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La rénovation urbaine en Wallonie

Freddy JORIS
Historien
Responsable du Département "Environnement" de l'Institut Emile Vandervelde

 

"Rénover nos villes est important pour qu'elles gardent leurs habitants et leur vitalité économique, et pour qu'ainsi chacun reprenne confiance en l'avenir de notre région. Nos villes sont la vitrine de notre dynamisme économique, social et culturel. Partout autour de nous en Europe, les villes se rénovent davantage qu'en Wallonie. Pourrions-nous faire croire à notre dynamisme économique si nous laissions nos villes se dégrader? Il y va de notre image de marque à l'extérieur".

Il y va de bien d'autres choses également: impulsion aux activités urbaines, amélioration du logement, embellissement du cadre de vie, soutien au secteur de la construction, création d'emplois...
Tous ces arguments étaient évoqués comme il se doit, en septembre 1985, dans le message du "Rassemblement pour le renouveau des villes de Wallonie".

Seize villes, cinq ministres régionaux et communautaires, tous les partis politiques à l'exception du PRL, de nombreuses associations et personnalités avaient adhéré à ce Rassemblement constitué à l'initiative d'Inter-Environnement Wallonie en vue de la relance d'une politique de rénovation urbaine.

Relance ? C'est donc qu'il y avait eu déclin.

C'est en 1973, sous le Gouvernement Leburton, qu'un premier crédit fut réservé au budget de l'Etat pour des opérations de rénovation urbaine, qui permit au Ministre des Travaux publics de l'époque de lancer cinq opérations-pilotes dont deux en Wallonie. Moins d'une dizaine d'années plus tard, alors que les Exécutifs régionaux commençaient à siéger en dehors du Gouvernement central, quelque trente-cinq communes wallonnes avaient entamé une ou plusieurs opérations de rénovation et la Région avait engagé au total pour ces dernières, de 1975 à 1982, plus de deux milliards, au rythme de 300 millions l'an, en moyenne.

Effort louable certes, mais qu'il convient de relativiser: ainsi que le rappelait Jacqueline Miller - à laquelle ce texte doit beaucoup - l'ensemble du budget engagé en dix ans pour la rénovation urbaine représentait à peine un trimestre d'activité des sociétés de logement social en Wallonie au cours des années 1977-1981... Il était possible de faire nettement mieux, il se fit pourtant pire ensuite.

En effet, durant les quatre années au cours desquelles, dans le précédent Exécutif, l'actuel Ministre-Président géra le budget de la rénovation urbaine au titre de responsable de l'aménagement au territoire, les moyens de cette politique furent progressivement réduits jusqu'à devenir quasi insignifiants: 177 millions en 1982, 113 en 1983, 51 en 1984, 65 en 1985! Une réduction similaire était opérée parallèlement dans les moyens de la politique d'assainissement des sites d'activité économique désaffectés.

On ne reviendra pas ici sur les motifs, réels ou supposés, de cette évolution au terme de laquelle les politiques de rénovation du paysage urbain wallon étaient passées de peu de choses à presque rien. Mais, pour en terminer sur ce point, il n'est pas inutile de rappeler qu'au moment où la Région wallonne n'octroyait plus que 65 millions l'an à la rénovation urbaine, la Flandre - dont le parc immobilier est cependant moins vétuste - choisissait d'y consacrer 600 millions (dix fois plus), et Bruxelles 800 millions.

Ce rappel d'un passé récent était indispensable pour apprécier la situation actuelle. En fonction depuis fin 1985, le nouveau titulaire de l'aménagement du territoire au sein de l'Exécutif régional a heureusement choisi de faire de la rénovation un des fers de lance de sa politique. Ce qui s'est traduit par une augmentation substantielle des crédits budgétaires, le budget de la rénovation urbaine étant porté de 65 à 170 millions en 1986 et 1987, celui de la rénovation des sites industriels de 60 à 170 millions également.

Si on ne peut que s'en réjouir, il reste que ces 170 millions annuels sont encore bien en-deçà des sommes engagées il y a dix ans par exemple (412 millions en 1977), et bien inférieurs aux moyens consentis par les deux autres Régions, sans parler des pays voisins. Inter-Environnement citait à ce propos, lors d'une journée d'études à Mons en avril 1985, l'exemple des Pays-Bas qui consacraient 85 milliards de FB par an à la rénovation, ou encore celui de Liverpool où, avec l'aide de l'Etat, 15 milliards de FB l'an étaient affectés à un vaste programme de rénovation et de construction dans une région particulièrement sinistrée par la crise économique.

On prendra acte néanmoins d'un redressement de bon augure dans le "lifting" des villes wallonnes, en terme de moyens. Mais ce n'est pas le seul changement intervenu ces derniers mois. Il en est d'autres qui concernent les conditions d'octroi par la Région des subventions pour l'exécution d'opérations de rénovation urbaine, désormais régies par l'arrêté du 6 décembre 1985 paru au moniteur du 20 février suivant.

La commune se voit imposer deux nouvelles séries d'obligations pour bénéficier de l'intervention régionale (fixée à 75% dans tous les cas tant pour les acquisitions que pour les travaux). L'approbation par l'Exécutif d'un schéma directeur d'aménagement et, d'un calendrier des opérations d'une part, d'autre part, l'affectation de l'intégralité des recettes éventuelles soit à des allocations-loyers soit au soutien de la rénovation urbaine.

En revanche, trois contraintes sont supprimées pour le pouvoir local. L'interdiction d'aliéner le bien rénove, d'abord. Ensuite, et ceci est plus critiquable, le logement pourrait perdre sa priorité dans certaines opérations de rénovation. Enfin la part de logements rénovés obligatoirement affectés au logement social est réduite à "30% au moins", contre "les 2/3 au moins" sous le régime antérieur.

Avec d'autres indices - la multiplication des primes aux particuliers par exemple, qui absorbent des sommes non négligeables - ces changements sont significatifs d'une tendance à accorder moins d'importance à l'enjeu social de la rénovation, mis en avant dans les années '70 - voire même aux habitants quels qu'ils soient, dans la mesure où le logement pourrait ne plus être nécessairement considéré comme prioritaire. On n' en est pas encore là, mais des observateurs ont décelé cette évolution.

Elle n'est d'ailleurs pas propre à la Wallonie, et s'est rencontrée récemment par exemple dans certaines communes bruxelloises particulièrement soucieuses d'attirer une population plus "rentable" afin d'éviter de devenir un "ghetto social": la rénovation urbaine peut alors servir d'outil à l'encouragement d'une mutation sociologique au sein d'un quartier, de l'aveu même des autorités concernées.

Restons encore à Bruxelles, pour retenir un autre constat non dénué d'intérêt pour la situation wallonne. Une série d'études réalisées depuis 1983 par la Fondation Roi Baudouin ont mis en évidence en effet l'absence d'une politique opérationnelle de rénovation dans les zones vraiment dégradées: la rénovation resterait essentiellement concentrée dans les quartiers aisés de communes à revenus plus ou moins élevés, le centre même de l'agglomération - en dehors de quartiers historiques ou possédant un certain "cachet" - demeurant à l'écart de bien des tentatives.

Or, on a pu évoquer il y a peu l'amorce d'un glissement similaire à l'échelle de la Région wallonne: les opérations de rénovation piétinneraient, voire seraient abandonnées dans les grandes villes où elles sont indispensables - mais au contraire obtiendraient un élan sinon un soutien particulier dans les quartiers commerçants de petites localités. De multiples facteurs peuvent expliquer cette évolution, il est possible de lui trouver une logique politique, elle serait néanmoins difficilement justifiable.

Bien sûr, indépendamment de leur situation financière ou de leurs relations avec le pouvoir régional, le dynamisme des autorités locales joue un rôle non négligeable dans la rénovation urbaine. Joint à d'autres atouts sur le terrain - dans le chef des sociétés de logement social ou des régies communales par exemple - le volontarisme d'un Collège échevinal, ou d'un Bourgmestre, peut être l'élément moteur de réalisations exemplaires. Le contraste entre les communes de Dison et Verviers, parties intégrantes d'une même agglomération cependant, est à cet égard remarquable.

Evoquer Verviers, c'est évoquer "le mauvais élève" de la rénovation urbaine en Wallonie ces dernières années et l'exemple récent de l'opération Raines-Sécheval, bien connue des spécialistes, n'a fait que confirmer cette opinion. On ne s'y défendra pas ici, mais les avatars de cette opération et son issue actuelle - le remplacement du berceau historique de la cité lainière par un vaste espace vide - sont là pour témoigner des risques de "dérapages" - irréparables au niveau local, en dépit des plus beaux plans comme du soutien de la collectivité.

Ces diverses remarques étant faites quant aux tendances actuelles de la rénovation urbaine en Wallonie dans un contexte d'amélioration générale par rapport au "creux" de la première moitié de la décennie, quelles orientations devrait-elle prendre à l'avenir, afin que la Wallonie du futur n'offre plus, en trop d'endroits de son paysage urbain, le spectacle désolant de quartiers dégradés et défriches industrielles.

Les réponses découlent de ce qui précède. Avant tout, une plus grande prise de conscience de la nécessité et des avantages des politiques de rénovation est encore nécessaire, parmi tous les acteurs concernés: pouvoirs locaux, secteurs de la construction, organismes financiers, secteur privé au sens large, mouvements associatifs les plus divers, architectes etc. A cet égard, on signalera la campagne poursuivie en 1987, dans le cadre de l'année européenne de l'Environnement, par le Rassemblement pour le renouveau des villes.

Ce dernier s'est efforcé, notamment, avec les différents partenaires des opérations de rénovation, de définir de nouvelles pistes - au niveau des instruments administratifs, financiers et techniques - susceptibles de relancer les investissements privés et publics en faveur des villes.

Dans cette optique, s'il s'indique de repenser les sources de financement de la rénovation, il conviendrait de conserver aux communes en y associant le cas échéant les sociétés de logement, un rôle privilégié dans sa réalisation. L'exemple de la Régionale verviétoise est là pour montrer qu'une société dynamique peut jouer un rôle essentiel dans une opération de rénovation, et le dernier rapport annuel de la SNL dressait d'ailleurs à ce propos un bilan intéressant.

Les sociétés devraient donc pouvoir être maîtres d'oeuvre d'opérations de rénovation à caractère social, et chargées de leur gestion, en collaboration avec les partenaires privés intéressés et en étroite coordination avec les communes porteuses de projets - ces dernières assurant comme par le passé la maîtrise de l'affectation de leur sol, donc la responsabilité de la politique foncière et d'urbanisme.

Des obstacles doivent être levés, en simplifiant les procédures aujourd'hui lourdes et longues, ou encore en donnant aux communes des moyens pour lutter contre les immeubles abandonnés par exemple. Rénovation urbaine et rénovation des sites industriels désaffectés pourraient être davantage décloisonnées. Des synergies devraient être mieux encouragées entre les opérations de rénovation à caractère public et les impacts sociaux et urbanistiques des diverses aides aux particuliers.

Enfin, il appartient au pouvoir régional - Conseil, Exécutif, sans oublier la Commission consultative - de veiller à ce que l'esprit de la rénovation, et donc les fonds publics qui y sont consacrés, ne soient pas "détournés". Tout comme ces derniers, me semble-t-il, seraient à affecter en priorité, eu égard à l'état du sillon industriel, aux quartiers et localités vraiment dégradés de celui-ci, les opérations de rénovation devraient viser par principe la conservation par l'amélioration du parc immobilier, au profit des habitants et avec ceux-ci. Non s'apparenter à la création d'espaces verts "artificiels", et le moins possible à la démolition/reconstruction.

Reste le problème crucial des moyens budgétaires régionaux. Une idée fait son chemin depuis quelques années, et les partis adhérant au Rassemblement pour le renouveau des villes y ont tous souscrit: le transfert de crédits des Travaux publics. Au début de 1986, fort de la similitude de majorité aux niveaux central et régional, le nouvel Exécutif espérait obtenir des Travaux publics l'octroi de 4 milliards l'an, durant cinq ans de suite pour constituer un "Fonds de rénovation" d'un total de vingt milliards.

Les arguments ne manquaient pas, et le Ministre régional compétent soulignait que l'argent demandé ne représentait que 4% du budget des Travaux publics, autrement dit quatre tunnels et 40 km d'autoroute par exemple. En dépit du parrallélisme de coalitions, ce transfert n'a pu se réaliser.
Cet épisode accrédite encore un peu plus l'idée que seule une régionalisation du budget des Travaux publics, dans le cadre d'un accroissement substantiel des compétences et des moyens des Régions, permettrait à la Wallonie de réorienter en partie ce budget vers les politiques de rénovation, et de donner enfin à celles-ci l'ampleur qu'elles méritent. Pour que la Wallonie de demain soit, à cet égard aussi, "un nouveau paradigme".

 


 

 

 

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