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Choix résidentiels et restructuration de l'espace wallon

Claude FELTZ
Professeur à la Faculté universitaire du Luxembourg (FUL)

 

Les modèles d'organisation de l'espace régional, véhiculés par les CIAM et le mouvement fonctionnaliste, étendus à partir de modèles d'organisation urbaine vers des modèles d'ordonnancement régional, se manifestèrent dès l'après-guerre en Belgique, d'une part, dans une tendance à la spécialisation fonctionnelle des espaces (avant la ségrégation) et d'autre part, par une représentation dominante associant automatiquement ville et développement industriel. Il était admis par tous en effet, à la suite de l'industrialisation du XIXème siècle, que l'industrie était productrice de ville (de croissance de la ville) et que ville et industrie se renforçaient mutuellement dans leur développement à travers les notions d'économie d'agglomération et de pôle de croissance. (cf. Perroux, 1955, Rémy et Nols, 1972).

Cette situation d'"urbanisation" associée à la croissance économique (de croissance continue de la population urbaine au détriment de celle dite rurale) des pays d'Europe occidentale (suivant en cela selon certains les pays d'Amérique du Nord) devait s'accroître de manière continue jusqu'en l'an 2000 (cf. Sporck, 1968) où il ne devrait alors plus rester en campagne que de l'activité (et dès lors les familles y liées) agricole, forestière ou touristique.

Les plans de développement régionaux de l'époque (plan "Sud-Est" par ex.) envisagèrent dès lors une organisation régionale de l'espace basée sur une "bonne hiérarchie du réseau urbain" vue comme une structure spatiale propre à assurer le développement équilibré de l'ensemble des régions d'un pays, tout comme l'accès bien réparti aux équipements et services collectifs, tels que ceux de santé, équipements commerciaux... Les corollaires de cette vision de l'"équilibre dans la hiérarchie" étaient la promotion d'un réseau de polarisation bien charpenté et conséquemment des initiatives publiques de comblement des "trous de polarisation "(cf. projet de ville nouvelle en Centre-Ardenne,...) comme interventions correctives de la part de l'Etat.

Un deuxième corollaire de ce modèle d'organisation régionale était le renforcement des divers niveaux de la hiérarchie urbaine, implicitement aux dépens des noyaux élémentaires: les villages. Les projets de plans de secteurs étaient largement imprégnés de cette perspective.

Mais les villages wallons ne sont pas "morts", ni réduits au stade de station agricole. L'exode rural de l'immédiat après-guerre s'est petit à petit atténué pour s'inverser, dans les années soixante, dans le centre du pays (zone de polarisation de Bruxelles), et plus largement, pendant la décennie suivante. Le projet de "réarmement urbain" qui régissait la vision de l'aménagement régional en 1960 se trouvait contredit par la réalité des mouvements résidentiels, ce qui fit dire à certains que la Belgique connaissait un mouvement de "désurbanisation" (Laconte, 1984).

De son côté, plus récemment, l'avant-projet de Plan régional d'Aménagement du Territoire (SDRW,1983) en venait à constater, vingt ans après les premières "études régionales" (cf.. par exemple Programme de Développement et d'Aménagement du Sud-Est - Equerre, Liège, 1963), que la "Wallonie n'est pas un territoire homogène", identifiant:

  • d'une part, une zone urbaine wallonne dont il propose de faire une "polyville",

  • et d'autre part, les espaces ruraux qui l'entourent de part et d'autre dont sont reconnues les "spécificités".

Remarquons que la relation entre ville et campagne n'y est plus fondée sur la domination, dépendance univoque et locale, mais la vision du PRATW concernant l'urbanisation consiste plutôt à "assurer l'interdépendance" (p. 24), à "doter la Wallonie d'une organisation urbaine forte et significative" (p. 25) où la centralité urbaine est fondée sur "les quatre villes constituant les centres de la polyville wallonne" (p. 30).

Qu'en est-il aujourd'hui, qu'en sera-t-il demain?

Les analyses récentes de l'évolution démographique des communes wallonnes font apparaître une nette différence entre les projets des planificateurs et la réalité des mouvements résidentiels. En effet, le recensement de 1981 faisait déjà apparaître une forte augmentation du déplacement résidentiel hors les villes. La plupart des villes grandes et moyennes présentaient une régression de plus de 5% de leur population pendant la période intercensitaire: sauf Namur, tous les centres urbains du "sillon wallon" connaissaient une dépopulation. C'est le cas aussi cependant de nombreuses zones rurales telles que le Hainaut, la Hesbaye ainsi qu'une bonne partie de l'Ardenne (le Centre-Ardenne excepté).

A l'inverse, les communes en croissance se repéraient dans la zone sud de l'agglomération de Bruxelles, de même que dans les périphéries sud de Charleroi et est de Liège. La quatrième zone de croissance wallonne se situait de Namur à Marche.

L'évolution démographique des communes fusionnées de 1977 à 1985 (INS Statistiques démographiques) confirme en quelque sorte ce mouvement. S'il est vrai que l'on y retrouve les mêmes phénomènes de périurbanisation autour des grands centres: Bruxelles, Liège et Charleroi - qui demeurent en régression démographique - et que pratiquement tous les centres urbains de la "polyville wallonne" continuent leur régression (sauf Namur), on peut cependant voir se confirmer l'émergence d'un axe de développement démographique selon la direction Bruxelles-Namur-Marche, reliant la zone de Wavre-Ottignies-Louvain-la-Neuve - périurbanisation lointaine de Bruxelles -, les "petites villes" de Gembloux-Ciney-Marche, et la "ville moyenne" de Namur, avec leurs espaces ruraux interstitiels.

Ne faut-il pas voir là, non pas un report de choix résidentiels "au hasard" vers des petites villes et leur périphérie, des arrondissements de Namur, Dinant, Thuin, comme semblaient l'indiquer les analyses antérieures (cf. Voyé, 1978), mais la manifestation d'un nouvel "axe" résidentiel, issu, non d'un régentement planificateur étatique, mais d'une convergence de choix résidentiels individuels privilégiant le positionnement de la résidence selon un axe de centralité spatiale/mobilité par rapport au "sillon", axe "urbain" du travail et de la centralité fonctionnelle.

Il est évident que les grandes voies de communication ferroviaires et autoroutières y sont pour une bonne part, mais, de ce point de vue, l'axe industriel est tout aussi bien desservi et, dès lors, la présence des infrastructures ne peut expliquer à elle seule la spatialisation observée de cet afflux résidentiel.

Théoriquement, on peut parler dans le cas présent de la manifestation de deux axes antagoniques de structuration spatiale: l'un "industriel" d'ouest en est, l'autre "résidentiel" de nord-ouest en sud-est.

Opérant un retour réflexif de ces observations concrètes vers les pratiques d'aménagement du territoire, on est quand même en droit de constater que, jusqu'à présent, le plus gros effort de planification a été porté sur la localisation de l'activité économique alors que, d'une part, on relève aujourd'hui que celle-ci a été la plus mobile, (les immenses efforts consentis pour fixer encore une activité industrielle en déclin s'avèrent de plus en plus inefficaces, pendant que l'activité industrielle nouvelle se montre de plus en plus mobile et changeante) et que, d'autre part, c'est plutôt la résidence qui devient la structure stable d'organisation de l'espace régional.

Cette nouvelle spatialité de la redistribution résidentielle des vingt dernières années force l'aménagiste à s'interroger sur les effets réels des dispositifs spatiaux, programmés et réalisés à partir d'une idée directrice, (autoroutes, zoning industriels) dont les résultats se manifestent aujourd'hui différents, sinon opposés, par rapport aux projets d'organisation spatiale qui les avaient motivés.

Mais au-delà de ce constat qui interpelle le théoricien de l'aménagement du territoire, la question s'impose de savoir comment évolue et peut s'organiser demain la nouvelle occupation spatiale de la Wallonie par ses habitants, question qui nous motive aujourd'hui.

Les mouvements les plus récents, non encore décelables à travers les chiffres statistiques qui nécessite deux années d'incubation, mais qui frappent cependant l'intuition des observateurs attentifs, font apparaître aujourd'hui sinon un arrêt, au moins un ralentissement important du transfert résidentiel vers les campagnes, sans doute en bonne partie dû à la chute, les cinq-six ans passés, du nombre de constructions nouvelles. Dès lors, dire que les villes wallonnes meurent serait ne pas voir le mouvement nouveau qui s'amorce.

Il reste cependant que l'"ouverture" de l'espace wallon par les grands travaux routiers a eu surtout comme effet d'accentuer la mobilité. Et il en résulte, à l'échelle des mouvements régionaux d'habitat, que l'axe de développement économique privilégié de la Wallonie, son sillon industriel, n'est plus celui qui focalise vers lui la résidence. Plus largement, on est amené à constater une dissociation, à l'échelle wallonne, entre l'agglomération des résidences et celle des "activités" productives.

Pour certains, il y a là un grand danger: de nombreux géographes attirent l'attention sur le risque de "suicide économique" de régions sans ville. Cependant, ne peut-on pas voir là un nouveau mode d'occupation de l'espace privilégiant une sécurité "résidentielle" qui valorise au mieux, non plus les effets multiplicateurs de la grande ville, mais la diversité et la qualité des milieux résidentiels qui font de l'ensemble de la région un espace d'interdépendance plus large, permettant une meilleure capacité d'adaptation au marché, changeant, du travail, et une meilleure valorisation de la spécificité et de la diversité des espaces locaux, mais au prix d'une mobilité accrue, et peut-être réservée à ceux qui sont capables de la maîtriser.

Références bibliographiques

PERROUX Fr., La notion de pôle de croissance, in Economie appliquée, 1955, n°1 et 2.

REMY J. et NOLS E., Economies externes et croissance urbaine, in Revue économique, n°6, 1972, p.992-1022.

SPORCK J.A., Le réseau urbain hiérarchisé, base de l'aménagement du territoire et du développement économique, in Bulletin de la Société géographique de Liège, n° 4, déc. 68, p. 215-235.

LACONTE P., Urbanisation/Désurbanisation, Urbanisation généralisée de la Belgique, in Métropolis, n° 63, 3ème trim. 84, p. 52-57.

Avant-projet de Plan régional d'Aménagement du Territoire wallon, Société de développement régional pour la Wallonie, Direction de l'aménagement du territoire et du logement, Namur, juin 1983.

Programme de développement et d'aménagement du Sud-Est, Projet, Administration de l'Urbanisme et de l'Aménagement du Territoire, élaboré et déposé en juillet 1963 par le groupe l'Equerre-Liège.

VOYE L., Pour une politique sociale du logement en Wallonie, communication au colloque de la Régionale wallonne pour l'Urbanisme, La Louvière, nov. 1979.

 


 

 

 

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