisse l'efficacité globale d'une politique culturelle, éducative et sociale, destinée prioritairement aux couches les plus défavorisées de la population et s'inscrivant dans une perspective de changement socio-politique.

(Octobre 1987)

 

Notes

(1) PONCIN-LEGRAND Annie, DEPREZ Marcel, FEAUX Valmy et NOSSENT Jean-Pierre, Cahiers JEB, L'éducation permanente en Belgique, Bruxelles, 2/79, 203 pages, p 152-160.
(2) SAUVIN Alain, Quelques doutes préalables sur la comptabilité de la recherche-action et du travail social, Revue internationale d'action communautaire, n° 5, Montréal, 1981, p 58-61.
(3) LE GRAIN, La pédagogie du projet, une pédagogie de la libération, Groupe de recherche et d'action pédagogiques, Bruxelles, s.d., 100 pages, p 11-37.
(4)DEMUNTER Paul et VERNIERS Christiane, Le district socio-éducatif et culturel, Editions Contradictions, Bruxelles, 1982, 138 pages, p 9-10.
(5) DEMUNTER Paul et VERNIERS Christiane, ibidem, p 11-12.
(6) DEMUNTER Paul et VERNIERS Christiane, op cit, p 45-59.


 

 

 

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