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L'expression "Culture wallonne" de 1979 à aujourd'hui

José FONTAINE
Docteur en Philosophie - Professeur et Journaliste.

 

Dans cette première synthèse, nous procèderons simplement à quelques coups de sonde, à la manière journalistique. Il ne s'agit ici que d'une esquisse.

1. Avant 1979.

La notion que recouvre l'expression "culture wallonne" a existé bien avant 1979. L'une de ses plus anciennes traces est certainement le Journal(1) de Michelet ainsi que son Histoire de France (2). On y voit Michelet, dès 1840, grouper une série de musiciens, peintres, historiens, écrivains, dinandiers... sous l'étiquette "Wallons". Il y voit l'expression totale de la société wallonne. C'est bien là une définition possible de la "culture wallonne", si l'on prend bien soin de noter que "total" n'exclut pas mais, au contraire implique la diversité.

Il faut citer Jules Destrée à cause, par exemple, de son projet d'exposition d'art wallon, à Charleroi en 1911. Avec "art wallon" nous ne sommes pas loin de "culture wallonne". Même si la notion s'applique ici aux arts plastiques, des arts dont certains ont dit qu'ils se prêtaient moins à l'illusration ou à la manifestation d'une identité (3). Ce qui peut se discuter.

2. Le refus du concept de culture wallonne.

Nous nous contenterons ici de rappeler que quelqu'un comme Elie Baussart, autonomiste wallon convaincu - et, surtout, convaincu de l'existence d'une dimension culturelle à l'action wallonne - refusait l'idée même de culture wallonne (4). Même s'il demandait une action wallonne "totale". On pourrait opposer à Baussart et à beaucoup d'autres, la notion de "civilisation" telle que l'explicite F. Braudel à partir d'une critique d'Arnold Toynbee (5)

Nous voudrions terminer ces préliminaires en citant deux sources flamandes la revue Kultuurleven en 1979 (6) où J-P Schyns, secrétaire du CACEF, nie l'idée de culture wallonne et De man die de zon in zijn zak heeft (7) où Louvet est représenté, à plusieurs reprises, comme quelqu'un d'important dans "la culture wallonne".

 

3. Quelques faits marquant depuis 1979.

Entre temps la culture wallonne a acquis droit de cité. Ce sont des écrivains et chanteurs ou musiciens réunis à Namur, en octobre et décembre 1979, qui utilisèrent l'expression avec un certain retentissement (8). Un débat est publié pour la première fois en janvier 1980 par Critique Politique où intervient la notion d'identité culturelle wallonne. Le Monde du 24 janvier 1980 reprend toutes ces idées et celles, encore exprimées par le professeur Otten à l'Académie luxembourgeoise. Le professeur Otten voit "l'invention d'un pays" à travers des gens comme Otte, Detrez, Juin, Verheggen. Le Monde revient encore sur cette expression en juin 1981. On la retrouve également dans La Wallonie, l'indispensable autonomie (9), du professeur Quévit. La chose est à souligner d'autant plus nettement qu'il s'agit d'un ouvrage avant tout politique et économique. En mars 1982, un important colloque a lieu à Liège dont le sujet est précisément la "culture wallonne". Il se termine par un certain affrontement entre représentants du monde culturel et représentants du monde politique, les premiers exprimant (Hansenne, Pétry, représentant de Philippe Moureaux) leurs réserves et les seconds, leur enthousiasme. Le RPW organise un congrès sur le même sujet quelques mois plus tard. La revue Le carré, fondée en 1982 par quelques intellectuels liègeois, en appelle à une prise de parole des intellectuels wallons et utilise également la notion de culture wallonne. La revue Wallons-Nous?, en partie issue des réunions de Namur en 1979, utilise la même notion qui, pour la première fois sans doute, sert de thème à une revue dont le dialecte n'est pas le seul souci. A noter aussi la parution dans la revue Culture et révolution? (n°2), d'un long texte d'André Maljour: Manifeste pour une conscience wallonne. Il est daté de Paris, le 19 août 1982.

4. Le "Manifeste pour la culture wallonne".

Tout ce bouillonnement vient se cristalliser dans la publication, le 15 septembre 1983, du Manifeste pour la culture wallonne. Le texte a un retentissement immense dans les milieux intellectuels et il serait malaisé d'en publier la bibliographie exhaustive (10).

Quel est le sens du "manifeste"?

On pourrait dire d'abord qu'il est très précisément ce que son titre suggère: la manifestation d'un ensemble d'oeuvres concrètes qui, effectivement, concrètement, illustreraient une "culture wallonne" (11). Essais ou oeuvres proprement dites: le dernier livre de Léopold Genicot est sans doute à signaler plus particulièrement (12).

Il faut ensuite mettre en évidence l'aspect politique du Manifeste. Il s'oppose à tout projet de fusion des Exécutifs régionaux et communautaire. La Communauté française de Belgique y est considérée comme occultant l'image de la Wallonie. Tollet, Quévit et Deschamps publieront, en 1984, un projet de constitution confédérale de la Belgique, mettant fin aux Communautés.

La "culture wallonne" du Manifeste n'est pas la culture dialectale seulement. Ni même d'abord. La confusion existe cependant. On la trouve, exposée de bonne foi, chez quelqu'un comme André Molitor (13). Les adversaires du Manifeste, comme François Perin, veulent voir dans les signataires du Manifeste des Wallons wallonisants ou patoisants.

En décembre 1985, quand 250 personnalités du monde culturel signent un nouvel appel, cette fois pour le maintien de la capitale de la Wallonie en Wallonie, F. Perin exprime ce qui, à la fois, le sépare de ces signataires et ce qui l'en rapproche (14).

5. L'avenir de la culture wallonne.

Une clarification serait peut-être nécessaire. L'un des signataires du Manifeste exprimait récemment son voeu de voir la philosophie enseignée dès les humanités en Wallonie. Il est clair que ceci ne relève pas d'un intellectuel "patoisant". (15)

Un débat contradictoire, scientifique, devrait s'engager sur le sens même d'une expression comme "culture de Wallonie". Il a déjà commencé dans divers médias: livres, revues, radios et télévision (mais, paradoxalement, télévision flamande uniquement).

Pour que ce débat s'engage au niveau qui doit être le sien, il faudrait en appeler à des instruments de grande valeur comme la philosophie de Paul Ricoeur, de Miguel de Unamuno, d'Antonio Gramsci, d'autres encore.

Il y a peut-être, passagèrement (mais, a contrario, l'énorme succès du dernier livre de Genicot), un essouflement de la culture Wallonne dans ces expressions théoriques ou concrètes. Cela est peut-être dû au retour en force de la tendance à fusionner Communauté et Région. Et cependant, aucune mesure institutionnelle, purement institutionnelle en tout cas, n'est en mesure de trancher la question si l'on veut bien se souvenir avec Gramsci que: "Si le monde culturel pour lequel on lutte est un fait vivant et nécessaire, son expansivité sera irrésistible, il trouvera ses artistes. Mais si, en dépit de la pression, son caractère n'apparaît pas, cela veut dire qu'il s'agissait d'un monde artificiel et faux." (16)

(Octobre 1987)

Notes

(1) Journal de Jules MlCHELET,Paris, Gallimard, 1959-1976, tome I en particulier
(2) MlCHELET, Histoire de France, Flammarion, Paris, 1893-1898, tome VI.
(3) PlR0N M., Aspect et profils de la culture romane en Belgique, Sciences et Lettres, Liège, 1978.
(4) BAL W., La faillite de 1830? Elie Baussard et le mouvement régionaliste? EVO BXL 1973, p.82
(5) BRAUDEL F., Ecrits sur l'histoire, Flammarion, Paris, 1969, p 255-314.
(6) Kultuurleven, septembre 1979, n° intitulé Wallonie,portret van een ombekende.
(7) J.LOUVET, De man die de zon in zijn zak had, Globe, Amsterdam, 1986, p.6.
(8) La Wallonie du 14/10/79.
(9) QUEVIT M. La Wallonie, l'indispensable autonomie, Entente, Paris, 1982.
(10) Signalons: Les gribouilles du repli wallon de P. VANDROMME, BXL, 1983. Culture et politique, Institut Jules Destrée, Mont-sur-Marchienne, 1984. Wallonie autour d'un Manifeste, n° spécial de la Revue nouvelle, janvier 1984. Pour une culture de Wallonie, Yellow now, Liège 1985. La tragedia de la litteratura belga, in El Païs, décembre 1983. Possibles, Québec, hiver 1984. Une société et son ombre, discours à la rentrée académique de l'Institut Pastur par J. DUBOIS, etc...
(11) Pour le cinéma: Le grand paysage d'Alexis Droeven de Jean-Jacques ANDRIEN (1981), Hiver'60, de Thierry MICHEL (1982), Mémoires de Jean-Jacques ANDRlEN (1984), Regarde Jonathan des frères DARDENNE (1983) et Falsch (1987); pour la littérature: Les plumes du coq, (Calman-Lévy, Paris 1975) de C.DETREZ. Les forêts tempérées de Thierry HAUM0NT (Gallimard, Paris 1982) et Le conservateur des ombres (Gallimard, Paris, 1984), (Prix Rossel 1985). L'homme qui avait le soleil dans sa poche de Jean LOUVET (1982) publié in Didascalies, n°3, BXL 1982 et Nathan-Labor (Espace-Nord) BXL 1984, et Un faust (1985) publié par Didascalies, n°9, BXL, 1986. L'oeil de la mouche et L'homme qui aimait le monde (Paris, Balland 1981 et 1983) d'André-Joseph DUB0IS. Silence (Casterman 1980) et La Belette (1983) de Didier COMES. La Tchalette de J.-Cl. SERVAIS (Ed. du Lombard, BXL 1982). Il faudrait ajouter les noms de: VERHEGGEN, DENlS, PlROTTE, HAUSMAN, BEAUCARNE, ANClAUX, RlGA, HOUREZ, MICHELE, FABlEN, Nicole MALINCONI,COMPERE et tant d'autres.
(12) GENICOT L., Racines d'espérance, Didier HATIER, BXL, 1986. La 1ère édition de cet ouvrage a été épuisée en quelques semaines.
(13) A.MOLlTOR, Souvenirs, Duculot, Gembloux, 1984, p 54 et 55.
(14) In Vers l'Avenir du 16/12/85.
(15) DUBOIS J., in Une société et son ombre, op. cit.
(16) Paul RICOEUR, Civilisation universelle et cultures nationales in Histoire et vérité, Seuil, Paris, 1964. Du texte à l'action, Essais d'herméneutique, Seuil, Paris, 1986 et, particulièrement, le chapitre Ethique et Politique, p 393-406. François RICCI, Gramsci dans le texte, éd.sociales, Paris 1974. Miguel de UNAMUNO, L'essence de l'Espagne, Dynamique culturelle et développement régional (Contribution au conseil de l'Europe de M. QUEVlT, oct.85) NB : Toute cette bibliographie n'a rien d'exhaustif. Rien n'illustre mieux le caractère global de l'expression "culture wallonne" que son utilisation parallèle par Eglise-Wallonie et l'Office des Produits wallons.


 

 

 

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