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Quel français pour quelle identité ?

André PATRIS
Directeur honoraire de la Maison de la Francité
Directeur de la Revue "Questions de français vivant"

 

De la Wallonie on dira peut-être, en l'an 2000, afin de mesurer le chemin parcouru, qu'elle sera longtemps restée invertébrée.

Nous sommes mal dans notre peau. Qui sommes-nous? Beaucoup éprouveraient de la peine à se définir, déchirés entre d'archaïques allégeances, de vivaces répulsions et des velléités d'affirmation.

Les institutions embryonnaires qui nous sont concédées ne suffisent pas à forger notre identité. Notre passé composite nous est dissimulé, sacrifié en permanence à la raison d'Etat, de l'Etat belge. Notre langage, nous y voilà, est généralement quelconque et nous ne nous en formalisons guère, en complices inconscients du système en place, qui voit dans un parler approximatif, un élément sûr de belgitude.

Communauté floue, passé flou, langage flou. Ce tableau sans complaisance invite à une réflexion, assortie de propositions, sur des thèmes que l'on ne débat guère sur la place publique.

Point de départ: notre connaissance de la langue maternelle. Sur ce point nous sommes volontiers chatouilleux. L'esprit critique le cède à un conformisme très répandu qui veut que nous parlions un français de bon aloi, agrémenté de particularismes savoureux: c'est vite dit et ce témoignage d'autosatisfaction nous dispense d'examiner la question.

Posons en principe qu'une Wallonie qui se veut les mains libres doit avoir une politique du français tenant compte de ses problèmes spécifiques.

Le millénaire écoulé - nous serons bientôt en 2000 - aura vu l'attachement séculaire des Wallons, par delà leurs dialectes, au parler de l'Ile-de-France en dépit d'une frontière qui nous a presque toujours séparés de nos voisins du Sud. L'appartenance à des ensembles politiques différents a des conséquences linguistiques évidentes. C'est aussi vrai de la France et de la Wallonie que des Pays-Bas et de la Flandre.

Ce que l'histoire a fait, pourquoi une politique volontariste ne pourrait-elle le corriger? Nous avons besoin d'un instrument linguistique de qualité pour tenir avantageusement notre rang. Il va falloir établir périodiquement des bilans de santé de notre français, faire le relevé de nos ressources et aussi de nos carences, élaborer une concertation permanente avec la France en faisant table rase de susceptibilités déplacées.

Nous ne faisons pas partie de la République mais nous avons en commun une langue, une culture. au moment où la coopération entre pouvoirs publics francophones prend des formes concrètes, il conviendrait que la Communauté Wallonie-Bruxelles prenne l'initiative d'une révision radicale de nos accords culturels avec la France dans le domaine de l'enseignement en particulier.

Alors que les Communautés européennes projettent d'accorder aux universitaires la faculté de faire une partie de leurs études en dehors de leur pays d'origine, il ne devrait pas être malaisé de prévoir des programmes intégrés de formation en français, à l'échelle de l'Europe francophone, pour nos romanistes ou nos instituteurs. J'avais proposé, à l'époque où j'étais directeur de la Maison de la Francité, des échanges de professeurs d'écoles normales entre Bruxelles et une grande ville française. Le projet n'avait pas eu de suite. Qu'est-ce qui empêcherait de le mettre à l'étude dans un cadre bilatéral ou multilatéral, dès lors que la communautarisation de l'enseignement serait un fait accompli?

Du point de vue linguistique, la Wallonie doit être irriguée dans des conditions aussi proches que possible de celles dont se prévalent les régions de France. Cette assimilation ne pourrait avoir, sur la psychologie des nôtres, que des effets bénéfiques. Il faut absolument que, dans les prochaines années, les horizons des Wallons s'élargissent. Il y a un rapport entre un langage approximatif très répandu et un esprit de clocher tenace. Au tournant du siècle, il faudrait que nous soyons de plain-pied avec les Français, aptes à utiliser toutes les ressources d'une langue internationale.

N'exagérez-vous pas l'importance du langage, me dira-t-on. Absolument pas. Nous sommes en pleine mutation de la société. L'informatique devient un mode de communication majeur dans un monde de plus en plus complexe. La science, les techniques ne tolèrent pas l'approximation. Emergeront les esprits clairs, déliés, prompts à l'analyse comme à la synthèse. La langue française offre les qualités requises pour traduire la modernité. Mais sa connaissance exige un apprentissage qui s'était relâché. La barre est en train d'être redressée des deux côtés du Quiévrain. Seulement, l'effort à faire sera sensiblement plus grand chez nous: raison de plus de s'y atteler sans tarder.

Nous gagnerons beaucoup, ce faisant, à nous débarrasser de ce complexe du "belge", (largement dû au français parlé par beaucoup de Flamands et dans certains milieux bruxellois) qui crée, entre la France et nous, des barrières invisibles mais pernicieuses. Notre identité ne peut s'accommoder d'un sentiment diffus d'infériorité linguistique, qui nous rendrait à nos vieux démons particularistes. Elle doit s'alimenter à la conscience que nous sommes un peuple français, à la charnière entre la France et l'Allemagne, au coeur d'une construction européenne qui est notre espoir et notre sauvegarde.

Cette orientation, à nous de l'étayer au plus tôt. Avec un volet linguistique d'abord, dont les implications sont plus nombreuses qu'il ne paraît à première vue. Une politique du français pour la Wallonie excède le secteur de l'enseignement des jeunes de six à seize ou dix-huit ans. Elle doit avoir plusieurs cibles: une initiation des tout-petits à la langue française, créneau à peu près négligé jusqu'à présent, une étude du français contemporain et de ses problèmes par l'Université, qui est complètement absente de ce secteur, une campagne systématique pour la qualité de notre environnement linguistique, que les autorités n'ont jamais prise en considération, la surveillance du langage des professionnels de la radio et de la télévision, sujet tabou s'il en est.

Quand un peuple est sûr de sa langue, il peut l'être de son identité. A condition de connaître son passé, de retrouver les racines qui permettent à une collectivité de ne pas céder au vertige des sollicitations de l'extérieur. Les Wallons, à cet égard, sont très démunis en comparaison de tous les peuples voisins. Non seulement leur passé est disparate mais on s'est ingénié à le leur dissimuler. Si nous devons avoir un grand dessein pour demain, il ne peut se réclamer d'aucune ambition ancestrale, d'aucune solidarité de destin autre que celle constituée par la langue française. Toutes proportions gardées, nous sommes dans une situation analogue à celles des petites principautés allemandes avant la formation de la confédération germanique de 1806. A ceci près, que nous sommes à l'aube du XXIe siècle, à l'époque d'échanges culturels et économiques intenses, dont bénéficieront surtout les peuples ayant une forte personnalité.

Le train de l'histoire prend de la vitesse. La Wallonie doit le rattraper. Il lui faut faire de la prospective, apprendre à se situer dans un contexte international en tant que peuple français, après d'épuisantes décennies de combat contre un Etat unitaire que la Flandre a retourné contre elle.

L'avenir, même à court terme, n'est jamais écrit d'avance. Il peut nous sourire si nous surmontons rapidement notre crise d'identité. Une politique de la langue française en est un ferment nécessaire.

(Octobre 1987)


 

 

 

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