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Que penser de l'échec scolaire dans l'enseignement primaire?

Mario LONGO
Inspecteur
Chercheur au Centre universitaire de Charleroi (CUNIC)

 

Périodiquement, la presse s'émeut de ce que de nombreux enfants échouent à l'école obligatoire. "Le Soir" du 26 novembre 1986 titrait encore: "L'échec scolaire en diminution." Article signé par Saturnin Gomez. Allons donc! Par quel miracle! Quelqu'un aurait-il enfin trouvé l'aspirine qui ferait passer le mal de tête dont souffre l'école depuis qu'elle existe?

Il est évident que si l'on confond, comme c'est souvent le cas, échecs scolaires et redoublements, on peut penser qu'il s'agit là d'une des manifestations de l'application de la nouvelle loi sur l'obligation scolaire du 29 juin 1983. En effet, en limitant à six, parfois sept et, exceptionnellement, à huit ans le passage de l'élève à l'école primaire, elle chasse dans le secondaire près de 11% de la population scolaire, c'est à dire presque 32 mille élèves qui accusaient deux années et plus de retard.

Est-ce une victoire? Le secondaire peut-il prétendre disposer des moyens lui permettant de réussir là où le primaire a échoué? Dès lors, peut-on affirmer qu'il y a diminution de l'échec scolaire? L'affirmer, c'est feindre d'ignorer que cette même loi, en prolongeant la durée de la scolarité, maintient à l'école près de 110 mille élèves qui ne pensaient qu'à la quitter et qui l'auraient quittée si l'obligation arrêtait de s'exercer après 14 ans. L'économiste dira que cette loi permet, bon an mal an, une économie annuelle de près de 150 mille années d'emploi et/ou de chômage. Alors, prétendre que l'échec scolaire diminue est un argument tellement léger qu'il frise la forfaiture. Disons qu'il s'agit plutôt de camouflage de statistiques et n'en parlons plus.

Mais qu'est-ce donc que l'échec scolaire? Il s'agit en premier lieu d'un sujet permanent de préoccupation pour tous ceux qui, praticiens, chercheurs ou gestionnaires, sont attachés à l'institution scolaire et à la réussite de l'élève. Cette préoccupation s'explique de par la persistance du taux de redoublement élevé malgré les nombreuses tentatives, aussi bien internes qu'externes, mises en place pour le réduire.

Elle s'explique également de par le fait que l'échec scolaire est souvent ressenti comme l'échec d'une école qui ne réussit pas à atteindre les objectifs que lui assignent ses responsables de plus en plus sollicités par les attentes d'une société en mutation permanente.

Cette distinction, nous l'introduisions déjà en 1981 lorsque nous écrivions que le fait de dissocier échec de l'élève et échec de l'école permettait de mieux situer les responsabilités et de mieux cibler les actions, qu'elles soient préventives ou correctives. Au cours de la recherche visant l'analyse de quelques dysfonctionnements du système scolaire, nous démontrions que tout système, et l'éducatif n'échappe pas à la règle, se trouve en situation d'échec lorsqu'il ne parvient pas à fonctionner de manière rationnelle et efficace et que cet échec se manifeste par l'hétérogénéité des décisions de redoublememt prises à l'encontre des objectifs qu'elle poursuit.

A l'époque, nous démontrions que les 7000 écoliers de première année de la Communauté française Wallonie-Bruxelles accumulaient à eux seuls plus de 150 siècles de retard pédagogique et que ce phénomène était constant depuis plus de vingt ans et ce malgré la mise en place de l'enseignement spécial, des classes d'adaptation et autres innovations pédagogiques type "5/8".

Les premiers chercheurs qui ont étudié l'échec scolaire se sont d'abord penchés sur les causes propres à l'enfant, mettant ainsi en évidence les difficultés individuelles.

Les déficiences générales constatées se sont petit à petit précisées en symptomatologies de plus en plus fines. Et l'on se mit à traiter les dyslexies, dysorthographies, dyscalculies, et autres dysproblémies, plus ou moins vraies ou plus ou moins fausses. Cette manière de voir et de faire aboutit implicitement à prétendre qu'il revient à l'enfant de s'adapter à l'école et aux différents programmes, implicites et explicites, qui règlent son fonctionnement. Mais comment peut-on prétendre concilier obligation d'adaptation et obligation scolaire?

La justification des échecs scolaires par la seule thèse des différences individuelles ne pouvait résister longtemps à l'analyse. Il a été rapidement admis que si les caractéristiques de l'enfant pouvaient être déterminantes, elles n'auraient pu, à elles seules, expliquer la massivité et la précocité des difficultés d'apprentissage.

Des études statistiques ont par ailleurs démontré que l'échec n'atteignait pas de manière uniforme les différentes classes sociales. L'explication socio-culturelle se trouva rapidement confirmée par de nombreuses études conduites par des sociologues et donna naissance à de nouvelles catégorisations d'élèves en difficulté. Les "échoués" devinrent des cas sociaux, des handicapés socio-culturels, des migrants ou du "quart-monde".

Cette thèse dégageait l'école de toute responsabilité puisque les causes de l'échec, pourtant scolaire, résidaient dans la famille et dans l'environnement de l'élève. Dans certains milieux de recherche, on se mit à accuser la société en la rendant responsable de l'échec des enfants à l'école. Beaudelot, Establet, Charlot, Figeat et Passeron attribuaient à une société de type capitaliste, le sombre dessein d'avoir créé l'école pour préparer et réaliser la sélection sociale à des fins économiques.

Au risque de déclarer l'école incapable de remédier à une situation qu'elle engendre ou, selon les thèses, révèle, on ne pouvait l'écarter de la part de responsabilité qui lui incombe dans la problématique de l'échec. Nous avons démontré que son action n'est ni neutre, ni indolore et que ses troubles de fonctionnement pouvaient causer préjudice à l'élève.

L'analyse du système éducatif nous a permis de déceler de nombreux dysfonctionnements à tous les niveaux de l'action éducative, mettant ainsi en évidence combien irrationnelle était l'action d'une école pourtant voulue par la société.

Par la suite, nous avons analysé le processus d'innovation pédagogique qui tentait d'amener les écoles à modifier leur organisation et leur fonctionnement. Cette tentative de changement touchait aussi bien les contenus et les méthodes que les aspects relationnels de l'apprentissage.

Nous pensons qu'il est temps de quitter aujourd'hui le simple constat d'échec. La crise économique nous interdit de continuer à gaspiller les moyens que la société réserve à l'école obligatoire pour qu'elle installe chez chaque individu les fondements du citoyen.

(Octobre 1987)

 


 

 

 

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