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L'enseignement et la Wallonie

Père Joseph BOLY
Professeur et inspecteur de français

 

Méfions-nous des généralisations. N'empêche que nous pouvons affirmer que les jeunes Flamands sont volontiers attachés à la Flandre et les jeunes Français à la France. Dans les programmes d'enseignement des uns et des autres, la Flandre comme la France représentent des réalités historiques qui relèvent d'une certaine évidence.

Il n'en est pas du tout de même en Wallonie où nous avons affaire à une jeunesse dépolitisée à laquelle on ne parle presque jamais de la Wallonie, comme s'il fallait se défendre d'une certaine gêne, due à l'ambiguïté de la Belgique française, créée en 1830. Si le sentiment d'appartenir avant tout à la Belgique prévaut chez beaucoup de Wallons, c'est, pour une large part, le fruit de l'enseignement. Vivant dans un pays où, pendant longtemps, tout se passait en français et ignorant royalement tout ce qui vivait en Flandre, les Wallons ont fini par confondre la Wallonie avec la Belgique et à reporter leur patriotisme wallon dans l'attachement à la Belgique unitaire.

On trouvera confirmation de tout cela dans une étude récente de Philippe Carlier, assistant à l'université de Liège, sur Henri Pirenne, historien de la Wallonie ? (avec un point d'interrogation). Il y dénonce le caractère préconçu des théories d'Henri Pirenne sur l'unité belge et il nous révèle que le congrès wallon de 1905 signalait déjà au gouvernement que "les cours d'histoire de Belgique enseignés dans les écoles primaires et moyennes ne consacraient pas à l'histoire du pays wallon la place qu'elle mérite" (Cahiers de Clio, été 1986).

C'est un fait que nos programmes scolaires, dans l'enseignement de l'histoire, ont mis longtemps l'accent sur l'histoire de la Belgique, quand ils ne privilégiaient pas les hauts faits de l'histoire du peuple flamand. Je me souviens par ailleurs, d'avoir lu, en fin d'humanité, l'Histoire de Belgique de Willaert qui, dès les premières pages, s'efforçait laborieusement de démontrer l'unité de la nation belge, Flamands et Wallons n'étant pour lui que des prénoms. Ce qui ne nous empêchait pas, en sortant du cours, de nous opposer à la cour de récréation, entre Wallons et Flamands, le collège comportant, à l'époque, une classe primaire de français, réservée aux Flamands des villages proches de la frontière linguistique.

Quant à notre langue wallonne, elle ne pouvait guère nous aider à cimenter notre identité wallonne. Pour la bonne raison qu'elle était interdite à l'école et qu'à tort ou à raison, elle passait pour être un obstacle à la promotion sociale, recherchée par nos pères. Il faut bien reconnaître que ce n'est pas le wallon qui a contribué à réunir Wallons, Picards et Gaumais de Belgique, mais le français dont l'usage s'est imposé et s'est généralisé, en Wallonie, à partir de la loi sur l'enseignement obligatoire.

Mais tout cela, c'est du passé. Qu'en est-il aujourd'hui de la Wallonie et de l'enseignement et quelles sont les lignes de force qu'il conviendrait de promouvoir dans une Wallonie, plus ou moins maîtresse de son destin?

Sous la pression des mouvements flamand et wallon, l'Etat belge s'est donné des structures fédérales et l'existence de la Wallonie a été officiellement reconnue. Je sais bien que nous sommes loin du compte, mais enfin, sur le plan de l'enseignement et de la culture, nous disposons d'un certain pouvoir et même d'un pouvoir certain. Wallons et Bruxellois francophones appartiennent de plein droit à la Communauté française Wallonie-Bruxelles.

N'entrons pas dans la querelle du rénové qui porte principalement sur les réformes de structure. N'en déplaise à l'ancien Ministre de l'Education, je suis persuadé que la Wallonie a eu raison de choisir le rénové et que celui-ci ne perd de sa valeur que dans la mesure ou l'Etat le prive de ses moyens. Il a réalisé une certaine démocratisation des études. Il a contribué à une prise de conscience d'appartenance à une région: la Wallonie. Il n'a pas fait baisser le niveau des études. Naturellement, ces affirmations restent discutables et nous n'avons pas le temps de nous y attarder.

Venons-en aux lignes de force à promouvoir dans l'enseignement en Wallonie.

En premier lieu, il conviendrait de sauvegarder notre langue wallonne. Dialectes et patois se meurent dans nos campagnes, quand il ne sont pas déjà morts dans nos villes. Le wallon, cependant, conserve sa vitalité sur nos scènes de théâtre (relayées par la télévision), dans nombre de cercles littéraires, comme l'Association royale des Ecrivains de Wallonie, et auprès des jeunes de tous âges qui étudient "le wallon à l'école". Je suis d'avis qu'il faut tout mettre en oeuvre pour sauvegarder nos dialectes. C'est une richesse de notre terroir dont l'expression, savoureuse, pétillante, charnelle, remue jusqu'au plus profond de leur coeur, ceux qui ont encore les tripes wallonnes. "Le wallon, écrit Julos Beaucarne, réservoir de mots de la langue française... Ce champagne continuel du langage... C'est le langage naïf et doux qui nous vient de nos mères, de nos premiers amis du village natal, c'est le langage qui supplée aux lacunes du beau parler et qui a toujours un mot spirituel à mettre là où défaillent les dictionnaires, le wallon dans ses différences, c'est l'originalité d'une région qui refuse de mettre l'uniforme, d'être copie conforme... C'est le latin venu à pied du fond des âges."

Je me refuse toutefois à opposer de quelque manière que ce soit, le wallon au français. Ils sont de la même famille d'oïl. Ils ont toujours fait bon ménage, comme dans les Noëls wallons du passé. Je partagerai donc la position de Marcel Lobet qui, dans son Imaginaire wallon, nous dit: "Ne faut-il pas courir au plus pressé et défendre, avant tout, la langue française au sein de notre romanité?"

Vous m'avez bien compris, la deuxième ligne de force, la plus importante, réside, pour moi, dans le maintien et la maîtrise de la langue française, clef de notre unité régionale, de notre identité française et de notre ouverture au monde.

L'événement du siècle, dans l'histoire de la langue française, c'est l'éclatement de l'hexagone en une pluralité de langues françaises. En effet, le français, dans sa meilleure période, n'était connu et parlé que de l'élite européenne et d'une petite partie de la population française (à peine cinq millions au moment de la Révolution!). De nos jours, surtout depuis la Seconde Guerre mondiale, il est devenu une langue de masse (ce qu'il n'avait jamais été: deux cents millions de francophones) et il y a désormais, dans le monde, trois fois plus de francophones que de Français. Il est étudié et pratiqué à l'échelle de la planète: au Québec et en Acadie; en Afrique noire, aux Antilles, dans l'Océan Indien et en Océanie; au Maghreb, au Liban et dans l'Asie du Sud-Est. Il suscite (encore un phénomène nouveau) des littératures françaises aux visages multiples (jamais il n'y a eu tant d'écrivains français de l'extérieur). Mais ce destin totalement bouleversé du français ne fait que confirmer la nécessité de connaître et d'enseigner, partout, une seule et même langue française.

J'ai dit "clef de notre identité française", troisième ligne de force. La pire des erreurs serait d'opposer l'identité wallonne à l'identité française. Notre culture est française avec une particularité wallonne. C'est dans ce sens que je voudrais comprendre et saluer le "Manifeste pour une culture wallonne" dont l'énoncé me gêne quelque peu. Il faut entretenir la connaissance de notre passé, étudier la vie des grands Wallons et relever les grandes dates de notre histoire, mais il faut se garder d'un repli sur nous-mêmes. Notre particularité wallonne n'a de sens et de force que si elle s'inscrit dans l'ethnie française d'Europe et dans la francophonie mondiale.

J'éprouve la plus grande admiration pour le livre de Léopold Genicot, Racines d'espérance. C'est le livre de chevet de tout citoyen wallon. Mais je ne puis suivre l'éminent professeur, lorsque, dans une entrevue avec Toudi, la nouvelle revue d'études wallonnes, il tend à nous confiner dans nos frontières et à nous éloigner de la France. Il est sûr que les Wallons ne sont pas des Français, écrit-il... Je me sens chez moi aussi bien en Allemagne qu'en France. Ce qui est en contradiction avec ce qu'il dit dans le même article: "Parler une langue, c'est plus que se servir d'un outil neutre de communication. La langue reflète toute une vision du monde, de la vie des hommes". Et un peu plus loin, il s'interroge: "Qu'est-ce qu'un Français, d'abord? Les Bretons, les Alsaciens, les Catalans sont-ils français comme les gens de Paris, Lille ou Rouen?" Juste remarque! C'est donc une manière d'affirmer que nous qui sommes de langue d'oïl, comme les gens de Paris, de Lille ou de Rouen, nous avons une place indiscutable au sein de l'ethnie française, c'est-à-dire, sur le plan spirituel, au sein de la nation française.

En conclusion, le civisme wallon qui devrait, comme en France, faire l'objet d'un cours dans l'enseignement en Wallonie, ne peut ce concevoir en dehors de notre identité française et d'une ouverture au monde par la francophonie. Il doit affirmer également notre solidarité avec les Bruxellois francophones qui, avec nous, constituent la Communauté française Wallonie-Bruxelles. Il doit enfin, comme le souligne avec justesse, Monsieur Genicot, promouvoir et illustrer notre patrimoine wallon.

Je terminerai par l'hymne à la Wallonie de Racines d'espérance: "L'heure est venue où jadis on allumait la lampe. Le jour s'éteint. La dernière phrase s'écrit. Le travail va céder le champ au rêve. Près de Herve et des alentours, bois sans nombre de l'Ardenne, chemins creux et files de saules ourlant les vergers du roman Pays de Brabant, ruisselets dévalant de la Thudinie vers la Sambre, plaine brune et lourde de la région du "maugré", coteaux des confins vers Ellezelles, "Mont" qui est l'amer du Tournaisis: paysages variés mais toujours mesurés. Terrils du Pays noir et carrières des villages gris, dressés ou creusés par le labeur des hommes. Terre de Wallonie, douce, forte et belle. Gens de Wallonie francs, serviables, courageux et gais. Comment ne pas espérer en vous quand on sait ce que vous êtes!"

(Octobre 1987)


 

 

 

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