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Le redressement économique de la Wallonie

Jean MAYEUR
Docteur en Droit
Licencié en Sciences économiques appliquées
Diplômé des Hautes Etudes européennes
Diplômé en Administration des Entreprises
Ex-Directeur du Personnel aux ACEC
Professeur à l'Institut St Louis à Bruxelles
Chargé de Mission à la Communauté française - (Cabinet du Ministre E. Poullet)

 

1. Les trois crises

Pour bien comprendre la problématique de l'économie belge, et celle de la Wallonie en particulier, il est nécessaire de faire appel à des réalités concernant l'environnement économique mondial.

La Belgique vit depuis 1974-75 une situation exceptionnelle qui ne peut être caractérisée par le seul terme de "crise". En réalité, il conviendrait davantage de parler de trois crises distinctes et simultanées ou plutôt de deux crises et d'un bouleversement d'origine technique.

Les effets de ces trois crises touchent tous les pays industrialisés de longue date, encore que ce soit de façon inégale ainsi que nous le verrons plus loin.

 

1.1. La première crise est d'origine monétaire et se manifeste au niveau mondial

Sa cause principale est liée à l'inflation suite à l'abus qui fut fait des théories de Keynes qui se sont répandues surtout après la seconde guerre mondiale; un des abus les plus flagrants s'est produit aux USA où, à partir de 1962, la guerre du Vietnam et la course à l'espace ont englouti des sommes immenses, ceci sans augmentation d'impôts. Les Américains ont financé ces dépenses en imprimant des billets verts qu'ils répandaient de par le monde et cela a conduit à suspendre la convertibilité du dollar. C'en était fait du système de Bretton Woods qui avait assuré la stabilité monétaire mondiale pendant un quart de siècle.

Cette première crise (d'origine monétaire) se manifeste par une hausse des prix des matières premières, par une instabilité monétaire, surtout du dollar, et a pour conséquence un ralentissement général des affaires et une infinité de conséquences en matière de chômage, de baisse du pouvoir d'achat des populations, d'appauvrissement des pays faibles,etc... C'est la crise "classique" à laquelle tout le monde se réfère. Les chocs pétroliers l'ont aggravée, certes, mais étaient des conséquences logiques de la crise monétaire et non pas des causes premières, comme beaucoup de gens le croient.

1.2. La deuxième crise est d'origine politique et est également de dimension planétaire

A la fin de la seconde guerre mondiale, un grand nombre de pays ont acquis leur indépendance. Parmi ces pays, plusieurs ont réussi leur décollage économique et industriel et, de ce fait, ont disparu comme débouchés pour les activités traditionnelles des pays industrialisés, tandis qu'ils apparaissaient au contraire comme de nouveaux concurrents.

On a assisté ainsi à une formidable migration d'activités industrielles quittant l'Europe et les Etats-Unis pour l'Extrême Orient et, dans une certaine mesure, l'Amérique du Sud.

Les autres pays, ceux qui n'ont pas réussi leur décollage économique se sont embourbés dans des investissements gigantesques qui, n'étant pas gérés efficacement, ne se remboursent évidemment pas. Ce problème est lui aussi de nature politique, les pays industrialisés ne pouvant risquer d'interférer dans la gestion de ces investissements sans provoquer l'accusation de néo-colonialisme. Mais l'ampleur des dettes ainsi accumulées par ces pays les ont pratiquement rayés de la liste des pays clients.

 

1.3. La troisième crise est le bouleversement des activités économiques ayant une origine purement technique

Il s'agit des conséquences que la hausse continue de productivité, sous l'effet des progrès techniques, a eues sur la répartition de l'emploi entre secteurs primaire, secondaire et tertiaire. Les deux premières révolutions industrielles ont causé un transfert massif des travailleurs du primaire vers le secondaire. Mais depuis une cinquantaine d'années on avait prévu qu'un jour viendrait (vers la fin du siècle) où la production de produits manufacturés continuerait à croître et à satisfaire la demande avec une population au travail se réduisant sous l'effet des fortes hausses de productivité.

Cette prévision était juste et, dans les pays industrialisés, on a atteint ce point, ce qui constitue déjà en soi une modification profonde des tendances observées depuis 150 ans dans nos sociétés. Jean Fourastié qui avait bien analysé et décrit ce phénomène dès le début des années 40, pouvait cependant croire que ceci se résoudrait par un transfert du secondaire vers le tertiaire cette fois, la demande en activités de services s'accroissant avec le standard de vie et la productivité n'ayant guère augmenté dans les services depuis des siècles.

Le bouleversement que nous vivons vient de la soudaine hausse de productivité dans les services marchands, sous l'influence plus particulièrement des progrès de l'informatique, de la bureautique, etc... Ce secteur des services n'absorbe pas aussi facilement qu'espéré le surplus de main-d'oeuvre du secondaire. Cela, c'est un phénomène irréversible qui cause problème à tous les pays fortement développés.

Voilà dressée la toile de fond; venons-en maintenant au coeur de notre sujet.

 

2. La question-clef

Jusqu'en 1970-75, c'est-à-dire quand tout allait encore bien dans l'ensemble des pays industrialisés, la Belgique et au sein de celle-ci, la Wallonie, était un des pays les plus riches. On parlait de la Belgique comme du "maillot jaune" des petits pays industrialisés; elle était citée en exemple comme un paradis économique pour les investisseurs étrangers, dont la Wallonie recueillait, toutes proportions gardées, la plus grande part des investissements. Le pays connaissait une situation proche du plein emploi.

Depuis 1975, la situation s'est inversée: quand tout s'est mis à aller mal partout, la Belgique s'est vue citée comme l'exemple à ne pas suivre; elle est donnée comme un pays connaissant une situation particulièrement détériorée, et la Wallonie pis encore.

Le pays se distingue par ses records de chômage, par le déficit record de l'Etat, par l'ampleur inquiétante du phénomène de désindustrialisation et un record de faillites.

Comment expliquer un changement aussi profond en aussi peu de temps? C'est la question-clef qui permet de voir plus clair.

 

3. Une explication à deux niveaux

Ces deux périodes 1945-1970 et 1975 à ce jour se caractérisent donc par deux divergences.

Première divergence: d'une période à l'autre, la situation relative de la Belgique par rapport aux autres pays industrialisés s'est inversée, du maillot jaune à la lanterne rouge.

Deuxième divergence: d'une période à l'autre, la situation relative de la Wallonie par rapport au restant de la Belgique s'est aussi inversée, de la locomotive qu'elle était, la Wallonie est devenue le wagon de queue.

Chacune de ces divergences a une cause majeure.

 

3.1. Pendant près de 30 ans, la Belgique a connu un véritable projet de société. Celui-ci reposait notamment sur le partage équitable des fruits des hausses de productivité; c'est ainsi que la Belgique, pays de bas salaires avant la guerre 40-45, est devenue une nation au standard de vie parmi les plus élevés au monde. Pendant ce temps, était mis en place parallèlement un système de sécurité sociale qui organisait une solidarité sociale entre les citoyens économiquement faibles et les plus nantis.

Le bon fonctionnement de ce système élaboré supposait le maintien d'un taux de croissance élevé de l'ordre de 4 à 5% au moins en tendance annuelle et en termes réels.

Il aurait fallu adapter rapidement ce projet de société à la baisse des taux de croissance dès 1973; au lieu de cela, il aura fallu dix années pour le faire, années pendant lesquelles la Belgique devint largement incompétitive et la proie de l'inflation galopante.

 

3.2. Venons-en à la deuxième divergence, interne à la Belgique celle-là. Au lendemain de la guerre, la Wallonie était dotée d'une puissante industrie axée sur des produits en pleine maturité, selon l'expression du Boston Consulting Group qui qualifie parfois ces activités de "vaches à lait". Charbon, sidérurgie, verrerie, construction mécanique et électrique, autant d'activités pour lesquelles la demande mondiale était immense. Mais pendant les 25 ans qui ont suivi la guerre, les pays ayant conquis leur indépendance et ayant réussi un certain degré d'industrialisation ont bâti eux-même des complexes industriels dans ces mêmes domaines. Ce n'est qu'à la fin des années 60 que sont apparues assez soudainement leur auto-suffisance, voire leur capacité de concurrents. Et très rapidement la Wallonie s'est trouvée avec une industrie qui, pour des raisons plus commerciales que techniques, était axée sur des produits devenus soudain régressifs. Elle se trouvait soudain en position très défavorable vis-à-vis de l'industrie flamande qui, développée surtout après guerre, était par le fait même orientée vers des activités d'origine plus récente.

 

4. Diagnostic global

  1. La Belgique tout entière a dépéri économiquement plus que les autres pays industrialisés, et ce pendant 10 ans, faute d'avoir ajusté à temps un projet de société trop ambitieux pour un taux de croissance ralenti.

  2. La Wallonie, tout en souffrant du "mal belge", est soudainement défavorisée par son tissu industriel trop axé sur des produits devenus commercialement régressifs.

Pour opérer un redressement industriel, la Wallonie doit donc procéder à une profonde reconversion industrielle, visant des produits ou secteurs d'activités pour lesquels des pays industrialisés de longue date ont encore un avantage sur les nouveaux concurrents du tiers monde.

Il importe d'être conscient qu'une telle reconversion est longue et coûteuse. On a pu montrer, qu'en moyenne, sur soixante idées de produits nouveaux, germant dans des cerveaux imaginatifs, quatre seulement méritent un développement sérieux allant jusqu'au prototype et une seule réussit. En fabrications métalliques, entre le moment où on commence à dépenser de l'argent pour le développement et le moment où on cesse d'en perdre, il s'écoule entre 5 et 12 ans. Et ceci dans le cas d'une idée qui réussit! Les trois autres, qui auront été abandonnées en cours de route auront, elles aussi coûté cher...

Mais alors, d'où va venir tout cet argent nécessaire? D'aucuns croient qu'il peut venir des pouvoirs publics en tant que subsides et aides diverses à la recherche. Hélàs non! Ces aides publiques, toutes précieuses qu'elles peuvent être ne sont qu'une petite fraction de l'effort financier nécessaire. Rien que pour l'industrie des fabrications métalliques de la Belgique, l'effort de recherche et de développement devrait atteindre 5% du chiffre d'affaires, soit 35 milliards par an.

Quand on compare cela avec les moyens disponibles des pouvoirs publics, on voit tout de suite que ce n'est pas là que se trouve la solution. La seule source de financement possible se trouve dans des marges brutes bénéficiaires suffisantes... Ces marges-là doivent être générées par les produits et activités existantes. Aujourd'hui, des progrès sensibles en matière de restauration de la compétitivité belge ont été réalisés. Les entreprises ont pu se recapitaliser valablement ces dernières années; les investissements consacrés aux recherches et développements ont augmenté de façon significative tout en restant encore faibles. D'où l'importance accrue pour la Wallonie de rétablir des conditions très favorables de compétitivité. On ne peut se contenter d'une économie wallonne raisonnablement rentable: elle doit pouvoir simultanément:

  • être suffisamment prospère pour s'assurer les moyens financiers nécessaires à son développement,

  • et, en plus, supporter le poids très lourd de sa reconversion.

Nous sommes encore loin du compte de cette situation en Wallonie et c'est pour cela que l'établissement d'un nouveau projet de société s'avère indispensable. Cet accord socio-politique est en train de voir le jour. Il nécessite non seulement la bonne volonté des parties mais aussi et surtout, une conscience claire des véritables problèmes avec lesquels nous sommes confrontés et des solutions réalistes existantes. Il y a certes les contraintes économiques, nous venons de les évoquer, mais il est évident qu'il y a les aspirations sociales qu'il faut rencontrer, comme cela avait été le cas pour le projet de société des années 45 à 70. Je pense au sauvetage de la sécurité sociale, aux chômeurs de longue durée, aux nouveaux pauvres, enfin. Cet aspect des choses justifierait à lui seul un développement aussi long que celui qui précède et qui est consacré aux aspects économiques. Ce n'est pas l'objet de ce bref exposé.

Je voudrais, par contre, résumer ce qui me paraît, en fin de compte, être les difficultés majeures, principalement économiques, que la Wallonie rencontre pour réussir son redressement économique:

  1. Il faut opérer une reconversion profonde des activités manufacturières vers des produits d'avenir, et développer les activités de services créatrices de richesses par elles-mêmes ou qui sont la condition d'une telle création.

  2. Ceci coûte extrêmement cher et ne peut être financé que par des marges bénéficiaires élevées sur les produits et activités existantes.

  3. Le pays et la Wallonie plus particulièrement doivent donc persévérer dans leurs efforts de compétitivité; c'est une condition nécessaire de la création d'emplois. C'est ainsi que des progrès importants devront encore être réalisés dans la réduction du coût du travail; d'autres sont à engager pour diminuer la charge portant sur les revenus du travail.

  4. La bonne santé de nos entreprises est difficilement compatible tout autant avec un déficit élevé des finances publiques qu'avec un taux de chômage élevé synonyme de consommation intérieure réduite.

  5. Il faut continuer l'effort de restructuration de nos activités traditionnelles reprises par les pays nouvellement industrialisés, ce qui demande des sacrifices difficilement acceptés en période de chômage intense.

  6. Tout ceci devra continuer à s'effectuer dans un climat économique mondial qui restera porteur d'une croissance faible, ce qui complique singulièrement la tâche.

  7. Il faut aussi avoir conscience que, même en réussissant le redressement de l'économie wallonne de manière à la remettre au niveau de celle du reste du monde industrialisé, cela s'accompagnera d'une réduction progressive mais continue du volume de l'emploi dans le secondaire et cela surtout dans la catégorie des ouvriers. Ce phénomène, généralement mal compris et cependant inéluctable, n'est évidemment pas favorable sur le plan psychologique, bien qu'il soit l'origine fondamentale de l'amélioration du standard de vie.

  8. Enfin, le dernier point que nous devons soulever est celui de la formation. La reconversion de nos activités vers des produits élaborés et vers les activités de service nécessite une réorientation de la formation des jeunes. Cela se pose en termes d'éducation nationale et de formation professionnelle. C'est un problème d'une grande ampleur; c'est à la fois une des conditions du redéploiement économique, mais aussi un point de passage obligé pour réduire le chômage. Nous ne pouvons plus supporter ce gaspillage qui consiste d'une part à manquer des ressources humaines pour assurer la relève correcte des générations, et à la fois maintenir au chômage près de 150.000 jeunes faute pour la plupart d'entre-eux d'une formation suffisante.

Ma conviction est que, plus un problème est difficile, plus il requiert la conjonction des efforts. Et comme je l'ai déjà dit, si une telle entreprise nécessite de la bonne volonté des parties en présence, elle exige encore l'appréciation correcte des problèmes. Mon espoir est d'avoir contribué modestement à cette nécessaire clarification.

(Octobre 1987)


 

 

 

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