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Les immigrés eux aussi font partie de notre peuple

Roger TIMMERMANS
Secrétaire syndical CSC

 

Se poser en défenseur des immigrés, en pourfendeur de la xénophobie vous situe immédiatement parmi les prêcheurs de vertus politiques.

Tel n'est pas l'angle sous lequel je place cette intervention. Non pas que les vertus politiques me laissent indifférent, mais parce que c'est à partir de l'intérêt que la Wallonie peut retirer d'une attitude positive vis-à-vis du monde des immigrés que je veux aborder le sujet.

Le moment paraît assez mal choisi pour défendre une telle idée; plus la pénurie d'emploi s'accentue, plus grand est le nombre de ceux pour qui l'immigré est "celui qui vient manger le pain des Belges".

Dans toutes les régions industrielles, peut-être plus encore chez nous qu'ailleurs, l'immigration est une vieille affaire. Par exemple, dès le milieux du XVIIe siècle, l'industriel Desandrouin fit venir des ouvriers allemands dans ses verreries de Charleroi.

Pour les époques plus récentes, il est superflu d'aligner les statistiques; en parcourant l'annuaire téléphonique de nos agglomérations, le nombre de noms flamands nous dira l'importance qu'eut cette première vague d'immigration des années 1900; la même lecture nous parlerait de l'immigration italienne et polonaise des années 30 aux années 50; de nos jours, il suffit de circuler dans nos villes et surtout dans nos cités ouvrières pour cotoyer la dernière vague.

Si en beaucoup d'endroits, l'expression "nous sommes tous des immigrés" est une affirmation de solidarité, chez nous dans le sillon industriel wallon, la majorité de la population peut le dire réellement, en parlant d'elle-même ou de son ascendance.

Malgré cette tradition, ici comme partout, la réaction naturelle de l'indigène a toujours été au mieux un étonnement poussé parfois jusque la méfiance, au pire le mépris.

Le mode de vie, la langue, les conceptions, dans certains cas l'aspect physique, l'engendrent automatiquement. Ce fut toujours vrai: les bons mots sur les immigrants flamands d'il y a 90 ou 100 ans font partie de notre patrimoine dialectal et qui n'a entendu (ou dit) mille expressions amusées, rageuses ou envieuses sur les "macaronis". Ce n'était guère respectueux d'autrui, ce n'était pas non plus tragique. Il n'est, hélas, plus de même aujourd'hui.

Dans toutes les crises on a besoin de boucs émissaires, dans celle que nous vivons les immigrés ne sont pas les seuls à jouer ce rôle, ils sont, tout de même, ceux à qui on l'endosse le plus facilement.

C'est particulièrement vrai pour la dernière vague composée dans nos régions majoritairement de Turcs et de Nord-Africains: le rôle que joue la religion dans la vie publique chez nous est réduit et les différences religieuses ne heurtent pas; par contre, les différences culturelles, la position de la femme par exemple, le font.

Les différences de condition de vie, d'habitat entre le pays d'origine et le nôtre, les manières de traiter l'environnement ne facilitent pas les bons rapports de voisinage. La jeune génération, celle qui a grandi ici, ne se sent de nulle part; ce qui joint au manque de travail, de ressources, au sentiment de rejet, favorise des tendances à la délinquance.

Enfin, tous ceux qui sont touchés par le chômage, et qui ne l'est pas par lui-même ou par un proche, tendent à les regarder comme des concurrents et même des concurrents déloyaux puisqu'ils viennent d'ailleurs.

Je ne m'attarderai pas sur l'aspect moral ou immoral de cette attitude; la seule question que je veux poser est celle-ci "n'avons-nous pas besoin d'eux ?"

Pendant longtemps, nous en avons eu besoin pour toute une série d'activités dont notre industrie avait besoin et que nous répugnions à exercer.

Pas question d'en avoir du remord, cela arrangerait tout le monde: l'industrie qui avait besoin de ce qu'ils faisaient, nous qui aimions mieux faire autre chose et eux parce qu'ils gagnaient leur vie.

Cette époque est finie chez nous. Notre problème actuel ce n'est pas de trouver des bras, c'est de trouver de l'emploi pour tous ceux qui vivent ici, en d'autres mots, la reconversion.

Nous devons trouver, inventer, créer de nouvelles activités. En quoi consisteront-elles ? Il y a évidemment toutes les nouvelles technologies, nous en avons besoin, mais si elles sont indispensables, elles ne suffisent pas loin s'en faut à générer les emplois nécessaires.

Il faut aussi, et même surtout, tisser un réseau de petites entreprises, entreprises produisant des biens, entreprises fournissant des services. Seul un tel réseau nous dotera d'une structure économique capable de résister au milieu de l'évolution accélérée que nous connaissons.

Faire foisonner nos régions de petites entreprises? Est-ce sur nos populations anciennes que nous pouvons compter?

Les qualités ne font pas défaut, mais nous avons vécu un siècle et demi de tradition presque exclusivement industrielle, et encore industrielle fort classique. L'industrie avait besoin d'ouvriers habiles, de techniciens compétents, d'administratifs consciencieux.

Nos parents ont rêvé pour nous d'un emploi stable dans une entreprise sérieuse.

Encore aujourd'hui, la publicité des écoles et celle de la TV présentent l'embauche dans une bonne entreprise comme la récompense d'une bonne préparation scolaire.

Enfin et surtout, pendant 150 ans, notre classe ouvrière a lutté pour émerger, elle a forgé sa dignité, elle a conquis ses lettres de noblesse.

De tout cela, rien à regretter; au contraire, mille raisons d'être fiers! Et puis, des hommes et des femmes pénétrés de cette culture, il en faudra toujours à notre Wallonie et plaise au ciel que nous fassions école sous d'autres cieux.

Mais à côté d'eux, ce qu'il faudra de plus en plus, ce sont des gens pour qui, de père en fils, faire un travail dont on soit le seul maître est l'idéal de la vie, même si au bout, il n'y a au point de vue financier, plus souvent la médiocrité que la richesse.

Des gens comme cela, on en trouve chez nous aussi, mais pas assez! Un jour, sans doute, on en trouvera plus, nécessité fait loi, mais il faut du temps et du temps nous n'en avons pas beaucoup devant nous si nous ne voulons pas dépasser le point de non-retour.

Par contre, chez les immigrés, cette tendance ne manque pas: elle correspond pour beaucoup d'entre eux à une donnée culturelle, à un sentiment atavique.

Si quelqu'un en doute, qu'il fasse un tour sur les marchés de nos grandes villes, qu'il dénombre le total des immigrés et fils d'immigrés parmi les petits entrepreneurs de tous les secteurs du bâtiment, qu'il recense toutes les petites entreprises de service, restaurants et autres qui s'ouvrent (même si parfois, c'est pour se fermer au bout de quelques temps).

C'est tellement vrai, qu'il n'est pas rare d'entendre dénoncer cette part, trop importante aux yeux de certains, que prennent les immigrés dans ce genre d'activités.

Ceux qui les critiquent, ajoutent d'ailleurs fréquemment que leur réussite est due au mépris des lois, à la fraude fiscale, comme si de telles pratiques étaient le monopole des immigrés.

Parmi mes interlocuteurs, il n'en manquera qui estimeront que j'exagère en affirmant que pour notre reconversion, pour notre avenir économique, nous avons un besoin absolu des immigrés.

Après tout, personne n'est infaillible, mais ce que je puis assurer, c'est qu'à l'appui de ma thèse, il y a assez de faits, assez de raisonnement pour qu'on prenne la peine de la vérifier pour la confirmer ou l'infirmer.

Si elle est confirmée, il faut en tirer les conséquences et le faire avant que le climat psychologique et la législation restrictive n'ait chassé loin de chez nous les immigrés qui ont gardé leur originalité.

Tirer les conséquences, cela signifie d'abord recréer dans l'opinion publique une attitude d'ouverture et de compréhension vis-à-vis des immigrés. Cette compréhension ne se crée, une expérience menée à Bruxelles l'a prouvé, que si on assure aux jeunes immigrés une formation s'inspirant de leur propre culture: paradoxalement, ce n'est que s'ils se sentent confirmés dans leur culture que les immigrés s'insèrent facilement dans notre communauté.

Il faut aussi mettre sur pied un enseignement adapté à leurs besoins propres, tenant compte notamment du milieu social et culturel d'origine, enseignement qui leur permettra d'acquérir la formation nécessaire pour donner à leurs activités toute l'amplitude souhaitée.

Sans doute, mais je m'aventure là sur un terrain miné, leur donner des responsabilités en leur reconnaissant des droits politiques. Et ainsi, dans l'intérêt de notre Wallonie, les immigrés joueront un rôle indispensable, et plus que jamais ils feront partie de notre peuple.

(Octobre 1987)


 

 

 

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