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La régionalisation à la RTBF

Jean-Philippe ART
Directeur RTBF Charleroi

 

La RTBF est organisée selon une structure de fonctionnement régionalisée:

- Comment fonctionne cette régionalisation ?

- Qu'apporte-t-elle à la RTBF ?

- Qu'apporte-t-elle à la Wallonie ?

Ces trois thèmes seront abordés d'une manière générale. Ils seront illustrés à l'aide d'exemples concernant plus particulièrement le Centre de Production de Charleroi.

 

1. Comment fonctionne la régionalisation de la RTBF

Quatre centres régionaux ont été créés, à Mons, à Charleroi, à Namur et à Liège. Deux d'entre eux (Mons et Namur) sont chargés de produire des émissions de radio. Le Centre de Charleroi est essentiellement tourné vers la production télévisée. A Liège, sont produites des émissions de radio et de télévision.

 

1.1. Les centres régionaux doivent assumer deux fonctions: une fonction régionale et une fonction de production décentralisée.

1.1.1. La fonction régionale est celle qui s'impose immédiatement à l'esprit lorsque l'on envisage une décentralisation d'un organisme de radio et de télévision. Il s'agit essentiellement de faire traiter, par des journalistes implantés dans les régions, l'information relative à la zone couverte par chacun des centres. L'utilité d'une telle organisation ne paraît guère contestable. Des événements ayant lieu dans une région sont perçus différemment par des journalistes du cru et par des journalistes de Bruxelles. Des menaces de licenciement, de fermeture d'entreprise, des manifestations culturelles ou sportives, des controverses politiques ou sociales ont une signification toute différente selon qu'elles sont vécues dans une région ou perçues artificiellement depuis la capitale.

Il est donc essentiel, pour la qualité et la crédibilité de l'information diffusée par la RTBF, que la régionalisation existe. Les journaux parlés et télévisés, lorsqu'ils traitent des événements régionaux, sont alimentés en reportages, en interviews et en commentaires par des Rédactions installées à Mons, à Charleroi, à Namur et à Liège.

L'organisation régionale a en outre permis la création d'une émission de télévision entièrement produite par les centres régionaux et qui a pour objet de traiter tous les aspects de la vie quotidienne des régions. Sans la régionalisation, "Ce Soir" n'aurait jamais vu le jour. Or, il s'agit sans conteste pour la RTBF de son meilleur atout face à la concurrence en avant-soirée.

En radio, la fonction régionale est également assurée grâce à la diffusion le matin et en fin d'après-midi d'émissions diffusées "en décrochage" de Radio 2. "Hainaut Matin", "Nationale 4 Matin" et "Liège Matin" produisent à l'intention de leurs régions des émissions d'information, de service, et d'animation. Le succès de ces programmes est manifeste puisqu'ensemble ils recueillent une audience supérieure à celle de l'émission diffusée au même moment sur radio 1 ("Pas de Panique").

1.1.2. La fonction de production décentralisée est celle qui présente le plus d'originalité par rapport à la manière dont fonctionnent la plupart des organismes de radio et de télévision d'Europe occidentale. C'est elle qui, contrairement à la fonction régionale, peut faire l'objet de controverses.

Tant en radio qu'en télévision, les centres régionaux ont vocation à fournir des programmes destinés à l'antenne nationale. Autrement dit, en télévision, Charleroi et Liège produisent à l'intention de RTB 1 des émissions d'information, de divertissement, d'éducation culturelle qui n'ont rien de spécifiquement régional, qui pourraient très bien être réalisées à Bruxelles. En radio, Mons, Namur et Liège, outre leur production destinée à Radio 2, contribuent à alimenter Radio 1 et Radio 3 mais selon des modalités redéfinies récemment de manière négative en ce qui concerne cette dernière chaîne.

On voit immédiatement les controverses que peut susciter une telle organisation. Pourquoi faut-il que des émissions n'ayant aucune connotation régionale soient produites ailleurs qu'à Bruxelles? Cette question peut parfaitement être renversée: pourquoi devraient-elles être produites à Bruxelles?

Dans la mesure où la fonction d'information régionale ne paraît guère contestable, c'est essentiellement la manière dont est organisée la fonction de production décentralisée qui fera l'objet d'une analyse attentive afin d'en mettre en évidence les avantages et les inconvénients.

1.2. Des exemples.

En télévision, le Centre de Charleroi assure l'édition et la coordination de "Ce Soir". Cette émission, réalisée à l'aide de reportages fournis par tous les centres, est placée sous la responsabilité d'un rédacteur en chef qui fait partie du Centre de Charleroi. "Ce Soir" est la seule émission à connotation régionale produite à Charleroi en télévision. Toutes les autres n'ont rien de régional.

Le Centre de Charleroi, qui a été crée en 1974, et qui occupe environ 170 personnes, réalise 30% des productions propres de la RTBF diffusées aux heures de grande audience, c'est-à-dire entre 19H. et 22H. Cette production est extrêmement diversifiée, puisqu'elle va du divertissement ("Tatayet Show") aux magazines d'information ("Au Nom de la Loi", "Bizness Bizness"), en passant par un jeu culturel ("Double Sept"), par la mode ("Signes Particuliers") et par l'histoire vue à travers des documents d'amateurs ("Inédits").

En radio, pour ne prendre qu'un exemple, le Centre de Mons est le principal fournisseur de radio 2. Il produit également des émissions destinées à radio 1 ("Rencontre") et à radio 3.

 

1.3. Evolution récente des structures

Les centres régionaux sont organisés comme des entreprises décentralisées. Ils ont à leur tête un directeur régional ou un chef de Centre qui est responsable de l'ensemble de leurs activités. Cela englobe le contenu des programmes, la production, la gestion du personnel, des budgets, des bâtiments.

Un projet de réforme des structures de la RTBF (la troisième voie) a été examiné tout au long de l'année 1986 par les organes de gestion de la RTBF. Il mettait fin à l'unité de direction des centres, dissociait la responsabilité de la fonction régionale et la responsabilité de la production décentralisée, et situait la maîtrise du contenu des émissions ailleurs que dans les centres où elles auraient été produites. Somme toute, les centres régionaux seraient devenus, en matière de production décentralisée, des succursales, des usines de production implantées en régions, mais n'ayant aucune autonomie et ne pouvant mener aucune politique propre. Ce plan a été rejeté par le Conseil d'Administration. Le fait qu'il ait été déposé montre quand même que l'on est entré dans une phase de la vie de la RTBF relativement menaçante pour les centres régionaux après une phase - celle des années 60 et 70 - où la régionalisation a pris son essor.

En télévision, il ne semble pas, à court terme en tout cas, qu'une marche arrière effective soit à craindre. En radio, par contre, une rétrogradation est amorcée. Alors que selon les structures de la RTBF définies en 1977, les centres devaient pouvoir produire des émissions pour tous les programmes, la porte est maintenant fermée aux régions sur radio 21 et sur radio 3, sous réserve de la captation par les centres de concerts tels que ceux présentés à l'occasion des multiples festivals organisés en Wallonie. Somme toute, vis-à-vis de radio 3, les centres sont limités à une fonction régionale, toutes les autres émissions étant produites à Bruxelles.

Il n'y a donc plus maintenant que deux programmes (radio 1 et radio 2) auxquels les centres régionaux ont accès de la manière la plus large. En ce qui concerne radio 2, il s'agit même d'une exclusivité puisque cette chaîne - la plus écoutée de la RTBF - est définie comme un programme wallon et qu'elle n'accueille aucune émission produite à Bruxelles

La réforme de la radio limite également de facto les compétences des Chefs de Centre et des Directeurs régionaux puisqu'elle prévoit la mise en place de Responsables de chaînes dont les pouvoirs et les activités seront inévitablement concurrents de ceux de la hiérarchie régionale.

Une tentative - avortée fort heureusement - de réorganisation globale de la RTBF attentatoire à la régionalisation, une réforme effective mise en place en radio et allant dans le sens de la recentralisation, tout cela n'est guère réjouissant pour les centres régionaux. L'existence de ces derniers est-elle compromise à terme ? Est-il possible, au contraire, de prévoir un nouvel essor de la régionalisation, et si oui, quelles en sont les conditions?

2. La régionalisation est-elle utile ou nuisible pour la RTBF ?

Parmi les critiques que l'on entend formuler à l'égard de la régionalisation figurent une série de clichés relatifs à la perte d'énergie et d'argent qu'elle représenterait. La RTBF aurait gaspillé ses crédits et ses forces en frais de bâtiments, d'équipements et de personnel.

Une telle accusation ne résiste pas à une analyse tant soit peu attentive. Si l'on compare la situation de la RTBF à celle de sa consoeur la BRT, organisée elle selon un schéma centralisé propre à assurer la présence de la Flandre à Bruxelles, on constate que la politique d'investissements de la RTBF a été nettement moins coûteuse que celle de l'organisme flamand. Les charges financières de la RTBF sont toujours restées dans des limites acceptables (10 à 12% de son budget global). La BRT quant à elle a crevé, il y a plusieurs années déjà, les plafonds raisonnables et a dû obtenir une subvention spéciale de l'Exécutif Flamand pour tenir le coup face à la charge de sa dette.

En matière de personnel, le nombre d'agents travaillant à la RTBF est sensiblement le même que celui travaillant à la BRT à une petite centaine d'unités près. Il est d'ailleurs logique que la politique d'investissements et de personnel de la RTBF ne soit pas rendue excessivement coûteuse par la régionalisation de la RTBF. Le matériel et les hommes qui servent à produire à Charleroi 30% de la production propre de la RTBF aux heures de grande audience devraient trouver place à Bruxelles, si les installations carolorégiennes n'existaient pas.

Autre critique généralement entendue: il faut spécialiser les secteurs de production pour des raisons de coordination et d'efficacité. Il conviendrait que toutes les émissions de variétés dépendent d'un responsable unique, que ce soit également le cas de tous les programmes d'information, pour ne citer que deux exemples. Il s'agit là d'un postulat qui, confronté à la réalité s'avère complètement faux. La qualité et l'audience des émissions produites en régions, et plus particulièrement à Charleroi, sont là pour démontrer que la production décentralisée est non seulement aussi efficace, mais même plus efficace que la production centralisée. Elle est également moins coûteuse, les équipes de production en régions étant en général plus réduites que celles déployées à Bruxelles. Les émissions de divertissement les plus populaires de la RTBF ont été (c'est le cas de "Zygomaticorama"), ou sont (c'est le cas de "Tatayet Show") produites à Charleroi. Leur audience dépasse de loin celle des autres émissions de même nature diffusées dans le même créneau horaire (le dimanche à 20H. ) et produites à Bruxelles. La différence d'audience varie du simple au double voire au triple.

En matière d'information, la qualité d'"Au Nom de la Loi" et de "Bizness Bizness" est généralement reconnue. "Au Nom de la Loi", malgré ou grâce à la difficulté de la pratique du journalisme d'investigation, est le magazine d'information du mercredi le plus regardé, avant "Strip Tease" et "C'est à Voir". On pourrait multiplier les exemples permettant de montrer que, compte tenu de leur nature et de leur heure d'émission, tous les programmes émis depuis Charleroi sont des réussites de la grille des programmes présentée par la RTBF

3. La régionalisation est-elle utile pour la Wallonie?

Cette question sera uniquement envisagée en ce qui concerne les fonctions de production décentralisée. S'agissant de la fonction régionale (couverture de l'information), la décentralisation de la RTBF apparaît en effet comme une nécessité incontestable.

A l'analyse, la fonction de production décentralisée apparaît tout aussi importante et tout aussi positive pour la Wallonie.

Elle est entièrement positive:

 

3.1. du point de vue social

Elle a contribué à la création d'emploi dans les grandes villes wallonnes: plus de 600 personnes au total occupent un emploi permanent, à Mons (100 personnes), à Charleroi (170 personnes), à Namur (100 personnes), à Liège (250 personnes). A ces chiffres, il faut ajouter un nombre important de recrutements temporaires (téléphonistes, comédiens porteurs de câbles, figurants) nécessités par le fonctionnement quotidien d'un organisme de radio et de télévision.

 

3.2. Du point du vue économique

La présence dans les villes wallonnes de centres de production entraîne la passation de commandes aux entreprises locales les plus diverses. Cela va de firmes vendant du matériel électronique, aux restaurants, en passant par les imprimeurs, les commerçants vendant du matériel servant à la fabrication des décors, les photographes, les libraires,...

 

3.3. Du point de vue culturel

La présence d'un centre régional permet de donner un retentissement plus important aux activités des organismes culturels installés dans les villes wallonnes. C'est ainsi qu'une collaboration régulière a été instaurée entre le Centre RTBF Charleroi et le Ballet royal de Wallonie, le Centre dramatique hennuyer et le Théâtre de l'Ancre. Cette collaboration aboutit à la promotion et à la valorisation sur les antennes de la RTBF des spectacles présentés par ces institutions. Cela aboutit également à des créations télévisuelles produites au départ des ballets et des spectacles théâtraux.

 

3.4. Du point de vue de l'animation régionale

Dans les domaines les plus divers et notamment dans le domaine sportif, la présence d'un Centre régional contribue au lancement et à la promotion de manifestations qui sans la RTBF n'auraient qu'un écho limité. A Charleroi, c'est notamment le cas des "10 Miles", du "Rallye Bianchi ", de "l'Astrid Bowl".

 

3.5. Du point de vue image de marque de la région

C'est peut-être le point le plus important pour l'avenir de la Wallonie. Il n'est pas sans intérêt que les émissions parmi les meilleures et les plus regardées de la RTBF soient produites dans les grandes villes wallonnes. Grâce à la présence du Centre RTBF, Charleroi - ville où les activités culturelles sont en retard par rapport à ce qui se passe dans d'autres régions - peut se targuer d'être le lieu de production d'émissions qui ont un retentissement national.

4. CONCLUSION

La régionalisation de la RTBF est sans conteste importante pour la Wallonie. Elle apparaît également positive pour l'institution elle-même. Rien en principe ne devrait par conséquent la remettre en cause.

Et pourtant, un mouvement de recentralisation s'est amorcé. La tentative de réforme globale de la RTBF n'a pas abouti, mais une réforme de la radio introduisant une certaine recentralisation est en passe d'être approuvée. Le mécanisme s'est donc inversé; alors que les années 60 et 70 avaient vu l'essor de la régionalisation, les années 80 sont caractérisées par l'arrêt du mouvement et par un début de marche arrière.

Il faut plus que jamais que la Wallonie prenne conscience de l'importance pour elle de la décentralisation de la RTBF Cette prise de conscience est d'autant plus nécessaire que traditionnellement les combats qui ont été menés dans nos régions et qui ont sensibilisé le plus grand nombre concernent des activités économiques et non des activités culturelles. La Wallonie ne peut vivre en abandonnant à Bruxelles le monopole de la culture et de la production télévisuelle. Elle peut d'autant moins le faire que ces activités ont également une importance économique non négligeable.

Mais il ne suffit pas de décider d'être attentif, voire de se battre s'il y a lieu, pour préserver la décentralisation de la RTBF. Encore faut-il s'interroger sur les conditions qu'il convient de créer pour que cette décentralisation apparaisse comme incontestable, voire incontournable.

Si un certain mouvement de recentralisation a pu s'opérer en radio, c'est parce que pour certaines catégories d'émissions des talents ont déserté la Wallonie et ont préféré s'installer à Bruxelles. S'ils l'ont fait, c'est parce qu'ils ne trouvaient probablement pas dans certains centres de production tout l'accueil et toute l'attention auxquels ils avaient droit. C'est sans doute aussi parce que la hiérarchie régionale n'a pas pu se défendre efficacement face à Bruxelles.

On vient ainsi aux problèmes de choix des hommes dans les fonctions hiérarchiques et, l'un n'allant pas sans l'autre, dans les fonctions de production. Si une certaine centralisation s'amorce, c'est sans doute parce qu'on n'en a pas suffisamment tenu compte dans le passé. La régionalisation de la RTBF ne peut substituer, voire même s'étendre (on pourrait très bien transformer les centres en filiales autonomes ayant une personnalité juridique propre), que si la Wallonie la défend et que si elle choisit bien les hommes qui seront chargés de la gérer à l'intérieur de la R.T.B.F

(Octobre 1987)


 

 

 

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