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Enseignement: reflet ou préparation d'une société?

Guy VLAEMINCK
Administrateur délégué du CPEONS

 

La transmission du savoir est, par définition à un moment donné, une opération au contenu fixe où seuls peuvent évoluer les moyens mis en oeuvre et les méthodes utilisées. Limiter l'action de l'enseignement à cette unique finalité serait le condamner à se trouver rapidement distancé par la réalité quotidienne et totalement incapable de préparer ceux qui constitueront la société de demain et en assureront le fonctionnement. Le problème n'est pas neuf. Il est aussi vieux que l'homme lui-même. Montaigne en écrivant qu'il préférait "une tête bien pleine" cernait bien la question qui n'avait pas, à l'époque, le caractère aigu que nous lui connaissons aujourd'hui.

L'enseignement obligatoire ne date, dans notre pays, que du début de ce siècle. Il fallait à l'époque parer au plus pressé et permettre tout simplement à chacun de comprendre au mieux le monde dans lequel il évoluait. Lire, écrire et calculer furent les trois clés de la connaissance que l'école s'efforça de faire assimiler par chacun. D'après certaines informations actuelles, ce premier stade de scolarisation serait encore loin d'être atteint par l'ensemble de la population belge. Ceci tenterait à prouver que si les idées évoluent, il convient de rester cependant fidèle à des conceptions d'apparence surannées, parce qu'elles constituent la base de tout édifice et, qu'à défaut de fondations solides, il ne faut pas rêver de construire bien haut.

Les temps cependant ont changé et notre époque se caractérise notamment par un accroissement étonnant du volume global des connaissances et une trajectoire parallèle des applications technologiques. Notre paysage quotidien se modifie sans cesse au point que la majorité des citoyens sont convaincus aujourd'hui qu'ils auront à changer plusieurs fois de profession au cours de leur existence ou, s'ils ont la chance de n'exercer tout au cours de leur vie qu'un seul et même métier, que les conditions d'exercice de celui-ci seront appelées à évoluer de manière importante. L'école a donc pour devoir, à coté d'une transmission du savoir dont elle reste le principal artisan, de préparer les élèves au changement, de mettre en place, chez chacun, les outils intellectuels, physiques, esthétiques susceptibles de favoriser l'évolution et l'adaptation dans le sens le plus bénéfique à tous.
A coté de la rigueur de l'assimilation du savoir, il faut aussi selon la formule célèbre d'Alain "apprendre à apprendre". Au travers des apprentissages, l'école doit aussi former et éduquer dans le respect de l'originalité de chaque être qui peut devenir, à son tour, facteur d'évolution et de progrès.

Cette constatation déjà ancienne avait jadis entraîné la modification de l'intitulé du département qui "d'Instruction publique" était devenu "Education nationale". L'enseignement secondaire rénové, mis en place à partir de 1970, en s'inspirant du même principe, avait préconisé et encouragé l'application d'une pédagogie faisant largement appel au travail d'équipe, à la recherche personnelle et, de manière plus récente, à l'interdisciplinarité. Il ne parvint cependant pas à améliorer les relations et les contacts entre l'enseignement et le milieu socio-économique ni à mettre au point les indispensables recyclages du personnel: deux lacunes qui valent aujourd'hui, à l'enseignement, des critiques acerbes.

C'est que le monde a profondément changé au cours des quinze dernières années, à un rythme qui n'avait jamais été atteint auparavant.

La crise de l'emploi est lancinante et touche, en tout premier lieu, les moins qualifiés. La réaction première, celle qui s'exprime le plus fréquemment, et qui n'est par ailleurs pas dénudée de fondement, est qu'il revient à l'école de fournir les qualifications qui font défaut, comme si le fait de pouvoir attribuer demain des diplômes d'enseignement supérieur à l'ensemble des citoyens allait ramener le chômage à zéro. On peut évidemment espérer que dans un tel contexte utopique les innovations, les idées originales fuseraient de toutes parts et seraient sans doute productrices d'un certain nombre d'emplois, mais de là à trouver pour chacun...? La solution doit être cherchée ailleurs, à un niveau qui dépasse largement le cadre de cet exposé.

Les nouvelles technologies sont apparues partout et nécessitent des qualifications différentes, de nouvelles maîtrises. La période de scolarisation ne suffit plus à fournir l'ensemble des capacités indispensables pour assurer le succès de toute une vie. Il faut, après l'école, trouver des possibilités de recyclages multiples et variés. La distinction entre formation de base et formation continuée s'estompe de plus en plus. Le nombre des formateurs se multiplie et se diversifie. Tous visent au même but mais sans aucune concertation et dans une certaine anarchie. L'école qualifie par le travail scolaire; le contrat d'apprentissage des Classes moyennes forme au contact de la réalité quotidienne d'un petit patron; le contrat d'apprentissage industriel partira de l'activité en industrie; l'ONEM qui devrait assurer la reconversion fait aussi de la formation de base ou spécialisée dont le coût est de loin supérieur à celui de la promotion sociale. Ne parlons pas des entreprises ni des ASBL de formation aux objets très flous ni des formations privées particulièrement onéreuses. Tout ce monde se livre à une concurrence largement subventionnée par le Trésor public et encouragée par les luttes d'influence des responsables politiques. Un minimum de cohérence devrait être introduit dans ce marché de manière à ce que chacun puisse à tout moment, dans des systèmes de formations modulaires, valoriser ses acquis antérieurs quelle qu'en soit l'origine et bénéficier d'une formation adaptée à ses besoins.

La prolongation de la scolarité, si elle correspond incontestablement à un progrès social, a aussi maintenu dans le circuit scolaire des jeunes qui n'y sont plus totalement adaptés et pour lesquels il faudrait pouvoir appliquer des procédés de remotivation, qui font aujourd'hui encore défaut. Ce n'est certes pas en limitant leur temps de présence à l'école sans que personne ne les prenne en charge pour le reste que l'on peut espérer faire des miracles auprès d'une population qui risque de se marginaliser et de poser bien d'autres problèmes sociaux ultérieurement.

Il ne faut pas, enfin, ignorer la présence dans nos régions d'une forte population immigrée pour laquelle la culture, la langue constituent des handicaps sérieux et parfois insurmontables à la scolarisation.

L'ensemble de ces problèmes (dont l'énumération est loin d'être exhaustive), se pose dans le contexte de la Wallonie de 1987 avec ses difficultés, ses traditions, ses préjugés qui ne sont pas favorables à la recherche sereine des solutions susceptibles de faire de l'enseignement, l'outil de la préparation du monde de demain.

L'Ecole est frappée par le double phénomène de la politique d'économie et de la dénatalité. Tous deux ont pour effet d'encourager les réglementations dans le sens de l'immobilisme plutôt que dans celui du mouvement. Les créations nouvelles sont rendues difficiles et les procédures plus longues. L'enseignement technique et professionnel, plus onéreux, n'est pas valorisé par rapport à l'enseignement général qui continue à jouir des faveurs du public. Le personnel vieillit et n'est plus renouvelé par ces éléments jeunes qui apportaient leur expérience récemment acquise dans l'entreprise ou l'Université et leur dynamisme. Les fonctions doubles sont interdites alors qu'elles constituaient jadis un incontestable enrichissement de l'enseignement. L'entreprise, qui ne souhaite pas porter seule le poids de la responsabilité de la crise, critique le produit que lui fournit l'enseignement, établissant un climat de méfiance réciproque alors qu'une collaboration franche et loyale s'imposerait de plus en plus, notamment, pour assurer l'insertion dans le monde professionnel, ou certaines formations de pointe sur des équipements dont les prix sont hors de portée des écoles. La diminution du temps de travail et de la réduction de des horaires scolaires, allonge les périodes de loisir qui sont loin d'être orientées aujourd'hui vers l'enrichissement personnel, faute de moyens et d'infrastructure.

Les conditions ne sont pas favorables à la relance du dynamisme de l'école qui apparaît cependant encore, malgré la multiplication des critiques, comme la principale source d'espoir pour une amélioration des conditions d'existence de demain.

Résumons-nous et tentons de conclure. La double mission de l'enseignant est d'instruire et de développer les facultés de discernement et d'adaptation. Il faut pour cela qu'il fasse preuve de dynamisme et que sa propre formation continuée soit assurée dans un contact sincère et loyal avec les autres rouages sociaux et économiques. Dans ce domaine et malgré la rareté de l'emploi, les carrières mixtes qui ne mobilisent pas exclusivement dans la fonction d'enseignant devraient pouvoir être encouragées. La diminution du temps de scolarisation devrait pouvoir être compensée par la multiplication des loisirs actifs et formatifs. Les nombreux jeunes enseignants au chômage pourraient utilement être mobilisés à cet effet.

Malgré les exigences du redressement des finances publiques, des possibilités de souplesse dans la création de nouvelles orientations d'études devraient être conservées, quitte à préférer la transformation à la programmation. Il serait également souhaitable d'amener plus de cohérence dans les diverses filières de formations, notamment en les concevant selon un système modulaire où chaque formation apporterait le complément désiré à des apprentissages antérieurs.

Les populations à problèmes mériteraient enfin que l'on consente des efforts en leur faveur de manière à permettre aux jeunes de bénéficier pleinement de leur scolarité.

(Octobre 1987)

 


 

 

 

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