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Les mathématiques en Wallonie: forces et faiblesses

Christian RADOUX
Docteur en Sciences mathématiques
Professeur à l'Université de l'Etat à Mons (UEM)

 

1. L'enseignement et la recherche en mathématiques représentent pour notre région un double enjeu: culturel et, à terme, économique.

1.1. Culturel

Il me semble clair, en effet, que la reine des sciences, selon le mot de Gauss, est l'une des formes les plus pures, les plus achevées de la pensée. Ecoutez dialoguer les mathématiciens actifs. La formule-clef de leur adhésion à telle théorie, à tel résultat sera bien souvent: "C'est beau". Il va de soi que les raisonnements doivent être rigoureux, généraux et puissants. Mais le vrai moteur interne, c'est pratiquement toujours le sentiment esthétique. Nous y reviendrons. Notons par ailleurs que tout ceci pourrait se dire aussi de la musique, par exemple. En ce sens, la mathématique est un art.

 

1.2. Economique

Nous n'avons plus guère de matières premières et notre industrie lourde est moribonde. Voilà bien un truisme d'une désolante platitude. Mais il pose tout de même la question essentielle: quelle reconversion envisager? A nouveau une évidence: les technologies de pointe et les produits à haute valeur ajoutée recueillent l'assentiment de tous. Mais il est bien difficile d'accéder à ces secteurs "pointus", et plus difficile encore de s'y maintenir. Si je regarde les gros succès obtenus tout récemment, de Mons à Liège, en passant par Namur et Louvain, sans exception, les trouvailles dignes de grands brevets internationaux (informatique, micro-électronique, matériaux supraconducteurs, biotechnologie,...) ont nécessité d'intenses et parfois longues recherches fondamentales. Ce qui ne fait pas fi, d'ailleurs, de l'ingéniosité extraordinaire de ceux qui les appliquent!

Je reviens à mon propos antérieur: des enthousiastes ont créé, pour le seul amour de l'art, les structures mathématiques dans lesquelles, a posteriori, semble se couler "la nature". Et, sans leurs découvertes, rien n'aurait été possible.

2. Voyons maintenant où sont nos forces et nos faiblesses. Que pouvons-nous espérer? Que devons-nous craindre?

2.1. Nos forces

Tout d'abord, malgré des lacunes et carences indéniables, notre enseignement secondaire est, pour les mathématiques, l'un des meilleurs d'Europe. Je voudrais seulement étayer cette assertion par deux indicateurs pour lesquels la comparaison est aisée: le nombre d'heures consacrées à leur apprentissage et l'ambition des programmes. C'est très important, car les vocations mathématiques sont souvent précoces. Il est essentiel de les éveiller, de les nourrir le plus tôt et le mieux possible (comme pour la musique, à nouveau).

Ensuite, des associations comme notre société francophone des professeurs de mathématique (SBPM - F) oeuvrent depuis de nombreuses années, tant avec les professeurs (articles, congrès, séminaires,...) que directement avec les élèves (revues pour jeunes, olympiades mathématiques,...). Des résultats aussi probants que, par exemple, en 1985 à Helsinki, une médaille d'or aux olympiades mathématiques internationales pour un jeune homme de Thuin attestent sans peine de la qualité de cette action.

Un autre point non négligeable est l'excellente ambiance de collaboration inter-universitaire qui unit les professeurs et chercheurs de nos facultés. Echanges d'enseignants, séminaires communs ont créé depuis très longtemps une bien plaisante ambiance amicale. (Et réciproquement, si j'ose dire!... Car la joie de nous revoir nous pousse souvent à de telles réunions). Il faut avouer que notre science est sans doute celle où les clivages philosophiques sont les plus facilement surmontés. Tout ceci contribue à un enseignement universitaire vivant, moderne et varié. Le corps professoral étant actuellement, dans son ensemble, relativement jeune, cet esprit d'ouverture en est d'autant plus accentué.

2.2. Nos faiblesses

Elles sont variées. Avant tout, je voudrais dire un mot des dramatiques conséquences sociales de la crise économique. Il me paraît clair que, issu du même milieu très modeste, mais né vingt ans plus tard, je n'aurais pas eu l'occasion d'entamer des études universitaires. Une politique de boutiquiers comme celle qui prévaut parfois dans nos "sphères dirigeantes" ne fait que précipiter le recul. C'est bête. C'est injuste. C'est imprévoyant, sinon suicidaire.

Ensuite, je dois déplorer l'interventionnisme politique, dogmatique et incompétent, dans les programmes et dans les méthodes pédagogiques. A chacun son métier!

Plus spécifique du niveau universitaire, il faut aussi souligner notre faiblesse numérique. Ouvrons les circulaires d'information de la Société mathématique de France. Chaque mois, plus de deux cents exposés de haut niveau sont donnés à Paris. Une imposante "masse critique" permet à nos amis français d'amorcer des réactions en chaîne dans des domaines bien plus variés. Pourquoi ai-je dû, en 1976, préparer mon doctorat à Paris? C'est certainement pour une grande part à cause de la présence d'un spécialiste de renommée mondiale. Mais, non moins certainement, c'est parce que la théorie des nombres n'était étudiée nulle part chez nous.

Pourquoi nos génies mathématiques (et, croyez-moi, je ne galvaude pas le mot), pourquoi donc, nos Jacques Tits, nos David Ruelle, nos Pierre Deligne se retrouvent-ils, qui à Paris, qui à Princeton ? Poser la question, c'est un peu y répondre...

Pour terminer, il me faut encore évoquer une grande menace: après une période marquée par la jeunesse toujours croissante des équipes universitaires, c'est maintenant la sénescence et la sclérose qui nous menacent. Nous ne coûtons pourtant pas cher, comparés à d'autres. Mais, une fois de plus, la recherche aveugle d'une pseudo-rentabilité immédiate, le mépris du culturel. (osons le mot...) ont opéré un fameux gâchis. Que la sélection soit sévère, bravo! Que l'on n'accorde pas de rente à des médiocres ou à des parasites, encore bravo (à propos, certains politiciens volontiers donneurs de leçons feraient mieux de se taire...)! Mais, la réalité, ce n'est pas cela. La réalité, c'est que je dois dire à ma jeune assistante: "Quelle que soit la qualité de ta thèse, quelle que soit l'importance de ton travail, nous n'avons pas une chance sur trente ou quarante de préserver ton poste dans quelques années". Et cela, c'est insupportable, tant du point de vue humain que pour les tâches à accomplir. Puisse la Wallonie future mieux le comprendre que la Belgique actuelle !

(Octobre 1987)

 


 

 

 

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