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Etude prospective des problèmes de la formation et de la préparation sociétaire à l'usage des technologies de la communication

Marcel DEPREZ
Inspecteur général honoraire -
Direction générale de la Culture du Ministère de la Communauté française

 

Si notre vie quotidienne est déjà profondément marquée par la technologie, notre avenir dépend encore davantage de la façon dont nous saurons maîtriser le progrès technique. La question est trop importante pour être laissée aux seuls spécialistes. L'option que nous devons arrêter en matière de formation est bien celle de savoir quelles seront les compétences culturelles qui seront utiles dans la prochaine décennie. Les répercussions mondiales qui modifient les relations entre les hommes et entre les peuples nous contraignent à prendre conscience avec plus d'acuité qu'hier, de la réelle solidarité qui lie les destins de tous les pays.

Notre terre est un espace clos où chacun et le monde entier reçoivent les pollutions des activités industrielles et scientifiques mal maîtrisées et naturellement des grandes catastrophes technologiques. Il est égoïste et surtout illusoire d'espérer prospérer longtemps, comme favorisé, dans un îlot protégé au milieu de la famine et des malheurs des autres. C'est face à cette constatation qu'est née et s'est dégagée la notion de révolution de l'intelligence et d'expression de la nouvelle démocratie qui la sous-tend.

En synthèse, il convient de souligner les initiatives qui reviennent à la recherche d'une politique linguistique, ce qui est tout à fait significatif du rapprochement qui s'opère entre la culture technique et la culture générale prise dans son sens le plus large. Aujourd'hui les progrès de l'informatique et notamment ceux de l'intelligence artificielle passent par une meilleure compréhension des langues. De nombreux métiers liés à l'expression écrite ou parlée sont bouleversés par la technologie. Plus généralement, le développement des images et des sons synthétiques est révélateur de la coopération nécessaire entre tous les créateurs, hommes de lettre, de technique ou de science, artistes, musiciens ou philosophes.

Nous serions loin des nouveaux paradigmes, le constatant? Que non pas! Nous sommes en train de passer d'une société de production et en fait de reproduction, là où le changement demeurait rare et lent, à une société de création dans laquelle la matière première stratégique est désormais l'intelligence et l'innovation. Ce n'est plus en termes d'emplois et de rôles que s'établit le cadre de travail et d'organisation des sociétés, mais en termes de mobilité et de fonctions. Cette transformation est fondamentale et elle postule comme condition évidente, une grande liberté de réflexion et d'expression. C'est dire que l'exploitation des possibilités accrues par la technologie passe par l'épanouissement de ce que l'homme possède de plus précieux et qui constitue sa personnalité et que toute formation à la prospective doit être centrée sur ce qu'en termes de nouveaux paradigmes, j'ai appelé "compétences culturelles pour le futur".

1. Scènes de la vie quotidienne

Deux "histoires de vie" pour ne pas rester dans l'abstrait et la déclaration. Deux scènes telles que la première je l'ai vécue en dur temps il y a trois ans, alors que j'étais encore actif comme l'on dit et la seconde j'imagine pouvoir la vivre dans trois ans à l'aube de la dernière décennie du siècle, celle pour laquelle je postule la détermination des nouvelles compétences culturelles.

En 1984, une unité mobile d'intervention médicale était présentée dans la galerie où sont situés les bureaux de la direction générale de la culture. Elle sollicitait et captait l'attention passionnée des passants. Son équipement correspondait aux vocations digitales et linguistiques de la futurologie d'alors. Dans le même temps, au Tchad, un travailleur de la santé aux pieds nus doté d'intelligence et d'esprit d'engagement mais dépourvu de diplôme interrogeait un des malades réunis autour de lui: un ordinateur pas plus gros qu'un petit dictionnaire muni d'un petit panneau solaire qui suffit à lui fournir l'énergie électrique nécessaire est sur ses genoux. A l'aide d'un clavier de Blaise, l'auxiliaire communique à la machine les symptômes de la maladie et sur l'écran s'inscrivent le diagnostic et le traitement à suivre. "Médecins sans frontières" a trouvé concluante l'expérience plusieurs fois renouvelées. Aujourd'hui les unités mobiles sont en service et le logiciel Tropicaid est diffusé là où on est en retard de développement.

En 1990, Madame X, ma fille peut-être, à quelques mois d'un heureux événement est un peu préoccupée. Doit-elle aller voir son médecin gynécologue? Elle consulte son Minitel relié au réseau téléphonique. Elle appelle Assist et lui décrit les symptômes qui l'inquiètent. Le sourire lui revient: système implanté dans l'ordinateur d'un lointain centre de santé lui a répondu que tout était normal. Science-fiction? Non, prévision.

Tropicaid et Assist sont deux des dizaines de "systèmes experts" médicaux déjà opérationnels dans le monde. Ils rassemblent d'une part des connaissances établies et d'autre part des règles pour mettre en oeuvre ces connaissances. C'est ce que j'ai enseigné pendant 20 ans en me fondant sur l'induction rationnelle et qui est rendu possible aujourd'hui par un processus de déduction proche de celui de l'intelligence humaine.

C'est l'ambition des systèmes experts de reproduire ce processus: il s'agit là d'une branche de la grande aventure de l'intelligence artificielle. Domaine de l'informatique qui rassemble la résolution de problèmes complexes, la reconnaissance des images et des paroles, la traduction automatique,l'interrogation des ordinateurs en langage courant... Laissons de côté l'interrogation sur le fait de savoir si l'intelligence peut être artificielle! Reconnaissons que nous utilisons souvent les ordinateurs comme des calculateurs. Mais pour nous et la vie quotidienne, ce que nous avons à affronter met en jeu des connaissances bien plus floues et nous savons que nous prenons encore nos décisions dans la vie courante, selon des règles que nous aurions bien du mal à expliciter exactement. L'intuition, notre intuition joue encore un grand rôle dans le confort de notre vie. Tout cela reste flou. Pourtant ce mode de décision que les spécialistes appellent heuristique se révèle généralement efficace. Serions-nous en conflit avec l'ordinateur, nous qui savons vivre dans le flou alors que lui s'accommode seulement de situations décrites avec rigueur. L'idée en est véhiculée depuis avant même la multiplication des ordinateurs.

L'une des étapes difficiles en intelligence artificielle correspond à la traduction des connaissances, des faits et des règles d'un domaine pour les rendre assimilables pour l'ordinateur. Cela nécessite de façon constante l'étroite collaboration des informaticiens et des spécialistes d'une application visée. Ce sont là des problèmes de langue et de programmation. Cela nous ramène, si nous ne voulons pas tomber et faire tomber dans les dépendances, à repenser et redéfinir les compétences culturelles utiles aux hommes du 21ème siècle.

Démarrée avec les machines à calculer conçues pour les militaires pendant et après la dernière guerre mondiale, l'informatique en arrive à fonder ses efforts avec ceux de la linguistique. L'une des premières conséquences pour l'intelligence artificielle est bien d'amener à une réflexion nouvelle sur l'intelligence humaine. Parce qu'il possède un milliard de neurones, l'homme doit sur le plan des valeurs retrouver en tant que personne une position suprême dans une société intensifiant le traitement des informations.

2. La communication, un système en interaction

Il serait tentant de ne favoriser, parmi toutes les recherches scientifiques et techniques possibles que celles qui contribuent à notre bonheur. Le problème est plus compliqué. Chaque progrès propose un nombre infini d'applications positives et négatives. Et tous sont reliés entre eux. Le plus grave danger serait vraisemblablement de cloisonner, de fermer à l'intérieur de limites spécialisées. Les techniques constituent un système en interaction. L'historien Bertrand Cièlles explique bien qu'à chaque époque, les différentes techniques employées dans une région forment un système. C'est-à-dire qu'elles sont reliées entre elles: aucune ne peut progresser sans que les autres aussi avancent. Pour étudier l'histoire des techniques, il le fait en concentrant son attention sur quatre grands domaines qui vont être au centre de nos préoccupations en matière de compétences culturelles: les matériaux, les ressources énergétiques, les relations avec la vie et la mesure du temps. (voir tableau n°1 ci-dessous)

La troisième grande transformation que nous vivons aujourd'hui est celle que provoque la plus formidable accélération de production et de diffusion de l'information que le monde ait jamais connue. La communication est au coeur du problème. La circulation quasi instantanée des informations, qu'elle soit tolérée, subie ou voulue permet de plus en plus aux chercheurs et aux acteurs du monde entier de mettre en commun connaissances, expériences et idées.

Grâce à la multiplication des informations et à la rapidité de la communication, l'échange est devenu le fondement de l'organisation de la vie. L'homme a cessé d'être seulement une main-d'oeuvre. L'homme qui a longtemps été utilisé pour sa force physique et sa capacité de reproduire des modèles d'organisation et de travail sera désormais surtout apprécié pour son intelligence. C'est elle qui devient indispensable dans le travail, c'est cela la révolution de l'intelligence. Les conséquences de cette évolution sont immenses et elles nous amènent à confirmer, en matière de formation que le fondement essentiel de toute éducation est bien de conforter les compétences culturelles indispensables à découvrir les nouvelles filières de l'organisation sociétale qui prévaudra au siècle prochain. Au siècle dernier, le terrain financier s'était substitué au terroir comme support de la puissance. Même si peu s'en rendent compte aujourd'hui, il en va autrement. On peut par des pressions physiques ou financières aider les hommes ou conduire les hommes à utiliser leurs muscles. On ne peut pas les contraindre à avoir des idées. Aujourd'hui, nous gagnons tous les jours en certitude, l'argent est plus rare que les talents. Le pouvoir dépend désormais de la place que l'on occupe dans l'esprit et le coeur des hommes. Nous sommes constamment ramenés à l'examen et au renforcement des compétences culturelles. (Voir tableau n°2).

3. Les enjeux de la communication

Les formules innovantes comme la fourniture d'informations et de services: messagerie et annonces par la presse écrite, la presse magazine, la presse spécialisée, la radio ou la télévision ou encore la fourniture de services grand-public par les administrations et bientôt les collectivités locales et plus tard les associations et organisations fournissent des éléments de viabilité et de stabilisation à la télématique, nouveau média à venir. Son pari est à replacer dans le cadre de vastes objectifs économiques et industriels nationaux et pourquoi pas régionaux. La marchandisation de l'information s'affirmera bientôt comme clé de voûte des relations entre partenaires-usagers, fournisseurs, de contenus, centres serveurs et comme élément majeur à l'origine des stratégies de développement.

La télématique semble devoir acquérir droit de cité dans notre espace communicationnel, malgré pas mal d'incertitudes qui pèsent encore sur son développement. Cependant ces situations ne suffisent pas à faire de la télématique un média nouveau, il faut qu'elle démontre sa capacité à s'inscrire durablement dans le champ social. C'est à sa capacité à s'intégrer dans le champ des pratiques préexistantes que l'on jugera de sa vitalité. Elle est appelée à perturber techniques, professions et usages anciens. Elle contribuera à les réorganiser car il y a peu de chance qu'elle leur reste longtemps complémentaire.

L'appropriation des média reste encore à un niveau de connaissance approximative parce que l'observateur en est encore à une méconnaissance des usages durables et que la logique commerciale de l'informatique ne met pas au centre de ses priorités le confort de l'usager. Nouvelle raison de militer activement, sur le terrain de la formation, pour le renforcement des compétences culturelles.

Deux phénomènes semblent au coeur du dynamisme de la télématique et s'inscrivent dans des transformations sociales profondes. Quand elle s'adresse à des fonctions différentes de l'utilisateur: dans ses rôles de citoyen, de gestionnaire, de consommateur, d'usager professionnel, d'auditeur, elle met en place des usages de plus en plus spécialisés. Mais le maintien dans les formations du clivage entre vie professionnelle et vie privée tend à nous situer en retrait des notions prospectives comme si on voulait refuser de concevoir un média qui bouscule la représentation traditionnelle des temps. Il faut rompre avec cette dualité. Il faut dépasser les résistances que rencontre l'indifférenciation des activités et des temps que suppose la télématique qui ôte toute séparation entre les espaces publics et les espaces privés contrairement aux autres médias. La compétence culturelle à propager est maintenant celle de la qualité de la vie et plus celle de l'activité de la vie.

L'autre transformation sociale est liée à la mise en réseau. La mise en relation directe est l'atout principal du média qui peut heurter les corps sociaux dont l'existence repose sur l'expression de la compétence. Cela peut aller jusqu'à l'exercice de la démocratie directe. Le niveau local doit le mieux se prêter à ce type de mise en direct entre simple citoyen et responsable politique, économique ou culturel. C'est bien une modification profonde des règles de la médiation qui est ainsi induite. Et ce sera une transformation de taille qu'elle entraînera dans la relation sociale.

La compétence culturelle à renforcer est celle de la démarche critique et consciente. Il est observé en effet que la multiplicité des services ne favorise pas nécessairement les choix. Aussi souvent si pas davantage il renforce l'habitude et parfois une attitude de repli. C'est la banalisation et la recherche du refuge qui doivent être analysés pour être écartés. Ce sont les compétences culturelles qui permettront de reconnaître les filières utiles à l'avenir pour permettre aux hommes nouveaux et à leurs outils de réussir leur ancrage social.

4. L'intelligence n'est plus interdite

Depuis plus d'un siècle, pratiquement toute la production industrielle est organisée selon les principes que le britannique Taylor a définis en 1880. Le problème est de faire fonctionner aussi bien que possible des ensembles d'usines pleines de machines complexes avec un personnel sans formation ni générale ni technique poussée, perdu dans un monde industriel qui, lui, est changé.

Les ingénieurs appliquent à cette situation les recettes qu'on leur a enseignées pour résoudre les difficultés: ils les décomposent en parties simples. Alors on découpe le travail en tâches élémentaires que l'on répartit entre les ouvriers. Il suffit que chacun fasse avec discipline ce qui lui a été demandé. Compétence et intelligence sont déplacées en l'occurrence et quand elles s'expriment dans les champs limités au travail ouvrier elles sont rapidement l'objet d'une appropriation par l'appareil de direction, au détriment de celui qui veut échapper à sa classification dans le travail. Quand l'un d'eux manque, n'importe qui peut le remplacer aisément puisque son travail ne réclame pas de connaissances particulières. Toutes les régions de vieille industrialisation non qualifiée témoignent aujourd'hui en plus de leur déclin économique leur plus grande difficulté à convertir leur orientation industrielle et leur formation professionnelle.

Devant le dépassement constant de la qualité, la force de l'habitude considérée comme droit à l'emploi quasi héréditaire démontre la fragilité des hommes à suivre les rythmes intenses des changements. Les mutations techniques continuelles, la concurrence mondiale exacerbée et une montée historique des aspirations individuelles accroissent les exigences de chacun, comme consommateur autant que travailleur. Il est clair que le travailleur élevé dans l'entreprise taylorienne qui le place sous le contrôle de la hiérarchie et le suppose interchangeable et peu formé n'est nullement préparé au changement et comme il se vérifie très souvent le situe comme résistant au changement.

Dans les conditions actuelles de formation élémentaire et arrêtée dans le temps, la modernisation des outillages a tendance à transformer une société de peine en une société de panne. A force de dépassement continu des exigences, on en arrive à buter dans tous les domaines contre un mur de complexité que posent des problèmes aigus de qualité: les solutions à ces problèmes ne peuvent être simples. Elles nécessitent la mobilisation de l'intelligence d'un grand nombre de personnes disposant de connaissances, d'expériences, de talents relevant de disciplines scientifiques, de techniques, de métiers très différents: la révolution de l'intelligence est la plus nécessaire à la poursuite du progrès comme elle l'est déjà à l'arrêt du déclin.

Depuis un quart de siècle le monde a évité l'organisation centralisée que nous promettait la première génération informatique; c'était pour tomber dans une organisation où chacun travaille, pense, décide de façon isolée, repliée sur lui-même. Mais cette évolution vers l'isolement de l'homme a rapidement été arrêtée. Le formidable progrès des moyens de communication en est la cause, à tout le moins l'explication. Des liens s'établissent entre toutes les machines informatisées qui prolifèrent. Ainsi se créent des réseaux véhiculant l'information, comme les artères apportent le sang au corps et lui permettent de vivre. Ce sont les artères de l'information qui commencent à déterminer la structure de nos entreprises, de nos villes, de notre vie. Le téléphone trouve aujourd'hui sa vraie nature, selon son étymologie qui n'est pas seulement de porter le son au loin mais de porter aussi bien des données, des calculs, des images, des ordres destinés à des machines. Il étend dans l'espace l'impact de notre intelligence. Le réseau, les réseaux, tout est là mais tout est loin d'être dit. Les télécommunications, le courrier électronique, tous ces réseaux sont appelés à se connecter pour qu'un jour ils fonctionnent comme un ensemble nourrissant l'humanité d'intelligence. Le mariage de l'ordinateur et des télécommunications s'est accompli: il a pour nom télématique et il conditionne déjà tout notre avenir malgré ses encore nombreuses incertitudes. C'est cette conjugaison qui est indicative de nos futures et nécessaires compétences culturelles.

5. Travail, emploi, formation

L'homme est moins une main-d'oeuvre, davantage un créateur. Le travail devient de plus en plus qualifié, de plus en plus intellectuel. Les instruments de mesure habituels du temps de travail ne conviennent plus. La pensée ne s'enferme plus dans des limites horaires strictes et l'imagination créatrice se déploie tous azimuts. Le progrès continu implique une plus large culture générale, un effort constant d'information et le recours périodique à des formations complémentaires. La frontière entre le travail, information et formation s'estompe et chacun doit accepter de changer de métier souvent, même s'il reste dans le même secteur professionnel. La formation professionnelle n'est plus guidée par la seule flexibilité de l'entreprise, elle découle davantage encore de la flexibilité du métier.

L'industrie occidentale qui s'est longtemps accommodée de l'inculture pour comprimer les coûts salariaux doit se préparer à accomplir le bon pari, celui sur l'intelligence. Quel sera le bilan pour l'emploi? Dans le passé, les progrès techniques ont toujours créé plus d'activités qu'ils n'en supprimaient. Nous savons que les technologies nouvelles permettent aussi de proposer plus de services qui correspondent à des aspirations profondes des hommes. Chacun constate dans la vie quotidienne que beaucoup de besoins reçoivent une réponse insuffisante depuis la garde des enfants, l'aide aux personnes âgées ou malades, l'humanisation des hôpitaux, la maintenance du patrimoine mobilier et immobilier, la conservation de l'environnement. Si ces fonctions nécessitent peu de formation dans un premier temps, elles exigent par contre des qualités humaines ce qui les inscrit dans la logique de la société de création. C'est l'imagination et les compétences culturelles qui y sont liées qui réduiront le chômage. Mais il faut assumer les mutations en cours.

En effet, l'importance croissante de la formation, son interpénétration, sa confusion au sens étymologique, avec le travail, incitent à remettre en cause les notions même de travail salarié et de formation. Dans la période intermédiaire que nous vivons, l'inadaptation des compétences est traitée à chaud par la société: on essaye de donner une formation aux chômeurs. Des solutions plus harmonieuses, plus préventives, à la fois plus efficaces et moins pénibles peuvent être trouvées.

 

6. Art, pensée et culture

Le champ des possibilités est loin d'être entièrement exploré: l'holographie avec la restitution du relief et du volume, la synthèse d'image par ordinateur n'en sont qu'à leurs débuts.

Mais le mariage de la modélisation et de l'informatique va marquer notre perception de la nature. D'une part, il favorise l'exercice de la prévision puisque nous avons la possibilité de voir avant de faire. D'autre part, il renforce la présence de l'image, le recours à elle dans notre communication avec les autres, avec nous-mêmes. L'image réintroduit dans la pensée la plus abstraite, la plus cérébrale, une dimension plastique donc sensuelle. Ce phénomène aura des conséquences sur l'accès à la connaissance de tous ceux qui se basaient jusqu'à présent sur trop d'abstraction.

7. Technique, culture et liberté

De la modélisation aux industries de la langue, de la synthèse d'images à la convergence des créativités littéraires, artistiques et technologiques, le thème du rapprochement de la culture et de la technique revient constamment. En fait il y a là un des défis fondamentaux auxquels nous sommes confrontés. L'enjeu est vital. Il est clair que l'on ne peut mépriser la technique et lui prêter néanmoins assez d'attention pour saisir à temps les opportunités d'innovation offertes par le progrès technique. Beaucoup d'échecs industriels sont dus à cette contradiction. Comment un pays peut-il faire les choix technologiques appropriés qui engagent son avenir si la majorité de sa population et de ses représentants méconnaît la technique? Or la situation à modifier est celle-là.

Notre tradition latine exclut trop souvent la technique et même la science de la culture générale.

Les pays qui veulent réussir la révolution de l'intelligence doivent user de tous les moyens, ceux de l'école, ceux de l'information, ceux de la communication, ceux de la formation permanente pour diffuser la culture scientifique et technique et les réinsérer dans la culture générale.

Cette réinsertion ne peut être qu'enrichissante parce que la technique, basée sur l'expérimentation, donc sur l'observation des faits, constitue si elle est bien comprise, une école de rigueur, de contrôle de vérité et donc de liberté de penser. Car la liberté meurt quand on n'a plus le droit de dire ce que l'on croit vrai, ce que nos yeux nous montrent. Il n'y a pas de liberté sans le droit de chercher la vérité, même si l'on sait que c'est seulement sa vérité; on ne peut approcher cette vérité même relative, sans liberté.

Pourquoi insistons nous sur la nécessité absolue de renforcer les compétences culturelles? C'est bien parce que nous connaissons la capacité de contrainte physique, psychologique et intellectuelle que représente l'explosion technologique. Mais à l'inverse, nous savons que son développement devient inefficace, antiéconomique, impraticable sans un climat de liberté, de participation. Dans une société de création, la mobilisation des ressources et des intelligences ne peut s'effectuer sous la contrainte.

L'histoire nous montre combien le dogmatisme, c'est-à-dire l'obligation de respecter certaines idées comme vérités irréfutables a retardé et même bloqué le progrès scientifique.

Au niveau des nations, l'intelligence et l'énergie des hommes ne peuvent être rassemblées pour réussir l'entrée dans le XXIème siècle que si un dessein digne d'être vécu leur est proposé et c'est bien autre chose que d'accroître un chiffre d'affaires. Cela condamne-t-il le monde à une rivalité accrue ? Rien n'est moins sûr.

Dans le passé l'homme s'est battu pour ce qui constituait la richesse: la terre, l'or, les ressources matérielles.

Aujourd'hui, les ressources du pouvoir sont d'ordre culturel, il s'agit du savoir, de la connaissance. Or ce bien-là se valorise d'autant plus qu'il est partagé entre un plus grand nombre. C'est en cela que réside la cause d'espérance. A long terme, ce sont les paris sur les hommes qui seront les plus sûrs.

(Octobre 1987)

 


 

 

 

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