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Une politique wallonne de la culture?
A quelles conditions?

Achille BECHET
Directeur général des Affaires culturelles de la Province de Hainaut

 

1. En 1983 paraissait le désormais célèbre "Manifeste pour une culture wallonne", suite de déclarations péremptoires: "Nous, signataires de ce texte, femmes et hommes, auteurs, musiciens, cinéastes, acteurs, chanteurs, peintres, écrivains, animateurs, scientifiques, journalistes, historiens,... souhaitons affirmer notre véritable appartenance: nous sommes et nous nous sentons être de Wallonie ... De Tournai à Verviers, d'Arlon à Wavre, c'est un seul et même territoire qui va donner contour et profil à l'ensemble qu'il forme. La Wallonie entend désormais exister sur la carte des Etats comme entité propre ... Nous croyons pourtant que l'accession de la Wallonie à sa personnalité de peuple et à sa maturité politique n'aura pas lieu si un projet culturel ne va pas de pair avec le projet économique..." La couleur était annoncée, et le brillant polémiste Pol Vandromme prend la balle de volée, la relance en coup droit dans un étincelant petit livre publié au début de 1984: "Les gribouilles du repli wallon". J'en épingle un bout de premier chapitre: "... De tous les mauvais genres littéraires, la littérature de manifeste est la plus détestable. On assène les mots comme des triques: longue suite d'affirmations solennelles et intimidantes, logique en coup de poing pour le tape à l'oeil, poudre de perlimpinpin qui se déverse comme un vitriol, lieux communs de la sentence et lieux-dits de l'idéologie, trop-plein de verbalisme sur le vide de la pensée, à peu près qui prennent des allures d'évidences. On ne sait pas très bien où l'on va - en troupeau, à l'aventure. L'intelligence vit en recluse dans le ghetto barricadé. Les phrases se gonflent de leur inimportance et se hérissent de leurs étroitesses barbelées. C'est bas de plafond, mais ça sonne haut, règle d'or du plomb vil, ostentation idolâtre et primaire...".

Ces longues citations me paraissent illustrer une inquiétante actualité de la "réalité wallonne".

Volonté d'espace délimité pour les uns, accusation d'enfermement carcéral des intellectuels pour l'autre. La dialectique, si j'ai fidèle mémoire, voit une thèse partir à la rencontre d'une antithèse. Thèse et antithèse s'unissent, et le couple s'appelle synthèse. Le mariage est rarement d'amour, mais sûrement de raison... J'aimerais risquer mon propos dans cette direction et revenir à quelques questions toujours, aujourd'hui, réduites à des lieux-communs.

1.1. Y a-t-il, vraiment, une conscience wallonne?
Sur le plan économique, sûrement pas. Le capital n'a pas de temps à perdre avec le tribalisme régional. Nous vivons une période où le patron n'a plus d'identité, plus de figure, plus de liens affectifs avec qui que ce soit, à de rares exceptions près.

1.2. Sur le plan institutionnel, la situation est loin d'incliner à l'optimisme. Dès le moment où la Wallonie semble "sortir du tombeau", les dissensions éclatent au niveau des grandes unités locales. Qui va prendre le timon du navire mal frêté? Liège? Namur? Charleroi? Mons? Tournai?

Est-il intelligent de partager les compétences: économie par ci, affaires sociales par là, culture et le reste ailleurs? Le citoyen, lui, électeur ou non, ne sait plus, renonce à chercher, devient incivique, malgré lui. Un haut fonctionnaire de la "Région wallonne", peu suspect d'incompétence et à qui je demandais où se situait son seuil de responsabilités m'a douloureusement répondu qu'il n'en savait rien. C'était à Namur, et j'aurais dû me trouver à Bruxelles ... Ubu, dans son règne, était plus efficace...

1.3. Le seul élément capital de notre identité de Wallons reste incontestablement la langue française, qui nous indentifie mais n'est qu'accidentellement la nôtre. Le sophisme suprême viendrait à affirmer que les wallons parlant le français, tout qui parle le français est wallon ou encore, ajouterait Julos Beaucarne, est de Tourinne-la-Grosse !

2. Il existe pourtant une identité culturelle wallonne qui, comparée à l'identité culturelle flamande, n'est guère plus différente que l'identité culturelle bretonne comparée à l'identité culturelle alsacienne.

2.1. Le problème revient à ne pas sombrer dans un stupide triomphalisme cocardier, mais à se limiter à quelques spécificités d'esprit, de comportement, de volonté de vivre ensemble. La fusion des communes -récente encore- nous a suffisamment révélé à ce propos qu'une telle évidence ne s'est toujours pas incarnée...

2.2 L'entente cordiale "institutionnalisée" entre les provinces remonte, elle aussi, à un proche passé, mais constitue un phénomène significatif. Feu le Gouverneur Robert Gruslin, le fondateur du Centre d'Action culturelle de la Communauté d'expression française (CACEF) avait bien compris qu'une confédération provinciale valait à tout prendre mieux que de creux discours de militants irresponsables. On a presque en même temps assisté à une volonté systématique de déstructuration des instances provinciales, flamandes comme wallonnes. C'est à Charles-Ferdinand Nothomb que l'on a dû le sauvetage. L'ex-ministre de l'Intérieur s'insurgeait-il contre la cinglante question de Charles Baudelaire, rentré amer de son périple chez nous en compagnie de son ami Félicien Rops: "Quel est le terrain de sottise, le milieu le plus stupide, le plus producteur en absurdités, le plus abondant en imbéciles intolérants? La province."

C'est une façon de voir, et même quand on s'appelle Baudelaire mais que l'on juge en méconnaissance de cause, on peut avoir les idées courtes et le paradoxe facile. Les provinces de Hainaut et de Liège, on a tendance à l'oublier trop aisément, disposent de services culturels officiels depuis 1919.

2.3. Je reste -et resterai- convaincu qu'il est possible de sauvegarder une culture wallonne, de la développer, d'en révéler la relative spécificité. A condition d'opter une fois pour toutes pour une politique cohérente et conséquente, ce qui nous manque cruellement aujourd'hui...

3. Quelles seraient les conditions indispensables d'une politique culturelle spécifiquement wallonne, cohérente et conséquente?

3.1. L'abandon de particularismes locaux, qui cultivent la fâcheuse tendance de confondre culture et manies étroites de vivre le quotidien. Le folklore, à ce sujet et même s'il est digne du plus grand respect, se révèle souvent source d'un tribalisme dérisoire mais significatif.

3.2. Un tel tribalisme dépassé, il faut mener une politique cohérente, chacun se voulant attentif à ce que fait l'autre, respectueux et modestement solidaire des initiatives venues d'ailleurs. Le pire ennemi d'une vraie culture est le localisme chauvin, la psychose manique du prestige personnel.

3.3. Au départ de ces postulats, il faut sereinement se poser les questions de fond:

  • Quelles sont les véritables et significatives composantes de la culture wallonne?

  • Comment et avec qui peut-on les préserver, les développer, les multiplier ?

  • Quelle politique cohérente doit-on développer pour y parvenir?

 

4. C'est de ces différents problèmes que je voudrais, sans vouloir anticiper sur le débat ni surtout, en infléchir les conclusions, que je voudrais librement m'entretenir avec les participants au colloque d'octobre prochain.

(Octobre 1987)


 

 

 

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