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Spécificité wallonne ou Wallonie Région française?

François PERIN
Ancien Ministre
Député-Sénateur honoraire
Professeur émérite ULg (Droit constitutionnel)

 

Un paradigme est un modèle souhaité. Les projets des diverses tendances de l'opinion publique wallonne ne seront pas sans influence sur le sort réel de la Wallonie au troisième millénaire. Sans doute, des facteurs qui échappent à l'influence des Wallons joueront-ils également un rôle décisif.

Ces facteurs sont triples:

1. le degré d'intégration européenne

2. l'attitude des Flamands

3. l'attitude des Bruxellois.

Le degré d'intégration européenne ne dépend guère de l'opinion publique locale. Les gouvernements belges jouent la mouche du coche. Heureusement, presque tous les mouvements d'opinion, même les plus opposés sur le plan interne, sont favorables à l'intégration européenne. L'Europe est souhaitée de la droite à la gauche et des "intégristes belges" aux séparatistes. La Belgique ne pourrait donc être un frein à une plus grande intégration européenne. Il faut toutefois continuer à se méfier d'un certain monde diplomatique, de la haute fonction publique de l' "Etablissement" financier belge qui pourraient prendre conscience du fait que l'intégration européenne plus poussée facilite la dissolution de l'Etat belge: la monnaie unique, signe d'une forte intégration économique diminue les difficultés qui s'opposent au démembrement de l'Etat. Les oppositions venues d'ailleurs trouveraient en Belgique plus d'alliés hypocrites qu'on ne croit.

L'évolution du mouvement flamand exerce certainement une influence considérable sur l'état de l'opinion wallonne. Ce mouvement se caractérise par une double poussée autonomiste et hégémonique à la fois.

La communautarisation de l'enseignement ajoute une fêlure de plus à l'unité belge. Mais les attributions qui restent à l'Etat sont exercées sur une pression flamande toujours plus puissante. Il est vrai que le belgicisme persistant en Wallonie est freiné ou démoralisé par l'effet de cette double poussée.

La pression linguistique dans les Fourons, dans la périphérie bruxelloise et à Bruxelles même, peut également avoir cet effet démoralisant en raison de leur simplicité irritante pour la grande masse des personnes auxquelles échappe la complexité plus grande des phénomènes politiques, administratifs et économiques.

Paradoxalement, dans la mesure où la pression flamande fait augmenter le bilinguisme des personnes à Bruxelles, il en résulte une croissance de la conscience nationale belge plutôt qu'une croissance de la conscience "communautaire" flamande dans la population bruxelloise.

Bruxelles reste donc la "Jérusalem" du mouvement flamand. La lenteur relative de la reconquête de Bruxelles prolonge le fait belge. L'évolution de l'opinion bruxelloise doit donc être suivie attentivement.

Ce problème nous amène au point le plus délicat du "nouveau paradigme".

Il y a dans les mouvements wallons une tradition anti-bruxelloise bien connue basée sur le fait que l'opinion publique bruxelloise est naturellement la plus belge du pays, hostile aux forces centrifuges tant de Flandre que de Wallonie.

La francisation linguistique à 85% de la population bruxelloise n'en fait pas une population wallonne bien que la langue française soit le ciment des Wallons eux-mêmes. Cette population représente le quart de la "Communauté française" dont la Wallonie fait partie (il s'agit ici de la Wallonie au sens courant du terme qui correspond à la "région linguistique française" de l'article 3 bis de la Constitution et non à la région wallonne officielle de l'article 107 quater de la Constitution qui comprend 9 communes allemandes).

Une tendance importante au sein des mouvements wallons, probablement majoritaire au congrès d'octobre de l'Institut Jules Destrée s'en prend vivement à la notion de communauté française, la jugeant trop bruxelloise et partant trop belge. Il est vrai que le fait belge accompli a engendré à Bruxelles une infrastructure culturelle importante qui pèse de tout son poids sur le budget commun. Mais la Wallonie n'offre pas un contrepoids en un centre unique mais bien en une dispersion de centres. Sur le plan psychologique et intellectuel naît donc une tendance à créer une "culture wallonne" pour se dégager du poids jugé excessif de Bruxelles. Les protagonistes de ce courant se rendent-ils compte qu'en souhaitant le développement d'une culture wallonne pour prendre ses distances à l'égard de Bruxelles, il récuse la "communauté française" qui a pourtant la vertu, à mes yeux, de rappeler opportunément l'identité française de la Wallonie?

S'ajoute à cet "argument culturel" une doctrine socio-politique qui lie la naissance souhaitée d'une culture wallonne à une conscience collective née essentiellement, à la faveur des circonstances (1960-1961 essentiellement), dans la classe ouvrière classique (celle de la grande industrialisation du type 19ème siècle et première moitié du XXème siècle) syndicalement organisée. Lier la culture et la conscience wallonne à une certaine gauche ouvrière est un moyen sûr de repousser vers un belgicisme méfiant plus de la moitié de la population wallonne, c'est-à-dire d'empêcher la Wallonie d'exister vraiment mentalement.

Le mouvement wallon est donc pris entre plusieurs écueils. S'il insiste, dans le cadre belge, sur son identité française il renforce la "Communauté française" de Belgique, c'est-à-dire, grâce à la fusion par exemple, sa dilution par le poids du quart bruxellois, dans une certaine Belgique francophone.

Si au contraire, pour éviter cet écueil, il largue son identité française pour tenter de créer de toutes pièces une culture wallonne, il risque de verser dans une chimère gauchiste qui n'engendre en fait aucune culture, si ce n'est une médiocrité provinciale et qui stoppe la progression de la conscience wallonne dans les couches de la population où persiste le plus la nostalgie belgiciste.

On perçoit bien sur le plan économique deux tonalités différentes; la défense des secteurs traditionnels qui s'effritent se solde surtout par des manoeuvres de retardement dont l'utilité est sans doute réelle, un choc trop violent pouvant être mortel; cette première tonalité est néanmoins alarmiste, démoralisante, et parfois dangereusement suicidaire (grèves contre les plans de restructuration). La deuxième tonalité qui est celle de l'actuel chef de l'Exécutif wallon, met l'accent sur les germes d'avenir et tente d'oblitérer les déchirures sociales qui ne sortiront pas d'un coup de la réalité économique de l'avenir immédiat. La diffusion de la première tonalité est encore trop forte au point qu'elle rendrait dangereuse la rupture proche de l'Etat belge et l'avènement d'une indépendance wallonne. Quels que soient les griefs fondés à l'égard des groupes financiers belges dans la crise de structure de l'économie wallonne, il n'y a pas de solution radicale de rechange, de type socialiste, à une échelle aussi réduite, indissociable de l'espace de la communauté européenne qui pratique une économie de marché plus ou moins contrôlée. La Wallonie sans l'Etat belge n'inspirerait une confiance suffisante pour être viable que lorsque la transition entre le passé et l'avenir industriel sera presque achevée au point que les structures d'avenir seront devenues majoritaires, y compris dans l'esprit du public. Dans l'intervalle, la Communauté française subsistera et même verra augmenter ses attributions, surtout sous la poussée flamande en faveur de sa propre communauté. Il n'y aura pas dans le cadre transitoire belge, un système à trois avec trois autorités culturelles (la vraie troisième n'est pas Bruxelles mais bien la Communauté allemande).

Comme la "communautarisation grandissante" se heurtera aux problèmes des moyens financiers, il faut prendre les Flamands au piège de leur propre philosophie. Puisqu'ils ne veulent entendre parler que de la communauté et non de la région, il faudra donc identifier à Bruxelles les ressources propres de la Communauté française, c'est-à-dire personnaliser les ressources fiscales ce qui n'est guère possible qu'avec l'impôt sur le revenu.

Ceux qui, dans les mouvements wallons, veulent casser la corde avec Bruxelles font faire aux Flamands un énorme pas vers leur objectif historique: la reconquête de Bruxelles, les Wallons ayant eux-mêmes vidé les lieux.

L'intérêt tactique des Wallons est de rester les alliés efficaces de l'autonomisme bruxellois dont le but reste d'échapper à l'emprise flamande, en développant une conscience européenne, seule concurrente attrayante de la conscience nationale belge.

Le mouvement "anti-Communauté française", qui ne peut aboutir de toute façon, dans le cadre belge, est donc vain. Mais il représente un gaspillage d'énergie doublé d'une politique d'abandon unilatérale.

Il faut donc maintenir l'asymétrie coexistence "Communauté française - Région wallonne", veiller à une bonne coopération administrative et maintenir par ce truchement provisoire, l'identité française de la Wallonie, seule constante séculaire du mouvement wallon. Le concept de "nation belge" est irréversiblement régressif.

Le troisième millénaire rendra peut-être possible le remembrement néerlandais et français dans le cadre des nationalités unies de l'Europe libre, sans que la disparition de la Belgique ne crée de difficulté en politique internationale.

(Octobre 1987)

 


 

 

 

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