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Chrétiens et laïcs: quelques opportunités historiques de la synthèse

J.-M. HONOREZ
Professeur de français et de latin

 

La Belgique, chacun en convient, est minée à la fois par les tensions communautaires et la rivalité partisane. Les premières ne seront un jour résolues qu'au prix d'une triple démarche: d'abord entamer le dialogue et comprendre la position de l'autre, ensuite respecter cette position à moins qu'elle ne constitue un déni de justice et une atteinte aux libertés, enfin passer à des actions concertées qui consolident le rapprochement. La même démarche devrait inspirer les partis.

Voilà des décennies que la Wallonie, inexorablement, s'étiole dans un discours et des actes d'un sectarisme dépassé. Personne ne songe un instant à nier le triple apport historique du personnalisme volontariste chrétien, de la générosité égalitaire socialiste, de la liberté éclairée libérale. Mais trop souvent, en dépit de rares appels à l'ouverure, les portes du clan se referment stérilement pour chacun et pour l'ensemble. Et l'on voit s'affronter les vieux démons du libertinage de l'argent, de l'étatisme sans âme, de la peur du péché par contamination.

Et la Wallonie attend...

Et le monde entier bouillonne...

Nous risquons fort le sort de tous ces peuples qui, faute d'avoir pris conscience à temps de leur état, ont été rayés de l'histoire vivante. C'est que l'Occident entier est concerné. L'Homo sapiens de cette fin de siècle téléphone, programme, marche sur la lune, mais ses enfants se droguent, tuent ou se tuent, fondent des sectes. La mort de Dieu a engendré des succès, mais nous les payons cher: le surhomme de Nietzsche et l'homme libre de Sartre n'ont pas fait que des heureux.

Ces nouvelles valeurs que depuis bientôt un siècle nous convoitions désespérément pourraient poindre à partir du jaillissement d'idées que le caractère de plus en plus universel de la communication provoquera. De plus en plus, on parle de "Nouvelle Renaissance"; les similitudes sont étonnantes: bouleversement géographique de la découverte du nouveau monde, nouvelles technologies de la caravelle, de l'imprimerie, de l'anatomie, fabuleuse accélération brutale de l'Histoire. L'équilibre des deux blocs, avec sa paix obligée et sa guerre froide, est occupé à basculer.

Le rêve capitaliste a trouvé un nouveau terrain d'expériences avec les technologies américano-japonaises, la main-d'oeuvre des îles et le milliardaire marché chinois, car l'Occident n'offre plus suffisamment de possibilités de consommation de masse. C'est peut-être l'occasion pour lui de remettre en cause sa morale. Les signes précurseurs se multiplient, qui annoncent le désengagement européen des Etats-Unis au profit du Pacifique et un rapprochement de l'Europe avec l'Union soviétique, laquelle en retirait des avantages à la fois technologiques et économiques.

Les Occidentaux, s'ils comprennent l'enjeu, doivent repenser les clivages surannés du socialisme aliénant et l'individualisme forcené. L'épanouissement de l'être humain, - la psychologie le montre -, repose certes sur un espace vital d'expression individuelle. Est-ce au point de tolérer, dans la même rue un capitaliste "gagnant", repu de sa réussite, à côté d'un capitaliste "perdant", gratifié du minimelec? Mais cet épanouissement est aussi fonction de la présence physique et de l'approbation d'autrui, d'où une nécessité quasi existentielle de la solidarité. Est-ce au point d'étouffer systématiquement toute vélléité d'expression individuelle, fût-elle un tantinet anarchique?

L'Ouest a privilégié la première composante au prix d'une inégalité toujours flagrante; l'Est se sent de plus en plus mal dans sa peau en raison du carcan sclérosant de la seconde. Aujourd'hui, tous deux s'étiolent et se débattent. Mais ici et là fleurissent quelques bourgeons d'un nouveau printemps.

Les premier jalons ont été semés lors d'une manifestation qui a reçu peu d'échos, hormis sous la plume de F. Deleclos (La Libre Belgique du 21 octobre 1986): "du 8 au 10 octobre 1986 s'est tenu à Budapest un symposium réunissant 15 philosophes catholiques et 15 marxistes, parmi lesquels des personnalités peu susceptibles de louvoyer comme V. Garadja, Directeur de l'Institut de l'athéisme scientifique à l'Académie des Sciences de Moscou".

Les objectifs avaient été bien définis: pas de confrontations sur les différences fondamentales, mais une volonté de dialogue quant aux gros problèmes de notre temps et aux "actions communes" éventuelles. N'est-il pas nouveau d'entendre un marxiste accepter le caractère pluriel de la réalité et durable de la religion? N'est-il encourageant de voir un chrétien reconnaître l'intention éthique du marxiste? N'est-il pas symbolique qu'ils évoquent l'un et l'autre une loi morale propre à chaque être humain, même si la "cause efficiente"- comme aurait dit Aristote - est fondamentalement différente?

Et on annonce une nouvelle rencontre, avec d'autres religions, d'autres continents.

On semble donc comprendre, à l'échelle mondiale, l'enjeu. Car, comme le dit joliment F. Deleclos, "quand un immeuble est en feu, on ne s'occupe pas de savoir si les habitants et les pompiers sont ou non des croyants". Or le feu tend à devenir fournaise, comme l'illustrent les derniers soubresauts de l'éthique médicale relative à l'embryon.

Autant on peut ressentir l'émotion de la victoire au spectacle d'une mère stérile qui serre dans ses bras son bébé de l'impossible, autant on frémit devant un futur de l'irresponsabilité: mères porteuses, manipulations génétiques, etc... On comprend le "Halte-là!" de J. Testart, pourtant un des chantres en la matière: "Il est temps de nous arrêter, car nous risquons de franchir un seuil qui serait humainement intolérable pour l'homme" (L'Oeuf transparent, 1986). Et d'en appeler à un "mémoratoire révolutionnaire sur l'idée même du progrès", et de rejoindre notre propos, "La seule chance de s'approprier le sens de l'histoire que nous faisons passe par un volontarisme multinational, une sorte d'oecuménisme des intelligences".

Mais le chemin sera long, surtout compte tenu des freins bornés ou partisans. C'est que l'Occident reproduit en son sein la dualité individu-communauté, mais le dogme religieux s'est substitué à la volonté d'athéisme. De quel droit dès lors reprocher à l'Est un conflit où nous-mêmes trahissons notre impuissance à dialoguer. Les uns, au nom d'une soi-disant régression historique, accusent l'Eglise d'ingérence. Mais, sans envisager un instant un retour à une situation moyenâgeuse ou iranienne, qui oserait nier l'apport d'une morale bimillénaire! Les autres, au nom de cette même morale, qu'ils figent, codifient et imposent, s'instaurent en contempleurs de la liberté de la conscience individuelle et indisposent leurs plus fervents partisans. Ici encore, point d'autre issue que notre postulat: dialogue-compréhension-actions concertées.

Ces notions d'ouverture vers autrui et vers le monde, encore faut-il sans tarder en persuader les responsables de l'intérêt wallon et surtout les jeunes. Or, face à cette mission vitale, notre système éducatif piétine et ne favorise pas la rencontre. Notre double réseau, confessionnel et non-confessionnel, - car l'expérience pluraliste est bloquée -, est soumis à une double tension. La partie confessionnelle, qui vient de franchir la barre des 50%, et que l'on attendrait dès lors à trouver sûre d'elle, présente un solide carré de résistance accroché à un dogme d'unicité chrétienne et d'uniformisation sociale dépassées par les faits eux-mêmes. Le réseau non confessionnel de l'Etat, happé sans transition et surtout sans nuances par une rénovation trop anarchisante, puis ballotté de correctif, a sombré souvent dans une apathie qu'une neutralité émasculée avait déjà tendance à engendrer spontanément.

Mais des deux côtés a germé l'idée de sortir des ghettos du passé et de mettre en commun un certain nombre de valeurs et d'objectifs. Une création a nihilo de l'école pluraliste semble utopique, mais là où des gens le souhaitent, là aussi où une communauté a besoin de toutes ses forces pour revitaliser une région, on peut envisager ensemble ce qui peut être réalisé ensemble. L'opportunité du moment, encore une fois, y encourage. La jeunesse d'aujourd'hui est demanderesse de nouvelles valeurs: ni la neutralité négative de l'école laïque, ni un projet trop égocentrique de l'école catholique ne la satisfont plus.

A nous de le comprendre. La Wallonie, pour entrer dans le XXème siècle et dans le monde, doit investir son passé et sa diversité dans la création, pas dans la nostalgie.

(Octobre 1987)


 

 

 

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