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L'objection de conscience comme moyen d'insertion dans la vie associative

Pierre ARCQ
Responsable de la Maison de la Paix Charleroi.

 

Qu'est-ce qu'un objecteur de conscience? Dans son acceptation première, c'est une personne qui, pour des raisons qui lui sont dictées par sa conscience, refuse de tuer son prochain et donc, plus prosaïquement, d'effectuer un service militaire (1).

Mais c'est aussi et surtout beaucoup plus; l'objecteur, dépassant le refus primaire de porter les armes, accepte d'accomplir un service civil, et par là de mettre son temps (la durée du service civil dans le secteur socio-culturel est toujours actuellement le double du service militaire, soit 24 mois), ses compétences et son idéal au service de la société dans laquelle il vit, en vue généralement de pallier une série de besoins que, pour des raisons valables ou non, elle est incapable de satisfaire. L'objecteur ne demande rien en contrepartie; sa rémunération suffit à peine pour vivre.

C'est cette vision beaucoup plus valorisante et positive de l'objection de conscience que certains hommes politiques, dans leur crainte de voir s'effondrer l'institution qu'est l'armée belge, ne veulent malheureusement pas retenir.

Le 12 juin 1964, après quinze ans d'un combat aussi pacifique qu'acharné, fut votée à l'unanimité moins une abstention la loi portant sur le statut des objecteurs de conscience (2). C'était une initiative pluraliste, à laquelle furent associées les trois grandes familles politiques, mais que les objecteurs avaient voulue totalement apolitique, ce qui reste le cas actuellement. Ce fait est suffisamment rare que pour le souligner.

Les objecteurs furent d'abord tenus d'effectuer leur service dans une institution fraîchement réorganisée, la Protection civile (3). L'incompréhension totale de leurs motivations par la hiérarchie du Ministère de l'Intérieur, et la relative inoccupation à laquelle ils étaient contraints leur firent exiger un service réellement utile à la collectivité.

C'est ainsi que dès 1969 ils furent détachés dans des organismes de soins de santé, d'aide aux handicapés, ou socio-culturels d'utilité publique. Le législateur sanctionnera cette politique en 1975, en permettant à l'objecteur d'effectuer directement son service dans des organismes d'utilité publique répondant à des critères précis.

En 1984, 70% des objecteurs effectuaient leur service dans le secteur socio-culturel, 25% dans le secteur des soins de santé et 5% pour la Protection civile. Plus de 1.500 organismes sont reconnus pour les accueillir. Cette répartition/dispersion appela des revendications importantes dont deux au moins doivent être évoquées dans le cadre d'un colloque tel que celui-ci: la communautarisation de l'affectation des objecteurs dans leurs organismes, et une formation adéquate afin de leur maintenir une certaine cohésion.

La politique culturelle relevant depuis 1980 des Communautés, il serait donc logique qu'elles soient associées à l'agrément des organismes employeurs d'objecteurs. Cette revendication, portée par le Conseil de la Jeunesse d'Expression française (CJEF) et les associations d'objecteurs (Confédération du Service civil de la Jeunesse,(CSCJ) depuis 1975, est actuellement reprise dans la proposition de loi de Monsieur Pécriaux et consorts (4) de la façon suivante: elle introduit, à côté de celle du Ministre de l'Intérieur, et sur le même pied, la compétence des Exécutifs communautaires. Puisque le statut des objecteurs permet qu'ils soient occupés dans des organismes relevant des secteurs qui ont été confiés aux Communautés, il apparaît inévitable que la compétence d'agrément de ces organismes soit transférée aux Communautés, au moins pour ceux d 'entre eux qui dépendent d'elles ou qu'elles subsidient.

D'autre part, la formation des objecteurs, organisée de façon volontaire dès 1975, est maintenant prise en charge par l'université de la Paix de Namur qui aborde les problèmes de fond (philosophie de l'objection, non-violence, défenses alternatives, etc...) et par le Ministère de l'Intérieur qui traite les questions de forme (les droits et les devoirs des objecteurs).

Mais s'il refuse de faire son service militaire, l'objecteur n'en reste pas moins préoccupé par les problèmes de défense. Et il pose sur eux un regard critique: qui et que défendre? Et surtout comment? Pour lui, la fin est dans les moyens. De par ses moyens hypersophistiqués, et surtout par l'emploi toujours possible de l'arme nucléaire, l'armée se révèle incapable de défendre ce qu'elle est censée protéger: le moindre conflit nucléaire en Europe signifierait plusieurs centaines de millions de morts, l'écroulement de notre société, et des désastres écologiques irréparables.

Dès lors, comment parler encore de protection des populations? Sans vouloir nier la réalité de conflits, les objecteurs de conscience ont voulu y apporter leur réponse et ont forgé leur propre concept de défense civile et populaire non violente.

La vie associative en Belgique est d'une réelle importance: il suffit de contempler la vitalité des grands mouvements sociaux, mutuellistes, familiaux, d'accueil et d'hébergement, d'éducation permanente et de promotion culturelle dont ce colloque est un reflet.

C'est ce réseau, englobant l'ensemble de la population, qui constitue le tissu social résistant qui peut s'avérer (l'histoire l'a prouvé à maintes reprises) de la plus haute importance en cas de crise internationale ou de conflit.

Mais, hormis celle des objecteurs, il n'existe en belgique aucune réflexion sur la contribution de tout ce monde associatif à un autre concept de sécurité. Par contre des études poussées ont déjà été menées dans les pays scandinaves (la Norvège et la Suède en tête), en R.F.A., aux Pays-Bas et plus récemment en Grande-Bretagne et en France. Leur objectif est de mettre sur pied une politique restituant aux citoyens les capacités collectives de défense que les armes nucléaires et conventionnelles sophistiquées leur ont ôtées, et planifiant le passage graduel de la politique actuelle de défense armée vers une autre politique non violente basée sur la population civile (et donc tout le réseau associatif) et organisée par des moyens civils.

Est-ce une utopie? Oui sans doute, si nous ne donnons pas les moyens d'étudier et d'évaluer ces nouveaux concepts. Hélas, il faut malheureusement le reconnaître, la politique suivie en ce moment tant en matière de défense que d'objection de conscience ne laisse rien augurer de novateur en ces domaines. Et c'est là sans doute, que réside la myopie du pouvoir qui ne considère les objecteurs que comme des contestataires marginaux, et ne veut pas voir la richesse qu'ils peuvent apporter à l'ensemble de la vie culturelle et associative du pays.

(Octobre 1987)

Notes

(1) L'article 1er du statut des objecteurs de conscience définit l'objecteur comme "le milicien qui, par suite de motifs impérieux qui lui sont dictés par sa conscience, et à condition qu'ils ne soient pas uniquement fondés sur des considérations tendant à mettre en cause les institutions fondamentales de l'Etat, est convaincu qu'il ne peut tuer son prochain, même à des fins de défense nationale et collective".
(2) L'histoire de ce "combat" est retracée dans l'ouvrage "Les objecteurs 1919-1964", CSCJ, Bruxelles, 1984, 332 p., et dans trois courriers hebdomadaires du CRISP (n°5, 6 février 1959, n°170, 19 octobre 1962; et n°1044, 29 juin 1984).
(3) La loi sur la protection civile date de 1963.
(4) Proposition de loi modifiant les lois portant le statut des objecteurs de conscience, coordonnées le 20 février 1980, doc. parl. sénat, n°458/1 du 20 janvier 1987.


 

 

 

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