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Quelle identité pour les Wallons de l'an 2000 ?

Francine KINET
Docteur en sociologie

 

"R'prindans rècènes"

Ce texte constitue l'analyse thématique de matériaux recueillis lors d'une "enquête" (entendue au sens large comme nous allons le voir) réalisée par un groupe d'étudiants de 1ère licence en sociologie à l'Université de Liège. Le travail accompli mériterait d'être analysé à deux niveaux. A un premier niveau, on devrait chercher à présenter les enquêtes individuelles des étudiants comme autant de "tests projectifs". Il apparaît en effet que la plupart de ces jeunes gens, issus de plusieurs endroits de Wallonie, significativement différents, ont conçu leur recherche de façon personnelle et ont rencontré les personnes qui leur faisaient spontanément le plus penser au "mouvement wallon". Au-delà du choix des personnes, c'est leur façon de les rencontrer et de rendre compte de ces rencontres qui retiendraient notre attention tant elles nous semblent traduire une sorte de pudeur, de volonté de ne pas trouver cette "identité wallonne" à la recherche de laquelle ils étaient cependant partis.

Ce premier niveau d'analyse ne sera pas absent du texte qui va suivre. Mais nous avons choisi, dans le cadre de cette note, de nous limiter à une analyse thématique des données recueillies dans le cadre de cette recherche-apprentissage.

1. Préalables méthodologiques

1.1.Les personnes rencontrées

Mes apprentis- sociologues sont allés rencontrer:

  • deux promoteurs d'une fête "Nos r'prindans rècènes" (Sart-lez-Spa)

  • trois dessinateurs et scénaristes de bande dessinée (Cheratte et Bruxelles)

  • deux chanteurs et une chanteuse du bassin industriel liégeois

  • une "cheville ouvrière" et un militant récent du Musée de la Parole (Bastogne)

  • un promoteur du "wallon à l'école primaire" (Liège)

  • une classe d'instituteurs en formation à un cours de wallon (Liège)

  • les élèves d'une classe participant à une activité pilote du wallon à l'école primaire et deux parents d'élèves (banlieue liégeoise).

 

Un étudiant a analysé l'ouvrage d'un Gaumais à propos de son sentiment d'appartenance, précisant en cela une analyse de contenu de journaux publicitaires de la région (la Gaume).

Un dernier groupe a tenté de réaliser un "sondage" sur un éventuel sentiment d'appartenance à la Wallonie, dans la banlieue liégeoise.

1.2. Remarques

Pris globalement, cet ensemble de personnes rencontrées constitue déjà un bel éventail de personnalités. Certains étudiants se sont cependant sentis obligés, individuellement de préciser que les personnes rencontrées ne constituaient pas un échantillon représentatif. Je ne les contredirai pas. Mais je soulignerai qu'aveuglés par les critères tout préparés de "scientificité" (mathématique, cela va de soi), ils n'ont pas vu à quel point les personnes rencontrées au hasard parmi leurs connaissances (quel sacrilège méthodologique!), constituent des mines d'expériences originales qui, pour peu qu'on s'y attarde, pourraient constituer une "population d'expériences" représentative de phénomène qu'elles nous permettent ainsi d'appréhender. Si la montagne a accouché d'une souris, dont Alain, étudiant modeste comme il se doit, craint qu'elle n'apparaisse trop chétive, c'est bien une (voire plusieurs) montagne(s) que ces "souris" désignent.

 

2. Les racines

C'est finalement autour de ce thème que les différents matériaux recueillis se rassemblent, nous offrant un panorama de "retour aux sources" qui, s'il n'est pas exhaustif, n'en est pas moins éclairant. Pourtant, à vrai dire, je ne sais pas trop si ce point commun à presque tous les travaux présentés ici, à savoir de constituer un exemple de "retour aux sources", est imputable à l'enquête et ses sujets ou au mode d'analyse qui lui est beaucoup plus le fruit d'une réflexion collective. Quoiqu'il en soit, c'est cet aspect des données qui sera envisagé dans les lignes qui suivent.

2.1. Il y a ceux qui en ont et ceux qui les cherchent

Cette distinction m'est clairement apparue à travers les deux travaux qui m'ont été remis à propos du "wallon à l'école primaire".

A la question "le wallon à l'école, ça sert à quoi?", le promoteur de ce mouvement a répondu: "le wallon à l'école, c'est la redécouverte de nos racines culturelles profondes, c'est l'affirmation de notre différence dans la francité, c'est un outil pédagogique"

A la question "le wallon peut-il mener à une société différente?", des instituteurs en formation au cours de wallon ont répondu: "Simplement peut-être une société plus harmonieuse, les gens se sentant mieux dans leur peau grâce au fait qu'ils se connaissent mieux, qu'ils connaissent mieux leur environnement" et "une société moins aliénée où l'individu retrouve une personnalité qu'il risque de perdre dans des ensembles plus massifs (...). Le français sera toujours une grande langue de culture et de communication internationale; le wallon nous permet d'échapper à une certaine standardisation de l'individu(...)"

A la question "Le wallon à l'école, ça répond à une demande ou...?", un instituteur a répondu: "On a le sentiment que c'est une part ignorée que nous permettons d'exprimer", "On a desséché nos coeurs et nos coeurs se régénèrent par la découverte du terroir", "Le wallon est une réaction contre la standardisation de la société", "Il y a aussi un retour vers l'artisanat, c'est aussi un retour à une manière de vivre moins pressée"

Par contre, Madame L. , employée, parent d'élève, réplique, à propos de l'introduction du wallon à l'école: "Question d'activité, je suis d'accord, mais question d'enlever des heures d'éducation normale comme le français, les maths, je ne suis pas d'accord (...). C'est malheureux parce que j'adore le wallon, je suis wallonne; seulement, pour leur bien, c'est mieux une heure de flamand. Avec le wallon, ils n'iront nulle part, on ne les engagera pas parce qu'ils connaissent le wallon (...). Ce week-end, mon fils avait trois leçons de mémoire à étudier. Vendredi après-midi, si j'avais été le professeur, j'aurais revu la matière. Mais non, ils sont allés au Musée de la Vie wallonne! Je ne suis pas d'accord (...). Moi, je ne voudrais pas aller habiter ailleurs. J'aime bien la Wallonie. Je suis attachée à mon pays (...). Je suis d'origine, née à Ougrée; je suis toujours restée là, dans l'agglomération de Liège et j'aime bien le wallon (...). Je crois que le wallon disparaît avec le standing des gens. Pour eux, le wallon, c'est vulgaire. Maintenant, les gens sont hautains. Je travaille avec des gens qui ont fait des études, ils ne comprennent pas le wallon. On trouve plus vite le wallon dans un milieu ouvrier. Ceux qui aiment le wallon, la majorité est d'un milieu ouvrier. Mon médecin va venir, je ne lui parlerai pas en wallon (...). "

Pour cette maman, qui n'est pas contre l'introduction du wallon à l'école, mais en dehors des cours, il n'est pas question de sacrifier l'essentiel, à savoir acquérir les moyens d'obtenir une situation pour gagner sa vie. Si pour elle, ce que les instituteurs de son fils appellent ses "racines" ne sont pas une tare, ce n'est pourtant pas cela qui est important, il semble même que le fait de parler wallon, plaisir partagé en famille, soit vécu comme le signe d'une situation inférieure une fois sorti de ce cercle. Et quand bien même le wallon serait un signe de ralliement entre les gens de même condition, à quoi bon se le rappeler, puisqu'elle est si difficile à vivre...

Cet aspect est également mis en évidence par l'un des promoteurs de la fête "Nos r'prindans rècènes": "Je vois encore une vieille dame de Solwaster qui, lors de ces "cizes", racontait qu'elle allait au dolmen de Solwaster. Elle partait le matin; elle allait, à la faucille, faucher ces quelques touffes d'herbes des fagnes. Elle la fanait, l'éparpillait à la main, puis, le soir, elle revenait avec cela sur le dos. Elle avait gagné sa journée. Elle revenait avec je ne sais pas combien de kilos d'herbe séchée sur son dos. C'était terrible. On ne peut pas revivre cela. On ne peut pas espérer revivre ça bien entendu, pas du tout. Mais il y avait des valeurs là dedans (...)".

Ces conditions de vie pénibles qui ont probablement produit, sécrété le tissu social solidaire que chacun regrette et voudrait retrouver ont pu être oubliées par les vieilles personnes à qui on recourt habituellement pour les raconter. Oubliées parce que les personnes qui les ont subies sont peut-être mortes plus tôt si bien que les souvenirs des vieilles personnes encore vivantes ne sont souvent que des souvenirs indirects. Oubliées encore parce que la mémoire concourt à la survie et que la sélection qu'elle opère ne retient guère que les souvenirs supportables.

Mais il faut aller plus loin. Les conditions de vie pénibles, ces situations financières précaires sont encore le lot d'une grande partie de la population; et, à moins qu'ils n'en fassent un militantisme, on ne peut pas leur demander d'exalter des souvenirs ou même des corollaires de conditions de vie actuelles: on parle wallon oui, mais... On est en droit de se demander si l'on ne devrait pas s'inquiéter de savoir quel passé ces jardiniers creusent pour parvenir à nous livrer des racines aussi propres, aussi belles...Nous nous demanderons en même temps qui sont ces chercheurs de racines que nous venons déjà de distinguer de ceux qui en sont prisonniers.

2.2. Quelles racines et pour quoi faire?

A "Nos r'prindans rècènes", ce sont les "vraies valeurs de la vie rurale" qu'on recherche: le sens de la fête, la joie d'être ensemble (...), l'accueil, la disponibilité, le goût du travail, le désir de bien terminer son travail (...)".

Le Musée de la Parole de Bastogne quant à lui recueille des récits oraux sur la vie quotidienne et tente de dégager une "culture régionale" (c'est-à-dire "un patrimoine localisé") qui s'étend aux traditions populaires, aux croyances, à tout ce qui est folklorique, ethnographique, anthropologique. Le wallon n'est qu'une composante. Mr F. , professeur d'Université, promoteur de ce Musée, exprime le souhait que "la culture wallonne soit moins marquée par les apports extérieurs qui n'ont rien à voir avec le mode de vie connu et accepté à cet endroit".

Ce souhait est totalement opposé à la vision de J. Lefèvre, ouvrier liégeois recyclé dans la chanson: "La Wallonie de demain, c'est 50% d'immigrés. La langue wallonne bouge, doit bouger, sinon elle est morte (...). La Wallonie est une région très particulière où les gens ont le goût des différences avec ce que cela comporte comme inconvénients: l'esprit de clocher. Je pense qu'il y a une unité dans la façon de sentir les choses, que ce soit les picards, les Carolos...Nous avons beaucoup de points communs".

A Bastogne par contre, Mr F. , dont il est question plus haut trouve que: "La culture wallonne n'existe pas (...). Par contre, ce qui existe, ce sont des patrimoines culturels très localisés"

Une autre personne du Musée de la Parole de Bastogne, professeur de français a réappris le wallon comme "si on lisait un livre d'histoire", le wallon "fait déjà partie du passé", il fait partie intégrante du folklore. Il ne veut pas prendre la place du français", "il s'agit de ramener le wallon à la surface en tant qu'élément folklorique, en tant qu'élément du passé, en tant que racines des Wallons".

A la lecture de ces extraits, il apparaît qu'au travers des racines, ce sont des valeurs que l'on recherche en espérant les faire revivre l'espace d'une fête. Ou bien ce sont des événements historiques, des éléments traditionnels, folkloriques, que l'on veut figer pour enrichir le patrimoine culturel local. Ou encore, on exalte la diversité que présente la Wallonie avec, en filigrane, un projet de société qui n'exclut pas les étrangers, frères de classe.

Que de projets différents! Cette diversité est-elle imputable uniquement à la localisation géographique et donc économique, sociale et politique? Le localisme est traité dans le travail de Pascal qui conclut son analyse de l'ouvrage de Mergeai, le Gaumais par les lignes qui suivent: "La Wallonie, intégrée comme telle, est un concept trop uniforme que pour être ressenti comme distinctif et donc valorisant pour celui qui est distingué. L'erreur est en fait de voir un concept unique alors que c'est la somme de ces différents concepts qui lui est accolée par les différentes régions qui la composent. Ces sous-concepts sont étonnamment plus riches que le concept global populaire, vidé de son sens"

Pourtant, comment ne pas remarquer à quel point le passé ainsi vécu semble cohérent, uniforme, voire paisible. Et si ce passé est perçu comme moins rose, on y prend ce qui est beau pour en faire un projet à réaliser. Seulement le chemin est long entre organiser le spectacle de la vie passée pour meubler des loisirs (les siens et ceux d'amateurs de "passé" (ou d'exotisme?)) et projeter la mise en place d'une société nouvelle qui s'appuyerait sur le modèle qui a nourri les racines qu'on vénère.

2.3. Les motivations des promoteurs

Un étudiant s'est interrogé sur les motivations des acteurs de telles initiatives. Ils les a trouvés "en quête de distinction". Bien que cela resterait à démontrer, il y a lieu de se demander dans quelle mesure cette recherche d'identification n'est pas le fait d'une catégorie d'intellectuels qui cherche les moyens de s'élever sans rompre les liens avec sa classe d'origine, ou plutôt de ce qu'elle imagine de celle-ci. Mais pourquoi ce "créneau"? De quel phénomène social global ce goût pour les "racines" est-il l'indicateur? Ces questions exigent d'autres recherches que celles qui ont été menées ici.

 

3. Et l'identité wallonne?

Le moins que l'on puisse dire après ce bref exposé, c'est qu'elle n'est pas facile à approcher. D'aucuns ont mis en évidence le phénomène de localisme. D'autres étudiants encore ont fait apparaître la volonté de quelques Ardennais de mettre en quelque sorte leurs "racines" sous globe, d'en faire un objet de curiosité. D'autres ont montré que la recherche de "racines" peut créer des emplois, qu'elle pouvait être raciste ou cosmopolite. On a fait apparaître une conception totalitaire de la culture (localisée ou exclusive) et une conception non unificatrice des parlers wallons.

Comment s'y retrouver? Ce n'est pas un sondage qui va nous aider. La plupart des questions préparées par nos apprentis n'ont pas été reçues comme significatives, apportant ainsi une preuve par l'absurde que tout reste à découvrir. Que faire? Chercher ailleurs? Certainement pas.

Contrairement à ces apprentis sociologues en quête, eux, de réalités répondant à des descriptions simples et non contradictoires, je serais tentée de dire que cette approche multivariée, malgré eux, a permis de réduire la distance qui nous sépare de la connaissance d'un phénomène qui est à la fois social, culturel (l'enjeu du traditionnel par rapport à la nouveauté, entre certains modes d'expressions) et économique (une région aux équipements économiques divers).

(Octobre 1987)


 

 

 

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