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Sortir de la clandestinité?

Yves de WASSEIGE
Ingénieur civil
Economiste
Sénateur

 

1. La culture wallonne et l'identité wallonne se sont formées dans la clandestinité.

C'est un fait à quelque point de vue que l'on se place. Les territoires qui forment la Wallonie ont été sous l'Ancien Régime soumis et parfois occupés par des puissances étrangères : Espagne, Autriche; la Révolution française de 1789 en a fait, temporairement, des départements français. Ce fut ensuite le régime néerlandais.

Le territoire wallon a été un lieu d'affrontement de nombreuses armées étrangères; nombre de ses villes, transformées en places fortes, ont eu à supporter des sièges, pillages et démolitions et ses campagnes ont été des greniers pour ces militaires étrangers, nos livres d'histoire en témoignent.

Les autorités qui gouvernaient les comtés, duchés ou principautés se sont en général bien adaptées aux changements de domination, voire même aux occupations militaires. Elles ont souvent été des tampons adroits entre le pouvoir et les populations.

Les Wallons, travailleurs de la terre, artisans ou commerçants, ont donc appris, par la force des choses, ce comportement de clandestinité (il faudrait un jour que les sociologues approfondissent cet aspect).

2. La clandestinité revêt un double aspect: un aspect "souterrain", accessible à ceux qui se reconnaissent d'un même groupe et un aspect "public" par lequel ce groupe manifeste ponctuellement son existence aux autorités en place et au reste de la population.

La clandestinité assure l'existence et la survie du groupe; elle ne revêt pas nécessairement un aspect violent ou d'opposition violente au pouvoir en place. Cet aspect violent surgit lorsque la pression du pouvoir est trop forte et menace directement l'existence même du groupe.

La culture et l'identité wallonnes se sont déformées dans ce contexte. C'est-à-dire à la fois que les Wallons ont assimilé nombre d'immigrants venant de tout lieu et à toute époque; celui qui n'était pas du côté du pouvoir se trouvait adopté. La culture et l'identité wallonnes ne se sont jamais repliées sur elles-mêmes. Elles ont donc développé leurs propres modes d'expression au travers de la langue, des jeux, des fêtes et des manières de voir la société. Les Wallons sont devenus "débrouillards", fraudeurs souvent, peu respectueux de l'autorité publique, mais évitant le gendarme ou le militaire qu'ils n'ont jamais considéré comme étant de leur côté.

La clandestinité est aussi un fractionnement géographique assez poussé, chaque groupe vivant, par la force des choses, pratiquement sans contact avec les autres groupes voisins. D'où la grande diversité d'aujourd'hui et que l'on qualifie d'esprit de clocher. Cela fait partie de l'identité et de la culture wallonnes, cela ne l'affaiblit pas, contrairement à ce que fait croire le pouvoir dominant.

 

3.- La révolution française et l'annexion des provinces wallonnes à la France, y compris sous l'Empire, n'a certes pas créé l'enthousiasme de la classe dominante pour des raisons évidentes; le peuple wallon y a vu un espoir de changement, mais, méfiant à l'égard de tout pouvoir - encore un signe de la clandestinité - il a attendu: tant de changements étaient déjà intervenus...

Vingt-deux ans après, le voilà sous la domination hollandaise par la volonté des grandes puissances.

La révolution de 1830 a été le signe de l'existence de la Wallonie "clandestine". C'est de Mons, de Charleroi, de Namur, de Liège que des volontaires sont venus à Bruxelles en septembre 1830. La Wallonie ne s'y est pas trompée et a fait de ce jour sa "fête nationale". C'est que la révolution de 1830 n'était pas seulement - voire même pas du tout - une révolution nationale comme on tend à le faire croire, elle a été dans sa phase aiguë une révolution prolétarienne, ainsi que l'a fort bien montré Maurice Bologne. C'est la sortie de l'état de crise qui a été fort habilement récupérée par la bourgeoisie industrielle et commerçante, s'affirmant ainsi politiquement face à la noblesse, surtout la haute noblesse.

Un autre signe de l'acceptation d'une liaison privilégiée avec la France a été le choix comme roi du Duc de Nemours, second fils du roi de France Louis-Philippe; choix qui n'a pas été accepté par les grandes puissances et principalement par l'Angleterre.

4.- Pendant tout le 19° siècle, les Wallons vont subir, dans l'Etat Belgique, la domination de la bourgeoisie d'affaires, déjà internationale, qui va profiter de la réunion de trois facteurs favorables pour y développer une industrie fort lucrative pour elle:

a. une main d'oeuvre abondante déjà qualifiée et possédant la maîtrise des technologies artisanales, base essentielle des technologies industrielles,

b. le charbon avec la manière de l'exploiter,

c. un pouvoir politique qui lui était réservé.

 

La noblesse va se ranger derrière le nouveau roi et s'assimiler à la bourgeoisie, mais elle ne jouera plus de rôle politique en tant que classe distincte.

La haute bourgeoisie parlait le français - qui avait été jusque-là la langue du pouvoir: on parlait français dans toutes les cours d'Europe. Les Wallons utilisaient les différents patois wallons et l'Eglise continuait à utiliser le latin. Les Wallons apprenaient, par la force des choses, un minimum de français, mais ils s'exprimaient en wallon.

L'enseignement obligatoire en français n'a pas été ressenti comme une atteinte ou une contrainte insupportable. C'était la langue de la Révolution française, porteuse de liberté, d'égalité et de fraternité, sentiments profonds qui allaient nourrir le courant d'émancipation de la classe ouvrière et sa conquête du pouvoir politique.

Si le peuple wallon a appris le français et est devenu bilingue wallon-français, et l'est encore très largement, sauf dans les villes ou zones urbaines à forte immigration, dans l'immédiat après la Seconde Guerre, la bourgeoisie francophone n'est pas wallonne pour autant. Elle n'a pas les racines terriennes, elle n'a de racines que dans l'argent, dont elle sait qu'il est fluctuant et qu'il faut toujours en revoir les placements. Sans racines wallonnes, elle s'est fait une patrie de l'Etat Belgique, de même que la noblesse qui ajoute à cette raison une hérédité à se ranger derrière une couronne.

En a-t-il fallu de pratiques de clandestinité pour créer, organiser et développer les mutuelles, les coopératives, les syndicats; en a-t-il fallu des luttes pour obtenir le suffrage universel, la protection du travail, les vacances annuelles, la limitation de la durée du travail, etc.

5.- La lettre au Roi de Jules Destrée est un signe d'une expression politique wallonne sortant de la clandestinité pour s'affirmer comme telle.

Après chacune des deux guerres cependant, parce que la Belgique bénéficiait d'une reconnaissance internationale, le sentiment nationaliste belge se renforce, servant ainsi remarquablement les intérêts d'une large couche de la bourgeoisie, à quelque parti qu'elle appartienne. A chaque fois aussi le courant wallon continuera dans une semi-clandestinité pour éclater ouvertement en 1960, à la suite de la grève contre la loi unique.

La réforme de l'Etat intervenue en 1980 a donné un embryon de pouvoir à la Wallonie; elle a surtout donné une assemblée wallonne.

On devrait donc affirmer que le temps de la clandestinité est terminé, puisque la Wallonie dispose de sa propre assemblée législative et de son gouvernement.

 

Deux faits sont cependant là qui laissent les Wallons méfiants:

a) les élus étant simultanément membres de la Chambre des députés ou du Sénat, cette assemblée ne joue pas véritablement le rôle wallon qu'elle devrait jouer;

b) les compétences accordées à la Wallonie sont minces et, même dans les matières désormais dévolues à la Wallonie, l'Etat central s'est réservé des verrous importants qui empêchent tout développement de politique autonome.

6.- Là où les Wallons ou les Bruxellois francophones s'affirment, l'Etat belge, sous le poids flamand, les poursuit, même au mépris des lois: les Fourons, la périphérie bruxelloise en sont deux exemples. Mais combien d'autres moins connus? Combien de postes confiés à des Wallons (ou des Francophones) dans les Ambassades de Belgique, y parle-t-on d'ailleurs encore correctement le français? Quels emplois cadres pour les Wallons dans les grands organismes nationaux, la SNCB, la SABENA, la CGER, etc?

Les politiques de l'Etat central servent les intérêts flamands et desservent les intérêts wallons. De nombreux exemples sont là chaque jour.

La caractéristique principale de l'Ancien Régime était que les Princes, les Souverains possédaient leur Etat de façon totale, terres et gens et même l'âme des gens. Nous vivons heureusement une période plus consciente, d'une part, des droits universels de l'homme et du citoyen, d'autre part, du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Reconnus et pratiqués, ces droits mettraient les Wallons en pleine possession de leurs libertés. Or, nous venons de voir que nous sommes loin du compte et que notre pays, la Wallonie, subit encore une occupation: celle des Flamands, au mépris des principes de la Constitution de la Belgique.

Alors, faudra-t-il rentrer dans la clandestinité?

(Octobre 1987)

 


 

 

 

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